Zoom d'été - Daniel Dory - Opérateurs, commanditaire, services secrets : la fabrique du terrorisme

  • il y a 3 mois
Mon choix s’est porté sur un entretien récent avec Daniel Dory. Ce géographe et criminologue, spécialiste dans les questions de terrorisme, est venu nous parler de son dernier ouvrage sur ce sujet et revient à cette occasion sur la menace qui plane sur les Jeux Olympiques de Paris, ce qui rend cet entretien très actuel !
L’intérêt spécifique des échanges avec Daniel Dory réside dans un alliage détonant entre la rigueur scientifique et une manière décomplexée et parfois malicieuse d’évoquer le sujet. Son analyse froide mais efficace permet de mieux envisager la complexité du terrorisme sans être parasité par des scories politiquement correctes ou des sentiments sans grande utilité pour la compréhension du sujet.

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Transcription
00:00– Sous-titrage Société Radio-Canada
00:05– Sous-titrage Société Radio-Canada
00:11– Mon invité pour ce Zoom est bien connu des téléspectateurs de TV Liberté,
00:14il s'agit de Daniel Dory, le géographe, spécialiste notamment du terrorisme,
00:18auteur de nombreux ouvrages sur la question,
00:21qui participe notamment à la revue Conflit.
00:24Bonjour Daniel. – Bonjour.
00:25– Votre nouvel ouvrage, paru en février, c'est Étudier le terrorisme,
00:30aux éditions VA Éditions, collection Terrorisme.
00:33Il porte, comme son nom l'indique, sur le terrorisme,
00:36et il donne une approche pluridimensionnelle de la notion du terrorisme.
00:42On va revenir là-dessus, je ne vais pas commencer mon entretien,
00:45comme à chaque fois, en vous demandant la définition du terrorisme,
00:47elle viendra bien après, mais je vais vous demander
00:50quelles menaces terroristes pèsent aujourd'hui sur la France,
00:53alors que les dernières attaques ont lieu fin 2023 à Arras,
00:58notamment près de la tour Eiffel,
00:59donc ça a été des attaques terroristes, pas des attentats d'ampleur,
01:02mais est-ce qu'aujourd'hui il pèse une menace terroriste sur la France,
01:05et si oui, laquelle ?
01:07– D'abord il faut commencer par savoir que le terrorisme
01:11est une des possibilités dans un vaste répertoire de la violence.
01:16S'il y a des attaques de nature plus spécifiquement terroristes
01:20que l'on va qualifier de terroristes,
01:23c'est-à-dire pas l'action déséquilibrée
01:28dont on décide avant ou après qu'il est vraiment déséquilibré ou pas,
01:32l'acte terroriste est lié, comme la définition,
01:36on peut déjà peut-être clarifier ce point,
01:39l'acte terroriste est fondamentalement un moyen de communication violent.
01:44Donc tous ceux qui ont envie, besoin de communiquer d'une façon violente
01:51et qui n'ont pas d'autres moyens de le faire,
01:53peuvent recourir à des actions de nature terroriste,
01:58soit pour s'adresser principalement à l'opinion publique,
02:02soit pour s'adresser principalement au gouvernement,
02:05ou pour s'adresser aussi à des mouvances différentes
02:10auxquelles on laisse entendre que l'on est toujours dans la lutte.
02:14Donc pour qu'il y ait du terrorisme, il faut à la fois
02:17que les victimes immédiates soient choisies de façon efficace
02:23pour porter le message et il faut qu'il y ait des entités étatiques ou pas étatiques,
02:29ça peut être un État qui, à la suite de quelques déclarations intempestives
02:34d'un chef de l'État dont on peut imaginer que ça peut se produire,
02:40énerve les dirigeants d'un autre pays en lui disant
02:43tiens nous allons le calmer un petit peu et nous allons envoyer
02:48ou nous allons encourager un certain nombre d'amis un petit peu violents
02:55pour faire une action de façon à ce que le message,
02:59suivant lequel on n'est pas content du tout, puisse être perçu.
03:04Donc dans le cas de la France, vu l'état des relations internationales de la France,
03:11de la quantité d'alliés que la France a et de la quantité d'ennemis
03:16ouverts ou déclarés ou cachés, parce qu'il y a des gens avec qui
03:21la France n'est pas nécessairement à bon terme mais qui ne le manifestent pas,
03:25donc il y a toute une série d'acteurs étatiques ou non étatiques
03:30qui peuvent être amenés à recourir ou pas à cette technique.
03:36Le terrorisme est simplement une technique, ce n'est pas une idéologie,
03:39ce n'est pas un ennemi, ce n'est pas une entité mystérieuse,
03:44c'est une technique à laquelle on recourt lorsque l'on a envie de faire passer un message.
03:49Et on choisit des victimes qui ont la capacité à transmettre.
03:54Exemple, les jeunes du Bataclan.
03:57Les jeunes du Bataclan, c'est l'état islamique qui transmet au gouvernement français
04:01son mécontentement du fait que la France bombarde l'état islamique en 2014.
04:08Et on va s'attaquer à des jeunes qui font la fête dans les 11e et 10e arrondissements,
04:14qui sont les 10e et 11e arrondissements dans lesquels le candidat Hollande,
04:17qui était le président à l'époque, avait eu ses plus hauts scores.
04:22– Donc c'est un message qu'on transmet.
04:23– C'est un message qu'on transmet.
04:25– Qui pourrait aujourd'hui être tenté de transmettre un message à Emmanuel Macron
04:29pour les Jeux Olympiques ou dans les mois qui viennent ?
04:32Quelle entité pourrait être la plus susceptible d'avoir quelque chose à réclamer
04:36ou un message à faire passer à la France ou à ses gouvernants ?
04:38– Mais il y a une grande quantité d'acteurs qui considèrent
04:43que les positions de la France et de Macron, en l'occurrence,
04:49peuvent être susceptibles de générer des actes de ce genre-là.
04:59La position de la diplomatie macronienne depuis quelques années
05:06a la particularité de contenter seulement l'État profond américain
05:12et même plus, à l'heure actuelle, les dirigeants israéliens,
05:18puisque la position sur la Palestine est quand même assez ambiguë finalement,
05:22vu la pression de la masse musulmane sur place.
05:26Donc il y a des tas d'acteurs, qu'on pense tout de suite bien sûr
05:31à des pays qui sont en guerre, pratiquement ouvertes,
05:34où on envoie des troupes sous forme de conseillers, etc.
05:40On peut concevoir que dans ces cas-là, il y a une certaine animosité.
05:45Il peut y avoir ça, il peut y avoir des groupes intérieurs
05:50qui sont organisés depuis longtemps et qui vont profiter d'un événement
05:55– on pense maintenant aux Jeux olympiques.
05:59Pourquoi on parle maintenant des Jeux olympiques et du terrorisme ?
06:04Parce que dans la mesure où le terrorisme est un moyen de communication,
06:12les Jeux olympiques sont un show communicationnel mondial.
06:16Donc il y a la presse du monde entier, il y a les touristes du monde entier.
06:22Donc c'est filmé, et ce n'est pas seulement les journalistes qui viennent,
06:28c'est aussi les passants.
06:30Maintenant chacun peut filmer, et donc ça va devenir une attaque
06:35qui pendant ces moments-là deviendrait tout à fait virale.
06:39Et donc pas seulement par les moyens de presse,
06:41mais aussi par les quelques touristes qui ne se seront pas encore fait dépouiller
06:45de leur téléphone portable.
06:48Donc il y a une fenêtre quand même d'action, assez brève il faut dire,
06:52mais il y a cette action.
06:54Donc ça va devenir viral très vite.
06:56Donc ça, ça fait que certains moments sont particulièrement…
07:00En contrepartie, pendant les Jeux olympiques,
07:04il va y avoir un contrôle tout à fait particulier des zones qui sont à haut risque.
07:09Mais la mobilisation excessive de forces de sécurité dans les périmètres choisis
07:17vont aboutir à dégarnir d'autres endroits qui peuvent être assez proches.
07:22Et là, on crée du risque différentiel significatif.
07:26Ça on a des expériences très claires qui montrent que
07:30lorsque l'on a peu de… comparativement peu ou relativement peu
07:35de moyens d'assurer la sécurisation d'un lieu,
07:40on le concentre dans les sites les plus exposés,
07:44ou que l'on considère les plus exposés,
07:46et on met beaucoup plus en danger d'autres endroits.
07:51Il est totalement impossible de savoir si cette fenêtre d'opportunité va être utilisée.
07:56Ce qui est certain, c'est que l'État français et la nation française,
08:05beaucoup plus encore que l'État français,
08:07sont soumis à une pression permanente, interne et externe,
08:13et souvent interne en relation avec des phénomènes externes,
08:16ça se voit avec l'affaire palestinienne très clairement de nos jours,
08:20qui font que, dans certaines conditions,
08:24le recours à la technique terroriste est possible.
08:28Mais ça peut être des émeutes, mais ça peut être des assassinats politiques,
08:33mais ça peut être des tas d'autres formes, à commencer par de la criminalité…
08:39– En revanche, c'est la partie faible qui a recours au terrorisme, généralement…
08:42– Pas toujours la partie faible, ça peut être un état fort…
08:45– On imagine mal quand même Israël qui est en guerre,
08:49faire un attentat en Occident, ça pourrait paraître étonnant.
08:52– Mais parfois des choses inimaginables ont lieu.
08:55Israël a fabriqué des groupes au Liban qui ont fait des attentats sous fond de rapport.
09:03Mais Israël, comme d'autres services, comme le service syrien,
09:06comme le service iranien, comme la CIA, comme le propre d'un service secret,
09:12on l'oublie trop souvent, et de faire des choses secrètes.
09:15Et parmi les choses secrètes que l'on fait, il y a parfois des méchancetés.
09:20Et les méchancetés peuvent être, comme les services français en Nouvelle-Zélande,
09:27faire sauter le Rainbow Warrior, qui était le bateau amiral de Greenpeace,
09:34avec un mort qui n'était pas du tout voulu, mais pas de chance, ça arrive.
09:39Mais c'est un acte quand même de nature qui ressemble beaucoup au terrorisme.
09:44Donc c'est un service secret qui peut le faire sans grandes difficultés intellectuelles.
09:50Donc c'est tout à fait possible que divers services, pour des raisons
09:54qui parfois sont très difficiles à comprendre quand on n'est pas dans les arcades,
10:01des relations entre les services, des relations internationales,
10:06une petite attaque peut être un moyen de dire,
10:11attention, on n'est pas content, ou ce ne serait pas une mauvaise idée
10:15de modifier votre position sur tel ou tel point.
10:18Et pour ceux qui reçoivent l'attaque, les choses sont généralement très claires.
10:21Ça a été le cas en France dans les années 80, dans les années 90.
10:25Dans les années 80, c'était les Iraniens avec des proxys
10:30qui étaient forts mais contents du fait que la France ne respecte pas
10:33les contrats nucléaires établis du temps du Shah d'Iran.
10:40Et dans les années 90, c'était la relation entre les services secrets algériens,
10:46les djihadistes algériens et l'État français.
10:49Et ça a été une relation à trois.
10:51Les uns manipulant les autres, suivant des jeux très très compliqués.
10:56Mais pour les analystes des services français, par exemple,
11:02il y avait une très grande lucidité, maintenant qu'on a les mémoires
11:07et que ces gens-là sont à la retraite et parlent plus facilement,
11:12il y avait une très très grande lucidité sur le fait que les coups venaient
11:17en même temps du GIA, donc le groupe islamique armé,
11:22et des services secrets algériens.
11:26– Et aujourd'hui, pour revenir aux Jeux Olympiques ou au mois qui viennent,
11:32il s'en paraît quand même que, si on se réfère aux dernières années,
11:35les attaques viennent quand même plus d'organisations terroristes
11:37de type État islamique, Al-Qaïda, donc ça reste probablement
11:40la menace première, la menace principale ?
11:43– L'islamisme, il faut être très prudent quand on parle d'organismes
11:47comme l'État islamique ou Al-Qaïda parce que ça donne une impression
11:51de structures pyramidales, etc.
11:55Et ça, c'est une erreur de raisonnement qu'en partie on doit
12:00à la militarisation de la lutte contre le terrorisme.
12:04Comme le terrorisme est fait par des entités qui sont visqueuses,
12:09on n'a pas affaire à des régiments d'infanterie prussienne,
12:13on a affaire à des nébuleuses dans lesquelles les individus passent
12:16d'une allégeance à l'autre, d'un territoire à l'autre,
12:19c'est exactement ce que la France a connu au Seine
12:24avec l'opération Serval, Barkhane, c'est-à-dire,
12:28ce n'était pas des troupes organisées, c'était des petits djihads villageois,
12:34etc. à laquelle on n'a rien compris.
12:37La logique, quand on ne comprend pas l'ennemi,
12:41c'est de penser qu'il nous ressemble.
12:44Lorsque des militaires imaginent un ennemi qui leur ressemble,
12:49ils ont une structure comme Al-Qaïda, un chef, des sous-chefs,
12:53des sous-sous-sous-chefs, puis des fifres, des sous-fifres
12:56et des soldats à pied.
12:58Les gens appartiennent à cette structure-là et on lutte
13:01contre cette structure-là en faisant la guerre du terrorisme,
13:04ce qui est évidemment absurde.
13:06Dans la réalité, on a des nébuleuses djihadistes
13:11qui peuvent comprendre des organisations qui se font
13:15et qui se défont.
13:16Par exemple, l'État islamique, sur place en Irak et en Syrie,
13:24est en très très mauvais état.
13:25Il y a des poches résiduelles qui n'ont plus de capacité à agir.
13:30Mais par contre, il y a une structure qui est tenue
13:35en grande partie par les services occidentaux,
13:38qui est au Corasan, c'est-à-dire schématiquement l'Afghanistan.
13:43Il y a un petit peu de Pakistan et un petit peu d'Iran,
13:45c'est la région historique du Corasan.
13:47Dans cette région-là, l'État islamique s'implante depuis 2015
13:52et comme l'État islamique a été à l'origine une création
13:56largement encouragée, pas créée, mais largement encouragée
14:01par les services occidentaux, c'est-à-dire les gentils,
14:04et dans le but de contrer l'influence chiite iranienne et libanaise,
14:13Hezbollah, qui dérange Israël et la Syrie de Bachar el-Assad.
14:21Cet État islamique résiduel se retrouve au Corasan.
14:27Au Corasan, il est sous l'œil bienveillant d'une série de services.
14:36Pour quelles raisons ? Parce que c'est un moyen de tenir les talibans.
14:42L'opération qui commence en 2001, après les attentats de 11 septembre,
14:51on envahit, enfin l'OTAN, les États-Unis envahissent l'Afghanistan
14:56et va donner lieu à une guerre absurde avant de produire en 2003
15:01la guerre aussi absurde que criminelle en Irak.
15:06Et la lutte contre les talibans va commencer vraiment effectivement
15:11dans les années 2009, 10, 11, lorsque les talibans se remettent
15:17à fonctionner de façon efficace avec en partie l'aide des services pakistanais,
15:22mais ça c'est une autre histoire.
15:24Ce qui est important de retenir, c'est que lorsque, il y a deux ans,
15:28les États-Unis évacuent, dans des conditions épouvantables,
15:33l'Afghanistan, il est bon d'avoir un contrôle sur place.
15:37On ne peut plus avoir des marines, des GIs, il est nécessaire d'avoir...
15:41Donc on a ce que font la plupart des services et des armées,
15:46c'est-à-dire des supplétifs.
15:48Les supplétifs, c'est une vaste mouvance de gens qui luttent contre les talibans
15:53pour des raisons religieuses, pour des raisons ethniques,
15:55pour des raisons culturelles, pour des raisons de criminalité particulière,
15:58de concurrence criminelle en ce qui concerne l'opium,
16:01c'est quand même une région à opium,
16:03de la contrebande avec le Tadjikistan en particulier.
16:06Il y a des tas de raisons qui font que les talibans n'ont pas que des amis.
16:11Et donc il est facile d'avoir une entité que l'on va plus ou moins inventer
16:19et qui existe plus ou moins, visqueuse, une espèce de méduse
16:24qui de temps en temps absorbe des groupes, des familles, des clans,
16:28qui va être l'État islamique au corazon,
16:31qui fait des attentats à Kaboul, qui fait des attentats contre les chiites,
16:35mais qui va faire des attentats en Iran très récemment
16:42dans un acte de commémoration après l'assassinat du général Suleiman
16:50et puis qui va faire l'attentat du crocus à Moscou.
16:55Parce que ce sont des tadjiks qui vont aller sous la rubrique
17:00État islamique du corazon.
17:03Alors là on a un exemple de la complexité des faits.
17:06C'est-à-dire qu'on a une nébuleuse qui est utilisée,
17:08et cette nébuleuse on la trouve en France, on la trouve partout,
17:11où il y a une population musulmane pour ce type de terrorisme,
17:16qui est une toute petite fraction qui est susceptible de passer à l'acte.
17:22Il y a le noyau actif, c'est généralement mille…
17:26On a l'évaluation parce que l'on sait dans le cas français
17:30que l'on a des gens en prison, on a une radicalisation en prison,
17:34donc on peut les compter puisqu'ils sont en prison,
17:36enfin avant qu'ils s'évadent, et l'on a ces gens qui sont suivis.
17:41Bien entendu tous les fichés S ne sont pas intéressants,
17:44ça va de soi qu'il ne faut pas les…
17:46Les fichés S ont produit des fantasmes journalistiques
17:51et des fantasmes politiques comiques,
17:55mais d'ailleurs il vaut mieux que les fichés S soient traités discrètement
18:01puisque c'est une source d'information lorsqu'ils se déplacent.
18:05Mais ça représente de l'ordre de quelques milliers d'individus,
18:11c'est-à-dire que c'est très très peu,
18:13mais la mouvance est beaucoup plus vaste,
18:17c'est des mosquées, c'est des écoles, c'est des lieux de différents trafics.
18:23– Elle peut être partielle j'imagine,
18:24puisqu'il peut y avoir au sein de certaines institutions,
18:26même éducatives ou religieuses musulmanes,
18:29des gens qui partagent des idées qui poussent au terrorisme
18:32et d'autres qui seraient radicalement opposés.
18:34– Mais bien entendu, et d'autres qui sont tout aussi radicaux,
18:39c'est pourquoi l'idée de radicalisation est une idée saugrenue,
18:42puisqu'on peut avoir des gens extrêmement radicaux
18:45en pensant qu'il est temps de mettre fin
18:50à la domination satanique de l'idéologie, du genre et d'autres choses.
18:55Je pense que des islamistes voyant le concours d'Eurovision
19:01ont quand même quelques idées qui peuvent ne pas être très sympathiques
19:06sur l'évolution de l'Occident, mais qui ne vont pas tuer une mouche,
19:12c'est-à-dire qu'ils vont avoir cette idée-là
19:15et essayer de lutter par le prosélytisme, par la propagande,
19:21par la saccade, c'est-à-dire l'aumône.
19:23Et la petite partie qui est susceptible de passer à l'acte
19:30est une partie qui n'est pas nécessairement radicalisée au niveau idéologique.
19:35Ça peut être des gens qui ont des conversions très rapides,
19:41qui ont des illuminations,
19:44qui ont par ailleurs une certaine habitude de la violence,
19:48parce que c'est généralement ce que l'on a dans le profil habituel
19:53de ce type de passage à l'acte terroriste.
19:56On a des gens qui ont l'habitude d'utiliser des armes,
20:00d'avoir des caches, d'avoir des faux passeports.
20:02– C'est un croisé du banditisme.
20:04– Mais bien entendu, ce n'est pas parce que c'est une raison idéologique,
20:08c'est parce que ça donne des compétences.
20:10Le fait de savoir vivre dans la clandestinité n'est pas donné à tout le monde.
20:14Le fait de savoir se servir d'une Kalachnikov de façon convenable
20:17n'est pas donné à tout le monde, et ainsi de suite.
20:20Donc il y a des gens qui ont une compétence suffisante
20:25et une toute petite partie de ceux qui ont ces compétences
20:29vont basculer vers des actes de caractère politique,
20:33c'est-à-dire le terrorisme.
20:35Mais contrairement aussi à ce que l'on pense d'habitude,
20:39il y a beaucoup moins d'osmos et de fusion.
20:42Les hybrides sont peu nombreux.
20:44Parce que les délinquants ont une énorme méfiance par rapport aux idéologues.
20:51Parce que chacun sait que faire un braquage ou faire un acte violent,
20:56on peut tomber sous un juge du syndicat de la magistrature
21:01qui va considérer que finalement on est une victime de la discrimination et du racisme
21:05et donc on va s'en sortir bien.
21:08Par contre, si on fait le même braquage
21:10mais qu'on relève de l'État islamique ou d'Al-Qaïda,
21:12là ça devient très très mauvais.
21:14Parce que là on tombe sur une autre logique.
21:18Donc la même action va être qualifiée des vraies.
21:21Et ça ils le savent, donc ils sont d'une très très grande méfiance par rapport.
21:25Alors où ça joue, c'est par les réseaux familiaux.
21:29Généralement des frères, des cousins, des grands-mères communes, etc.
21:33Et là il y a, dans certains quartiers,
21:37cet osmose et la production de certains hybrides.
21:41Mais dans la mesure du possible, les deux lieux,
21:44parce que pour les idéologues, les djihadistes, les islamistes durs,
21:49les criminels sont des gens pas fréquentables.
21:53Parce qu'ils boivent de l'alcool, ils couchent de façon pas habillée,
21:58leurs filles sont généralement pas voilées,
22:02en tout cas pas celles qu'ils mettent sur le trottoir.
22:04Donc il y a une…
22:08– Mais est-ce que ces nébuleuses terroristes,
22:12ou terroristes potentiels en France,
22:14est-ce que l'État aujourd'hui est en mesure
22:16de faire face aux menaces que représentent ces nébuleuses ?
22:19L'État français ?
22:20– Oui, l'État français est en mesure d'avoir une idée à peu près correcte
22:27d'une géographie des différents processus de création de risques.
22:35Ça, sans doute.
22:37Parce que la gendarmerie fait son travail sérieusement,
22:39parce que la police fait son travail sérieusement.
22:42Donc on est en mesure d'avoir une espèce d'élément de diagnostic
22:49qui est brut et qui n'est pas théorisé.
22:54Parce que les forces de police et de gendarmerie font un travail de terrain,
22:59dans la mesure où ils peuvent encore rentrer dans certains lieux,
23:02enfin beaucoup arrivent quand même à rentrer,
23:04font un travail de terrain, recueillent de l'information,
23:07mais ont beaucoup de mal à le traiter,
23:09à la fois pour des raisons scientifiques et pour des raisons politiques.
23:12Parce que les raisons scientifiques,
23:14c'est en partie pour ça que j'ai fait ce manuel,
23:18qui est de donner les éléments à partir desquels on peut comprendre
23:22parce que l'étude du terrorisme, qui est mon domaine,
23:25est un domaine scientifique, c'est-à-dire qu'il y a des choses à savoir,
23:28il y a des choses à lire,
23:30comme en sociologie, comme en médecine, comme en architecture,
23:33il y a des choses à lire.
23:34Quand on ne sait pas ça, on recueille de l'information,
23:37mais on ne sait pas nécessairement quoi en faire.
23:39Deuxièmement, lorsque l'on sait un petit peu quoi en faire
23:44et en tout cas que l'on comprend la nature des phénomènes,
23:47encore faut-il que ça passe à l'échelon supérieur,
23:49c'est-à-dire au niveau politique.
23:51Et au niveau politique, on essaye de ne pas faire de vagues,
23:54de ne pas faire le jeu de l'extrême droite,
23:58bien entendu, qui est le discours habituel.
24:02Le réel étant quelque chose qui est menaçant pour le discours dominant,
24:08c'est-à-dire les médias, les journaux comme l'Ebay, Le Monde, etc.,
24:13sont des barrages, non pas tellement contre l'extrême droite,
24:16ce sont des barrages contre le réel,
24:18parce qu'ils considèrent que le réel est évidemment fort désagréable
24:21et ce n'est pas notre faute qu'il le soit.
24:23Donc, il y a une capacité à faire un diagnostic factuel,
24:30mais pour faire l'analyse et pour étudier les tendances,
24:35il est nécessaire d'introduire une combinaison entre du savoir scientifique,
24:40c'est-à-dire ce que ce manuel contient notamment,
24:44et la capacité de continuer à recueillir des données,
24:47ce qui est le propre des services de renseignement,
24:49qui fonctionnent plus ou moins bien,
24:52et qui fonctionnent de moins en moins bien
24:54à mesure que l'on a privé beaucoup de services des moyens d'infiltrer…
25:00Alors, ce n'est pas facile,
25:01parce que ce sont des milieux très fermés et familiaux, généralement,
25:04mais c'était possible il y a 20 ou 30 ans plus facilement.
25:10Et donc, oui, il y a moyen de savoir jusqu'au point
25:15où l'on rentre dans le domaine dangereux de la prédiction et de la prévision,
25:20et ça, ça suppose de disposer d'éléments suffisants
25:25pour pouvoir intervenir préventivement.
25:27Et il y a beaucoup d'attentats qui sont prévenus,
25:30parce qu'il ne faut pas penser que les terroristes potentiels sont des supermans.
25:37Les terroristes potentiels font erreur sous erreur, en général,
25:41parce que, d'une part, ce n'est pas forcément des aigles,
25:45et d'autre part, parce que quand on travaille en situation de clandestinité,
25:51la moindre erreur que l'on fait est inestimable pour le service que l'on a en face.
25:58C'est-à-dire qu'à la limite,
25:59les services contre terroristes peuvent se tromper 10 ou 15 fois,
26:05et ils continuent à être payés et partir en vacances, tout va bien,
26:09alors que les candidats terroristes, il suffit qu'ils fassent une seule erreur…
26:12– Et ils ne partent plus en vacances.
26:13– Et ils ne partent plus en vacances.
26:15Et avec un petit peu de suivi judiciaire,
26:19ils risquent de ne pas devoir utiliser de la crème à bronzer pendant un certain temps.
26:25Voilà, c'est ce qui fait que les compétences des terroristes futurs,
26:32de ceux qui vont utiliser les techniques terroristes,
26:35ce type de compétences est en permanent développement,
26:40c'est-à-dire qu'il y a une formation et progressivement,
26:42il y a des études qui sont faites maintenant, progressivement,
26:45c'est comme la criminalité, on n'a pas en prison les plus dangereux,
26:49on a en prison les plus bêtes, ceux qui se sont fait…
26:53– Ceux qui se sont fait attraper, oui.
26:54– Ceux qui se sont fait attraper,
26:56ceux qui ont le meilleur quotient intellectuel et les meilleures relations
27:01et qui ont la capacité à passer à travers les mailles du filet,
27:07on ne les rencontre pas, mais ça peut être des criminels.
27:09C'est la même chose pour le milieu du terrorisme.
27:13Le terrorisme est pratiqué par des gens souvent liés à des services de très haut niveau,
27:20mais le terrorisme bas de gamme, la nuisance communicationnelle,
27:25la nuisance, c'est quelque chose qui est très difficile à parer
27:32parce que c'est généralement des toutes petites structures,
27:35des toutes petites cellules familiales
27:37ou des individus qui disjonctent à un certain moment,
27:40mais avec une intention terroriste, très claire, en transmettant un message.
27:45Et il est pratiquement impossible de surveiller l'ensemble du territoire,
27:51et en plus d'infiltrer les viviers de ces noyaux actifs.
27:58– Une dernière question, puisqu'on va avoir dépassé le temps qui nous était imparti,
28:02et c'est une dernière question qui revient sur un chapitre
28:04qui m'a particulièrement intéressé dans le livre.
28:07C'est un chapitre dans lequel vous interrogez l'efficacité du terrorisme
28:10et ma question pour les téléspectateurs serait la suivante.
28:13En France, le terrorisme a-t-il été efficace pour certains commanditaires,
28:17pour certaines causes ?
28:18Est-ce que le terrorisme a porté ses fruits pour défendre une idée ou une idéologie ?
28:23– Pas nécessairement pour défendre une idéologie,
28:26mais le terrorisme en général échoue.
28:30C'est dans la plupart des cas le terrorisme.
28:33Alors parfois ça fonctionne, par exemple la création de l'État d'Israël
28:37est liée à des campagnes terroristes menées par des gens
28:41qui vont devenir des dirigeants de l'État d'Israël après.
28:45Et qui après, bien sûr, vont faire des campagnes
28:49contre le terrorisme des Palestiniens, etc.
28:52C'est des histoires compliquées.
28:54Pendant la guerre d'Algérie, le FLN va utiliser des techniques terroristes
28:58très très claires qui ne vont pas être déterminantes pour la victoire du FLN,
29:04mais vont contribuer à la démoralisation,
29:06vont contribuer au pourrissement de la situation.
29:10Donc le terrorisme généralement n'agit jamais seul.
29:13C'est-à-dire qu'on utilise le terrorisme parmi la propagande,
29:16parmi la relation internationale, quand c'est une cause de ce genre-là.
29:20L'ANC sud-africaine va utiliser le terrorisme, Nelson Mandela parmi d'autres.
29:27Mais en même temps, des campagnes de presse, des campagnes de publicité,
29:32il y a toute une série d'actions dans un registre compliqué.
29:40Dans une certaine mesure, les attentats des années 1980 en France
29:50ont entraîné des modifications à la marge de la relation de la France avec l'Iran,
29:57qui était à ce moment-là en guerre avec l'Irak.
29:59Parce qu'il y avait Carlos à l'époque, on comprenait assez bien comment ça fonctionnait.
30:06Donc il y a eu des modifications qui n'ont pas été des succès au sens strict,
30:10mais ça a eu un impact.
30:13En général, à la différence de ces cas spectaculaires,
30:19Israël, que l'on cite dans tous les manuels, Israël, Algérie, etc.
30:23En général, ce n'est pas suivi d'un grand succès,
30:31mais ça entraîne un affaiblissement de la conscience de la population.
30:37C'est-à-dire que, alors que le terrorisme n'est jamais aléatoire,
30:41les victimes sont choisies en fonction de leur capacité vectorielle,
30:44l'identité vectorielle, c'est pour ça qu'il faut lire le livre pour savoir ce que c'est.
30:48C'est la capacité à porter le message.
30:53Donc ce n'est pas aléatoire, on choisit.
30:55Mais ça laisse l'impression que tout le monde peut être victime.
30:59C'est des gens apparemment pris au hasard, donc on se dit ça peut être moi.
31:03Et ceci entraîne une perte de confiance par rapport aux autorités des pays.
31:13Ça contribue à l'affaiblissement des États.
31:16C'est-à-dire que c'est un élément qui contribue au délitement des États,
31:21dans la mesure où l'une des raisons fondamentales de l'existence de l'État,
31:28c'est de garantir la sécurité des personnes et des biens.
31:32Dès que l'État n'est plus capable de garantir la sécurité des personnes et des biens,
31:40sa légitimité, notamment à percevoir l'impôt, se pose.
31:46Et la possibilité que les gens reprennent ces fonctions régaliennes à leur compte.
31:53C'est ce que l'on voit d'ailleurs en Nouvelle-Calédonie maintenant.
31:56Dès le moment où une partie de la population considère qu'elle n'est plus protégée,
32:01elle s'organise en groupe d'autodéfense.
32:03On a vu ça partout.
32:06Là on est un petit peu loin du terrorisme, mais quand même pas.
32:10Tout à fait, parce que le terrorisme est spectaculairement,
32:15parce que l'objectif est spectaculaire,
32:17l'objectif du terrorisme est de passer le message,
32:20et ce message peut être que l'État ne vous protège plus.
32:24– Et on s'interrogera, on laissera nos téléspectateurs s'interroger sur,
32:27l'État les protège-t-il en France ?
32:29Et ce sera notre conclusion.
32:30– Oh mais il protège, heureusement nous avons des autorités efficaces
32:36qui nous donnent des chiffres fiables et qui font que les gens ne se font
32:43par exemple pas poignarder dans les rues.
32:47Sinon ce serait impensable.
32:49– Sur cette touche d'ironie, je rappelle, c'est « Étudier le terrorisme »
32:53chez VA édition de Daniel Doré, sorti en février.
32:56Un livre indispensable pour comprendre le terrorisme
32:58et qui est fait de sorte, il y a des petits chapitres,
33:01ce qui permet de ne pas forcément le lire de manière linéaire,
33:03mais de se replonger dans chaque partie selon les événements
33:06qui peuvent s'être déroulés, les événements qui nous intéressent
33:09ou qui nous intéresseront malheureusement dans les mois à venir.
33:12Merci Daniel Doré.
33:13– Merci Olivier.
33:14– Et à très bientôt.
33:15– Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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