Stéphane Boujnah, directeur général d'Euronext, société française qui gère plusieurs bourses européennes comme celle de Paris, Lisbonne ou Milan. Il analyse les conséquences de la dissolution de l'Assemblée nationale sur les marchés financiers. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-25-juin-2024-1381433
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00:00Sonia Devillers, votre invité ce matin, est le directeur général d'Euronext.
00:04C'est la société française, Nicolas, qui gère la Bourse de Paris, mais aussi celle d'Amsterdam, de Bruxelles, de Lisbonne, d'Oslo, de Dublin, de Milan.
00:111900 entreprises européennes y sont cotées, 10 milliards d'euros s'y échangent par jour.
00:16C'est environ le double de ce qui s'échange à la Bourse de l'Ombre.
00:19Bonjour Stéphane Boujna.
00:21Bonjour.
00:22Après la dissolution de l'Assemblée nationale la semaine dernière, la Bourse de Paris a connu sa pire semaine boursière
00:28depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
00:30Quant à l'écart entre le taux d'intérêt français et le taux d'intérêt allemand, il ne s'était pas creusé aussi vite et aussi fort depuis 12 ans.
00:37Est-ce qu'aujourd'hui, la situation s'est stabilisée ? Et surtout, comment vous expliquez la dégringolade de ces indices aussi scrutés ?
00:46Il y a un moment d'incertitude.
00:47Tout le monde dans notre pays se pose des questions par rapport à une élection qui est objectivement précipitée, qui se passe dans une période très courte.
00:57Ce que les Anglais appellent des snap elections est quelque chose d'inconnu en France.
01:00Donc, les marchés regardent avec attention ce qui peut être proposé.
01:05Ils prennent aussi au sens propre les programmes qui leur sont proposés.
01:10Il faut comprendre que les marchés ne se posent pas la question de savoir si les gens vont mettre en œuvre ou pas ce qu'ils disent.
01:15Ils lisent ce qu'on leur montre à lire.
01:17Et donc, certaines propositions les plus extrêmes créent de l'inquiétude.
01:22Créent de l'inquiétude ?
01:23Les plus extrêmes, oui.
01:24Quand vous dites les marchés, c'est qui les marchés ?
01:27Les marchés, c'est deux sortes de gens.
01:28Les plus nombreux, ce sont les gens qui achètent la dette publique puisque notre système social repose sur l'emprunt.
01:36Une partie, nous redistribuons beaucoup l'argent que nous empruntons au reste du monde.
01:42Et donc, pour pouvoir continuer à financer un régime dans lequel 58% de ce que nous créons à peu près est injecté dans la dépense publique,
01:52il faut qu'on emprunte beaucoup au reste du monde.
01:54Et le reste du monde nous prête.
01:55Et donc, quand il est convaincu que nous allons continuer à rembourser, il ne nous prête pas cher.
01:59Quand il s'inquiète sur notre capacité de remboursement et la puissance de notre économie, il ne nous prête plus cher.
02:03Et donc, c'est ça les marchés.
02:04La deuxième chose, c'est les gens qui achètent les actions de nos entreprises parce qu'ils pensent que nos entreprises vont se développer.
02:09Quand ils pensent que nos entreprises vont beaucoup se développer en France et à l'étranger, ils achètent nos actions, les actions de monde.
02:14Quand ils pensent qu'elles vont avoir des difficultés parce qu'elles opèrent dans un environnement plus incertain, ils vendent les actions des sociétés.
02:19Donc, c'est l'incertitude, si je vous entends, qui fait dégringoler les marchés.
02:23Donc, le 8 juillet, il y a deux scénarios qui prédominent selon les sondeurs.
02:27Soit le Rassemblement national prend le pouvoir, soit aucun groupe ne brigue une majorité et on risque un pays ingouvernable.
02:34C'est le titre du Monde ce matin.
02:37Comment ces deux scénarios peuvent se traduire en bourse ?
02:40Les deux scénarios créent beaucoup d'incertitudes.
02:42Dans le cas où une équipe qui n'a jamais gouverné arrive au pouvoir, il y a une incertitude totale, une inconnue, une inconnue complète.
02:51Et beaucoup d'inquiétudes sur d'autres choses qui ne sont pas économiques, c'est-à-dire sur ce qui se passe dans la cohésion de la société française
02:56et les risques que cette cohésion qui serait détériorée puisse avoir de l'impact sur le business.
03:02Donc, il y a une vraie inquiétude sur ce plan-là.
03:05Sur le deuxième plan, j'ai tendance à dire que par référence à ce qui se passe dans le reste de l'Europe,
03:11on peut trouver ça étrange avec un regard français.
03:13Mais quand on a un regard belge, néerlandais, espagnol, allemand,
03:18l'idée qu'il est nécessaire de créer une coalition très improbable au départ n'est pas quelque chose d'inconnu.
03:24Cela dit, les observateurs attentifs savent que c'est aussi inédit en France, ou en tout cas depuis la Quatrième République,
03:29et que ça pourra poser des problèmes.
03:30Mais j'ai tendance à dire que du point de vue des marchés, le deuxième cas est moins inquiétant que le premier.
03:36Et donc, on a maintenant en main les programmes économiques du Nouveau Front Populaire, du Rassemblement National, de la majorité présidentielle.
03:43Faut-il, comme le ministre de l'Économie et des Finances actuel, Bruno Le Maire, les renvoyer dos à dos,
03:48en tout cas celui du Rassemblement National, celui du Nouveau Front Populaire,
03:51en les disqualifiant et en pointant leur, je cite, « insoutenable légèreté financière ».
03:56C'est ce que vous faites vous aussi ?
03:57Écoutez, moi je suis un responsable d'entreprise, donc je m'exprime en tant que responsable d'entreprise.
04:01Vous savez, il y a une différence majeure entre les partis de la colère et les partis de gouvernement.
04:06Les partis de la colère commencent à dire, tous leurs discours, c'est très simple, c'était mieux avant.
04:11Les partis de gouvernement commencent tous leurs discours en disant, c'est très compliqué, laissez-moi vous expliquer le compromis que je vous propose.
04:17Quand on est chef d'entreprise, quand on est responsable d'entreprise, la vie quotidienne, c'est de gérer des choses qui sont compliquées et de fabriquer des compromis.
04:24Donc il y a un certain scepticisme de la part des responsables d'entreprise et d'ailleurs de l'ensemble des gens qui gèrent la complexité,
04:30qui sont les plus nombreux, par rapport à toutes les solutions qui sont simples et qui renvoient au passé,
04:36ou qui sont simples et qui expliquent qu'il faudrait juste réduire l'influence d'une partie de la population dans une confrontation, etc.
04:42Donc je crois que chacun s'exprime et votera comme il veut, mais par rapport à ce que vivent au quotidien les chefs d'entreprise,
04:50les solutions simples, voire simplificatrices, qu'elles viennent d'un extrême ou de l'autre, sont préoccupantes.
04:57D'un extrême ou de l'autre, donc vous renvoyez les deux à nous.
05:00Je dis juste qu'en l'occurrence, cette fois-ci, le barycentre de la proposition qui a été faite est clairement fabriqué par rapport à des propositions radicales qui sont inédites.
05:14Moi j'ai été au cabinet de Dominique Strauss-Kahn, la gauche du gouvernement, et je m'exprime à titre strictement personnel, c'est pas ça, c'est autre chose.
05:21Ce n'est pas le nouveau Front Populaire ?
05:23Non, c'est la gauche du gouvernement de François Mitterrand, de Lionel Jospin et de François Hollande, ce n'est pas ce qui est dans le nouveau Front Populaire.
05:30Mais encore une fois, je m'exprime sur ce sujet-là à titre strictement personnel.
05:33Et bien justement, à titre strictement personnel, c'est le citoyen Stéphane Mougenat que je viens d'entendre.
05:38Pourquoi est-ce que les grands patrons sont si rares ces dernières semaines ?
05:42Pourquoi est-ce qu'ils sont aussi discrets médiatiquement dans une période que tout le monde qualifie d'historique ?
05:48Écoutez, nos entreprises ont toutes des actionnaires, des salariés, des clients.
05:53Il faut respecter tout le monde. Moi je respecte les salariés, les clients, les actionnaires de groupes pour lesquels je travaille.
05:59Certaines entreprises sont dans des métiers de vente au détail et donc doivent tenir compte du fait que la réalité c'est que leurs clients sont les citoyens.
06:10D'autres entreprises ont très peu d'activités en France, sont devenues des groupes tellement mondiaux que finalement le risque politique français est devenu très marginal dans leurs activités.
06:17Il y a aussi la personnalité des hommes et des femmes.
06:20Chacun d'entre nous définit la ligne de crête entre ce qu'il est en tant que citoyen engagé et en tant que responsable des choses qu'on lui a confiées.
06:28Vous savez, chacun fait son itinéraire et la ligne de crête est difficile.
06:33Stéphane Mougenat, quelle leçon vous pouvez tirer de la bourse de Milan ?
06:37Je rappelle que René Chapeau de la bourse de Milan depuis l'arrivée au pouvoir de l'extrême droite.
06:43En Italie, il y a eu clairement une décision délibérée de créer une sorte de découplage entre l'agenda national et l'agenda européen.
06:54L'action du gouvernement italien est irréprochable sur le plan économique et européen.
07:01L'ensemble des projets qu'on conduit sont favorisés et encouragés.
07:07Il n'y a rien à dire. Dans le contexte notamment de la relation avec l'Union européenne sur Next Generation EU, il n'y a rien à dire.
07:13Sur l'agenda local, c'est une question pour les citoyens italiens, sur laquelle je n'ai pas de commentaire à faire.
07:19Vous, vous ne pilotez pas 7 bourses différentes. En fait, vous pilotez une sorte de grande bourse pour 7 pays européens.
07:26Absolument, un seul marché.
07:27Voilà, un seul marché. Il y a un quart des échanges boursiers européens qui transitent par votre société Euronext.
07:32Alors, comment fait-on pour coordonner les marchés unis de 7 pays, quand plusieurs d'entre eux triomphent des forces politiques,
07:38souverainistes, europhobes, qui prônent la préférence nationale ?
07:43Je rappelle qu'il y a une vraie poussée de l'extrême droite au Portugal, que l'extrême droite est rentrée au gouvernement aux Pays-Bas,
07:48qu'elle gouverne en Italie, qu'elle arrive largement, de manière écrasante, en tête en France après les européennes.
07:54Ça se passe très bien, parce que la réalité, c'est que quand les gens arrivent aux affaires, ils voient bien que les scénarios de fragmentation,
08:02de retour à une petite bourse 7 nationales, n'auraient aucun intérêt pour l'économie locale.
08:08Ce que nous faisons, nous, c'est de connecter les entreprises qui ont besoin de financer les risques qu'elles prennent avec les marchés mondiaux.
08:14On essaye de régler le problème des entreprises qui n'ont pas assez d'argent et beaucoup d'idées, avec des investisseurs qui ont beaucoup d'argent et pas d'idées.
08:20Et donc, on les connecte pour financer la croissance.
08:23Ça, c'est quelque chose qui est plus facile à faire quand on a un grand marché intégré, quand on a un petit marché plémobile.
08:28Et donc, les pays, quelles que soient les équipes qui les gouvernent, ont du mal à trouver une alternative qui serait plus efficace.
08:36Et donc, leurs préoccupations identitaires au national, généralement, ils les expriment en dehors des marchés de capitaux qui ont besoin d'une forme d'intégration partout et tout le temps.
08:46Et on risque une fuite des capitaux en France. S'il y a un des scénarios qui va devenir là, à partir du 8 juillet, inquiète les investisseurs ?
08:54Non, parce que je ne sais pas ce que ça veut dire une fuite des capitaux. Les capitaux, ils sont mobiles aujourd'hui.
08:59Ce que vous voyez, je vous renvoie à votre toute première question, ce que vous voyez aujourd'hui, ce sont des gens qui décident de demander plus de rendement quand ils achètent de la dette française,
09:08qui disent donnez-moi un autre taux d'intérêt plus élevé parce que je ne sais pas si les conditions de remboursement seront les mêmes dans 10 ans qu'elles le sont aujourd'hui.
09:14Ce sont des gens qui disent finalement le rendement de certaines entreprises par rapport à d'autres endroits de la planète sera meilleur et donc je vends des actions françaises.
09:21Donc je crois que les capitaux, ils sont déjà mobiles.
09:23Merci Stéphane Boujna.
09:24Je vous en prie.