Révélation du lauréat du 50ème Prix du Livre Inter : en présence de la lauréate Phoebe Hadjimarkos Clarke, de l'actrice Isabelle Huppert, présidente du jury et d'Eva Bettan, responsable du Livre Inter. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-03-juin-2024-2969960
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00:00Il est 7h48, Sonia De Villers, il y a beaucoup de monde dans le studio ! Ce matin, il est
00:06arrivé le jour, nous allons dévoiler le ou la lauréate du prix du Livre Inter 2024 !
00:13Alors, Isabelle Huppert nous a fait l'honneur de présider ce cinquantième jury, bonjour
00:18Madame la Présidente, à vos côtés, Eva Bétan, la cheffe d'orchestre de notre prix
00:23littéraire.
00:24Bonjour Eva, c'est vous qui avez sélectionné les 24 auditrices et auditeurs, ils ont entre
00:2918 et 72 ans, ils viennent de Lyon, de Tours de Seine, de Grenoble, de Brest, de Nancy,
00:33de Bervilliers, même de Belgique, et c'est hier soir qu'ils ont voté.
00:36Isabelle Huppert, il y avait dix livres en compétition, dix romans, je vous laisse annoncer
00:42le nom tant attendu.
00:44Alors, la lauréate du prix du Livre Inter 2024 est Phoebe Haji-Marcos Clark, pour son
00:50livre Alien.
00:51Alien qui est parvenu aux éditions du Suisseol, d'ailleurs votre éditeur n'est pas très
01:01loin dans le couloir et il en est tout chamboulé, vous êtes la lauréate d'un prix bien particulier
01:07parce que c'est le cinquantième anniversaire, c'est un prix qui restera particulièrement
01:13dans l'histoire Phoebe Haji-Marcos Clark qui est face à moi, qui est très très très
01:17enceinte, il est pour quand ce bébé ?
01:19Pour le mois d'août.
01:21Donc ça fait une année riche en émotions, peut-être un mot avant de vous poser une
01:27question Phoebe Haji-Marcos Clark à la présidente du jury, un mot sur ce prix que vous décernez
01:34ce matin ?
01:35C'est un grand livre, c'est un grand style, une langue très puissante, une proposition
01:42d'un personnage très singulier, elle nous fait pénétrer dans un monde parallèle mais
01:51qui en fait n'en est pas un, donc c'est un livre très troublant aussi, où elle convoque
01:59des problématiques très actuelles, la peur, la révolte, la sécheresse, les gilets jaunes,
02:10mais tout ça d'une manière sans surplomb, sans le surligner, c'est un cadre qu'elle pose.
02:15Et puis elle nous fait passer constamment d'un sentiment de réalité à un sentiment
02:21d'irréalité, c'est un peu comme un conte, on a l'impression que cette jeune femme,
02:26cette héroïne, elle pénètre comme ça dans une forêt magique, très inquiétante,
02:33et moi ce qui m'a plu dès le début, je ne sais pas s'il faut dévoiler trop de choses
02:38parce qu'elle a une particularité, cette jeune femme, qui lui fait voir le monde d'une
02:43manière très particulière, à la fois entravante et en même temps peut-être qu'il lui révèle
02:50des choses qu'il ne lui serait pas révélées de la même manière si elle n'avait pas ce problème.
02:53Elle a perdu un œil, je prends la liberté de le dire parce que l'éditeur a décidé
02:57de le dire en quatrième de couverture, elle a perdu un œil suite à un tir de LBD au
03:01moment d'une manif de gilets jaunes, et quand Isabelle Huppert dit qu'il y a quelque chose
03:06comme ça de très onirique, on passe entre la réalité et le rêve.
03:11La fiction, on pourrait dire même la science-fiction, mais en fait ce n'est pas vraiment de la science-fiction,
03:16c'est-à-dire que dans la science-fiction, les personnages la plupart du temps sont imbibes
03:20d'une espèce d'irréalité, alors là c'est une science-fiction qui est complètement
03:25réelle, donc c'est d'autant plus inquiétant, et en même temps on a l'impression qu'elle
03:30perçoit le monde d'une manière dont on l'aperçoit dans ses rêves, ou alors peut-être quand
03:35on est soumis à des substances un peu illicites, mais elle traduit ça d'une manière vraiment
03:41extraordinaire, et donc c'est surtout une très grande styliste, puisque c'est quand
03:46même ça qu'on attend d'un livre, ce n'est pas tellement ce qu'on raconte, mais c'est
03:49surtout comment on le raconte, et elle le raconte d'une manière extraordinairement puissante.
03:54Alors, Phoebe Hadji-Marcos Clark, c'est votre deuxième roman, peut-être un mot sur ce titre
04:01très étrange, Alien Ne, c'est pas Alien les extraterrestres, et pourtant les extraterrestres
04:07sont là aussi dans ce livre, alors Alien, c'est quoi ? C'est l'altérité la plus
04:12radicale qui soit ? Oui, je crois que c'est un livre qui tourne
04:15beaucoup autour de l'altérité, autour de l'identité de chacun des personnages,
04:21mais ça tourne aussi autour de l'aliénation au sens politique, psychologique du terme,
04:31et je crois que c'est des personnages qui sont en quête à la fois d'identité et
04:36de perte d'identité.
04:37C'est un livre très politique, c'est un roman très politique ?
04:39Oui, oui, tout à fait ! Ça part d'une matière...
04:46Ça a fusé pendant le jury, inattendu, clivant, radical, punk, drôle, violent, violent le
04:51mot revient souvent.
04:52Oui, c'est effectivement un livre sur la violence avant tout, et la violence politique
04:58en particulier, qu'elle soit étatique, répressive ou plus systémique.
05:04Et donc, on explore les différentes expressions de cette violence-là à travers l'expérience
05:11des divers personnages qui s'entrecroisent et s'entremêlent au fil du boulot.
05:14Et alors, qu'est-ce qu'apporte la fiction, voire la science-fiction, comme dit Isabelle
05:20Huppert, à un texte éminemment politique qui aurait pu être un document politique,
05:25qui aurait pu être un essai politique, qui aurait pu être un tract ? Eh ben non,
05:28c'est un roman.
05:29Et c'est un roman qui a le goût de l'imaginaire.
05:36Oui, c'est une bonne question à laquelle j'ai du mal à répondre.
05:41Pourquoi je n'ai pas écrit de tract ?
05:42Non, je pense que c'était l'envie de mettre en aventure peut-être les idées qui
05:54me traversent, qui traversent d'autres personnes autour de moi.
05:58L'idée de mettre tout ça en mouvement, en vie, en chair, c'est un livre qui est
06:05très sensoriel aussi.
06:06On est vraiment dans la tête de ce personnage, Fauvel, dans ses sensations.
06:10Elle s'appelle Fauvel.
06:11Oui.
06:12On a un patron de l'info ici qui s'appelle Fauvel.
06:13Ça nous fait tous bizarres, mais pas très mauvais.
06:16On ne va pas le rater.
06:20Le roman, ça permet de faire parler, par exemple, les hommes et les chiens, ça permet
06:26de faire apparaître des extraterrestres, mais aussi des ours extrêmement curieux et
06:31dangereux.
06:32En fait, c'est totalement sans limites.
06:33Oui, je pense que c'est ça que permet la fiction, en effet.
06:37Eh bien, mettons un mot sur comment ça s'est passé hier soir, puisque vous êtes la grande
06:42ordonnatrice de cette longue discussion, puis de ce dîner, puis de cette remise de prix.
06:50Non, mais ce qu'il y a d'intéressant, c'est qu'ils ont pris leur temps et ils ont pu aller
06:57loin dans les idées qu'ils voulaient émettre.
06:59Isabelle Perre n'a pas posé de limites, c'est-à-dire que je me suis dit peut-être qu'on finira
07:0311 heures.
07:04Et alors, l'idée, c'était que s'ils voulaient aller au bout de leurs idées, on se serait
07:07fait renvoyer du restaurant, ce n'était pas grave, ils iraient au bout.
07:10Et je trouve que c'est très bien parce qu'il y a cette phrase qu'on entend quelquefois
07:16dans les jurys, là je me dis, l'alchimie est réussie quand quelqu'un dit, j'ai changé
07:22d'avis et je suis content d'avoir changé d'avis, en ayant écouté les autres.
07:25Il y a même quelqu'un qui a dit, je rentre pour pouvoir être convaincue d'autre chose.
07:29Et c'est ça qui est vraiment très beau, c'est pour ça que le prix, un livre ne peut
07:34pas être le choix de tout le monde, sans ça on serait en dictature, mais le prix est
07:38le prix de tout le monde, parce qu'il est né de ça.
07:41Et il n'y a jamais de prix ex-aequo, jamais de prix spécial.
07:44Nous aussi on est radicaux, un livre, un prix, c'est ça, tchac !
07:50Et il y avait l'idée aussi, dans ce prix-là, on en reparlera plus tard, mais l'idée que
07:54ça indiquait aussi un chemin de quelque chose de novateur, et dans le fond, et dans la forme.
07:59Et c'est cette idée qui est venue, à un moment ils trouvent leurs critères eux-mêmes
08:02et ils ont dit, il y a quelque chose là.
08:03Au moment, dans les délibérations du jury Isabelle Huppert, vous avez eu quelques mots
08:07pour dire qu'il y avait là-dedans une écriture presque cinématographique, en tout cas qui
08:12conduisait à l'image.
08:14Oui, oui, ça m'a rappelé tout à coup ce matin, en me réveillant, je ne sais pas pourquoi,
08:18j'ai repensé à un film aussi de Michael Haneke, je n'ai pas pensé à ce moment,
08:21mais comme Le Temps du Loup aussi, qui proposait comme ça une forme de dystopie, pour employer
08:26un mot à la mode.
08:28Oui, c'est cinématographique, effectivement, on voit des… mais je ne sais pas si c'est…
08:36Et alors, ça vous a plu de Président Jury littéraire, Madame la Présidente ?
08:40Non, ça m'a beaucoup plu, parce que je rebondis là-dessus, moi j'ai été très
08:45touchée par cette héroïne qui n'est pas touchante, c'est ça qui m'a beaucoup
08:50plu dès le début, parce qu'elle est très solitaire, et elle a une forme de brutalité,
08:56de sécheresse, qui est très intéressante.
08:59Elle m'a pris par la main de cette manière-là, dans la manière dont elle a de ne pas prendre
09:04la main de quiconque, et ça, ça m'a beaucoup plu, je trouve que c'est toujours très intéressant
09:10et pas courageux, ce n'est pas le problème, et une espèce d'absence totale de sentimentalisme,
09:16d'arrondir les angles, non, c'est quelqu'un qui n'est ni méchante, ni gentille, ce n'est
09:20pas le problème, mais elle est brutale, elle est âpre, et ça lui confère une émotion,
09:26en fait, voilà.
09:27Alors, je précise que Fauvel, on va la retrouver tout à l'heure, parce que vous revenez toutes
09:31les trois, Isabelle Huppert, Phiby Hadji, Marcos Clark et Emma Bédant, à 9h20, avec
09:36les jurés, pour nous raconter la délibération, et je précise aussi que la Mostra de Venise
09:41nous a piqué l'idée, et qu'Isabelle Huppert va être présidente du jury de la
09:44Mostra de Venise fin août ! Voilà, à tout à l'heure !