Pascal Praud et vous - 80 ans du Débarquement : le témoignage exceptionnel d'Achille Muller, le dernier survivant des forces françaises libres

  • il y a 3 mois


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Transcript
00:00Autant les forces françaises libres sont magnifiées,
00:05autant parfois les forces françaises de l'intérieur sont pointées comme les résistants de la dernière heure.
00:11C'est vrai qu'il y en a eu hélas, avec des choses absolument abominables, de l'épuration, des images qu'on a vues.
00:17Mais en revanche, M. Hachet-Muller appartient à la légende de notre pays,
00:21et je vous propose de l'écouter pendant une dizaine de minutes.
00:25Bonjour mon colonel !
00:27Bonjour monsieur !
00:29Et merci d'être avec nous, et quelle émotion de vous écouter, vous avez 99 ans,
00:36vous êtes le colonel Hachet-Muller, vous êtes le dernier survivant des forces françaises libres
00:41à avoir participé au débarquement en juin 1944.
00:46Comment allez-vous ce matin ?
00:49Très bien, très très très bien.
00:51J'ai eu hier la visite, enfin, des rapports avec le président qui a été charmant avec moi,
00:57ce à quoi je ne m'attendais pas du tout.
00:59C'était il y a 80 ans, jour pour jour, heure par heure,
01:02quel souvenir vous gardez de ce 6 juin 1944 Hachet-Muller ?
01:07C'est très difficile à dire, pour nous c'était enfin,
01:11nous sommes sur le sol de France et nous allons libérer notre pays.
01:15C'est un sentiment extraordinaire.
01:17A 17 ans, vous viviez à Forbach, en Moselle, un territoire annexé par les Allemands,
01:21et c'est hors de question pour vous de servir l'armée allemande à votre majorité,
01:26vous voulez rester français, quitte à traverser 4 frontières, et c'est ce que vous allez faire ?
01:31C'est ce que j'ai fait, sans me faire prendre.
01:34Je suis le seul à avoir réussi à traverser l'Espagne sans me faire prendre.
01:39J'ai appris ça après la guerre, parce qu'il y a une association d'anciens prisonniers en Espagne.
01:44Alors ils m'ont écrit, et je leur ai dit, fin avril, je ne peux pas faire partie de votre association,
01:49puisque je n'ai pas été pris, donc c'est que je suis le seul.
01:53Et cette histoire est extraordinaire, puisque vous partez à vélo,
01:57vous poursuivez votre périple jusqu'à Gibraltar, vous traversez l'Espagne franquiste,
02:01vous tombez sur un navire français de Vichy, vous vous en échappez à la nage,
02:05vous prenez contact avec un officier de la France Libre.
02:08Oui, c'est exact.
02:09Et ce qui est extraordinaire, c'est qu'après...
02:12La Méditerranée, un 10 février, c'est pas chaud du tout.
02:18J'imagine, et après huit mois de périple, direction Londres, par bateau,
02:23où vous passez plus de 70 jours en quarantaine, parce que les Britanniques vous prennent pour...
02:2772 jours, exactement.
02:29Les Britanniques vous prennent pour un espion allemand.
02:32Exactement, du moins ils veillent à ce que ce ne soit pas le cas.
02:36Et ils ont d'ailleurs vérifié, puisqu'ils sont allés dans ma famille en Lorraine,
02:41pour vérifier que tout ce que je leur avais dit était vrai.
02:44Et je leur avais dit, si vous voulez des renseignements,
02:46vous vous adressez à mon oncle de Kavlotz, ou à mon propre père.
02:51Mais ils ne l'ont pas fait.
02:52Ils s'y sont présentés, ils se sont fait reconnaître indirectement,
02:56mais ils ne les ont jamais mis en danger.
03:00Et le général de Gaulle demande à vous rencontrer.
03:03Oui, parce que tout le monde disait que j'étais un déserteur de l'armée allemande.
03:06J'ai eu beau leur dire que je suis un insoumis, mais pas déserteur,
03:10mais pour eux c'était la même chose.
03:13Et le général de Gaulle s'en intégrait aussi.
03:16Alors il m'a reçu.
03:18Et quel souvenir vous gardez de cette rencontre ?
03:20C'était très curieux.
03:21J'étais un gamin, mais après coup, j'ai eu l'impression que c'était un homme
03:27qui pensait à autre chose que les problèmes militaires,
03:31parce qu'il préparait le retour de l'autorité française en France.
03:38Il préparait les préfets, tous les circuits pour diriger la France,
03:45alors que les Américains avaient envisagé d'y mettre un gouvernement militaire.
03:52Ils avaient d'ailleurs imprimé des faux billets français,
03:55que de Gaulle leur a reprochés.
03:57Alors j'espère que les Américains les ont mis en lieu sûr en souvenir ou les ont brûlés.
04:05Témoignage saisissant.
04:07Il a dit que c'est la France qui imprime, c'est pas vous.
04:10Et comme il n'aimait pas de Gaulle, il leur rendait l'appareil.
04:14Témoignage saisissant, témoignage pour l'histoire sur Europe 1.
04:17Nous sommes avec le colonel Achille Muller, 99 ans,
04:21le dernier survivant des forces françaises libres.
04:25Et votre choix à ce moment de la guerre va se porter sur les commandos parachutistes,
04:31les fameux spéciales Air Service de la France libre.
04:35Quand est-ce que vous, précisément, vous touchez le sol de France, monsieur Muller ?
04:40Eh bien le 4 août, parce que je faisais partie de l'escadron de jeeps armés.
04:46Et nous étions les cavaliers du bataillon.
04:49Et les cavaliers sont partis les derniers, ce qui pour nous était très très dommageable.
04:56Mais le colonel nous a dit ensuite qu'il aurait été impossible de circuler en Bretagne avec une jeep armée.
05:02Parce que les forêts à pied, ça c'est très bien,
05:06mais avec une jeep, à partir du moment où nous étions sur des routes ou des chemins forestiers,
05:11les Allemands les contrôlaient.
05:13Donc il fallait attendre que le plus gros soit fait avant qu'on ne nous largue par planeur.
05:19Et quel est le premier geste que vous avez fait lorsque vous êtes revenu sur le sol de France ?
05:24Je sais que vous le savez.
05:26Alors j'ai sauté de ma jeep et j'ai embrassé le sol de France.
05:30Et je vous garantis que j'étais ému.
05:33Comme nous le sommes, M. Muller,
05:36lorsque vous nous racontez cette histoire exceptionnelle,
05:40cette histoire d'un jeune homme qui n'avait pas 20 ans,
05:45est-ce que vous êtes fier de vous, M. Muller ?
05:48Non ! J'ai fait mon devoir, c'est tout.
05:51Je trouve ça tout à fait normal.
05:53Je trouve rien d'anormal dans l'affaire.
05:56J'ai fait mon devoir.
05:57C'est ce que je dis aux élèves de Coet' Kidan.
06:00C'est ce que je dis à tout le monde.
06:02Est-ce que vous avez conscience quand même de l'estime, l'admiration, le respect qu'on a pour vous ?
06:10Et j'ai envie de dire également l'affection.
06:13Je l'accepte volontiers.
06:15Ma fille, ma famille fait la même chose.
06:20Mais pour moi c'est beaucoup.
06:22C'est beaucoup.
06:23Et quelle est votre vie aujourd'hui ?
06:25Eh bien, celle d'un retraité heureux
06:28qui pour le moment est harcelé par les journalistes, pas dans les mois.
06:33Je suis frappé de votre santé intellectuelle, physique,
06:39à 99 ans, comme si le temps n'avait pas de prise sur l'homme que vous êtes.
06:45Non, parce que je fais énormément de conférences.
06:49Que ce soit à Saint-Cyr, que ce soit dans les lycées, que ce soit dans les collèges,
06:53et ça tient l'esprit éveillé.
06:55Il y en a qui n'aiment pas ça et qui finissent pas même plus savoir comment ils s'appellent.
07:01Or moi, mon physique ne me suit plus très très bien.
07:05Encore que vous m'avez vu à la télé, je marche.
07:10Mais ma tête fonctionne normalement.
07:13Je ne cesse pas de faire des conférences.
07:16Donc ça fait marcher mon cerveau.
07:20Ce qui est certain, c'est qu'après ces jours qui vous sont très demandés,
07:25je pense qu'on va revenir vers vous pour vous accueillir peut-être plus longuement.
07:30Quelle a été votre vie ensuite, au lendemain de la guerre, M. Muller ?
07:33Après ?
07:34Après la guerre, qu'est-ce que vous avez fait durant toutes ces années ?
07:37Je suis parti en Indochine, un séjour 46-48,
07:42et puis 53-53, autrement dit, au début et à la fin.
07:47Et ensuite l'Algérie, de 56 à 62.
07:53Une carrière dans l'armée française au service de la France.
07:56Toujours.
07:57Je vais vous remercier grandement, M. Muller, je vais vous remercier grandement.
08:02C'est normal.
08:04Je suis sûr que comme tous ceux qui nous ont écoutés,
08:07tous sont émus de ce morceau de France, de ce morceau d'histoire que vous rapportez,
08:13et tous ont envie de vous dire les mots les plus simples, d'abord merci.
08:17Merci, M. Muller.
08:19Merci de me dire merci.
08:23Merci et belle journée à vous.
08:25Merci, c'est le plus beau cadeau.
08:27Je n'ai fait que mon devoir, dites-le bien, je n'ai fait que mon devoir.
08:32Et j'ai réussi à en sortir vivant, c'est ça qui est curieux.
08:36Quand je vois tous ces camarades que nous avons laissés en chemin,
08:40et je suis toujours vivant.
08:42Nous nous téléphonions, les anciens, vers le 1er de l'an chaque année,
08:47et on se disait, lequel de nous sera le dernier des Mohicans ?
08:51Eh bien, vous avez au bout du fil le dernier des Mohicans.

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