L'investissement dans le PIB : une notion souvent bien arbitraire [Olivier Passet]

  • il y a 3 mois
L’investissement et la consommation sont deux notions que l’on ne définit plus tant leur acception paraît intuitive, avec des a priori réducteurs qui souffrent pourtant tous d’exceptions. D’un côté, les entreprises comme acteur principal ; de l’autre, les ménages. À l’exception du logement résidentiel, qui est le fait des particuliers. D’un côté, des dépenses qui dispensent leurs effets dans le temps long, accroissent la capacité productive, l’efficacité et la richesse réelle ou financière ; de l’autre, le temps court, l’idée d’une satisfaction immédiate. [...]

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00:00L'investissement et la consommation sont deux notions que l'on ne définit plus tant leur acception paraît intuitive,
00:16avec des a priori réducteurs qui souffrent pourtant tous d'exception.
00:20D'un côté les entreprises comme acteur principal, de l'autre les ménages,
00:25à l'exception du logement résidentiel, qui est le fait des particuliers.
00:29D'un côté des dépenses qui dispensent leurs effets dans le temps long,
00:33accroissent la capacité productive, l'efficacité et la richesse réelle ou financière.
00:39De l'autre, le temps court, l'idée d'une satisfaction immédiate.
00:44Mais il y a pourtant des biens durables qui procurent des services aux ménages sur plusieurs années.
00:49Il y a des contenus informationnels, culturels, qui participent au patrimoine cognitif.
00:54Dire qu'un bien de consommation ne contribue pas à l'accroissement des capacités productives est d'ailleurs réducteur.
01:02L'explosion des biens d'équipement ménagers est ce qui a permis de libérer de la main-d'œuvre féminine,
01:08avec un impact considérable sur les capacités de production.
01:12Idem pour la voiture particulière, qui a bouleversé la mobilité de la main-d'œuvre
01:17et l'accès à la consommation, modifiant les coûts de transaction du système.
01:23La liste de ces zones grises serait longue.
01:26Et si elle embrouille ce qui paraissait simple, elle démontre aussi que la ligne de partage,
01:31consommation-investissement, est une convention qui varie d'ailleurs
01:37selon que l'on se situe dans le cadre de la comptabilité nationale ou privée,
01:41ou que l'on se conforme à une définition fiscale de l'investissement.
01:46En fait, le flou commence dès qu'un bien n'est pas détruit dans l'acte de consommation.
01:52Un aliment est acheté et l'effet qu'il procure s'éteint avec son utilisation.
01:58Idem pour de nombreux services.
02:00Ce n'est plus vrai dans deux cas principaux.
02:03Les biens durables, qui procurent un service dans la durée,
02:06mobilier, équipement domestique, digital, etc.
02:10Et les biens informationnels au sens large ensuite,
02:13qui peuvent être capitalisés, traités, dupliqués, modifiés les actions,
02:18souffrir d'obsolescence plus ou moins accélérée.
02:22Dans ce cas, ce qui fera que ce type de bien est intégré ou non à l'investissement
02:27dépend d'une seconde convention.
02:29Le système comptable reconnaît-il une production adossée à ce type de bien ?
02:35Prenons le cas de la comptabilité nationale.
02:37Si cette dernière reconnaissait la production des ménages pour leurs comptes propres
02:42comme composante de la mesure du bien-être,
02:45elle devrait formaliser et quantifier la fonction de production qui s'y rapporte,
02:50et intégrer les biens durables dans le champ des équipements,
02:53et le volume de travail domestique qui s'y rapporte dans la force de travail.
02:59Elle ne fait cette hypothèse aujourd'hui que pour le logement,
03:01lui adossant un service que les ménages produisent et autoconsomment,
03:06majorant le PIB de ce que l'on appelle les loyers fictifs.
03:10À travers cette convention étroite, c'est tout un pan du bien-être qui passe sous les radars.
03:16À l'instar de nos équipements ménagers et terminaux numériques,
03:20qui fournissent de plus en plus de services, facilitent le quotidien,
03:24donnent accès à un flux considérable d'images, de musiques,
03:27démultiplient les possibilités de loisirs, d'information et de culture,
03:32et n'interviennent que partiellement comme composante du bien-être.
03:36L'arbitraire des conventions devient plus saisissant encore concernant les investissements immatériels,
03:43notamment dans le cadre de la comptabilité nationale.
03:46Les premiers d'entre eux étant l'éducation et la santé.
03:50Pour l'INSEE, c'est une consommation des administrations publiques, individualisable,
03:55dont le bénéfice ultime revient aux ménages.
03:59Ces dépenses sont pourtant à l'origine de l'accumulation du capital humain,
04:04facteur décisif de la croissance, notion que la comptabilité nationale n'évalue pas.
04:10Idem côté entreprise, où la plupart des dépenses de conseils, de stratégie, de marketing,
04:15sont traitées comme des dépenses d'exploitation.
04:18La comptabilité nationale s'en tient à une définition très étroite de l'investissement immatériel,
04:24ne retenant essentiellement que la R&D et les logiciels,
04:29avec quelques revirements, comme le révèle la récente révision de l'investissement des entreprises pour 2022,
04:35raboté de 10% à la suite de la reclassification de certaines dépenses de logiciels en consommation intermédiaire.
04:44Idem du côté de la comptabilité privée, où la classification des dépenses en investissement immatériel
04:51est soumise à des règles limitatives, sous l'œil vigilant de l'administration fiscale,
04:57sachant les enjeux de manipulation du résultat et d'accès au crédit d'impôt
05:01attachés à la possibilité d'amortir dans la durée ces dépenses.
05:06Or, c'est précisément au moment des fusacs, lorsque l'on constate l'écart entre la valeur d'acquisition d'une boîte et sa valeur comptable,
05:15ce qui à terme sera reconnu comme une immobilisation incorporelle de la nouvelle entité, le fameux goodwill,
05:21que l'on prend la mesure de la valeur phénoménale de ses actifs souterrains et non quantifiés.
05:27Tout cela rappelle, une fois de plus, les sables mouvants sur lesquels reposent nos évaluations de la richesse,
05:34du bien-être et de la productivité, et les limites du PIB pour les appréhender.

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