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« L’agriculture, une diva à réveiller ?»

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00:00Bonjour, bienvenue sur le plateau de la Space Web TV. J'accueille Jean-Marie Serroni. Bonjour.
00:13Bonjour.
00:14Vous êtes économiste. On va parler d'un livre que vous sortez et que je vais présenter
00:20qui s'appelle « L'agriculture française, une diva à réveiller ». Alors vous êtes
00:25assez dur parfois dans ce livre. Vous parlez de l'agriculture française comme d'une diva
00:30égocentrée, dépressive où les agriculteurs se sentent marginalisés parfois et concurrencés.
00:37Est-ce que ce n'est pas trop dur cette vision des choses ?
00:41Alors je pense que l'essai que j'ai rédigé, il peut être perçu comme dur, mais il est
00:46surtout très optimiste. La question que je me pose dans cet essai, c'est une diva à
00:51réveiller, c'est de se dire pourquoi, alors qu'on a un contexte extrêmement favorable
00:56et qu'on a un potentiel, me semble-t-il, et je suis économiste mais aussi et surtout
01:00agronome, un potentiel extraordinaire, pourquoi nos performances sont plutôt en train de
01:06baisser ? Alors une diva, qu'est-ce que c'est qu'une diva ? C'est fascinant une diva.
01:12Teresa Berganza, la Calas, ce sont des gens qui ont beaucoup de talent, hors d'autre
01:18part, l'agriculture a beaucoup de talent, j'ai toute une partie sur tous les talents
01:21de l'agriculture, des gains de productivité, des gains de performances phénoménaux qui
01:26ont permis de sauver le panier de la ménagère, de ne pas augmenter les prix. Tout ça, c'est
01:30les agriculteurs qui l'ont fait. Mais le problème d'une diva, c'est qu'elle regarde
01:34qu'elle. Elle est éco-centrée et une diva, au bout d'un moment, disparaît de la scène
01:39parce qu'elle n'est plus en phase. Il ne faudrait pas que notre agriculture soit déphasée.
01:43Elle est éco-centrée parce qu'elle se regarde trop le nombril, elle ne regarde pas le monde
01:47qui change. Pourquoi dans ce modèle agricole, les agriculteurs ont peur de l'avenir ? Pourquoi
01:52selon vous ? Pourquoi ils ont peur de l'avenir ? Je pense que cette question de confiance,
01:57c'est très à la mode tout de suite en France, la question de la confiance. La confiance,
02:01elle se nourrit de la connaissance, de se rendre compte de l'état du monde dans lequel
02:06on est. Par exemple, nous sommes au SPAS, on va sûrement parler de crise laitière.
02:12Or, des producteurs de lait, sur la campagne en cours, vraisemblablement, n'auront pas eu
02:17des prix aussi élevés en valeur réelle de toute leur carrière. Et on a le sentiment
02:22d'être en crise. Ils n'ont, selon vous, pas de raison d'avoir peur et d'être inquiets
02:27du contexte actuel ? Alors, on sait que les prix laitiers vont baisser. Mais ils sont
02:32très élevés. Ils vont baisser, mais pas au niveau de là où ils avaient baissé en
02:362009. On sait qu'on est dans un monde variable. On a été habitué à un monde constant.
02:41On sait qu'on est dans un monde variable. Donc, il faut gérer dans ce monde variable.
02:45J'ai passé des mois avec du prix élevé. J'ai dû faire des réserves que je vais
02:49utiliser pendant 6 mois. On va être un peu plus bas.
02:52Vous parlez des prix. Ceci dit, les charges des agriculteurs, des éleveurs ont aussi
02:57augmenté. Ils ont une vision globale à la fois des prix et des charges. Ils regardent
03:05leurs revenus à la fin de l'année.
03:07Bien sûr, il faut regarder ses revenus. Il faut raisonner ses coûts de production.
03:12Mais il faut aussi rapporter les choses à leur juste valeur. Il faut maîtriser ses
03:18coûts de production. On sait qu'il y a des charges qui vont augmenter et que, notamment,
03:23il faut augmenter son autonomie protéique au niveau de l'élevage. On sait que dans
03:29l'Ouest, on a un gisement qui est la prairie, qui est l'herbe, qui est sous-valorisée
03:35et qui est une façon économique de produire du lait. Dans un monde qui change, il faut
03:41comprendre l'environnement, comprendre les contraintes dans lesquelles on est et naviguer
03:45avec et ne pas avoir ce sentiment de subir quelque chose qui est extérieur à nous.
03:50L'environnement est extérieur à nous, mais les décisions qu'on prend dedans, c'est
03:54nous. C'est moi, chef d'entreprise, qui les prends. On ne me les impose pas.
03:57Dans ce contexte qui évolue très rapidement ces derniers mois et va évoluer encore et
04:04restructure le paysage agricole français, vous parlez de votre métier également, du
04:09conseil, et vous expliquez que les agriculteurs aujourd'hui sont quasiment, voire même plus
04:16formés que leurs propres conseillers. Est-ce que c'est la mort du conseil ou est-ce que
04:23c'est la mort d'un conseil qui va obligatoirement évoluer ?
04:29C'est un peu provocateur, mais je dirais que c'est le début du conseil. Ce qu'on
04:35appelait du conseil, c'est vrai dans le monde de la gestion, mais c'est vrai dans le monde
04:39de la technique, c'est vrai dans le monde de la génétique. Ce qu'on appelait du conseil,
04:44c'était souvent du transfert de connaissances. Moi, j'en savais plus et je ne conseillais
04:49pas à mon client, je lui apportais une information. Aujourd'hui, est-ce que les agriculteurs
04:55sont de plus en plus formés ? Et on peut très bien conseiller quelqu'un qui est davantage
05:01formé que soi. Je suis chef d'entreprise, je suis ingénieur agro, expert comptable,
05:06j'ai des conseillers qui n'ont pas ces diplômes-là et j'ai besoin d'eux. En tant que chef
05:10d'entreprise, j'ai besoin d'être conseillé. Donc ça, c'est le premier élément. Et le
05:13deuxième élément, c'est qu'aujourd'hui, avec Internet, tout le monde peut accéder
05:17à toutes les informations. Donc mon métier de conseiller ne se résume plus à transférer
05:22des informations. La valeur que j'amène, c'est la posture que j'ai par rapport à
05:27mon client, c'est de l'aider à y voir clair et c'est tout le savoir collectif que j'ai
05:32élaboré avec mes collègues au niveau des méthodes et au niveau de l'analyse prospective
05:37de ce qui pourrait se passer demain.
05:39Sur la thématique du conseil, la loi d'avenir agricole initie un nouveau concept que sont
05:48les GI2E. Ça va être une nouvelle forme de conseil entre agriculteurs, un partage
05:52d'informations du conseil ?
05:54Je pense que l'évolution de l'agriculture, elle va à la fois être constituée d'alliances
06:02qui vont se nouer entre des agriculteurs, d'alliances totales de fusion mais aussi
06:06d'alliances partielles et donc le GI2E peut être un support et que d'autre part,
06:11dans cette quête permanente d'évolution où il n'y a pas de chose inscrite, où il
06:17faut inventer en allant, le fait d'échanger est essentiel. Et d'autre part, les agriculteurs
06:23comme tout chef d'entreprise, comme toute personne, ont besoin d'échanger. Et donc
06:26les GI2E sont des supports modernes pour favoriser ces échanges et cette recherche
06:33progressive par les acteurs eux-mêmes.
06:36Dans ce contexte qui évolue beaucoup, vous dites également que les agriculteurs doivent
06:41avoir une nouvelle vision de l'entreprise agricole. Les agriculteurs eux-mêmes et leurs
06:47représentants doivent avoir une autre vision, une vision plus entrepreneuriale et de ne
06:52pas avoir peur de cette vision-là. Vous faites même le corollaire avec l'artisanat
06:58par exemple où une entreprise de quelques salariés s'est perçue comme une petite
07:05entreprise alors que dès lors qu'on a une structure un peu plus importante en agriculture,
07:12on l'aperçoit tout de suite comme une entreprise industrielle, une agriculture industrielle
07:17avec tous les côtés péjoratifs que l'on peut mettre derrière. Il faut que les agriculteurs
07:22changent leur vision là-dessus ?
07:24Je pense qu'au plan de la politique agricole et donc du consensus agricole, on ne fera
07:29pas l'économie d'une réflexion sur ce que c'est que l'entreprise agricole ou même
07:34l'entreprise familiale. Nous sommes tous attachés à l'entreprise agricole familiale.
07:40Par contre, il faut définir ce que c'est qu'une entreprise agricole familiale. Est-ce
07:44que c'est le fait de prendre des décisions, de détenir le capital, de transpirer sur
07:48l'exploitation ? Qu'est-ce que c'est que le fait que ce soit familial ? On économisera
07:53pas cette réflexion et on économisera pas une deuxième réflexion qui est le rapport
07:58entre l'individu et l'entreprise. On a aujourd'hui beaucoup de caractéristiques
08:03de l'agriculture qui sont liées à la personne même de l'agriculteur et non pas à l'entreprise.
08:08Trop ?
08:09Trop. Je pense au statut du fermage et au nouveau statut d'agriculteur actif qui mettent
08:14une confusion entre la personne et l'entreprise.
08:18Les agriculteurs eux-mêmes et les syndicats ont défendu cette idée de définir l'actif
08:24dans la loi d'avenir. C'est une mauvaise idée selon vous ?
08:27Je ne partage pas tous les points de vue des syndicats et de l'ensemble des syndicats
08:30parce qu'ils ont tous des points de vue assez différents. Mais la Suisse retrouve
08:32et tous sur la notion d'actif. Mais qu'est-ce que c'est que le fondement de cette notion
08:36d'actif ? Ce n'est pas une réflexion sur l'entreprise et sur demain. C'est de dire
08:39– je vais être un peu brutal – le volume des ZPAC diminue. On ne veut qu'uniquement
08:45les gens qui transpirent eux-mêmes sur l'entreprise agricole qui touchent les Z. Pas les gens
08:49qui sont uniquement en situation de manager ou de propriétaire. La vraie motivation,
08:52elle est là. Elle a une certaine noblesse d'ailleurs par rapport aux Z. Mais par
08:56rapport à l'avenir de l'agriculture, l'entreprise agricole a besoin de toutes
08:59ses parties prenantes. Elle aura besoin de mains d'actionnaires, elle a besoin de gestionnaires
09:03et elle a besoin de travailleurs et de salariés. Il y a de plus en plus de salariés dans
09:08l'entreprise agricole. Il y a des salariés qui deviennent chefs d'entreprise agricole
09:11et parfois le contraire d'ailleurs, l'inverse. Donc on a besoin de tout ce monde et il ne
09:15faut pas figer les choses juridiquement.
09:18Sur le plan juridique et fiscal également, il y a des choses à imaginer pour accompagner
09:27cette nouvelle vision de l'agriculture entrepreneuriale ?
09:30On a clairement des choses à imaginer, il y a clairement des blocages aujourd'hui.
09:35On a une fiscalité agricole qui est pour l'essentiel une fiscalité du particulier.
09:39L'exemple le plus simple sur lequel tout le monde est d'accord, je suis agriculteur,
09:44je fais du résultat, je laisse la moitié du résultat dans mon entreprise, la trésorerie
09:48pour passer les... et bien n'empêche que je suis imposé sur la totalité du résultat
09:52même si je l'ai laissé dans l'entreprise. Donc ça c'est un frein à l'avenir.
09:56Donc il faut une fiscalité qui soit véritablement une fiscalité d'entreprise, il faut une fiscalité
10:01qui pousse moins à immobiliser, on immobilise trop dans l'agriculture, pour des raisons
10:06culturelles mais aussi des raisons fiscales. Et sur le juridique, il faut qu'on ait des
10:13formes plus souples d'alliance entre les agriculteurs. Le GI2E sera peut-être une avancée.
10:19Il faut que... je pense que le statut du fermage bloque un certain nombre d'évolutions,
10:25donc il faut préserver l'outil bien sûr par le statut du fermage, mais il faut avoir
10:28une vision moins liée à la personne et notamment il faudrait que, ça me paraît une évidence,
10:34que tous les beaux deviennent cessibles, de même que les contrats, d'ailleurs les contrats laitiers
10:39deviennent cessibles pour constituer un véritable fonds d'entreprise agricole qui soit propriété
10:44de l'agriculteur.
10:45Vous parlez également de culture du foncier, aujourd'hui pour vous c'est aberrant,
10:50vu les prix du foncier qui augmentent et qui vont encore augmenter, vous trouvez aberrant
10:55de vouloir à tout prix être propriétaire de la terre qu'on exploite ?
10:59Voilà, les prix du foncier augmentent, c'est vécu par beaucoup d'agriculteurs comme un problème.
11:03Moi je trouve que c'est une opportunité phénoménale, parce que le prix du foncier augmente,
11:07donc ça va intéresser les investisseurs, donc je ne vais plus être obligé d'acheter.
11:12Et par ailleurs avec la crise, il y a des investisseurs qui ont envie de diversifier,
11:15il y a des demandes, aujourd'hui il y a plus de demandes que d'offres.
11:19Pourquoi immobiliser tout mon patrimoine dans du foncier ?
11:23Que je fasse des réserves, oui, que j'ai un peu de foncier, pourquoi pas ?
11:26Mais pas tout, et l'idée que si je prépare ma retraite, mais si je prépare ma retraite
11:31en mettant tous mes capitaux dans l'entreprise que je vais céder,
11:34je complique la cession et je fiche tout au même endroit.
11:39Si j'ai un peu de liquidité, un peu d'argent, je peux avoir du foncier,
11:42mais je peux peut-être aussi acheter un appartement dans la ville près de chez moi.
11:46Et du reste, un certain nombre d'agriculteurs le font déjà bien sûr.
11:48Est-ce que globalement, en parlant de tout ça, est-ce qu'on peut concilier
11:54l'évolution de l'agriculture dans son environnement concurrentiel de plus en plus international
12:00et maintenir une exception agriculturelle auquel la France est attachée ?
12:06Je suis absolument persuadé de cette réalité, je suis très très optimiste sur l'agriculture française.
12:12Ça fait 35 ans que j'ai la chance de travailler avec les agriculteurs dans différents métiers,
12:18et je crois qu'on n'a jamais connu un contexte aussi favorable.
12:22On a des marchés mondiaux, une demande mondiale qui augmente et qui va continuer à augmenter,
12:27plus vite que l'offre.
12:29Quand on est chef d'entreprise, avoir un marché en croissance, tout le monde voudrait avoir ça.
12:33Alors après l'exception, je pense que l'exception elle est parce que nous, nous sommes exceptionnels.
12:38Nos agriculteurs, l'agriculture française a un potentiel naturel que peu de pays ont,
12:44de par nos sols et nos climats.
12:46On a des compétences d'agriculteurs extrêmement élevées.
12:50On a une organisation qui a fait ses preuves, globale.
12:55Par contre, il faut que tout ça s'adapte à ce monde qui change.
12:58Et l'exception culturelle, elle ne viendra pas de réglementation.
13:01Je rappelle le titre de votre livre, L'agriculture française, une diva à réveiller.
13:05C'est déjà disponible sur internet et ça le sera le 2 octobre en librairie.
13:10Jean-Marie Sorny, merci.
13:11Merci beaucoup.

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