Le 80ème anniversaire du débarquement en Normandie aura lieu le 6 juin. À cette occasion, Annick Cojean, grand reporter au Monde, qui publie "Nous y étions : 18 vétérans racontent heure par heure le D-Day" chez Grasset est l'invitée d'André Bercoff et Céline Alonzo.
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NewsTranscription
00:00 (Générique)
00:02 Sud Radio, la culture dans tous ses états.
00:04 André Bercoff, Céline Alonso.
00:06 (Générique)
00:27 Et oui, Michel Sardou qui rend hommage aux soldats américains André Bercoff,
00:30 ces soldats qui ont débarqué en Normandie,
00:32 le fameux 6 juin 1944, André.
00:36 Eh bien, jeudi prochain, ce sera le 80e anniversaire du D-Day.
00:40 80e anniversaire, effectivement.
00:43 Et il faut dire quelque chose, c'est que cette époque
00:48 rappelle quelque chose de fondamental, c'est le courage.
00:52 Le courage de ces gens qui sont venus d'Amérique.
00:55 Comme disait Sardou, il est né en Géorgie,
00:58 il se foutait pas mal de toit, puis il est mort en Normandie.
01:02 Et il faut dire que c'est quand même une saga extraordinaire.
01:07 Vous savez, aujourd'hui, on parle, on est dans des temps difficiles.
01:10 C'était un temps déraisonnable, on avait mis les morts à table,
01:14 comme écrivait Louis Aragon.
01:16 Et puis voilà un livre qui vient à son heure, le livre d'Anne Cogent.
01:20 Nous y étions, nous étions, et c'est formidable
01:23 parce que vraiment, c'est un livre, non seulement que je vous recommande,
01:26 mais qu'il faut lire.
01:28 Parce que 18 vétérans racontent, hors-parole, D-Day,
01:32 le fameux D-Day, the longest day, comme on dit.
01:36 Ça a été un moment historique aujourd'hui, c'est banal de le dire.
01:43 Mais surtout, vous savez, c'était Kennedy qui avait écrit
01:46 "Profiles in Courage", les profils du courage.
01:48 Et ces gens-là, c'est vrai, c'est formidable,
01:52 Céline, c'est que Annick Cogent, qui est journaliste au monde,
01:55 et grand reporter au monde, que l'on connaît bien et que l'on lit,
01:58 ces gens-là ont été là et racontent leur histoire.
02:03 Et leur histoire est aussi extraordinaire qu'ils sont d'une simplicité
02:06 et d'une sincérité totale dans une saga qui a changé l'histoire.
02:10 Puisque effectivement, si les Ricains, les Australiens et autres n'étaient pas là,
02:15 on se demande ce qu'on serait devenu.
02:17 - Et oui, alors la plus grande opération militaire de tous les temps,
02:20 nous allons vous la raconter dans un instant sur Sud Radio,
02:23 avec Annick Cogent, grande lauréate du prix Albert Londres.
02:27 Alors restez avec nous.
02:29 - Sud Radio, la culture dans tous ses états.
02:32 André Bercoff, Céline Alonso.
02:34 *Musique*
02:53 - Et oui, le jour le plus long André Bercoff, 18 vétérans le racontent heure par heure,
02:58 dans "Nous y étions", un livre bouleversant que vous venez de publier chez Grasse et Annick Cogent.
03:03 Bonjour à vous et merci d'être avec nous sur Sud Radio.
03:06 - Bonjour.
03:07 - Alors vous dédiez cet ouvrage à votre maman et à ses deux cousins
03:10 qui ont vécu le 6 juin 1944 à Caen,
03:14 sous le feu que vous ont-ils raconté sur l'épopée du débarquement ?
03:19 - Oh là là, des tas de choses.
03:21 Évidemment, depuis que je suis petite, je baigne au fond dans cette histoire.
03:24 J'avais la chance d'avoir une maman extrêmement joyeuse,
03:27 qui était une conteuse, mais qui était une conteuse joyeuse.
03:30 Donc c'est vrai que je pense qu'elle a un peu édulcoré l'affaire, quelquefois.
03:34 Et j'ai vu le dîner, moi, sous l'aspect d'une grande épopée extraordinaire,
03:40 qui évidemment passionnait mes frères et moi, puisqu'elle nous racontait ça le soir,
03:44 souvent, et c'était sous forme de feuilleton.
03:47 J'ai pas vu beaucoup les aspects douloureux.
03:49 Il y avait le côté courageux, "ils sont venus nous aider, ils nous ont sauvés", etc.
03:53 Elle racontait peu la façon dont la maison de mes grands-parents, la sienne,
03:57 a été bombardée. Ils ne l'ont plus retrouvée, elle était en ruine.
04:01 Et évidemment, ils avaient tout perdu, ils sont partis, il y a eu l'exode, etc.
04:05 Mais ce jour-là, la façon dont elle nous l'a raconté,
04:09 effectivement, me donnait l'idée d'un truc insensé,
04:13 d'une opération tellement bien préparée, avec des jeunes hommes
04:16 qui avaient entre 17 et 22 ans, qui arrivaient tout feu, tout flamme,
04:20 pour la liberté, au nom de la liberté.
04:23 Alors c'est à peine caricatural, parce qu'ils n'arrivaient pas tous
04:27 avec un idéal absolument incroyable, certains ne savaient pas trop, trop,
04:31 pourquoi ils étaient là, mais quand même, ils savaient qu'ils faisaient une guerre juste.
04:35 Et il y avait quand même l'idée qu'ils étaient du bon côté,
04:38 et qu'ils étaient là pour lutter contre le mal.
04:41 Donc ça, déjà, au moins, il y avait ce préalable.
04:44 - "The good guys against the bad guys" - Oui, vraiment.
04:47 Alors quelquefois, on a tendance à penser que dans les films américains,
04:50 caricatural, il y a eu d'autres guerres qui, sans doute,
04:53 n'étaient vraiment pas aussi justes que celles-là.
04:56 Mais celles-là, oui, ces jeunes hommes n'avaient pas de doute
05:00 sur le bien fondé de ce qu'ils faisaient.
05:03 Alors ils n'avaient pas tous envie d'offrir leur vie, bien sûr,
05:06 certains, oui, étaient prêts à ça.
05:08 L'idée de la mort était possible.
05:10 Mais tous, de toute façon, se disaient qu'ils faisaient un truc
05:14 qui valait le coup.
05:16 Et ils aimaient leur pays très fort,
05:18 et la liberté était vraiment la grande bannière
05:21 pour laquelle ils se battaient.
05:23 - Alors en 1994, pour le 50e anniversaire du D-Day,
05:26 vous êtes partie à la recherche des combattants du 6 juin 1944.
05:31 Ce que ma mère, enfant, aurait pu apercevoir dans la région.
05:34 De quand écrivez-vous dans votre livre ?
05:37 Comment avez-vous mené votre enquête ?
05:39 - Au départ, un peu sur la pointe des pieds.
05:42 J'ai profité de tel voyage à New York pour un reportage pour Le Monde,
05:47 un autre à Toronto ou à Londres,
05:50 pour essayer de rencontrer des associations de vétérans,
05:53 essayer d'avoir telle ou telle adresse, etc.
05:56 Je me rappelle ma première rencontre, d'ailleurs, à New York,
05:59 dans un restaurant de la 57e rue.
06:03 C'était avec le Ranger de la Pointe du Hoc.
06:06 Donc un des héros fondamentaux, réellement, de ce jour-là.
06:10 Je me suis rendu compte que je n'étais pas très bien outillée,
06:13 parce qu'au départ, je ne savais pas très bien, moi,
06:15 pourquoi ils avaient débarqué, par exemple, à marée basse.
06:18 Ce qui est une évidence, maintenant, quand on sait l'histoire.
06:21 Mais je me disais que ça aurait été plus simple à marée haute.
06:24 Ils arrivaient au haut des dunes et ils étaient moins sous le feu de la mitraille.
06:27 Mais non, bien sûr, c'est là qu'il m'a expliqué,
06:30 en me montrant ce que c'était les asperges de Rommel.
06:33 Je ne savais pas ce que c'était les asperges de Rommel.
06:36 - C'est quoi, les asperges de Rommel ?
06:39 - Ce qui est très touchant dans votre livre, c'est que vous racontez,
06:41 justement, que les vétérans avec lesquels vous déjeuniez,
06:44 vous racontez, justement, à l'aide des couteaux et des fourchettes,
06:47 ce que représentaient ces asperges.
06:49 - Et voilà, ils pointaient le couteau comme ça, la fourchette qui croisait,
06:52 en disant, mais en plus, haut de tout ça, c'était des poteaux
06:55 plantés dans le sable, sur les plages, très très loin sur les plages.
06:59 Donc, effectivement, si on arrivait à marée haute, on ne les voyait pas.
07:02 Et qu'est-ce qu'il y avait au haut de tous ces obstacles, de tous ces poteaux ?
07:05 Des mines ! Des mines qui ont explosé, d'ailleurs.
07:08 - Des millions de mines. - Des millions.
07:10 - Des millions de mines ont été posées, c'est impressionnant.
07:12 - Des rails de chemin de fer, etc., des croisillons, enfin,
07:15 ce qu'on appelait les portes belges. Il y avait des milliers d'obstacles
07:18 qui ont été mis par Rommel, installés grâce ou à cause de Rommel,
07:22 sur les plages, effectivement, qui changeaient tout.
07:25 Et c'est à cause de ça que prévoir le débarquement a été compliqué.
07:28 Il fallait que ce soit marée basse, il fallait qu'il y ait pleine lune,
07:31 c'est possible. - Oui, c'est ça.
07:33 - Donc, il y avait plein de critères qui étaient très importants à remplir.
07:36 C'est pour ça qu'ils étaient arrivés à la date du 5 juin.
07:40 Et voilà, la tempête s'est levée, ça a été épouvantable.
07:42 - Oui, ça a été décané. - Et qu'on a différé d'une journée.
07:45 - Et oui, c'est vrai que vous le racontez, que pour Eisenhower,
07:47 ça a été véritablement un casse-tête, le choix et l'heure,
07:51 effectivement, de ce débarquement. - Tellement compliqué !
07:53 La marine exigeait la marée basse, les parachutistes exigeaient
07:56 le clair de lune, si possible, en tout cas, pour qu'il y ait le moins
08:00 de difficultés en se posant au sol. Il y avait un nombre de critères
08:04 qui étaient extrêmement compliqués.
08:06 Ça a été un calcul très difficile.
08:10 - Et oui, et vous dites justement qu'un GI vous a précisé à ce sujet
08:13 que seulement 3 jours, seulement par mois, répondait à ces exigences.
08:18 - Et oui, et donc quand la tempête se lève début juin,
08:20 et tout le monde se dit "ah non, c'est pas possible, parce que
08:22 s'il y a la tempête, ça veut dire que les barges vont dévier,
08:24 qu'il y aura des creux de 2, 3, 4 mètres, etc.
08:27 Les hommes vont être malades". Ils l'ont été d'ailleurs.
08:30 Mais enfin, ça aurait pu être encore pire que les hélicoptères,
08:33 les planeurs allaient se poser bien au-delà des cibles premières.
08:38 Les aviateurs exigeaient aussi qu'il n'y ait pas de nuages.
08:40 Comment est-ce qu'on peut exiger qu'il n'y ait pas de nuages ?
08:42 Il y en a eu plein. Mais pour bien viser leurs cibles.
08:44 Les petits avions ont pu aller sous les nuages,
08:47 mais les gros bombardiers ont loupé leurs cibles
08:49 parce qu'il y a eu beaucoup de nuages.
08:51 Bref, le 6 juin a été très difficile d'ailleurs pour choisir la date,
08:56 même à 24 heures près. Et quand d'ailleurs, ils ont voulu
09:00 changer de date, se dire "peut-être dans 24 heures,
09:03 ou alors on attend un mois". C'était trop tard !
09:05 Ils avaient déjà fait partir plein de bateaux.
09:07 Comment est-ce qu'on retient les bateaux qui étaient déjà en pleine manche ?
09:10 On ne pouvait plus les faire revenir.
09:12 Et puis, garder le secret. Le secret était tellement important.
09:15 Parce qu'il y avait déjà plus de 150 000 hommes qui avaient pris la mer.
09:19 Exactement ! C'était trop tard.
09:21 Donc, on pouvait différer d'une journée, pas plus.
09:23 Et donc, le 6 juin, ça ne s'est pas si mal passé,
09:27 mais c'est vrai que ce n'étaient pas les conditions optimales du tout.
09:30 Alors, le 6 juin 1944, à 0h10, Overlord a démarré.
09:35 Le monde entier l'ignore encore. Les Allemands n'ont rien deviné.
09:38 Mais la plus grande armada, effectivement, de tous les temps,
09:41 est en route vers les côtes de France.
09:43 Wally Parr, un Anglais de 22 ans,
09:45 et lui, dans le planeur de tête, lui et ses troupes, chantent ceci.
09:50 *C'est un long chemin pour Tipperary*
10:08 Alors là, ils s'apprêtaient à réaliser la toute première mission suicide sur le sol normand.
10:13 Ils se sentaient invincibles, écrivez-vous.
10:16 Oui. D'abord, ils étaient extrêmement préparés.
10:19 Ce qu'il faut savoir, c'est que cette opération a été...
10:21 C'est dingue ! C'est une mécanique de précision incroyable,
10:24 et puis c'est une préparation sur des mois d'entraînement le plus rude pour toutes les troupes.
10:29 Réellement, même les plus jeunes ont été extrêmement préparés
10:33 dans des conditions très difficiles, mais on leur a donné un maximum de moyens.
10:36 Et ce qu'il faut aussi savoir, d'ailleurs, j'ai lu ça récemment,
10:39 mais qu'il n'y a finalement eu plus de morts dans la préparation du débarquement
10:44 que le jour J lui-même.
10:46 Vous vous rendez compte ? Des milliers de jeunes gens sont morts
10:49 pour préparer le débarquement, pour des répétitions, des tirs, etc.
10:53 Mais morts par un accident ?
10:55 Oui, d'accident, ou bien alors, il y en a un qui me parle d'ailleurs de Slapton Sands.
10:58 Pendant des décennies, ils n'ont pas eu le droit d'en parler.
11:01 Sans ça, ils seraient passés en cours martial.
11:03 Slapton Sands, c'est un petit débarquement, une essai de débarquement
11:07 qui a lieu sur la côte ouest de l'Angleterre.
11:10 Ah oui, il y a eu une répétition, quoi.
11:12 Il faut une répétition, et ça merde, si je peux dire.
11:14 Et ça, ça cafouille.
11:16 Et en plus, au dernier moment, des vedettes allemandes arrivent
11:19 et commencent à tirer dessus.
11:20 Il y a eu plus de 800 hommes qui sont morts à ce moment-là.
11:23 Et on a effectivement dit à tout le monde, vous vous taisez.
11:26 Et plus personne n'a parlé de Slapton Sands.
11:29 C'est-à-dire qu'un des hommes me disait, parlez-en.
11:31 Pour mes copains qui sont morts ce soir-là, je vous en supplie, parlez-en.
11:34 Parce que nos états-majors ne nous ont pas donné la possibilité d'en parler.
11:38 Oui, ça a été très, très rude.
11:40 En tout cas, Wally Pard, il se sentait quand même invincible
11:42 parce que tellement bien formé.
11:44 C'est pas un lavage de cerveau, mais on leur disait, allez-y, vous êtes très forts.
11:48 Vous ne pouvez pas échouer.
11:50 Et c'est ce que disait la veille d'ailleurs Eisenhower,
11:54 qu'il leur a dit, vous partez pour une magnifique croisade.
11:57 Donc, ils étaient forts de tous ces mots.
12:00 Wally Pard était très particulièrement courageux.
12:03 Certains partaient quand même à la tronche de ventre.
12:05 Et oui, ils avaient peur, oui.
12:07 Et surtout que leur mission était...
12:09 Elle était très importante.
12:10 Ils étaient suicidaires, enfin quelque part.
12:12 Ils étaient quasiment suicidaires.
12:13 Oui, parce qu'il fallait qu'ils capturent effectivement les deux ponts situés à l'est de Caen
12:18 pour couper toutes les voies de communication pour les renforts allemands.
12:22 Parce qu'il y avait les hommes qui allaient arriver par dizaines de milliers sur les plages.
12:27 Et puis, on mettait quand même quelques hommes à l'intérieur des terres
12:31 pour couper la route des Allemands à l'est et à l'ouest.
12:34 Et c'était la mission de Wally Pard et de ses hommes et de ses camarades,
12:38 de prendre Pegasus Bridge.
12:40 Le fameux pont de Bénouville.
12:42 Le fameux pont de Bénouville.
12:44 Et c'est incroyable parce qu'il était en planeur.
12:46 Moi, je me suis toujours demandé comment est-ce qu'on conduit un planeur
12:48 parce qu'ils sont effectivement tirés par un câble
12:50 et après repart en Angleterre.
12:52 À un moment donné, on les largue.
12:54 Et après, ils se posent.
12:55 En fait, ils s'écrasent.
12:56 Et ils peuvent s'écraser sur les arbres, ils peuvent s'écraser sur le pont.
12:59 Et là, quand même, c'était vachement bien fait.
13:01 Ils sont arrivés, il n'en revenait pas lui-même,
13:03 à 20 mètres du pont dont il avait vu la maquette.
13:06 En sortant du planeur.
13:08 En effet, le pont est bien là.
13:10 Incroyable.
13:12 Et ce qui est très touchant, c'est que vous racontez que Wally part après la guerre.
13:15 Il s'est remarié, surtout en 1991,
13:18 à une Française rencontrée à Bénouville,
13:21 près du fameux pont où il a choisi de vivre sa retraite.
13:24 C'est fou.
13:25 Mais vous savez, ils sont tous restés attachés aux Didets.
13:28 D'abord parce qu'ils y ont perdu une partie de leur enfance.
13:30 Ils ont enterré, je pense, pour beaucoup, leur enfance ce 6 juin.
13:34 Et puis, ils y ont laissé beaucoup de camarades.
13:37 Et ça, c'est un truc fou.
13:39 Ils en parlaient toujours les larmes aux yeux, d'ailleurs.
13:43 Ils disaient que c'était drôle parce que personne ne pleurait ce jour-là,
13:46 y compris devant la mort d'un copain.
13:48 C'est comme si on gardait toute cette eau pour plus tard.
13:50 Alors, haute vétéran que vous avez rencontré, c'est Bill Tucker.
13:54 Il a 20 ans.
13:56 Quand il s'apprête à sauter sur Sainte-Mère-l'Église,
13:58 on est le 6 juin 1944, à 11h15.
14:02 Dans quel état d'esprit, lui et ses camarades, était-il à ce moment-là ?
14:06 Ah ben là, lui aussi, il se sent fort.
14:10 Il doit gagner.
14:11 Sainte-Mère-l'Église, c'est l'opposé, justement, de Pécassus Bridge.
14:14 Donc, c'est un endroit très important
14:17 parce qu'après, les hommes de la plage doivent les relier.
14:20 Et en fait, il va tomber dans un endroit
14:23 où les Allemands sont quand même très très présents.
14:26 Et même quand il saute en parachute,
14:28 autour de lui, il voit sauter d'autres hommes,
14:30 donc tomber d'autres hommes,
14:32 qui sont criblés de balles avant même d'atteindre le sol.
14:35 Donc, ça va être épouvantable.
14:38 Mais oui, alors il y en a un qui est fameux,
14:40 qui est resté accroché et qui a fait le mort,
14:42 qui est resté accroché au sommet du clocher de Sainte-Mère-l'Église.
14:47 D'ailleurs, quand on va à Sainte-Mère-l'Église,
14:49 il y a une espèce de maquette où on voit toujours John Reed.
14:52 Mais les autres ont eu beaucoup, beaucoup de difficultés
14:55 parce qu'après Sainte-Mère-l'Église,
14:57 on tombe dans le bocage normand.
14:59 Et là, Rommel avait fait inonder le bocage.
15:02 Donc beaucoup aussi de copains de notre homme, de Bill Tucker,
15:06 sont tombés dans des marais.
15:08 Et comme ils étaient tous équipés d'un sac à dos qui faisait 30 kilos,
15:13 certains se sont noyés tout simplement en se posant,
15:16 en tombant du ciel, et ont immédiatement été coulés,
15:19 ont été renversés, n'ont jamais pu relever la tête des marais.
15:23 Et se mourir noyé dans les marais près de Sainte-Mère,
15:26 c'était désorgantique.
15:28 - Et le nombre de morts, le soir du 6 juin ?
15:30 - Oui, à peu près 10 000.
15:32 Ce qui est finalement pas tant que ça.
15:35 C'est affreux de dire ça, parce que c'est une hécatombe, évidemment.
15:38 Mais on pensait que ce serait beaucoup plus, en fait.
15:41 Et comme si on considère qu'il y a eu près de 150 000 hommes
15:44 qui ont débarqué ce jour-là,
15:46 10 000, finalement, c'est pas tant que ça.
15:48 Il y avait 40 000 Allemands sur les plages,
15:51 ou près des plages,
15:54 40 000, et il est mort aussi 10 000 Allemands.
15:58 Donc vous voyez, la comparaison, quand même,
16:00 montre la supériorité américaine,
16:02 et ils étaient très entraînés.
16:05 - Ce qui est très touchant, c'est que Bill Tucker vous raconte,
16:08 vous a raconté, donc après la guerre,
16:10 il est devenu procureur général de l'état du Massachusetts.
16:13 Il vous a dit "J'ai servi quatre présidents des Etats-Unis,
16:16 j'ai été un bon juriste, un fidèle rassembleur de vétérans,
16:19 j'ai eu une famille merveilleuse,
16:21 mais la chose la plus importante de ma vie
16:24 a été d'avoir été du D-Day."
16:26 - C'est fou, hein ? - C'est fou.
16:28 - J'imagine que la plupart des gens vous ont dit ça, non ?
16:31 Est-ce que la plupart des gens, leur souvenir le plus important,
16:34 c'est le D-Day ? - C'est le D-Day.
16:36 Ceux qui ont participé au D-Day.
16:38 Après, il y en a d'autres qui ont débarqué, mais...
16:40 - Le jour même ! - D-Day + 1, + 1, + 2, + 10, + 11,
16:44 il y en a qui ont débarqué en juillet,
16:46 mais ceux qui étaient du D-Day,
16:48 ah oui, c'est un truc fou.
16:50 - Il y en a un qui m'a dit "pour moi, c'est le jour le plus important de ma vie,
16:53 je voulais qu'il soit gravé."
16:55 Alors j'ai épousé ma femme le 6 juin,
16:57 comme ça, elle pense que je fête mon anniversaire de mariage.
16:59 - C'est magnifique. - En fait, je fête le D-Day.
17:02 D'ailleurs, il le fait avec ses copains.
17:05 - En tout cas, il y avait un vétéran que vous teniez absolument à retrouver,
17:09 il s'agit de Bill Miline,
17:11 le fameux joueur de cornemuse,
17:13 le 6 juin 1944, à 13h,
17:15 son instrument a retenti dans la région de Bénouville,
17:19 et les habitants ont pu entendre ceci.
17:23 Alors cette marche des gardes écossais,
17:38 - Heilung, le Himmel.
17:40 - Pourquoi l'a-t-il joué sous la mitraille allemande ?
17:42 Qu'est-ce qu'il faisait ? - C'est complètement dingue.
17:44 - Dans cette bataille, ouais. - Mais oui, on peut se dire
17:46 qu'il était tellement incroyable et pas raisonnable quand même
17:50 d'arriver, de débarquer sans arme.
17:52 - Parce qu'il jouait sous la mitraille. - Ah oui, il jouait vraiment.
17:54 En fait, il trouvait que c'était un honneur,
17:56 il avait été choisi pour être le Piper,
17:59 donc la cornemuse du D-Day,
18:01 par Lord Lovatt, qui était un général écossais,
18:04 d'un clan aristocratique,
18:06 et qui avait dit, certes, il y avait des règles
18:08 qui disaient qu'il y a eu tellement de cornemuses,
18:11 de Pipers morts pendant les guerres précédentes,
18:14 que non, là, il n'y aura pas de cornemuses.
18:16 Et Lord Lovatt avait dit,
18:18 j'en ai rien à faire, c'est dans des ordres.
18:20 - C'est un ordre anglais, ouais. - C'est un ordre anglais.
18:22 Moi, je suis écossais, j'aurais mon Piper.
18:24 Il choisit Bill Mee-Lin, qui est donc très honoré,
18:26 qui veut être à la hauteur du jour, et à la hauteur de Lord Lovatt.
18:29 Et donc, même quand il est sur la barge,
18:31 et qu'on leur dit, vous devez bientôt débarquer,
18:33 dans 10 minutes, vous débarquez,
18:34 lui, qui est en uniforme comme les autres,
18:36 il va vite mettre son kilt, parce qu'un Piper
18:38 se doit de débarquer en kilt,
18:40 avec ses chaussettes blanches, etc.
18:42 Bon, alors, le kilt est mouillé,
18:44 mais au moins, il fait son entrée sur la plage,
18:46 alors que ça, effectivement, ça mitraille.
18:48 Lui, il arpente la plage,
18:50 et il risque d'être tué, bien sûr.
18:52 Il ne l'a pas été, on dit toujours, il y a une petite chance pour les Pipers,
18:54 j'en sais rien, ou certains ont dit,
18:56 les Allemands le prennent pour un fou, donc...
18:58 - Oui, c'est ça, oui. - Oui, il y a cette petite histoire.
19:01 Mais c'est vrai que pour Lord Lovatt,
19:03 c'était une tradition, ça tenait les hommes,
19:05 qui disaient, waouh, c'est juste incroyable,
19:08 ce qu'il était en train de faire, donc si lui ose le faire,
19:10 ça aspirait aussi du courage aux hommes,
19:12 de se tenir, et ça mobilise.
19:14 Et puis lui, il pensait,
19:16 il ne faut pas que je fasse de fausses notes,
19:18 Lord Lovatt, qui lui-même, un joueur de cornemises,
19:20 le remarquerait, je ne suis pas sûre
19:22 que c'était le plus important, mais c'est amusant.
19:24 Et je l'ai rencontré après à Montparnasse,
19:26 il me donne, j'essaie de le retrouver,
19:28 j'ai enfin, et puis il me dit, oh, je serai à Paris.
19:30 Alors je me dis, chouette, et j'avais une toute petite photo de lui,
19:32 quand il avait 17 ans, je me dis,
19:34 oh, je ne suis pas sûre de le reconnaître.
19:36 Et je suis pas tant à la réception de ce petit hôtel.
19:38 En kilte ! En kilte ! Ah, j'adore !
19:40 Mais ce qui est très touchant dans votre livre,
19:42 c'est que vous racontez effectivement des scènes de guerre
19:44 incroyables, notamment quand
19:46 Lovatt, donc, lui demande de traverser
19:48 un pont sans arrêter de jouer.
19:50 Dès qu'il met un pied
19:52 sur ce pont,
19:54 les rafales se sont eues,
19:56 quelques secondes, mais elles se sont eues.
19:58 Oui, c'est tellement surprenant,
20:00 enfin, on est en pleine guerre,
20:02 il y a des snipers, on lui dit d'ailleurs, fais gaffe,
20:04 il y a des snipers. Il se dit, Lovatt m'a dit,
20:06 allez, bon, j'y vais.
20:08 Et il a un son, "Blue Bonnet", je crois
20:10 qu'il joue à ce moment-là.
20:12 Et puis, oui, à un moment donné, je pense que tout le monde
20:14 dans la stupéfaction générale,
20:16 on tire pas sur un musicien, enfin,
20:18 c'est complètement fou. Et puis,
20:20 effectivement, c'était un son qui résonne
20:22 très très fort, et ça voulait dire aussi
20:24 au général Howard,
20:26 qui l'attendait, lui, depuis très tôt le matin,
20:28 qui attendait la relève venue de la plage,
20:30 que ça y est, ils arrivaient,
20:32 ils allaient pouvoir serrer la main, l'opération marchait.
20:34 - Et oui, et vous dites, effectivement,
20:36 qu'il vous a dit,
20:38 plutôt, que cette cornemuse du 6 juin,
20:40 comment dire, lui a
20:42 permis, notamment, de rencontrer la Reine-Mère.
20:44 Racontez-nous cette anecdote de leur rencontre.
20:46 - C'est drôle, parce que
20:48 lors d'un anniversaire, effectivement, la Reine-Mère est là,
20:50 et lui, donc, il se fait tout petit,
20:52 tout écossais qu'il est, malgré tout,
20:54 elle impressionne la Reine-Mère.
20:56 Et elle lui dit, vous savez, dans,
20:58 je sais pas si c'est dans 1000 ans, mais en tout cas,
21:00 on aura complètement oublié que j'étais là,
21:02 et qui j'étais, on aura, personne n'aura
21:04 oublié le Piper du Titey, et c'est
21:06 vrai, et il a d'ailleurs une
21:08 statue, maintenant, au-dessus de
21:10 la plage des Anglais.
21:12 - Oui, à Colville, Montgomery, c'est ça, effectivement.
21:14 - Montgomery. - Annick Cogent, ce jour
21:16 de gloire et de folie, point de bascule de la
21:18 Seconde Guerre mondiale, nous allons
21:20 continuer de vous le raconter, chers auditeurs
21:22 de Sud Radio, dans un instant,
21:24 alors restez avec nous.
21:26 - Sud Radio, la culture dans
21:28 tous ses états, André Bercoff, Céline
21:30 Alonso.
21:32 ...
21:34 ...
21:36 ...
21:38 ...
21:40 ...
21:42 ...
21:44 ...
21:46 - Et oui, là, c'est la musique du
21:48 film Le Jour le plus long, André Bercoff,
21:50 composé par Maurice Char.
21:52 Alors, Annick Cogent, des mois avant le D-Day,
21:54 une opération incroyable
21:56 a été mise en oeuvre pour faire croire aux Allemands
21:58 que le débarquement aurait lieu
22:00 dans le Pas-de-Calais. Alors, à ce sujet,
22:02 que vous a raconté le
22:04 majeur Allemand, Von Luck ? - Oui, parce que,
22:06 juste un mot, c'est ça qui est très bien aussi
22:08 dans votre livre, Annick Cogent. Vous n'êtes pas restée
22:10 sur ceux qui ont débarqué. - Ben non. - Vous avez
22:12 interviewé aussi les Allemands qui étaient là.
22:14 - Ah oui, pour avoir une idée de ce jour
22:16 et de la fièvre et de la folie de ce jour,
22:18 c'était intéressant de voir de l'autre côté.
22:20 Le hasard a fait que je me
22:22 promenais, si je peux dire, dans un
22:24 cimetière allemand et là j'ai vu un homme
22:26 qui était prostré sur une tombe. On a
22:28 commencé un petit peu à se parler, à se sourire, puis à se parler
22:30 et puis voilà, il m'a raconté son D-Day.
22:32 Mais c'est vrai que le majeur Allemand,
22:34 le majeur dont vous parlez là, lui, je suis allé
22:36 le chercher à Hambourg. C'était un des
22:38 plus établis. Lui, il avait
22:40 33 ans, alors que les autres petits
22:42 Allemands que j'ai rencontrés avaient 17 ans
22:44 à l'époque. Ils étaient enrôlés de force.
22:46 Ils n'avaient vraiment pas le choix. Ils n'avaient pas
22:48 du tout envie d'être sur les plages de Normandie.
22:50 Mais le majeur Hans Von Luck,
22:52 lui, était un
22:54 aristocrate aussi allemand
22:56 et dont la famille a toujours été
22:58 militaire et qui était fan
23:00 de Rommel. L'Ève de Rommel avait
23:02 suivi Rommel en Afrique du Nord,
23:04 etc. Et lui, il décolère
23:06 pas. C'est-à-dire que dès 2h,
23:08 2h, 3h du matin, il y a le
23:10 téléphone qui sonne. Il est dans son
23:12 état-major à Caen, près
23:14 de Caen, à l'est de Caen et on lui dit
23:16 "Il y a des parachutistes à tel endroit, il y a
23:18 des planeurs qui s'étaient écrasés à tel
23:20 endroit. Il sent qu'il y a des mouvements,
23:22 etc." Il dit "Bon, il faut qu'on réposte, vite, vite, vite,
23:24 il faut qu'on appelle." Le hasard faisait
23:26 quand même que Rommel était parti
23:28 fêter l'anniversaire de sa femme
23:30 en permission, donc fêter l'anniversaire de sa femme
23:32 en Allemagne, juste ce 6 juin,
23:34 penser qu'il faisait tellement mauvais qu'il n'y avait
23:36 pas de risque. Il y avait
23:38 d'autres qui étaient du côté de Rennes
23:40 pour faire des exercices militaires.
23:42 Enfin bref, c'était un peu la débatte
23:44 de toute façon dans l'état-major. Et donc,
23:46 lui, se rend compte que "Waouh, il se passe
23:48 quelque chose de grave". Il peut y croire,
23:50 d'ailleurs, Rommel pensait que ça
23:52 pouvait avoir lieu en Normandie, contrairement
23:54 à Hitler et contrairement à beaucoup de gens.
23:56 - Oui, ils se sont presque tous trompés.
23:58 - Ils se sont presque tous trompés et
24:00 c'est inouï les moyens,
24:02 l'inventivité d'ailleurs
24:04 des alliés pour faire croire que ça allait se passer.
24:06 Dans le Nord-Pas-de-Calais,
24:08 des leurres,
24:10 des chars qui étaient en plastique
24:12 pour eux, des faux chars de bâche,
24:14 etc., des messages codés,
24:16 des faux amassages de troupes,
24:18 enfin bon, bref, pour que les Allemands se plantent.
24:20 - Mais ce qui est incroyable, quand même, c'est qu'il n'ait pas
24:22 pu organiser cette contre-attaque.
24:24 Il a tout fait. Il a appelé ses supérieurs.
24:26 - Oui, il faut y aller.
24:28 - Personne ne le croyait.
24:30 - Personne ne le croyait. Ils disaient "c'est sûrement une opération de diversion,
24:32 arrêtez". Les ordres
24:34 n'arrivaient pas. Ils t'ont pété. Ils disaient "c'est pas
24:36 possible, on peut encore les freiner, on peut
24:38 encore les freiner". Et ils ne savaient pas encore
24:40 l'ampleur des troupes qui allaient arriver.
24:42 Là, on est à 2h, 3h, 4h du matin.
24:44 Il y a des prisonniers qui sont faits.
24:46 Il va un petit peu les interroger.
24:48 Puis il y a un prisonnier américain bravage
24:50 qui dit "vous allez voir ce que vous allez voir
24:52 tout à l'heure. Des centaines, des milliers
24:54 d'hommes vont arriver". Et là, il perçoit
24:56 très bien. Donc, il téléphone
24:58 tous les 10 minutes. L'ordre de la
25:00 contre-attaque n'arrivera jamais. Je l'ai rencontré
25:02 50 ans après, à Hambourg, chez lui.
25:04 Il avait étalé
25:06 les cartes, encore de Normandie,
25:08 et il décollerait pas.
25:10 Il disait "voyez, si on a mis là des hommes,
25:12 là, et là, et là, s'ils étaient venus de Rennes,
25:14 j'aurais pu déjouer
25:16 ce D-Day". - Oui, mais surtout qu'en plus
25:18 ce qui est terrible dans son histoire, c'est qu'il
25:20 apprendra en 1971,
25:22 suite à la publication du livre
25:24 d'un commandant de char, qu'un ordre
25:26 de contre-attaque avait bien existé.
25:28 Mais qu'est-ce qu'il fait donc qu'il
25:30 ne lui a pas été notifié à l'époque ?
25:32 - Il comprend pas, il a l'air de me dire, il sous-entend
25:34 il a jamais voulu aller plus loin,
25:36 en disant "il est vrai que Speidel
25:38 était très francophile".
25:40 Ça veut dire quoi ?
25:42 Ça veut dire que quelqu'un aurait trahi,
25:44 et il ne l'excluait pas,
25:46 mais il a pas voulu aller plus loin.
25:48 Donc c'est très étrange
25:50 ce qui s'est passé du côté de l'état-major allemand
25:52 cette nuit-là, réellement.
25:54 Des gens n'étaient pas là, Rome elle était pas là,
25:56 on pouvait pas réveiller Hitler non plus,
25:58 c'était la pleine nuit, Hitler dormait
26:00 très très tard, enfin bref, prenez des cachets,
26:02 fallait pas réveiller Hitler, et puis quand il l'a su,
26:04 de toute façon, on y croyait pas non plus.
26:06 - Et il vous a dit que l'Allemagne devait de toute façon
26:08 perdre la guerre, Romelle me l'avait prédit
26:10 en mars 1943,
26:12 au moment où nous nous retirions d'Egypte.
26:14 - Eh oui, il pensait que
26:16 Romelle pouvait être pessimiste, et Dieu sait
26:18 si, pourtant, Romelle était très
26:20 respecté, c'était un héros pour les Allemands,
26:22 il l'a mal fini,
26:24 mais il s'est... - Le renard du désert,
26:26 on l'a appelé. - Le renard, voilà.
26:28 Il avait vraiment vaincu et fait des choses
26:30 absolument incroyables en se battant
26:32 en Afrique du Nord, mais c'est vrai que
26:34 Romelle, toujours à penser
26:36 que le débarquement pouvait avoir lieu
26:38 en Normandie, il avait fait fortifier
26:40 le mur de l'Atlantique, c'est 4400 kilomètres.
26:42 - Il ne vous a dit que ce qu'il avait fait,
26:44 les asperges de Romelle...
26:46 - Oui, les bunkers, les blocos, ce qu'il a fait
26:48 tout au long de la frontière,
26:50 le mur de l'Atlantique, c'est immense.
26:52 - Les bunkers de l'Atlantique, les blocs,
26:54 il en reste encore. - Il en reste.
26:56 - Alors en 1994, dans le cimetière
26:58 allemand de la Cambe, au nord-ouest du
27:00 Calvados, vous avez rencontré
27:02 Jean-Luc Gauquel, il a 18 ans,
27:04 c'était un petit couvoir de
27:06 Ouest-Fallie, il a vécu
27:08 des minutes d'enfer, vous le racontez, dans un
27:10 blocos d'Omaha Beach, il est 5h30
27:12 ce 6 juin 1944,
27:14 quand il aperçoit à l'horizon
27:16 l'armada alliée. - Oh !
27:18 - Quels souvenirs a-t-il gardé de ce moment ?
27:20 - C'est un truc fou, parce que lui,
27:22 il vivait dans son blocos,
27:24 il attendait des nouvelles de sa mère, qui lui
27:26 écrivait quasiment tous les jours, puis s'habituait
27:28 finalement à vivre en Normandie, il allait à la
27:30 ferme, il trouvait sympa les Français, enfin bon...
27:32 Et puis il avait ses copains qui avaient tous
27:34 17, 18 ans, etc.
27:36 Il n'avait jamais voulu
27:38 être en... Il avait été en relais de force,
27:40 ses parents auraient été fusillés s'il avait dit non, donc
27:42 bon, pour lui, c'était... Il était là,
27:44 il essayait de s'adapter, tout d'un coup, il y a l'alerte
27:46 générale, on le met à son poste,
27:48 il est cramponné à sa mitrailleuse,
27:50 il peut pas croire, il peut pas croire que ce soit
27:52 vraiment l'invasion, et puis, petit à petit,
27:54 la nuit se déchire, les nuages
27:56 finissent par disparaître, ou à peu près,
27:58 et il voit cette masse,
28:00 masse, il est face à la mer,
28:02 il est dans le bunker en face d'Omaha Beach,
28:04 il voit arriver des milliers de bateaux,
28:06 il se dit "c'est pas possible, ça doit
28:08 être des navires allemands",
28:10 parce que l'idée que ce soit des navires
28:12 américains est tellement impensable,
28:14 pas des milliers qui arrivaient tout droit
28:16 sur lui, certes il est protégé par une mitrailleuse,
28:18 mais enfin il l'envoie quand même,
28:20 il va y avoir des milliers d'hommes qui vont débarquer,
28:22 donc il est mort de trouille, il fait sa prière,
28:24 il pense à sa mère, etc.
28:26 Et on lui dit "tu tires,
28:28 parce qu'il n'y a pas de réserve folle
28:30 d'armes,
28:32 tu tires quand tu verras les visages".
28:34 Et là, il les voit arriver,
28:36 et il commence à distinguer les silhouettes et les visages,
28:38 en effet les hommes sortent,
28:40 et alors il actionne sa mitraillette tant qu'il peut,
28:42 en même temps il y a les bombardements,
28:44 très vite il va se retrouver dans la poussière,
28:46 d'ailleurs il va perdre trois doigts d'une main,
28:48 et va finir par être fait prisonnier.
28:50 Mais là, ce petit Allemand qui disait "je voulais tellement
28:52 pas être là, je voulais pas être là",
28:54 mais c'est le cas de la plupart,
28:56 en fait, beaucoup de jeunes Allemands
28:58 n'avaient pas été bien formés,
29:00 étaient là contre leur gré,
29:02 et ce qui m'a frappé aussi, ce que me raconte
29:04 un Américain, qui à un moment donné
29:06 a tué plusieurs Allemands, alors qu'ils
29:08 étaient tous en train de partir en courant,
29:10 il a voulu regarder un Allemand,
29:12 l'Allemand qu'il voulait tuer.
29:14 Donc il est revenu en arrière, il ne sait pas pourquoi,
29:16 pour voir son visage, et au bout
29:18 de sa mitrailleuse, il a soulevé
29:20 le casque, et c'était un Mongole,
29:22 en tout cas c'était un Asiatique.
29:24 Alors il était sidéré, il est allé un peu plus loin,
29:26 les cinq Allemands qu'il venait de tuer
29:28 étaient tous des Asiatiques. En fait,
29:30 plein d'Allemands venaient du front de l'Est,
29:32 étaient des prisonniers que les
29:34 Allemands avaient fait sur le front de l'Est
29:36 à l'autre bout de la Russie,
29:38 et les avaient amenés pour couvrir,
29:40 pour défendre les plages normandes,
29:42 c'est complètement fou, donc,
29:44 ils n'étaient pas très loyaux non plus,
29:46 et pas très attachés à défendre l'armée allemande,
29:48 évidemment. - Eh oui, alors
29:50 revenons à un Ranger, vous en avez
29:52 parlé il y a quelques secondes sur une radio,
29:54 Len Rommel,
29:56 vous l'avez rencontré à Manhattan,
29:58 alors lui, il est 17h10
30:00 ce 6 juin 1944,
30:02 quand il s'apprête à escalader la pointe
30:04 du Hoc, cette fameuse falaise qui était
30:06 très stratégique, elle était
30:08 située à mi-chemin entre Omaha
30:10 et Utah, c'était vraiment une mission
30:12 suicide, mission délicate,
30:14 c'était dingue ! - C'était dingue, et
30:16 Eisenhower avait même hésité, parce que
30:18 c'était tellement fou, et en même temps,
30:20 la résistance, tous les renseignements leur disaient
30:22 qu'au haut de cette falaise, il y avait une
30:24 batterie de canons, qui pouvaient
30:26 s'orienter vers Utah et vers Omaha,
30:28 c'est-à-dire, pouvaient détruire des
30:30 milliers de personnes, il fallait la prendre,
30:32 il fallait absolument la prendre,
30:34 et il n'y avait que les Rangers qui pouvaient faire,
30:36 ils se sont entraînés pendant des mois,
30:38 dans des conditions absolument dingues,
30:40 on les faisait courir, on les faisait grimper,
30:42 vraiment,
30:44 ils étaient très formés, et Len Rommel
30:46 se sentait lui aussi invincible.
30:48 Ils étaient la crème de la crème, disait-il,
30:50 donc vraiment, c'était une mission pour les Rangers.
30:52 Simplement,
30:54 la tempête a fait dévier leur barge,
30:56 ils sont arrivés avec un quart d'heure de retard,
30:58 il n'y avait plus d'effet de surprise,
31:00 les Allemands les attendaient, et eux,
31:02 ils devaient monter cette falaise, donc avec eux,
31:04 - À main nue, ça mitraillait
31:06 partout, c'était horrible ! - Oui, ça mitraillait,
31:08 les Allemands se penchaient pour leur tirer dessus,
31:10 alors qu'eux, ils montaient à travers des cordes,
31:12 il y avait des grappins qui se détachaient,
31:14 il a vu plusieurs de ses copains,
31:16 dont les cordes étaient sciées par les Allemands,
31:18 retomber en arrière,
31:20 en rebondissant sur les roches,
31:22 et en hurlant, enfin, ils continuaient
31:24 à monter, ils continuaient, et il est arrivé
31:26 en haut, et là,
31:28 et là, il n'y avait pas de canon,
31:30 et c'est pour ça,
31:32 c'était effroyable, et dans plusieurs livres d'histoire,
31:34 on a commencé à dire ça, il n'y avait pas la batterie,
31:36 déception totale,
31:38 c'était apocalyptique, au haut de la pointe du roc,
31:40 parce qu'elle avait été bombardée aussi,
31:42 il y avait des bunkers,
31:44 les Allemands sortaient de ces bunkers,
31:46 c'était apocalyptique,
31:48 et il n'y avait pas la batterie,
31:50 donc ils ont tous désorienté,
31:52 et puis après, on dit, il faut continuer,
31:54 il faut relier les gens qui étaient prévus,
31:56 et quand même,
31:58 Len Lommel, lui,
32:00 dit "c'est pas possible, qu'est-ce qu'il voit là ?"
32:02 il regarde des traces,
32:04 et qu'est-ce qu'il voit ? Des traces, effectivement,
32:06 qui semblent aller dans les forêts,
32:08 un peu plus loin, et il suit les traces,
32:10 et il trouve la batterie,
32:12 qui était cachée, il y avait des fils,
32:14 des arbres, des choses,
32:16 derrière, il y avait un groupe d'Allemands,
32:18 et donc, très discrètement, avec un de ses potes,
32:20 il met des grenades,
32:22 ils avaient tous des grenades thermiques,
32:24 et il les met dans les canons,
32:26 il fuit des canons,
32:28 et ça va exploser,
32:30 il va repartir, après, en chercher d'autres,
32:32 parce qu'il n'a pas de quoi tout détruire,
32:34 mais Eisenhower, non pas Eisenhower,
32:36 d'ailleurs, un grand historien de la Seconde Guerre Mondiale,
32:38 il a dit, finalement, le succès du D-Day,
32:40 on le doit à Eisenhower,
32:42 et à Len Lomel,
32:44 qui a fini par détruire ces canons,
32:46 et, me disait-il, ne croyez jamais
32:48 Cornelius Ryan,
32:50 Cornelius Ryan, c'est celui qui a écrit
32:52 le jour le plus long,
32:54 d'abord un livre, puis après le film,
32:56 et il disait, il nous a fait un mal fou, au Ranger,
32:58 parce qu'il a écrit que ça avait été un échec,
33:00 la pointe du Hoc, que ces jeunes gens
33:02 étaient morts pour rien,
33:04 - Il n'avait pas dit qui avait trouvé la...
33:06 - Et, et, et,
33:08 enfin, me disait-il, après,
33:10 l'écrivain avait voulu
33:12 le rencontrer, mais il a dit,
33:14 j'ai dit, pour nous rencontrer, il faut qu'on soit
33:16 deux, les Rangers ne parlent
33:18 toujours que devant un autre Ranger,
33:20 pour dire la vérité, pour être sûr qu'ils disent
33:22 la vérité, et Cornelius Ryan
33:24 a refusé, et donc ils ne se sont jamais
33:26 vus, et il
33:28 persuadait que vraiment, il y a eu
33:30 un horrible mensonge
33:32 à propos du D-Day, qui avait mis beaucoup de temps
33:34 à être corrigé, oui, les canons ont été
33:36 détruits, et par ce héros
33:38 qui était tout jeune, qui avait 24 ans.
33:40 - Amy Koja a corrigé Cornelius Ryan, faut le lire.
33:42 - En tout cas, ce jour-là,
33:44 ils étaient 225 à avoir pris
33:46 la mer, avec lui, ils furent 180
33:48 à parvenir, pardon,
33:50 au sommet de la pointe, il ne serait
33:52 plus que 90, le lendemain.
33:54 - 90, il a perdu l'essentiel de ses amis,
33:56 et il a continué, et il a été blessé,
33:58 etc., mais il a continué.
34:00 Oui, c'est un vrai héros,
34:02 un héros, on aime ces héros.
34:04 Alors, autre grand témoin du D-Day
34:06 que vous avez rencontré,
34:08 Annie Cojon, c'est Charles Lynch,
34:10 jeune correspondante de Guerre canadienne.
34:12 Il a 24 ans quand il est débarqué
34:14 de bon matin dans le secteur de Juno Beach.
34:16 Il écrira sa première dépêche
34:18 à 20 heures. On vous raconte
34:20 tout dans un instant sur Sud Radio,
34:22 alors restez avec nous.
34:24 - Sud Radio, la culture dans
34:26 tous ses états, André Bercoff,
34:28 Céline Alonso.
34:30 - ♪ Il y a un vin blanc ♪
34:32 ♪ qu'on voit sous les tonnelles ♪
34:34 ♪ quand les filles sont belles ♪
34:36 - Du côté de
34:38 - Niajan.
34:40 - ♪ Et puis de temps en temps ♪
34:42 ♪ un aimé... ♪
34:44 - Eh oui, André,
34:46 à la Libération, eh bien, tous les Français
34:48 chantaient ce titre qui a été popularisé
34:50 à l'époque par la fameuse
34:52 Lina Margie. Alors,
34:54 Annie Cojon, parmi les 18 vétérans
34:56 du D-Day que vous avez interviewé, donc, pour votre
34:58 livre qui vient de paraître chez
35:00 Grasset, qui s'intitule "Nous y
35:02 étions", il y a Jess
35:04 Weich. Je ne sais pas si je
35:06 prononce bien. - Weich. - Weich. - Jess.
35:08 - Voilà. Donc,
35:10 c'était un GI du New Jersey.
35:12 Alors, lui, il a débarqué le 6 juin
35:14 44 à 7h15 sur la
35:16 plage d'Omaha.
35:18 Il a, on appelait Omar, la sanglante.
35:20 Il a 28 ans et faisait partie,
35:22 lui, de la deuxième vague de débarquement.
35:24 La première avait été
35:26 fauchée par les mines et les tirs allemands.
35:28 - C'était épouvantable, la première.
35:30 Alors, vraiment, ça a été de la
35:32 chair à canon, réellement, de jeunes
35:34 qui arrivaient et là, ils ont été pris
35:36 sous le feu. Omaha, en fait,
35:38 les défenses allemandes avaient été
35:40 très peu détruites, donc les Allemands les
35:42 attendaient, réellement, et ont fauché.
35:44 Dès que les barges s'ouvraient, les gens étaient
35:46 mitraillés.
35:48 Donc, quand Jess débarque,
35:50 lui, la barge s'ouvre,
35:52 enfin, en tout cas, la plateforme.
35:54 D'abord, deux jeunes gens,
35:56 à côté de lui, sont
35:58 guillotinés, quasiment, sont fauchés
36:00 immédiatement. Et puis, lui,
36:02 il s'élance et puis, très très vite, il est
36:04 sous la mitraille, lui aussi, il est obligé de se
36:06 planquer, si on peut dire,
36:08 pendant un petit moment, il est tétanisé
36:10 derrière le corps
36:12 d'un autre de
36:14 ses camarades. Et cette vision, d'ailleurs,
36:16 va lui rester comme une vision hypnotique,
36:18 enfin, pendant très très
36:20 longtemps. Il va y penser pendant des
36:22 décennies, je pense qu'il souffrait de, il l'a dit
36:24 d'ailleurs, de "post-trauma stress disorder",
36:26 comme on dit, le post...
36:28 - Le stress post-traumatique.
36:30 - Exactement, qui n'avait pas été
36:32 diagnostiqué, mais il a eu des visions,
36:34 de cette vision d'Omar pendant des
36:36 décennies, avant d'oser en parler.
36:38 Et c'était épouvantable,
36:40 Omar, réellement, ça a été la plage la plus
36:42 catastrophique,
36:44 les hommes étaient
36:46 pris dans tous les obstacles qu'avait
36:48 Miromel, donc, quand la deuxième vague
36:50 est arrivée, c'était jonché de cadavres,
36:52 c'était jonché de gens qui, quelquefois, hurlaient,
36:54 d'autres qui s'étaient noyés encore,
36:56 sous le poids, d'ailleurs, de
36:58 leur sac, etc. C'était
37:00 vraiment épouvantable.
37:02 Et Jess a fini par avancer, mais
37:04 à quel prix ? - Et oui, et vous dites
37:06 effectivement qu'ils avaient vraiment tous peur
37:08 de mourir, tous disaient "si
37:10 seulement je pouvais me choper la blessure
37:12 à un million de dollars". - Oui, la fameuse
37:14 blessure, c'est-à-dire que si jamais une balle leur
37:16 traversait la main, ben voilà, on les mettait parmi les blessés
37:18 et on les aurait évacués.
37:20 Et certains se disaient "mais je serais prêt, moi,
37:22 à me tirer, moi-même, dans le pied,
37:24 dans la main, perdre une oreille, n'importe quoi,
37:26 mais que j'ai une blessure qui me
37:28 fasse fuir quasiment du front".
37:30 Dieu sait s'ils étaient pourtant courageux, mais là,
37:32 c'était terrible de se
37:34 dire "de toute façon, je vais être
37:36 troué de balles dans
37:38 quelques minutes ou quelques secondes".
37:40 La mort pouvait les cueillir à tout moment.
37:42 Certains y étaient presque résolus,
37:44 pas Jessy, mais certains
37:46 y étaient. Ce qui a été le plus
37:48 impensable pour eux,
37:50 curieusement après, c'est la mort
37:52 de leurs copains. Et de ça,
37:54 ils ne s'en remettent pas.
37:56 C'est terrible, et je n'avais jamais compris.
37:58 - Pourquoi "moi je suis là et eux sont partis".
38:00 - J'avais du mal à comprendre avant
38:02 ce que ça voulait dire la fraternité,
38:04 les frères d'armes.
38:06 Ils ne peuvent parler.
38:08 Jess Wise était obsédé.
38:10 Après, il s'en est sorti, mais par
38:12 l'idée de retrouver ses copains.
38:14 Il n'y a qu'à eux qu'il pouvait
38:16 parler de ça. Il n'y a qu'à ceux
38:18 qui avaient vécu sur Rome 1, qu'ils pouvaient
38:20 évoquer quelques images,
38:22 quelques souvenirs, le bruit, la fureur,
38:24 etc. Ils ne pouvaient en parler à personne,
38:26 surtout pas à sa femme, à ses filles, etc.
38:28 C'était indécis.
38:30 À ses potes, oui, les compagnons d'armes
38:32 et pleuraient tranquillement
38:34 ceux qui étaient restés sur la plage.
38:36 - Alors, Annie Cojean, un mot sur
38:38 Charles Lynch, qui était le plus jeune
38:40 correspondant de guerre du D-Day.
38:42 C'est à Ottawa que vous l'avez
38:44 rencontré.
38:46 Sa présence en France,
38:48 c'était en quelque sorte un miracle.
38:50 - Oui, bien sûr. Il était tout jeune.
38:52 Il n'avait pas encore fait ce genre de choses,
38:54 d'opérations très risquées.
38:56 Il se trouve enfermé
38:58 au départ, au secret,
39:00 pendant quelques semaines, d'ailleurs,
39:02 en Angleterre. Personne ne sait où ils vont débarquer.
39:04 Puis, on les embarque dans un ferry.
39:06 Il passe du temps à l'île de Wye. Il est dans un ferry.
39:08 Tout le monde est un peu malade. Il y a vaguement
39:10 un piano dans le ferry. Dans la nuit, il joue un peu du piano.
39:12 Et puis, à un moment donné, il faut y aller aussi.
39:14 Donc là, ils sont moins sous la mitraille,
39:16 quand même. Ils arrivent un peu plus tard,
39:18 mais tout de même. Et il me dit, je saute
39:20 dans l'eau. C'était pas évident
39:22 parce qu'au-dessus de ma tête, j'avais ma Smith-Corona.
39:24 Je regarde. C'est quoi une Smith-Corona ?
39:26 Il me dit, "Oh, vous êtes journaliste, vous devriez
39:28 savoir. C'est nos machines à écrire."
39:30 Donc, bien enveloppées pour qu'elles soient mouillées.
39:32 - Il avait sa machine à écrire ? - Oui.
39:34 Au-dessus de sa tête, à gauche, avec en haut de la main gauche.
39:36 Et il dit, "Et au-dessus de ma tête, à droite ?"
39:38 - La cage de pigeons ! - Voilà.
39:40 - Incroyable ! - Je me suis dit,
39:42 de quoi il parle ? Et comme c'était en anglais,
39:44 j'ai mal compris. Non, non !
39:46 Il avait une cage de pigeons voyageurs. 15 pigeons
39:48 voyageurs qui se battaient. Il avait une volière
39:50 au-dessus de la tête. Et
39:52 c'est fou parce qu'il va se passer plein de choses dans la journée.
39:54 Il va perdre le pool de presse, etc.
39:56 Il va dormir chez un vieux paysan
39:58 normand qui lui dit, "Je vais vous faire
40:00 un lit." Et il écrit son article
40:02 le soir, donc 20h.
40:04 Je me dis, c'est même plus trop bien qu'est-ce qu'il a dit
40:06 parce que le seul fait de pouvoir écrire un article
40:08 était dingue. "Je suis sur
40:10 le sol de France." Le lendemain,
40:12 il regarde toujours sa cage
40:14 de pigeons voyageurs. Bon, il a un petit peu peur.
40:16 Il sait pas comment les nourrir, etc. Puis le lendemain,
40:18 il retrouve le pool de presse. Il présente
40:20 son papier au censeur,
40:22 le lieutenant censeur,
40:24 qui relit son papier, qui fait plein de trous
40:26 parce qu'il fallait pas qu'il dise, "Oui, on est à quelle heure ?"
40:28 Etc. Il y avait encore plein de choses.
40:30 On lui rend sa feuille pleine de trous. Il me dit,
40:32 "Vous vous ressemblez à une feuille de limoneur."
40:34 Et puis on lui donne un papier,
40:36 un autre papier pour retaper son article.
40:38 J'imagine un papier spécial pigeon.
40:40 J'en sais rien, mais très très fin.
40:42 Et ensuite, il apprend à la plier,
40:44 plier son papier, le glisser dans un petit
40:46 étui sous la patte d'un pigeon.
40:48 Il est parti avec le censeur
40:50 et le lieutenant responsable de la presse
40:52 sur la plage parce qu'il fallait lancer
40:54 en même temps un couple de pigeons voyageurs
40:56 en priant pour qu'ils arrivent jusqu'à Londres.
40:58 - Mais c'était le papier. C'était ça. - Oui.
41:00 - C'était l'internet de 44. - C'était l'internet de 44.
41:04 Les pigeons ont fait un grand tour sur la plage.
41:06 On tournait, on tournait.
41:08 Il est suivi en disant, "Mais qu'ils partent, bon sang,
41:10 qu'ils aillent tout droit."
41:12 Ils sont partis dans le côté opposé
41:14 et son article n'est jamais arrivé.
41:16 - Oui, c'est ça. C'est incroyable. - C'est incroyable.
41:18 Mais certains pigeons sont arrivés.
41:20 Il y en a un qui a même... Figurez-vous
41:22 qu'à la fin de la guerre, un pigeon a été décoré.
41:24 Ça paraît dingue.
41:26 Oui, on a décoré un pigeon parce qu'il avait
41:28 un peu de visite. Il était allé à Londres
41:30 à porter le papier qu'il fallait.
41:32 - Un pigeon qui a alerté De Gaulle. - Voilà.
41:34 - C'est ça. - En tout cas, la Normandie
41:36 se prépare depuis quelques jours à commémorer
41:38 le 80e anniversaire du dîner,
41:40 qui aura lieu jeudi prochain
41:42 sur les plages du débarquement.
41:44 250 vétérans seront là,
41:46 Nico Jean.
41:48 Vous en avez rencontré
41:50 quelques-uns, effectivement.
41:52 - Oui, 250 centenaires américains,
41:54 canadiens, anglais.
41:56 Plusieurs avions d'Américains
41:58 vont se poser. C'est pas évident de faire
42:00 transporter pour un tel voyage
42:02 des centenaires,
42:04 qui viendront en fauteuil roulant pour la plupart,
42:06 mais avec l'esprit très vif,
42:08 je vous assure, et l'émotion
42:10 prête à être déclenchée
42:12 au moindre hymne national.
42:14 - En tout cas, merci. - Ils diront "Nous y étions".
42:16 - Ah oui, "Nous y étions". - "Nous y étions".
42:18 - Ils diront ça. - Le titre du livre
42:20 que vous publiez chez Grasset
42:22 et que je vous conseille absolument
42:24 de lire, chers auditeurs de Sud Radio.
42:26 Tout de suite, vous retrouvez Brigitte Lai.
42:28 -C'est clair.