Pierre-Louis Bras, ex-président du Conseil d'orientation des retraites (COR), est l'invité de Sonia Devillers. Après des semaines de rumeurs, il a été démis de ses fonctions en octobre dernier. Il revient sur son éviction. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-21-novembre-2023-9305095
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00:00 - Agnès de Villers, votre invité ce matin a été président du conseil d'orientation des retraites pendant 8 ans.
00:06 - Et il a été débarqué au mois d'octobre, il y a donc un mois. Bonjour Pierre-Louis Bras.
00:12 - Bonjour.
00:13 - Qu'est-ce que vous éprouvez il y a un mois donc lorsque vous êtes officiellement démis de vos fonctions après des semaines et des semaines de rumeurs ?
00:22 - C'est jamais agréable de devoir arrêter un travail passionnant. Enfin la question ce n'est pas mes états d'âme, il y a des choses plus graves qui arrivent.
00:30 Dans la République personne n'est propriétaire de ses fonctions. Le président Ducor est nommé en conseil des ministres et donc le gouvernement pouvait tout à fait changer de titulaire pour la fonction.
00:41 - Qu'est-ce que le gouvernement vous a reproché officieusement ?
00:44 - Alors clairement le gouvernement a voulu pour justifier sa réforme de retraite construire un discours un peu dramatisant autour de cette question, autour de la France vieillit donc ça va être la faillite, il n'y aura plus de retraite donc il faut repousser l'âge.
00:58 Il se trouve que cette histoire qui servait à justifier la réforme ne correspondait pas parfaitement à ce qui ressort des travaux et des rapports Ducor.
01:07 Et donc moi je n'ai simplement, et c'était mon devoir, traduit, reproduit ce que disaient les rapports Ducor. D'où la tension.
01:16 - D'où la tension. Alors pour être très clair c'est que même si la France vieillit, c'est ce que vous avez expliqué, la charge ne sera pas plus forte.
01:26 C'est-à-dire que nous n'allons pas à la faillite comme l'avait promis Gabriel Attal.
01:30 - Oui, bien sûr la France vieillit ça c'est indéniable. Il y a aujourd'hui 1,7 quotisants pour un retraité, il y en aura 1,4 en 2050.
01:39 - Là-dessus tout le monde est d'accord. - Tout le monde est d'accord. Néanmoins pour autant les dépenses ne dérapent pas, la charge ne va pas s'accroître sur les actifs
01:46 parce qu'on va donner moins à chacun des retraités demain relativement à ce que gagnent les actifs.
01:53 Et donc ces deux forces sont contradictoires et en gros elles aboutissent à une stabilisation voire à une diminution de la charge des retraites.
02:02 Donc c'est pour ça que les dépenses de retraite ne dérapent pas. C'est ce que j'ai dit et c'est ce qu'on m'a reproché mais c'est néanmoins ce qui établisse les rapports Ducor.
02:10 - Alors ce que vous avez dit, où l'avez-vous dit ? Parce que pendant vos neuf années de présidence du conseil d'orientation des retraites vous ne vous êtes quasiment pas exprimé dans la presse.
02:21 - Oui, oui, tout à fait. Mon rôle n'était pas de participer aux polémiques. Je me suis exprimé à l'Assemblée Nationale.
02:27 - A l'Assemblée Nationale, devant la commission de finances. - Oui, parce que là quand je suis convoqué par l'Assemblée Nationale, ils m'impartiennent dans rendre compte des travaux Ducor et c'est ce que j'ai fait.
02:35 - Alors vous dites ça ne va pas déraper. Instantanément cette phrase et même cette séquence vidéo sont découpées. Tous les adversaires de la réforme proposée par le gouvernement s'en emparent.
02:45 Toute la séquence devient virale. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Votre téléphone sonne beaucoup. On vous somme de ne pas...
02:53 - Non, non. Le gouvernement n'a pas fait de pression directe. Parce que de toute façon, le gouvernement il est représenté au sein Ducor.
03:00 Donc les données que j'ai reproduites, que j'ai portées à la connaissance, le gouvernement les connaît parfaitement. Au sein Ducor il y a les administrations centrales.
03:10 Les administrations centrales, la direction de la sécurité sociale, la direction du budget, la direction du trésor, elles dépendent du gouvernement.
03:16 Donc pour le gouvernement ce n'était pas une découverte.
03:19 - Et pourtant Elisabeth Borne, chef du gouvernement, reproche publiquement à Pierre Louisbras, le président du Conseil d'orientation des retraites, de donner une lecture bien personnelle de tous ces chiffres.
03:31 - Eh bien, je pense que c'est sa lecture à elle qui était personnelle des chiffres. Dès lors qu'un sujet devient un sujet qui rentre dans le conflit politique, il y a des conflits d'histoire, de narration.
03:43 Tout le monde le sait. Et effectivement, le gouvernement a souhaité une narration un peu simple. C'est dramatique, il va y avoir une faillite.
03:52 Il voulait jouer sur la peur. La peur que demain il n'y ait pas de retraite. Et c'est une peur qui est répandue. Il y a beaucoup de jeunes qui disent que demain il n'y aura pas de retraite.
04:00 Donc en jouant sur cette peur, il pensait légitimer la réforme. Il se trouve que ça ne correspondait pas aux données de base. Et donc moi j'ai reproduit et j'ai porté les données de base.
04:10 - Alors vous êtes perçu dès lors comme un opposant à cette réforme des retraites, maintenant que vous êtes débarrassé de ce devoir de réserve, puisque vous n'êtes plus président du Conseil d'orientation des retraites.
04:18 Vous êtes un opposant à cette réforme des retraites ?
04:21 - Alors, sur cette réforme des retraites, je pense qu'il faut poser le débat en d'autres termes. Il est clair que si on repousse de l'âge de la retraite, il y a plus de gens qui travailleront, on produira plus et on sera plus riche.
04:34 En contrepartie de cette richesse supplémentaire, il y aura moins de temps libéré pour les loisirs ou pour s'occuper des parents dépendants ou des petits-enfants, ou ainsi de suite.
04:45 C'est ça le choix sociétal, le choix de bien-être. Et c'est de ce choix-là qu'on aurait dû discuter, et non pas de "ça va être la faillite".
04:54 Mais ce choix-là, ça dépend aussi des préférences de chacun. Il y a des gens qui adorent leur travail, c'était mon cas, il y en a qui préfèrent les loisirs.
05:05 Ça c'est un choix sociétal, un choix de bien-être qu'il faut faire en toute transparence, mais pas sous l'injonction de "demain ça va être la faillite".
05:12 - Donc vous ne m'avez pas répondu. Elle a été bien faite cette réforme des retraites ?
05:16 - Je ne vous répondrai pas parce que mon propos, même si je suis plus président du corps, c'est de donner les éléments du débat.
05:22 Comme je vous l'ai dit, par rapport à ce débat, le choix entre être plus riche ou avoir plus de temps libéré, c'est un choix qui renvoie aux préférences de chacun.
05:32 Et ce n'est pas un technocrate de dire ce que doivent être les préférences, sauf à devenir paternaliste et à dire "les Français sont des feignants" et ainsi de suite, ce qui n'est pas du tout mon attitude.
05:41 - Être plus riche, ça signifie quoi, Pierre-Louis Braat ? Parce que quid du niveau de vie des retraités ?
05:49 - Alors aujourd'hui, le niveau de vie des retraités est globalement à parité avec celui des actifs, même si bien évidemment il y a des retraités riches, il y a des retraités pauvres, il y a des actifs riches, il y a des actifs pauvres.
05:58 Et relativement aux actifs, ce niveau de vie va progressivement diminuer si les Français ne changent pas leur comportement.
06:05 Et c'est d'ailleurs pour ça que les retraites ne dérapent pas, c'est parce qu'on donnera moins aux retraités relativement à ce que gagnent les actifs.
06:12 Donc ça aussi, ça peut être considéré comme un problème, néanmoins là aussi, les Français pourront éventuellement réagir par rapport à cette évolution qui est inscrite dans notre système de retraite,
06:23 soit en épargnant plus pendant leur vie active, soit en repoussant d'eux-mêmes, sans qu'on les y force par une évolution de la législation, leur âge de la retraite.
06:31 C'est un ajustement qui renvoie aux préférences de chacun, parce qu'on peut à nouveau préférer le temps libre ou les revenus, on ne peut pas avoir les deux.
06:40 - Pierre Louisbras, au mois de juin, le COR, le Conseil d'orientation des retraites, publie un nouveau rapport.
06:45 Et là, c'est un tombereau d'accusations et de reproches qui vous tombent dessus, où en gros, on lit dans la bouche du ministre du Travail, de la Première Ministre, d'élus du Modem,
06:57 voilà le COR qui dit le contraire de ce qu'il nous avait annoncé l'année dernière.
07:03 - Donc, vous pouvez relire les rapports, ils sont complètement cohérents. Ce qui a à nouveau suscité des tensions, c'est parce que le gouvernement avait dit en 2030,
07:13 on sera à l'équilibre avec notre réforme. Il se trouve que le nouveau rapport du COR montre qu'on n'est pas à l'équilibre en 2030.
07:19 Et puis, ce que montre le rapport du COR aussi, et ce qui a un peu énervé le gouvernement, mais c'est la réalité des données, c'est que si dans un premier temps, avec cette réforme, on fait des économies,
07:30 puisqu'on repousse l'âge de la retraite, il y a des gens qui ne perçoivent pas leur retraite, et donc ça fait faire des économies, à long terme, cette réforme va augmenter les dépenses.
07:39 Alors c'est un peu difficile à comprendre, mais dans un premier temps, vous faites des économies parce que les gens partent plus tard, mais ils partent avec une meilleure retraite.
07:46 Et donc, avec le temps, il y a de plus en plus de retraités qui ont une meilleure retraite, et donc à la fin, ça coûte.
07:52 Et en plus, le gouvernement avait pris des mesures favorables pour les plus basses retraites, la retraite à 1200 euros, qui monte en charge elle aussi progressivement,
08:00 et donc à 10 ans, ça fait faire des économies, à 30 ans, ça fait faire des dépenses.
08:05 - Vous voici remercié Pierre-Louis Bras en octobre dernier, votre successeur, et professeur d'économie, et non pas économiste donc, et non pas haut fonctionnaire comme vous l'êtes,
08:14 il s'appelle Gilbert Cet, il a été plus ou moins ouvertement favorable à cette retraite, il l'a même écrit, il l'a même dit publiquement.
08:22 Qu'est-ce que vous pensez de son profil, qu'est-ce que vous pensez de son indépendance ?
08:25 - Non, je ne souhaite pas me prononcer sur le profil de mon successeur, ce n'est pas un jeu.
08:31 - Quel âge avez-vous Pierre-Louis Bras ?
08:33 - J'ai 65 ans, et donc après avoir étudié la retraite, il va falloir un jour peut-être que je pense à la prendre.
08:40 - Merci Pierre-Louis Bras !