Les émeutes ne cessent de monter en Nouvelle-Calédonie : trois morts en deux jours dont un gendarme, Emmanuel Macron a demandé à déclarer l'état d'urgence. Comment en est-on arrivé à une telle flambée de violence ? Patrick Roger, auteur de "Nouvelle Calédonie, la tragédie", chez Cerf éditions, est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 16 mai 2024
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00:00 7h, 9h, RTL matin.
00:04 RTL 8h21, bonjour Patrick Roger.
00:06 Bonjour.
00:06 Merci beaucoup d'être avec nous ce matin sur RTL, vous êtes journaliste au Monde,
00:10 spécialiste des Outre-mer et vous publiez "Nouvelle Calédonie, la tragédie", c'est
00:14 aux éditions du Cerf un livre et une enquête d'une brûlante actualité.
00:17 Aidez-nous à comprendre ce qui est en train de se passer sur cette île française située
00:20 à 17 000 kilomètres de la métropole.
00:22 Je rappelle ces chiffres, 4 morts, dont un gendarme, des centaines de blessés.
00:26 Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé le déploiement de l'armée sur place, ça
00:30 veut dire qu'on est en guerre ?
00:31 J'espère que non, pas encore, mais en tout cas dans une situation insurrectionnelle.
00:37 C'est le terme qu'a employé le haut-commissaire, oui.
00:41 Entendons-nous bien, une situation insurrectionnelle qui pour l'instant, pour l'instant, est
00:48 circonscrite à Nouméa et à ses environs, au Grand Nouméa.
00:53 Contrairement aux événements de 1980, la crise n'a pas encore...
00:59 C'est pas encore étendu à l'ensemble du territoire.
01:02 Qui se bat contre qui et pourquoi, Patrick Roger ?
01:05 D'abord contre l'État.
01:10 L'État, c'est...
01:12 L'État français.
01:14 L'État français.
01:17 Parce que les trois référendums qui ont été organisés jusqu'en 2021, de 2018 à
01:25 2021, qui devaient déterminer l'indépendance ou non, ont ravivé les clivages au sein de
01:34 la communauté calédonienne entre deux blocs.
01:36 Alors que depuis 1980, d'énormes progrès avaient été...
01:42 Je veux dire, aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, on a 15% de mariage mixte.
01:48 Enfin, il y a une mixité qui s'est établie.
01:51 Et là, après les référendums binaires, oui, non à l'indépendance, les clivages
01:55 se sont ravivés.
01:56 Et l'État français est tenu responsable de ça.
02:01 De part et d'autre.
02:02 Mais plus on vote, plus ça se durcit.
02:05 Exactement.
02:06 Ça peut paraître perturbant, non ?
02:08 Exactement.
02:09 C'est quand même un sacré paradoxe.
02:10 Oui, il y a eu trois votes.
02:13 Et aujourd'hui, du moins un camp ne reconnaît pas leur légitimité.
02:21 Ce qui fait que depuis trois ans, pratiquement, on est dans cet affrontement permanent.
02:31 Qui sont les émeutiers ?
02:32 Alors, c'est là quand même qu'il y a une complexité.
02:36 Mais voilà, on parle de gens jeunes.
02:37 Expliquez-nous la situation.
02:40 Il y a eu des négociations, des cadres de négociations.
02:46 Mais les forces indépendantistes sont très divisées entre elles.
02:51 On parle du camp indépendantiste.
02:53 Oui, mais en fait, personne n'est d'accord.
02:54 Mais il est extrêmement fracturé, extrêmement divisé.
02:56 Le camp loyaliste aussi.
02:58 Ce qui fait qu'il y a une sorte de surenchère permanente.
03:03 L'organe politique du mouvement indépendantiste, c'est le FLNKS, le Front de Libération
03:09 canadien qui est socialiste, mais qui comprend plusieurs composantes, cinq composantes.
03:14 Peu importe, la principale, c'est l'Union calédonienne.
03:17 L'Union calédonienne, à un moment, s'est retirée des négociations et a rompu les
03:23 négociations avec l'État.
03:25 Et à partir de ce moment-là, a mis en place un organe de mobilisation, une cellule de
03:31 coordination des actions de terrain pour pousser à la mobilisation sur le terrain.
03:37 Et ça a marché.
03:38 Il y a eu des manifestations énormes le 13 avril à Nouméa, qui ont rassemblé plusieurs
03:44 dizaines de milliers de personnes, de part et d'autre.
03:47 Mais plus ça allait, plus il y avait de blocage, plus la CCAT, cette cellule de coordination,
03:57 organisait, durcissait les actions sur le terrain.
03:59 Et aujourd'hui, on a une partie de ces militants qui sont remontés à bloc, etc.
04:05 Ce sont eux qui sont sur les barrages.
04:07 Ils se sont greffés à ces actions de terrain.
04:09 Il y a eu à Nouméa des squads, des jeunes qui sont désœuvrés, et qui se sont greffés
04:18 un peu en un phénomène à la Nael ici en métropole.
04:21 Donc aujourd'hui, la CCAT échappe au contrôle des dirigeants indépendantistes et le mouvement
04:29 échappe au contrôle de la CCAT.
04:31 - Les émeutiers sont-ils tous politisés, impliqués politiquement ?
04:34 - Non, non, ce que je vous disais, ces jeunes qui ont été parfois recrutés par les membres
04:42 de la CCAT, mais aujourd'hui, ils se livrent à des payages, des exactions, et ils sont
04:47 totalement hors de contrôle.
04:48 - Y a-t-il des influences étrangères qui cherchent à déstabiliser l'île, et donc
04:53 à la séparer d'une façon ou d'une autre de la France ?
04:55 - On ne peut pas l'exclure, loin de là.
04:57 Il y a en Nouvelle-Calédonie l'influence chinoise qui depuis bien longtemps déjà
05:05 se fait sentir.
05:06 - Donc elle est bien réelle ?
05:07 - Elle est bien réelle.
05:08 Elles ne sont pas physiquement présentes, mais n'empêche qu'on voit autour Vanuatu,
05:13 les îles Salomon, etc., la présence très active des Chinois, mais qui pour l'instant,
05:19 bon, n'ont pas mis le pied encore en Nouvelle-Calédonie.
05:22 - Mais quel est leur objectif ? Les Chinois ne pensent pas récupérer un jour la Nouvelle-Calédonie ?
05:26 - D'y être influents au minimum ?
05:28 - D'y être influents, il y a quand même un enjeu qui est celui du nickel.
05:33 Il ne faut pas perdre ça de vue.
05:36 L'économie, la filière du nickel est en train de s'effondrer.
05:41 Les Chinois regardent ça quand même d'un œil attentif.
05:45 Et puis, il y a un autre facteur déstabilisant.
05:49 Récemment, le congrès de Nouvelle-Calédonie, qui est dirigé par un indépendantiste, Roquoit-Huitan,
05:54 a passé un accord de coopération avec le parlement azerbaïdjanais.
05:58 - L'Azerbaïdjan est dans la partie ?
06:02 - L'Azerbaïdjan, effectivement, est dans la partie.
06:06 S'engage à soutenir le FNKS, et on ne peut pas exclure qu'il y ait eu
06:14 une sorte de volonté de déstabilisation de la France, en poussant au chaos.
06:23 - Et pourtant Patrick Roger, la Nouvelle-Calédonie souhaite rester française,
06:26 puisque si l'on en croit les résultats des trois référendums successifs sur la question,
06:30 les indépendantistes sont minoritaires.
06:32 - Il y a effectivement trois référendums blancs.
06:36 Le troisième est contesté parce que le FNKS, au dernier moment,
06:43 qui avait réclamé la tenue de ce troisième référendum.
06:46 Il ne faut pas oublier que c'est eux qui l'avaient réclamé.
06:48 Y compris quand il y avait eu à Paris, quelques mois avant la tenue de ce référendum,
06:54 une session de travail ici, à laquelle participait l'Union Calédonienne,
06:58 mais pas l'autre composante du FNKS, le principal dirigeant de l'Union Calédonienne,
07:03 Daniel Goa, avait donné à Emmanuel Macron, en tête à tête, à l'Elysée,
07:09 son accord pour dire "oui, je suis d'accord pour que le référendum se tienne le 12 décembre,
07:15 et je garantis qu'il se passera bien".
07:17 Deux mois après, ils appelaient à la non-participation.
07:20 - Ce sera ma dernière question.
07:22 Comment on sort de cette situation ?
07:23 Comment on fait pour apaiser les rapports de force sur l'île aujourd'hui ?
07:26 Est-ce que c'est possible ?
07:27 - Ça va être très compliqué.
07:29 Parce que, comme je le disais aujourd'hui,
07:32 la direction du mouvement indépendantiste est largement débordée
07:37 par ce qu'il a lui-même mis en place.
07:40 Et aujourd'hui, ces dirigeants, on voit bien les communiqués qu'ils ont sortis, qu'ils ont publiés,
07:49 hésitent très fortement à dire "oui, nous allons négocier".
07:53 Alors qu'ils ont poussé en disant "surtout, ce texte de loi, on n'en veut pas".
07:58 Est-ce que dire maintenant "nous allons aller à Paris pour discuter, négocier",
08:04 ce qui inclura également le corps électoral,
08:07 aujourd'hui, ils hésitent à le faire dans la situation actuelle.
08:11 Parce que, il ne faut pas oublier une chose,
08:12 ils ont tous en tête, ils sont hantés encore par le souvenir
08:16 de Jean-Marie Djibahou et Yehouene, les deux principaux responsables du FNKS,
08:21 les deux principaux dirigeants du FNKS en 1988,
08:24 qui avaient signé les accords de Matignon,
08:26 et qui, un an après, se faisaient assassiner par Rendeleur.
08:29 - Merci beaucoup Patrick Roger, je rappelle le titre de votre livre.