• il y a 9 mois
Céline Alonzo et André Bercoff reçoivent Jean-Pierre Sakoun, président d'Unité Laïque, pour une émission spéciale consacrée à l'entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian qui aura lieu le 21 février.

Retrouvez La culture dans tous ses états tous les vendredis avec Céline Alonzo et André Bercoff à partir de 13h.

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##LA_CULTURE_DANS_TOUS_SES_ETATS-2024-02-16##

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News
Transcription
00:00 [Générique]
00:02 Sud Radio, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
00:06 [Générique]
00:08 [Générique]
00:30 Et oui, l'affiche rouge de Léo Ferré, une chanson qu'il a adaptée à partir d'un poème d'Aragon
00:34 qui rend hommage, André Bercoff, aux 23 résistants du groupe Manouchian
00:38 qui ont été fusillés le 21 février 44 au Mont Valérien, André.
00:42 Un moment très très très très fort, je veux dire que je suis particulièrement heureux,
00:48 Céline Alonso aussi, de faire cette émission avec Jean-Pierre Saccoun,
00:53 avec le fait que dans quelques jours, Missaque Manouchian et Méline Manouchian seront panthéonisées,
01:00 seront panthéon, parce que tout est dit là, tout est dit sur le temps,
01:06 où il y avait des gens qui ont dit non et qui ont résisté,
01:10 alors que vraiment tout se disait "mais c'est fini, l'Allemagne a gagné, on ne fait rien",
01:15 et bien il y avait un certain général qui est parti à Londres,
01:18 et un certain nombre de gens qui ont résisté et qui ont dit non à l'oppression.
01:22 Et parmi ces gens-là, là aussi c'est quelque chose d'important,
01:25 il y avait des étrangers, des polonais, des lituaniens, des arméniens, etc.,
01:31 qui ont dit "eh bien on est là pour la France, on est là pour l'idée que nous avons toujours fait de la France,
01:37 et pour certaines idées de la France, nous allons peut-être mourir, et ils sont morts pour la France, il faut le dire",
01:43 et c'est pour ça que c'est tellement important de rappeler cela aujourd'hui,
01:48 où il y a des gens qui ne savent plus ce que c'est que leur pays, qu'ils soient français de souche ou pas.
01:52 Et voilà, et Aragon a écrit effectivement ce merveilleux poème en 1955,
01:59 qui a été mis en musique, elle est offertée, mais je rappelle que ce poème,
02:04 il s'est inspiré de la dernière lettre de Misak Manouchian à sa femme Méliné,
02:08 avant d'être fusillé, voilà.
02:10 Nous avons affaire à l'héroïsme pur, au vrai héroïsme, au vrai héroïsme symbolique.
02:15 Et c'est pour ça que nous sommes, je crois, il faut le dire, très heureux, très heureux,
02:20 de parler de cela, parce que c'est, ça va au-delà, si vous voulez, presque, du "presque",
02:26 c'est toute la chevalerie française, vous voyez, même si elle est inspirée par des Arméniens,
02:31 des Polonais, des Juifs, des tout ça, c'est, voilà, c'est le panache au sens le plus total du terme,
02:37 ces 23 hommes communistes, étrangers, Juifs, Polonais et autres,
02:42 qui ont donné leur vie en combattant les nazis, Céline.
02:45 Et oui, il fera son entrée au Panthéon, mercredi prochain, le 21 février.
02:49 Alors, pourquoi cette panthéonisation était-elle capitale ?
02:53 Qui était ce couple de résistants ?
02:55 Jean-Pierre Saccoun, qui a initié cette panthéonisation,
02:58 sera avec nous dans un instant sur Sud Radio, pour nous éclairer sur leur destinée héroïque.
03:04 Restez avec nous, on revient dans un instant sur Sud Radio.
03:08 Sud Radio, la culture dans tous ses états. André Bercoff, Céline Alonso.
03:13 Ils étaient 23, quand les fusils fleurirent.
03:19 23 qui donnaient leur cœur avant le temps.
03:27 23 étrangers et nos frères pourtant.
03:36 23 amoureux de vivre à en mourir.
03:47 Sublime interprétation de l'affiche rouge par Feuch à Tertone, André Bercoff.
03:52 Jean-Pierre Saccoun, bonjour à vous et merci d'être avec nous sur Sud Radio.
03:56 Alors, vous êtes président du comité pour l'entrée de M. Manouchian au Panthéon.
04:00 Vous êtes aussi président d'unité laïque, laïcité.
04:05 Dans un instant sur Sud Radio, vous nous raconterez comment vous vous êtes battu pour que cet hommage aux résistants étrangers
04:11 engagés pour la France durant la Seconde Guerre mondiale soit enfin rendu.
04:15 Mais avant, dites-nous qui était M. Manouchian.
04:20 Bonjour et je suis très heureux d'être avec vous aujourd'hui pour parler de M. Saccoun et de ce processus.
04:27 M. Saccoun, c'est un homme siècle, mais c'est plutôt un homme demi-siècle.
04:32 Il est né en 1906, mort en 1944.
04:36 Et dans cette courte vie, dans ce court arc de 36 ans,
04:40 eh bien, il a connu à peu près tout ce que le premier 20e siècle a offert comme horreur et comme héroïsme.
04:49 C'est tout d'abord un enfant né en 1906 dans l'Empire ottoman finissant,
04:54 sur le plateau anatolien, dans le centre-sud du plateau anatolien,
04:58 dans une ville qui s'appelle Ismansur, qui deviendra Adiaman lorsque la Turquie deviendra une république en 1925.
05:07 Et il connaît dès son enfance la pire des choses, c'est-à-dire la disparition de ses parents dans les plus effroyables conditions,
05:16 lors du génocide arménien de 1915.
05:19 Eh oui, il a 9 ans quand le génocide débute, c'est ça ?
05:22 Absolument, il a 9 ans. Son frère est né Garabed, à un an et demi de plus que lui.
05:27 Il a un frère aîné beaucoup plus âgé, probablement moins de 25 ans de plus que lui,
05:32 dont on sait peu de choses parce qu'il ne jouera pas un rôle très important dans cette affaire, mais enfin c'est une grande famille.
05:37 Et en 1915, l'Empire ottoman s'effondre. Il est en train de s'effondrer depuis au moins 30 ou 40 ans.
05:44 Et il se reconstruit autour d'une idée nationaliste religieuse.
05:50 L'islam est la nation turque alors que c'est un empire multiple, bigarré.
05:56 Et donc cette reconstruction se fait en cherchant un bouc émissaire.
06:00 Et le bouc émissaire, dans ce cas-là, c'est le non-musulman et en particulier, pour le génocide de 1915, l'arménien.
06:07 Pas seulement, les autres aussi y passeront, les assyro-chaldéens, les chrétiens d'Orient, un peu les juifs,
06:13 mais en 1915 c'est les arméniens. Et ils vont être entre 1 200 000 et 1 500 000 à mourir.
06:19 Et qu'il ne s'agit pas d'un massacre de quelques milliers de personnes. Il y a eu une répétition générale.
06:25 Oui, et ce qui est terrible, effectivement, c'est que lui, dès l'enfance, il a assisté à ce déchaînement de violence.
06:31 Il a vu ses voisins tués, il a assisté à des viols, à des pillages de fermes.
06:35 Donc ses parents, vous l'avez dit, ont péri dans ce massacre. Il a été marqué par tous ces crimes.
06:42 Il en a très peu parlé. Très peu parlé dans ses carnets, dans ce qu'en rapporte Méliné, dans ses mémoires.
06:49 Il en a peu parlé. Mais on ne peut pas imaginer qu'il ait pu ne pas en être marqué.
06:54 D'autant que ses parents ne sont pas morts n'importe comment. Son père est mort les armes à la main.
06:59 Son père était un résistant, déjà. Et on peut imaginer à quel point l'imaginaire de ce père résistant,
07:06 mort les armes à la main face aux ottomans, a pu habiter cet homme. Et sa mère est morte de maladie, de faim, d'épuisement.
07:15 On ne sait pas exactement, mais en tout cas, elle est morte des suites du massacre.
07:20 Et déjà, 30 ans avant la Shoah, des marches de la mort qui ont été organisées par les ottomans
07:28 pour réduire les arméniens avec des marches qui partaient à plusieurs milliers et qui arrivaient à 150.
07:38 Alors lui et son frère ont été sauvés par une famille kurde à l'époque.
07:42 Et après, ils ont été placés dans un orphelinat près de Beyrouth, au Liban.
07:46 Absolument. Alors 1918, la paix. Les ottomans, qui avaient pris le parti des allemands, sont battus.
07:54 L'Empire ottoman est démembré. Le Liban, qui faisait partie de l'Empire ottoman, passe sous domination et sous mandat français.
08:00 Et les filières de sauvetage d'orphelins arméniens, encore une fois, les échos de la Shoah sont là.
08:08 – Avant-coureurs. – Avant-coureurs, oui.
08:12 Et les filières vont exfiltrer un certain nombre de ces enfants vers le Liban.
08:17 Ça va être le cas de Garabed et Misak, qui vont être séparés pendant quelques temps dans des orphelinats différents.
08:23 Puis regroupés dans un orphelinat à Jounier, dans lequel on est sous mandat français.
08:29 On apprend le français, on passe des diplômes français, et puis on apprend un métier en français.
08:35 Et ça va être leur cas. Ils deviennent tourneurs.
08:38 – Et Misak, c'est dans cet orphelinat qu'il va découvrir sa passion pour la poésie et la littérature, surtout.
08:45 – Absolument. Et grâce à un instituteur, c'est une histoire tellement républicaine d'une certaine manière,
08:50 qui ressemble tellement par exemple à celle d'un Camus.
08:54 Et grâce à un instituteur arménien, qui lui apprend l'arménien classique, mais aussi le français,
09:00 il va non seulement se passionner pour la poésie et la littérature, mais précisément pour la littérature française.
09:06 Et il va lire tout ce qu'un écolier de l'époque lit, c'est-à-dire Hugo, Barbus, Romain Rolland.
09:12 Il écrit ses premiers poèmes, il a 12-13 ans. Et puis, c'est un sportif.
09:16 Ça va jouer un rôle important dans sa vie. Il aime la gymnastique, il aime le football.
09:21 Il est extrêmement sportif. Et donc, nous arrivons, après pratiquement 8 ans dans cet orphelinat,
09:29 en 1924, il a 18 ans, son frère 19 ans et demi. Il parle le français, il est formé à un métier, et il veut aller en France.
09:40 – Et oui, c'était son rêve surtout d'être poète à Paris.
09:43 Alors effectivement, à 18 ans, ils débarquent tous les deux à Marseille, on est en 1924.
09:48 Et ils ont pu entrer en France car ils avaient ce fameux passeport Nansen.
09:53 Rappelez-nous ce qu'était ce passeport.
09:55 – Alors, Friedhof Nansen, c'est un homme extraordinaire lui aussi.
09:59 C'est un grand explorateur qui est beaucoup très connu pour ça, norvégien,
10:03 qui a été le premier à traverser le Groenland en traîneau, qui s'est approché du pôle Nord,
10:08 celui qui s'en est le plus approché jusqu'à ce qu'on y arrive.
10:11 Et par ailleurs, c'était un grand humaniste qui était directeur du...
10:16 il était haut-commissaire aux réfugiés de la Société des Nations,
10:21 et qui en 1921, pour venir en aide aux réfugiés russes-blancs
10:27 et à tous ceux qui voulaient quitter la Russie soviétique
10:31 ou la Russie en pleine bataille entre soviétiques et tsaristes,
10:35 se retrouvait hors de Russie sans rien.
10:38 Et donc on va inventer un passeport qu'on va donner à ceux qui deviennent des apatrides
10:43 et qui leur donne les mêmes droits qu'un passeport étranger dans les pays qui le reconnaissent.
10:48 Et en 1924, ce passeport est étendu aux Arméniens.
10:52 Et dès qu'il est étendu aux Arméniens, Missak et Garabed l'obtiennent
10:58 et partent en France, où ils arrivent en septembre 1924.
11:01 – Et oui, c'est ça. Et ils ont une promesse d'embauche au chantier naval,
11:04 effectivement de la Seine-sur-Mer et de la Ciota.
11:06 Alors là effectivement, ils sont engagés,
11:09 ils exercent notamment lui son métier de menuisier et ils conservent ce rêve de Paris.
11:16 À 20 ans, ils arrivent à Paris tous les deux.
11:19 – Absolument. Une anecdote symbolique très forte sur son arrivée à Marseille,
11:24 il arrive à Marseille sur un vapeur des messageries maritimes
11:28 qui s'appelle la Cordillière.
11:30 Et la Cordillière, j'ai découvert ça très récemment,
11:32 je crois que je suis le premier à l'avoir vu,
11:34 il arrive sur le dernier voyage de la Cordillière
11:37 et la Cordillière va être démantelée au chantier de la Seine-sur-Mer
11:41 dans lequel il va travailler.
11:42 On peut dire qu'il a brûlé ses vaisseaux au sens propre du terme.
11:45 Il est parti pour ne pas revenir et symboliquement,
11:47 le bateau sur lequel il est parti a été détruit après son arrivée.
11:50 – Donc il devient effectivement artisan menuisier, c'est ça ?
11:54 – Tout à fait.
11:55 – Il monte à Paris alors, qu'est-ce qu'il fait monter à Paris ?
11:59 – Deux choses, d'une part, Garabed est malade
12:02 et quitte son travail au chantier volontairement
12:05 parce qu'il ne peut plus l'assumer.
12:08 Et Missac, du fait de la crise des chantiers navals à l'époque déjà,
12:14 fait partie de ceux qui sont licenciés
12:18 comme 25% du personnel des forges et chantiers de la Méditerranée
12:22 et il en profite pour monter à Paris parce que Paris c'est son rêve.
12:26 Paris c'est la ville monde, la ville des poètes, des peintres, de l'art.
12:31 Et donc il monte à Paris et il retrouve du travail tout de suite.
12:35 Toujours comme tourneur, chez Renault, chez Schoenhard & Walker,
12:38 une marque de voiture qui a disparu, et puis chez Citroën.
12:41 – Oui c'est ça.
12:42 – Et il arrive en 27, en septembre 25, un an après son arrivée en France,
12:47 et en 27, Garabed meurt de tuberculose.
12:52 Et donc en 27, il a 21 ans, Missac, il est seul.
12:56 – Oui, il est foudroyé par la disparition de son frère.
12:58 – Absolument, et il est seul.
13:00 Et donc il va falloir qu'il vive, ou qu'il devienne un clochard,
13:04 qu'il se laisse aller, et bien il vit.
13:06 C'est-à-dire qu'il continue à travailler et il s'inscrit dans cette ville d'art.
13:12 Il s'y inscrit par l'étude, il est assoiffé de culture française,
13:17 donc il va suivre les cours en auditeur libre à la Sorbonne,
13:20 il suit les cours des universités populaires de la CGTU.
13:26 – Oui c'est ça.
13:27 – Et c'est pas n'importe qui quand même, c'est Paul Langevin, Paul Nisan,
13:30 Marcel Cohen, Henri Vallon, c'est vraiment pas n'importe qui.
13:34 Il va à Sainte-Geneviève sans arrêt, et puis pour gagner sa vie en dehors de son travail,
13:40 et bien il pose, parce qu'il a un corps d'athlète, il pose pour les peintres.
13:45 – Et oui, Mélimé disait de lui qu'il était aussi beau qu'une statue grecque.
13:49 – C'est vrai qu'effectivement dès son arrivée à Paris,
13:52 en fait il s'inscrit très rapidement dans une démarche de plus en plus militante.
13:56 – Alors il y avait deux à la fois, il est fou de littérature, fou d'art, fou de poésie,
14:02 et en même temps dès les années 25-27, il commence à tremper dans le milieu communiste,
14:07 par capilarité si j'ose dire, par proximité amicale,
14:11 jusqu'au moment où il va devenir véritablement engagé un peu plus tard.
14:16 Donc à cette époque il pose pour des peintres comme Karzou,
14:19 le nom carniczouloumian, ou bien des peintres comme Krikor-Bedikian,
14:25 et on a d'ailleurs des dessins représentant l'académie de Manouchian,
14:30 et on voit que c'était un athlète, c'est-à-dire que c'est une bande de mûres.
14:34 – Il était très beau, oui.
14:35 – Et donc en même temps il crée avec un ami arménien dont on pense qu'il l'a connu en France,
14:42 Sema Kegamatmadjian, qui lui mourra en mai 40 sur le front de Belgique dans l'armée française,
14:47 des revues de poésie en 1930-1931, Tchenk, Machaguit, Les forts, Culture,
14:54 dans lesquelles il traduit Baudelaire, Rimbaud, Verlaine en arménien,
14:58 dans lesquelles il publie sa propre poésie.
15:01 Et en 31, il se retrouve comme énormément d'ouvriers français sur le pavé,
15:07 parce que la crise de 29 dont on sait qu'elle a été un peu plus tardive en France arrive,
15:11 et que là il perd son travail chez Citroën.
15:13 – Et oui c'est ça.
15:14 Et donc c'est en 1934, au lendemain des émeutes du 6 février à Paris,
15:18 qu'il adhère au parti communiste et au comité de secours à l'Arménie soviétique, Jean-Pierre Saccoun.
15:24 – Tout à fait, et le HOG, le comité de secours à l'Arménie soviétique,
15:28 donc ses initiats dans l'arménien c'est le HOG,
15:30 c'est un petit peu le bras armé des communistes dans la communauté arménienne.
15:35 Et donc il va y militer, il va même y être élu 2ème secrétaire, secrétaire général adjoint,
15:43 c'est à dire numéro 2 du HOG, il va y rencontrer Méliné.
15:47 – C'est ça.
15:48 – Méliné qui a en fait la même histoire que lui, Méliné est une orpheline,
15:53 alors elle n'a pas suivi le même parcours, elle est passée par la Grèce et la France.
15:56 – Oui c'est une survivante du génocide aussi.
15:58 – Une survivante du génocide, qui vient d'un autre milieu,
16:01 un milieu plus bourgeois, elle est de Constantinople,
16:04 qui n'était pas encore à l'époque devenue Istanbul,
16:07 elle est fille du directeur des postes, elle s'appelle,
16:10 et alors ça c'est un effet de migration absolument extraordinaire,
16:14 elle s'appelle Méliné Soukémian, et une erreur d'état civil à la transcription de son nom
16:21 l'a fait devenir Méliné Assadourian, Assadour étant en fait le prénom de son père.
16:25 – C'est ça.
16:26 – Et donc elle s'appellera Méliné Assadourian, comme Armène, sa sœur Assadourian,
16:29 alors que ça n'est même pas leur nom.
16:31 – Eh oui.
16:32 – Et leur père meurt…
16:34 – Elle est à Paris elle aussi.
16:35 – Elle est à Paris, alors elle est arrivée plus tôt que Missak,
16:39 mais elle était plus jeune, et elle est arrivée par un orphelinat en Grèce
16:44 qui avait une branche en France dans laquelle elle a été envoyée.
16:47 Et anecdote toujours cet écho avec la Shoah,
16:52 le père de Méliné et Armène va être emmené et disparaître le 24 avril 1915,
17:00 c'est-à-dire le premier jour du génocide dans la rafle des Notables.
17:05 – Oui c'est ça.
17:06 – De la même façon qu'il y aura une rafle des Notables en France.
17:09 – Oui.
17:10 – Non, non pas du Vélib', la rafle des Notables.
17:13 – Alors comment Missak Manouchian est entrée effectivement dans la résistance
17:17 et surtout dans la lutte armée ?
17:19 – Alors en 1939, Missak Manouchian c'est un cadre du Comintern,
17:23 de l'international communiste.
17:25 – L'international communiste, oui.
17:26 – Et à ce titre, il est en relation permanente avec tous les autres étrangers
17:31 qui ont rejoint la France depuis les années 1920-1930
17:33 et qui sont des combattants antifascistes,
17:35 qu'ils soient allemands, espagnols, italiens, polonais, juifs, roumains, arméniens, etc.
17:41 Et donc en 1939, il y a un coup de teneur pour tous ces communistes étrangers antifascistes
17:46 qui aiment à la fois l'internationalisme et la révolution française,
17:50 c'est le pacte germano-soviétique.
17:52 La grande catastrophe d'août 1939…
17:54 – Le pacte Ribbentrop-Molotov.
17:56 – Voilà, ce pacte le 23 août 1939 qui, soudain, donne le sentiment
18:01 à tous ces combattants antifascistes, parce qu'ils sont sards à vendre toute autre chose,
18:05 qu'on leur a tiré le tapis sous les pieds.
18:07 Missak est arrêtée immédiatement, puisque le Parti communiste
18:10 va devenir plus tard, quelques semaines plus tard, hors la loi,
18:14 à cause de ce pacte, il est relâché, parce qu'on n'a pas grand chose contre lui.
18:18 Et l'une des raisons pour lesquelles il est relâché,
18:20 c'est qu'il demande à s'engager dans l'armée française.
18:23 – Dans l'armée française.
18:24 – Comme la plupart de ces étrangers, qui vont s'engager dans la Légion,
18:27 dans les troupes étrangères sur le sol français,
18:29 les brigades tchécoslovaques, les brigades polonaises, dans l'armée française.
18:33 Il s'engage, comme on ne lui fait pas entièrement confiance,
18:35 parce qu'il est communiste, au lieu de l'envoyer sur le front,
18:38 on l'envoie comme prof de gym en Bretagne.
18:40 – D'accord.
18:41 – Et c'est là qu'il va attendre la fin de l'effondrement de la bataille de France.
18:47 À partir de là, il est toujours sous contrôle militaire,
18:50 il est envoyé dans une usine d'armement à côté d'Arnage,
18:54 à Arnage, à côté du Mans, l'usine Nioméro,
18:58 les moteurs d'avion, qui deviendra la SNECMA plus tard.
19:01 Et il va en partir discrètement, il va s'en évader,
19:05 mais ce n'est pas vraiment une évasion, il va échapper au contrôle,
19:08 parce qu'il était donc réquisitionné, et rentrer à Paris fin 40.
19:13 Et quand il rentre à Paris fin 40, il commence immédiatement
19:17 à reprendre des contacts autour de ce dont on n'a pas encore parlé,
19:21 mais qui est essentiel, de ce groupe qu'on appelle la MOI.
19:24 – Eh oui.
19:25 – Alors les yédichophones l'appellent la MOI,
19:27 et les autres l'appellent la MOI, mais c'est la même chose.
19:30 – Mais c'était déjà les FTP, MOI ?
19:34 – Non, pas encore.
19:35 – C'est début 43, oui.
19:36 – C'est fin 1942.
19:38 – Début 43, oui, effectivement.
19:40 – En fait, ce qui se passe, c'est que depuis les années 20,
19:42 il existe une organisation qui est née à la CGTU,
19:46 puis qui a été reprise par le Parti communiste,
19:48 qui organise pour le Parti communiste les travailleurs étrangers
19:53 par groupe de langue.
19:55 – D'accord.
19:56 – Alors il y a les yédichophones, donc c'est les luifs,
20:00 il y a les arméniens, les italiens, etc.
20:02 Et donc cette MOE, Main d'œuvre étrangère, devient MOI,
20:06 pour des raisons idéologiques, et MISAK en est en quelque sorte l'âme
20:11 pour ce qui concerne le groupe arménien.
20:14 – D'accord.
20:15 – Et donc, quand ils rentrent à Paris fin 40, début 41,
20:19 ils reprennent contact avec ceux-là.
20:21 – Oui, bien sûr.
20:22 – Et ils commencent à reconstruire un réseau.
20:24 Ils ne savent pas encore trop pourquoi, mais ils savent qu'à un moment
20:27 ou à un autre, ils rentreront dans la résistance.
20:29 Et, juin 41, les nazis envahissent l'Union soviétique,
20:34 tous les communistes entrent dans la guerre, enfin,
20:36 avec le plus grand soulagement pour ceux-là,
20:38 qui n'en rêvaient que depuis, qui ne rêvaient que de cela depuis 1939.
20:42 Et en 42, la résistance communiste est organisée par ce triumvirat
20:50 constitué de Charles Tillon, de Joseph Epstein et de Holban,
20:57 sous la direction de Jacques Duclos.
21:00 Et ça, c'est mars 42, et en juin 42, ils rattachent la Meuille au FTP.
21:07 Donc, les FTP mars 42, la Meuille rattachée, et moi.
21:11 – Alors, ils vont effectivement mener une centaine d'actions
21:15 contre l'occupant jusqu'à leur plus grand fait d'armes,
21:17 le 28 septembre 1943, à savoir l'exécution du général SS Julius Ritter,
21:23 qui était responsable du service du STO, c'est ça ?
21:27 – C'est ça, le colonel SS, donc, ronde générale dans la Wehrmacht,
21:32 ils ne savent pas qui ils exécutent.
21:34 Ils l'exécutent, ils ne le savent pas.
21:36 – Ah oui ?
21:37 – Ils savent qu'ils exécutent un dignitaire.
21:39 – Un nazi, oui, bien sûr.
21:40 – Mais ils ne savent pas qui c'est.
21:41 C'est le lendemain qu'ils apprennent qu'ils ont exécuté
21:43 le dirigeant du STO en France.
21:46 – Le leader pari de France.
21:47 – Oui, Ruppetrarck, dans le 16e arrondissement,
21:49 sur sa route pour le bureau le matin,
21:51 son bureau qui est au Trocadéro.
21:53 Ils sont trois, sous les ordres de Manouchian, Fontaneau, Reimann.
21:59 – Mais pardon, est-ce que la MEUIL, les immigrés, les étrangers,
22:06 étaient rattachés, étaient, comment dirais-je, pas soumis,
22:11 mais enfin, ils étaient sous le commandement de la FTP ?
22:13 – Absolument.
22:14 – Absolument, oui.
22:15 – Alors, c'était les FTP à MEUIL,
22:17 c'était une certaine autonomie vis-à-vis des FTP,
22:21 mais c'était une autonomie qui était d'une certaine manière
22:23 due au fait que c'était les troupes de choc.
22:25 – D'accord.
22:26 – C'est eux qui étaient…
22:27 – C'est eux qui étaient sur le combat, sur le vol, etc.
22:29 – Sur le combat, et pardon, ils étaient surtout très présents
22:33 dans les villes, puisque c'était des ouvriers.
22:36 Donc, ils étaient là où étaient les usines.
22:38 Et donc, les FTP à MEUIL, on va les trouver à Paris, à Marseille, à Lyon,
22:42 dans des plus petits centres comme Romand,
22:44 où il y avait 3 000 ouvriers, à Toulouse, etc.
22:46 Et ce sont des gens, il faut s'en souvenir,
22:49 qui sont des étrangers, internationalistes,
22:52 amoureux de la révolution et de ses principes.
22:54 Les groupes MOI du Sud-Est,
22:58 ils s'appellent Liberté, Marat, Carmagnol, Valmy, voilà.
23:05 – C'est ça.
23:06 – Ce sont…
23:07 – Ces immigrés avaient pris les grandes victoires françaises de la révolution.
23:10 – Comme ça, oui.
23:11 – C'est très important, ça.
23:12 – En tout cas, Manouchian sera arrêté le 16 novembre 1943.
23:17 Il sera fusillé le 21 février 1944 au Mont-Valérien
23:22 avec la plupart de ses camarades et d'autres résistants.
23:25 On continue d'en parler dans un instant sur Sud Radio.
23:27 [Musique]
23:29 – Sud Radio, la culture dans tous ses états.
23:31 André Bercoff, Céline Alonso.
23:33 [Musique]
23:34 – On décore de l'or des mers, là-bas sur le ciel clair.
23:40 Il existe une cité où ses jours enchantés.
23:47 Et sur les grands arbres noirs, chaque soir, vers elles s'en va tout mon espoir.
24:00 Vieille de Zamou, mon pays Paris.
24:09 – Joséphine Baker qui a prêté main forte à la résistance
24:12 et qui a été la sixième femme à entrer au Panthéon le 30 novembre 2021, André Bercoff.
24:18 Sa panthéonisation a fait aboutir celle de Missat Manouchian.
24:21 Un combat auquel vous vous prépariez depuis longtemps, Jean-Pierre Saccoun.
24:25 Alors pourquoi était-il si capital pour vous ?
24:28 Et quand avez-vous commencé à le mener ?
24:32 – On ne se lance pas dans une aventure comme celle-là
24:36 sans avoir des raisons personnelles.
24:40 C'est-à-dire qu'ensuite, on les transforme, elles deviennent collectives.
24:45 Ça devient une aventure républicaine, une aventure citoyenne.
24:49 Et évidemment, si on ne croit pas en la République et en la citoyenneté,
24:52 on ne se lance pas non plus dans une telle aventure.
24:55 Mais c'est vrai que le personnage de Missat est un personnage
24:58 qui m'habite depuis les années 70.
25:02 Pour des tas de raisons personnelles, des anecdotes, des petites choses
25:06 qu'on n'a pas le temps de raconter ici mais qui sont assez drôles finalement.
25:10 Et puis un jour, il y a eu ce film merveilleux,
25:12 "L'affiche rouge" de Frank Cassanti en 1978.
25:16 Moi, je fais des études d'histoire, je suis à l'origine conservateur de bibliothèque,
25:21 puis ingénieur de recherche au CNRS,
25:24 donc j'ai une certaine appétence pour la documentation, la recherche.
25:28 Et ce personnage commence à m'intéresser.
25:31 Et plus je creuse, plus je lis à son sujet,
25:34 et il n'y avait pas grand chose, plus je me rends compte que c'est un héros.
25:38 Un héros parfait. Il n'y a pas de tâche, il n'y a pas de casserole.
25:43 Il y a un personnage simple, droit,
25:48 qui allie sa vie d'ouvrier, sa vie de communiste,
25:55 son amour de la littérature, son amour de la République française.
26:00 C'est une sorte de héros parfait,
26:03 et qui est un universaliste, c'est ça qui est au cœur.
26:07 C'est quelqu'un pour qui...
26:09 - Comme l'étaient les communistes, les vrais.
26:11 - Comme l'étaient les communistes, comme certains le restent encore.
26:15 Mais c'est un universaliste, c'est-à-dire que pour lui, avant toute chose,
26:19 les êtres humains se ressemblent avant d'être différents les uns des autres.
26:22 Et donc, à partir de là, petit à petit, monte en moi l'idée
26:26 qu'il faut arriver à faire reconnaître MISSAC.
26:30 Et puis, à partir de MISSAC, monte en moi l'idée
26:32 qu'il faut faire reconnaître les résistants étrangers.
26:34 - Oui. - Et je vous passe les détails.
26:37 - Lui, ce sera le premier résistant étranger à entrer au Panthéon.
26:41 - Alors, ce sera le premier ouvrier, le premier communiste, le premier étranger.
26:45 Alors, ce n'est pas tout à fait vrai, parce que sous Napoléon,
26:48 il y en a eu quelques-uns, mais Napoléon faisait rentrer
26:50 des palanqués de gens inconnus au Panthéon.
26:53 Donc, on les a tous oubliés. Mais depuis la République,
26:57 oui, ce sera le premier étranger. Alors, sachant que Joséphine Bacquer,
27:01 entre-temps, avait obtenu la nationalité française,
27:03 ce qui n'a pas été le cas de MISSAC, qui l'a demandé deux fois en 1933
27:07 et, excusez Dupuis, en janvier 1940.
27:10 - Ah oui, et qui ne l'a pas obtenu, bien sûr.
27:12 - Qui a obtenu deux fois un avis favorable et à qui elle aurait été refusée
27:17 deux fois la première fois parce qu'il était chômeur en 1933.
27:19 Il l'aurait demandé en 1929, il l'aurait eu.
27:21 Et la deuxième fois parce qu'il était communiste en 1940
27:24 et qu'on n'avait pas confiance. Mais ce sera le premier étranger.
27:27 - Oui. Alors vous, quelle a été votre stratégie pour arriver, justement,
27:30 pour parvenir à ce combat que vous menez depuis plusieurs années ?
27:33 Parce qu'en 2014, il y a eu une initiative qui a échoué.
27:37 Qu'est-ce qui s'est passé ? Qui l'avait lancée ? Pourquoi cet échec ?
27:40 - Alors, elle avait été lancée par l'ex-député,
27:43 qui était député à l'époque, Jean-Marc Germain, député socialiste.
27:47 Et puis, bon, elle a échoué. On ne va pas gloser sur cet échec.
27:50 Vous savez, ce sont des gens qui ont fait l'effort,
27:53 qui ont fait le travail et ils sont éminemment respectables pour ça.
27:56 "Non, pas réussi, j'ai réussi", ça aurait pu être l'inverse.
27:59 Alors, comment on a pratiqué ?
28:02 D'abord, on s'est posé la question de savoir
28:05 comment il fallait s'organiser pour être crédible.
28:09 Et pour ça, j'ai créé un petit comité avec un historien indiscutable
28:15 qui était notre garant sur le plan historique.
28:19 - Qui était ? - Denis Péchanski.
28:22 Avec, évidemment, la famille, parce qu'on fait ça ni sans ni contre la famille.
28:26 Donc, Katia Ghiragosian, petite nièce de Missak et Méliné,
28:29 petite fille d'Armen, la sœur de Méliné,
28:32 qui porte la mémoire familiale depuis toujours,
28:34 et qui a été enthousiaste, et avec laquelle j'ai déclaré une grande amitié.
28:39 - La famille a eu une requête particulière ?
28:41 - Oui. Cette requête est celle de faire entrer Méliné
28:45 pour accompagner Missak, comme Antoine Veil accompagne Simon Veil.
28:50 C'est-à-dire qu'il était important pour l'Élysée que le corps soit vraiment transféré,
28:54 qu'il y ait une symbolique forte, que ce ne soit pas un cercueil vide.
28:58 Et donc, la famille a accepté, à condition que les corps ne soient pas séparés.
29:02 L'Élysée a accepté dès le début cette demande.
29:06 Et c'est donc Missak, accompagné de Méliné, qui rentre au Panthéon.
29:11 Et ensuite, des hommes politiques, mais pas n'importe lesquels.
29:14 Un homme politique de la droite française, de la droite républicaine, Nicolas Daragon,
29:18 le maire de Valence, premier vice-président de la région Auvergne-Rhône-Alpes,
29:23 et qui est aussi le président de la communauté d'Aglo, Valence-Romand,
29:27 dans laquelle il y a le centre du patrimoine arménien,
29:29 qui est le plus gros centre de mémoire arménien en France.
29:33 Et de l'autre côté, le vice-président du Sénat communiste, Pierre Roussouliat,
29:38 dont le grand-père, Albert Roussouliat, colonel André,
29:42 qui était l'adjoint de Charles Tillon, et le chef opérationnel des FTP.
29:46 - Ça tombe à tout le sens, ce qu'on vous dit.
29:50 - Alors cette panthéonisation ne ravive pas tout le monde, elle est qualifiée.
29:54 Elle a été qualifiée d'injustice dans une lettre ouverte au président Macron,
29:58 publiée dans Le Monde en novembre dernier.
30:00 Les signataires regrettent que les 23 du groupe Manouchian
30:03 ne soient pas accueillis tous ensemble au Panthéon.
30:06 Qu'avez-vous à leur répondre, Jean-Pierre Sakounin ?
30:08 - J'ai à leur répondre que je suis surpris que des gens d'une telle capacité universitaire et intellectuelle
30:15 ne comprennent pas ce qu'est le symbole.
30:18 Le Panthéon n'est pas un cimetière, c'est un lieu symbolique.
30:22 Donc faire rentrer 23 personnes au Panthéon, pourquoi 23 d'ailleurs ?
30:25 Parce que le groupe Manouchian, le détachement c'est 68.
30:29 Et il y a eu les 23 fusillés, mais il y en a eu des dizaines
30:32 qui ont été envoyées dans les camps de la mort et qui sont morts.
30:35 Donc pourquoi pas 60 ? Et puis 60, pourquoi pas tous les étrangers ?
30:39 Non, Missaq rentre comme un symbole.
30:42 Il ne rentre pas comme Missaq et dans le cadre d'une histoire d'amour entre Missaq et Méliné,
30:46 il rentre comme le symbole de la résistance.
30:48 Et si on n'est pas capable, citoyens français de la République Universaliste,
30:53 de comprendre qu'un résistant étranger, qu'il soit arménien ou moldovalaque,
30:58 peut représenter symboliquement des juifs, des roumains, des italiens, des espagnols, des allemands,
31:04 alors c'est un désespéré de la République.
31:06 – Et oui, surtout que les 22, on ne peut pas dire qu'ils aient été oubliés.
31:08 Une plaque va rappeler leur rôle dans cette résistance.
31:11 – Oui, et je suis très fier de cette plaque,
31:13 puisque c'est moi qui en ai fait la demande au Président.
31:15 Lorsque nous avons été reçus le 16 juin,
31:18 c'est lorsqu'il nous a annoncé officieusement sa décision,
31:21 avant de l'annoncer publiquement deux jours plus tard, le 18 juin à Mont-Valérien.
31:25 Et nous sommes arrivés au bout de notre réunion,
31:28 qui a été absolument passionnante et tout à fait remarquable d'intérêt et de qualité.
31:36 Lorsque le Président nous a annoncé sa décision,
31:40 j'ai repris la parole en lui demandant "Monsieur le Président,
31:43 il faut qu'il y ait le nom de tous les résistants".
31:48 Et donc les 23 noms, dont celui de Manuchian, seront sur cette inscription.
31:54 Et aussi le nom de Joseph Epstein, qui était le chef région parisienne des FTP-MEI,
32:01 qui joue un rôle fondamental, qui a été arrêté avec Manuchian.
32:05 Ils ont été arrêtés tous les deux ensemble le 16 novembre à la gare des Vrip-Tibourg,
32:09 et qui sera fusillé quelques temps plus tard,
32:12 tout simplement parce qu'il avait des papiers en parfait état,
32:17 et ils n'ont jamais réussi à deviner qui c'était.
32:20 Il s'appelait "Estein", et il est mort sous le nom d'Estein.
32:24 – Ils n'ont pas su. – Ils n'ont pas su.
32:26 – Ah oui. Selon vous, pourquoi ces résistants étrangers
32:30 n'ont pas obtenu la reconnaissance qu'ils auraient dû avoir à la fin des hostilités ?
32:35 Parce que Méliné, elle s'est battue pour honorer la mémoire
32:40 effectivement de Manuchian et de ses camarades.
32:45 – Il y a deux aspects. Il y a un aspect anecdotique,
32:48 qui est le fait que Méliné, en 1945, elle part en Arménie soviétique.
32:52 – Ah oui, eh oui.
32:53 – Elle fait partie de ces quelques milliers de Français d'origine arménienne,
32:58 puisqu'elle obtient la nationalité française à ce moment-là,
33:01 au nom de sa résistance et de sa…
33:03 – Et elle était communiste aussi. – Et elle était communiste, oui.
33:06 Et elle fait partie de ces quelques milliers de Français d'origine arménienne
33:09 qui, persuadés qu'ils vont construire le socialisme,
33:13 repartent sur le Rossiya, à partir de Marseille.
33:17 Et une fois arrivés en Arménie, se rendent compte
33:19 que c'est pas tout à fait ce qu'on leur avait raconté
33:22 et mettront des 15 ans à rentrer en France
33:25 parce qu'on ne veut pas les lâcher en Arménie soviétique.
33:27 Et donc Méliné, elle n'est pas là pour accomplir sa promesse.
33:31 – Son devoir de mémoire.
33:33 – Et deuxième élément plus important, c'est que politiquement,
33:37 en 1945, les deux grands partis qui structurent la politique française,
33:42 le RPF du général de Gaulle et les communistes,
33:44 ont pour des tas de raisons besoin de franciser la résistance.
33:51 Simplement parce que les Français sortent brisés de la guerre.
33:53 Ils sortent de la défaite de Carante qui est un effondrement dont on n'a pas idée.
33:56 – La collaboration. – Ils sortent de la collaboration,
33:58 ils sortent de la délation, ils sortent de tout ça.
34:01 Et au sens propre du terme, il faut leur refaire un moral de vainqueur.
34:04 – Eh oui.
34:05 – Et donc on ne cache pas la présence des étrangers,
34:09 que ce soit les coloniaux dans les forces françaises libres
34:11 ou les étrangers dont nous parlons dans les forces françaises en intérieur.
34:14 Simplement, on met en valeur la résistance des Français.
34:18 Et donc même si MISAC obtient dès 1946, à titre posthume,
34:23 la médaille de la résistance, il faudra une dizaine d'années
34:27 et particulièrement sortir d'une part du stalinisme
34:31 et d'autre part de la crainte des partis non-communistes en France
34:35 de voir les communistes prendre le pouvoir.
34:38 – Ah oui, bien sûr, il y avait ça.
34:41 – Pour que cette mémoire réémerge. Et elle émerge entre 1953 et 1955.
34:45 – Eh oui. En tout cas, on peut dire que sa panthéonisation
34:48 concrétise réellement sa propre prédiction.
34:50 Parce que dans sa dernière lettre justement adressée à Méliné,
34:53 il écrit ceci, "le peuple français et tous les combattants de la liberté
34:57 sauront honorer notre mémoire dignement".
35:00 – C'est ce qu'on a essayé de faire.
35:02 – Oui, et je voudrais aussi dire, rappeler d'ailleurs,
35:05 juste un moment, cette affiche rouge, rappelez parce qu'on n'en a pas parlé,
35:09 cette affiche rouge qui était sur tous les murs de Paris.
35:12 – Qui était placardée.
35:13 – Et rappelez-vous, qu'est-ce que disait cette affiche rouge, Jean-Pierre Saccounes ?
35:17 – "Des libérateurs, non, l'armée du crime".
35:20 – Eh oui.
35:21 – La libération par l'armée du crime.
35:23 – Avec tous les noms étrangers, et comment c'était,
35:27 si on peut mettre le dindin, parce qu'à prononcer vos noms...
35:31 – Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles.
35:33 – C'était écrit.
35:35 – "L'affiche qui semblait une tâche de sang,
35:37 parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles,
35:39 y cherchait un effet de peur sur les passants".
35:41 – Voilà, c'est magnifique, vous le connaissez par cœur.
35:44 – Eh oui, en fait, l'affiche rouge voulait en faire des assassins,
35:47 mais en fait, elle en a fait des héros.
35:49 – Oui, et c'est en fait une énorme opération de propagande des nazis,
35:56 et elle va échouer instantanément, et ils vont y mettre fin instantanément,
35:59 parce qu'ils vont se rendre compte que cette tentative...
36:01 – Se retourne contre eux.
36:03 – Se retourne contre eux.
36:05 Et évidemment, ils ont choisi parmi les 68 et les 23,
36:09 pour mettre l'affiche rouge, les 10 qui ont l'expression la plus sale gueule.
36:13 Ceux qui ont les noms les plus imprononçables,
36:17 ceux qui sont, comme dit Aragon, "hirsutes",
36:19 ceux qui ont été tellement tabassés par la police française,
36:24 car il ne faut pas oublier que c'est la police française qui les a arrêtés,
36:27 que leurs visages sont déformés,
36:29 et on va leur attribuer des dizaines d'attentats, sans préciser...
36:34 – Oui, on leur a imputé 56 attentats, 150 morts et 600 blessés.
36:38 – Oui, mais ce n'est pas complètement faux, sauf qu'on oublie une chose,
36:41 c'est que l'un des principes de la FTP-Moi,
36:44 ce que les Allemands se gardent bien de dire évidemment,
36:47 c'est de ne jamais attaquer les Français, y compris les collaborationnistes.
36:51 Les FTP, que les Allemands.
36:53 – Oui, que les Allemands.
36:55 – Et ils ne vont jamais attaquer que les Allemands,
36:57 parce qu'ils savent trop bien quels partis, les nazis et les collaborationnistes,
37:02 pourraient tirer du fait que des étrangers tuent des Français.
37:05 Et donc ils n'en tueront pas.
37:07 Et il y a un cadavre sur l'affiche,
37:09 qui représente un commissaire de police assassiné,
37:12 et il a été exécuté par les FTP, mais pas par les FTP-Moi bien sûr.
37:16 – Très intéressant et très important de rappeler ces précisions.
37:20 – Et ce qui est très touchant, revenons à cette dernière lettre
37:23 de Bessé Améliney, dans laquelle il s'y considère comme un soldat tombant
37:27 pour la France, tout en affirmant n'avoir aucune haine contre le peuple allemand.
37:32 – C'est un internationaliste, c'est un internationaliste,
37:35 et comme le disait Jaurès, c'est un patriote,
37:38 et beaucoup de patriotisme rapproche de l'internationalisme,
37:42 un peu de patriotisme en éloigne.
37:44 Et lui, c'est un pur produit de cet idéal communiste de l'internationalisme,
37:51 et de cet idéal révolutionnaire du patriotisme.
37:55 Vous savez, les communistes des années 30, et encore aujourd'hui un certain nombre,
37:59 beaucoup de communistes, considèrent, à tort ou à raison,
38:02 ça n'en est pas la question, que la révolution bolchévique
38:07 est en fait la fille de la révolution française.
38:10 Ils établissent un lien absolu entre les deux.
38:13 – Après il y a eu Staline et l'Ouest.
38:15 – Après il y a eu Staline et l'Ouest, mais pour eux, c'est une évidence.
38:18 – Eh oui, une phrase à un passage très touchant,
38:21 pour conclure ce module de l'émission,
38:23 faire une petite pause avant de vous retrouver chers auditeurs.
38:26 Il écrit aussi ceci à Mélinay,
38:29 "Marie-toi avec quelqu'un qui puisse te rendre heureuse",
38:32 et il formule une exigence avec l'aide des amis qui voudront bien m'honorer,
38:37 "Tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui méritent d'être lus".
38:41 – Et comme disait Aragon, "Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant".
38:45 – Eh oui, Misak Manouchian, le poète, l'idéaliste, le chef de bande,
38:49 on continue d'en parler dans un instant sur Sud Radio avec Jean-Pierre Saccoune.
38:53 Alors, restez avec nous, on revient dans quelques minutes.
38:55 [Générique]
38:57 – Sud Radio, la culture dans tous ses états.
38:59 André Bercoff, Céline Alonso.
39:01 [Musique]
39:03 [Musique]
39:28 – Misak Manouchian, le héros de la Résistance,
39:30 entrera au Panthéon mercredi prochain, le jour du 80e anniversaire de l'exécution
39:34 du groupe Manouchian.
39:36 Votre combat a payé, Jean-Pierre Saccoune, bravo, vraiment.
39:40 Alors, autre combat que vous menez aussi, c'est la défense de la laïcité.
39:45 Vous êtes président d'Unité Laïque.
39:47 Quel est le but de votre association ?
39:50 Parce que de nombreuses associations en France,
39:52 effectivement, défendent cette laïcité.
39:54 Vous, en quoi votre ambition est-elle différente de celle-ci ?
39:58 – Notre ambition, c'est de redonner à ce pays l'envie de comprendre
40:06 que la laïcité, c'est notre principale liberté.
40:09 La laïcité n'est rien sans la République et réciproquement.
40:13 Et la devise de notre association, c'est en fait la première phrase
40:18 de la Constitution de la République.
40:20 "Pour une République indivisible, laïque, démocratique et sociale".
40:23 Et tout y est dit.
40:25 Et depuis que certaines grandes associations
40:30 qui représentaient historiquement la laïcité en France
40:33 ont pris pour le moins un virage douteux dans ce domaine,
40:37 eh bien nous sommes orphelins d'une grande association populaire
40:40 qui soit capable de peser sur les débats.
40:42 Il y a beaucoup d'associations laïques de grande qualité
40:45 et qui ont une grande dignité et qui travaillent dans des domaines spécifiques.
40:50 Il n'y a plus l'équivalent de ce qu'a pu être et de ce que n'est plus
40:54 la politique des droits de l'homme dans les années 30
40:56 quand elle avait 200 000 adhérents.
40:58 – Ils ne peuvent plus dire que c'est la même chose aujourd'hui.
41:00 – Voilà, notre objectif c'est ça.
41:02 Si vous voulez, je l'explique de la manière suivante.
41:04 Pendant 40 ans, depuis les années 80, nous avons passé notre temps
41:09 à supplier les politiques de se réemparer de la question républicaine et laïque.
41:14 On a échoué.
41:15 Moi, mon envie c'est de m'emparer des politiques
41:17 et de les forcer à la République et à la laïcité.
41:20 Et pour ça, il faut qu'on soit 200 000 ou 500 000, pas 1000, pas 500.
41:24 Tout ça n'a pas de sens.
41:26 Il faut qu'on redevienne, avec les moyens du 21ème siècle,
41:29 dans les limites de ce qui est devenu le militantisme aujourd'hui,
41:32 une association si puissante que nous ayons les moyens
41:36 et la force d'aller dire aux politiques "arrêtez parce que sinon
41:42 nous allons vous pourrir la vie".
41:44 – Mais Jean-Pierre Saccoud, pensez-vous que c'est encore possible ?
41:47 – Oui, je le crois.
41:48 – Aujourd'hui, en 2024 ?
41:49 – Je le crois.
41:50 Je le crois d'autant plus que tous les sondages,
41:52 toutes les enquêtes depuis 15 ans qu'elles sont menées,
41:57 démontrent que les Français, massivement, à hauteur de 80 ou 90%,
42:02 sont profondément laïcs et qu'ils savent ce que ça signifie.
42:05 C'est pas un mot qu'ils utilisent au hasard
42:07 parce qu'on leur pose des questions bien précises.
42:09 Simplement, aujourd'hui, ce cœur, ce pilier de notre collectivité
42:15 qu'est la République française n'a pratiquement plus de représentants politiques.
42:20 Il en a quelques-uns qui sont d'ailleurs dans tous les partis démocratiques
42:25 de notre pays, mais ils n'ont plus le pouvoir.
42:28 Il faut leur rendre le pouvoir, c'est notre objectif.
42:31 Et la laïcité, ou la République, ce ne sont pas des mots en l'air.
42:35 Ça veut dire les services publics, ça veut dire la solidarité,
42:39 ça veut dire l'égalité, ça veut dire la liberté de conscience,
42:43 l'émancipation au travers de l'école. Voilà, c'est ça notre combat.
42:46 – Jean-Bienvent Senghoun, juste un mot, vous avez entendu,
42:48 il disait "la France en s'abattant". Qui dit "la France" aujourd'hui ?
42:52 Même pas en s'abattant, on ne veut pas, mais en vivant.
42:56 – Ce que l'école républicaine recommencera à former correctement.
43:00 Parce que tout passe par l'école, bien entendu.
43:03 Et hélas, la succession des ministres de l'Éducation nationale
43:09 à laquelle nous avons assisté depuis Jean-Michel Blanquer
43:13 laisse dubitatif. Parce qu'il y a des effets, des contradictions.
43:19 D'un Jean-Michel Blanquer à un Pape Ndiaye, d'un Pape Ndiaye à un Atal,
43:25 d'un Atal à une Oudéa Castera, d'une Oudéa Castera à une Béloubet.
43:29 Et si j'avais une baguette magique, enfin si j'avais une lampe,
43:33 et qu'un génie me disait "quel est ton vœu ?"
43:35 je lui dirais "reprendre en main la formation des maîtres".
43:38 C'est par là que ça doit commencer.
43:40 Nous sommes dans un pays de citoyens, de citoyens porteurs d'une parcelle
43:44 de citoyenneté chacun, de souveraineté.
43:47 Et ça, c'est pas naturel, ça s'apprend.
43:50 Et ça s'apprend à l'école de la République.
43:52 Ferdinand Buisson disait "le premier devoir de la République,
43:55 c'est de former des républicains". On l'a oublié.
43:57 – C'est maîtriser, comment maîtriser la maîtrise.
43:59 Merci Jean-Pierre Sacouli. – Merci à vous.
44:02 – Missak Manouchian représente tout ce que vous appelez de vos vœux.
44:05 – Oui, symboliquement, il est là pour nous rappeler
44:09 qu'on n'est pas français par l'ethnie, la race, le sang, la religion.
44:13 On est français par la volonté de respecter et d'adopter
44:18 les principes de la Révolution, et que de la même façon,
44:22 lorsqu'on arrive dans ce pays, on doit en adopter les principes
44:26 de libération et d'émancipation, et pas le considérer comme un objet à haïr.
44:31 – Jean-Pierre Sacoune, merci d'être venu sur CIDRADIO.
44:33 Je rappelle que vous avez écrit la postface d'un livre passionnant,
44:36 "Missak et Méline Manouchian", écrit par Gérard Streff,
44:39 et publié aux éditions de l'Archipel.
44:42 Tout de suite, c'est Brigitte Lahaye sur CIDRADIO.

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