Dans Europe midi, Thomas Schnell et ses invités débattent de dernières informations.
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00:00Une solution de rupture, c'est ce qu'avaient décidé les indépendantistes catalans en 2017.
00:07Ils avaient voulu faire sécession avec le référendum interdit par l'Espagne
00:12qui avait provoqué la fuite de Carles Puigdemont, l'ancien président catalan
00:17qui a passé sept ans en exil entre la France et la Belgique.
00:21Il est apparu ce matin en plein cœur de Barcelone.
00:24Il a tenu un discours face à des militants, des partisans qui étaient visiblement très heureux de le retrouver.
00:29Et là, il a de nouveau disparu.
00:32Ça fait écho à ce sentiment de déclassement, cette volonté catalane de faire sécession du reste de l'Espagne ?
00:41Je pense que ça témoigne en effet du fait qu'on vit dans une époque
00:46où le cadre de la nation peut devenir désuet.
00:52En philosophie politique, depuis les théories du contrat social,
00:55on pense toujours la politique à travers ce cadre-là.
00:59Ça n'a pas été le cas de tout temps, puisque sous l'Antiquité, c'était essentiellement la cité.
01:03Puis il y a eu des moments où on pensait beaucoup, on réfléchissait énormément en termes d'empire.
01:07Le concept, si vous voulez, de nation, ça veut dire que vous avez une unité territoriale,
01:11vous avez un peuple et vous avez un souverain qui est clairement défini
01:14avec une légitimité qui vient ou non du peuple, mais en tout cas qui fonctionne.
01:18Ce cadre-là, on voit qu'il peut être dépassé des deux côtés.
01:21Ça veut dire qu'on observe d'une part des nations qui tentent de plus en plus
01:24à rejoindre des organisations internationales et dont la politique dépend,
01:28on le sait en Europe, mais on pourrait même le dire à travers les Nations Unies,
01:32qui dépendent de plus en plus de directives qui viennent d'en haut.
01:34Et on voit, et l'exemple espagnol est magnifique sur ce plan-là,
01:38on voit bien aussi, je dirais, du bas vers le haut,
01:42des territoires qui à un moment finalement estiment qu'ils ont de telles disparités,
01:47ils ont de tels langages communs, ils ont de telles réalités communes
01:50qu'ils n'ont presque plus rien à faire ensemble, sinon un projet politique abstrait.
01:54Et je pense que c'est ça, fondamentalement, que vient dire la cause de l'indépendance catalane.
01:59C'est quelque chose que certains nomment en France l'archipélisation des territoires,
02:03l'archipélisation du réel, c'est-à-dire qu'à un moment,
02:06la notion de nation qui est évidemment, comme toujours en politique, une fiction politique,
02:10parce que la politique repose toujours sur des mythes et des fictions,
02:13ne sera peut-être plus une fiction opératoire dans les décennies à venir.
02:17Quand je dis ça, ce n'est pas pour m'en réjouir, c'est pour le constater.
02:19La crise catalane, Paul Melun, c'est l'une des secousses des crises que traverse l'Occident dont vous parliez ?
02:25Oui, je crois que Nathan pose très bien les termes du débat,
02:27c'est-à-dire que le débat aujourd'hui, il est autour de la nation.
02:30Il pose très bien les termes du débat,
02:31moi je ne suis pas d'accord avec la conclusion qui consisterait à dire naturellement que la nation est dépassée,
02:35je ne pense pas.
02:36Je pense que la nation a besoin d'être réinventée, d'être repensée,
02:39pourquoi pas avec des outils de démocratie plus directs, en tout cas ça c'est une des idées que moi je porte,
02:43mais en tout cas, le cadre national n'a pas vocation, pour moi, à être dépassé aujourd'hui.
02:48Il est vrai que, par le fait, il l'est, notamment avec les pertes de souveraineté,
02:52Nathan parlait des organisations internationales, tout ça est très juste.
02:55Le point commun qu'a la nation avec ce qu'avait jadis l'Empire,
02:59on peut penser à l'Empire romain ou aux cités grecques,
03:03le point commun c'est quand même qu'il y a une continuité culturelle dans la nation,
03:08il y a une continuité, je dirais, civilisationnelle,
03:12ce n'est pas pour rien qu'on parle d'ailleurs de civilisation romaine au moment de l'Empire romain,
03:18malgré les disparités, malgré les différences,
03:20et dans la nation il y a évidemment des différences culturelles selon les régions,
03:25ce n'est pas moi en plus le Girondin qui va dire le contraire,
03:26donc il y a des différences entre les régions,
03:28de fait on n'a pas les mêmes habitudes que l'on vit dans les Outre-mer,
03:33qu'en Bretagne, qu'en Alsace, qu'aux Pays Basques, qu'en Corse,
03:35donc tout ça est juste et je pense que la nation peut faire une place à chacun.
03:39Par contre, le cadre national est un cadre qui permet d'exprimer la démocratie,
03:44la paix, la justice, tout ça à l'intérieur de frontières,
03:47le dépassement des frontières c'est souvent la négation de ces principes paradoxalement,
03:51et pour ce qui est de l'Espagne, moi je crois beaucoup à la continuité espagnole,
03:55j'aime beaucoup la Catalogne et les Catalans et je connais plutôt bien la région,
03:58mais je pense que, d'ailleurs on le perçoit quand on va en Catalogne,
04:03il y a des différences, il y a des singularités, il y a des particularités,
04:05un peu comme si vous allez en Bretagne ou en Corse en France,
04:08mais malgré tout, je détecte quand même une identité espagnole en Catalogne,
04:12alors je ne ferais pas plaisir à certains Catalans, parce que là tout de suite vous êtes fait attaquer,
04:15mais je pense que cette continuité se vaut.
04:17Après, il doit y avoir un débat, il y avait eu un référendum bien sûr,
04:20je trouve que le sort politique qui a été réservé et judiciaire à Puigdemont
04:25est complètement démesuré, disproportionné, il n'a tué personne,
04:27donc tout ça a été grotesque, mais en tout cas voilà, pour la nation, voilà ce que je voulais dire.
04:32Rappelons à nos auditeurs tout d'abord, avant d'entendre la réponse de Nathan Devers,
04:35qu'il a été mis sous mandat d'arrêt pour avoir fait sécession,
04:40lui et les autres leaders indépendantistes,
04:42il a pris l'exil et il est parti se réfugier entre la France et la Belgique,
04:48les autres leaders indépendantistes eux ont été pardonnés par une amnistie
04:52qui a été décidée par le pouvoir socialiste de Pedro Sanchez,
04:54sauf Carles Puigdemont qui lui reste poursuivi pour détournement de fonds.
05:00Il disait que ce n'était pas si grave que ça finalement, la tentative de sécession,
05:04qu'y a-t-il de plus grave contre un État, Nathan Devers,
05:07que certains disent, nous ne souhaitons plus faire partie de votre communauté ?
05:11Alors là, précisément, c'est un sujet à mon avis très intéressant,
05:15moi je veux bien qu'on criminalise certaines revendications,
05:18certains mouvements politiques, qu'on les criminalise ou qu'on les diabolise,
05:22on parlait tout à l'heure du Royaume-Uni,
05:23et je disais justement que je trouve que c'est les groupuscules d'extrême droite
05:27qui organisent des manifestations racistes, qu'on les diabolise,
05:30je trouve ça tout à fait normal.
05:31Qu'on diabolise des causes qu'on peut trouver un peu lunaires,
05:36qu'on peut trouver un peu étranges,
05:37et c'est pour ça que j'ai fait le lapsus sur les Corses,
05:39par exemple en France, il y a des gens qui sont pour une indépendance de la Corse,
05:42on peut estimer qu'on est en désaccord absolu avec eux,
05:45on peut estimer qu'ils sont populistes,
05:46on peut estimer qu'ils vont construire un nationalisme régional,
05:49on peut estimer exactement la même chose pour la Catalogne,
05:51mais enfin je pense qu'il faut quand même savoir raison garder
05:54et faire la distinction entre des clivages politiques,
05:56qui encore une fois qui sont très forts,
05:58et qui engagent des questions philosophiques très très lourdes,
06:00parce qu'il en va de la question de ce que c'est qu'une nation,
06:03il en va de la question de savoir si quand on a des origines historiques différentes
06:05et des langues différentes, on ne peut pas faire la même nation,
06:07et derrière il y a en effet des querelles politiques extrêmement puissantes.
06:12Mais si vous voulez diaboliser ces causes-là au même titre
06:15qu'on pourrait en diaboliser d'autres,
06:17ça me semble perturbant, d'autant que quand on regarde l'histoire de l'Europe,
06:20les frontières nationales, d'accord,
06:22mais enfin les frontières nationales elles ont sans cesse évolué,
06:25elles se sont sans cesse construites aussi,
06:27soit en faisant fi de certaines particularités régionales,
06:30je ne sais pas l'Autriche qui après 1815 a englobé la Hongrie,
06:34soit au contraire en se divisant
06:37et en segmentant par rapport à une entité plus large,
06:41par exemple la Pologne qui pendant très longtemps
06:43n'avait pas d'existence territoriale et nationale.
06:45Donc je pense qu'il ne faut pas mettre la cause de la Catalogne
06:48comme une cause qui serait intrinsèquement dangereuse,
06:52fasciste ou populiste, c'est une cause nationale,
06:54comme il y en a eu mille dans l'histoire de l'Europe,
06:56et qui marchera ou qui ne marchera pas.
06:57Et nous surveillerons les conséquences de ce retour de Carles Puigdemont en Catalogne.