Avec Serge Guérin, sociologue
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NewsTranscription
00:00Sud Radio, l'air du temps, Serge Guérin.
00:05Bonjour Monsieur Serge.
00:07Mes hommages Madame Laurence.
00:09Professeur Aline Seck, grande école de Paris, auteur de l'essai
00:12« Si les vieux sauvaient la planète » aux éditions Michelon.
00:15Alors vous qui êtes sous une espèce de toile de tente, je ne sais pas ce que c'est, un parasol.
00:19C'est un peu ça.
00:21On va parler boulot, forcément ça approche après la trêve estivale.
00:26Beaucoup se posent des questions existentielles.
00:28Est-ce qu'il faut travailler plus ou au contraire, est-ce qu'il faut travailler moins pour être plus écolo ?
00:33C'est une question politique qui n'est pas nouvelle d'ailleurs.
00:36Oui tout à fait.
00:38Déjà, le progressisme, on pourrait dire, le progrès social,
00:42ça a été un des éléments de limiter le temps de travail, la durée du travail.
00:47La première loi très importante, c'est 1919, ça ne me rajeunit pas,
00:51c'était la loi des 48 heures.
00:53On ne devait normalement pas travailler au-delà de 48 heures.
00:56C'est finalement assez récent.
00:58L'idée, c'était que les gens travaillent dans des conditions supportables
01:03et pas trop longtemps non plus.
01:06Après progressivement, on a diminué, peut-être même à force trop diminué,
01:11en tout cas par rapport à d'autres pays.
01:13De l'autre côté, il y a ceux qui disent, si on travaillait moins,
01:16on ferait plus de choses, on produirait moins de choses inutiles, et ainsi de suite.
01:22Et puis on serait plus bénévole, on serait plus engagé dans la société.
01:26Et là encore, ce n'est pas nouveau non plus,
01:28parce que ce sont des débats qui datent des années 70 en fait,
01:31le fait de moins travailler pour produire moins finalement, et détruire moins.
01:36Oui, il y avait même des slogans dans les années 70,
01:40travailler deux heures par jour c'est possible.
01:42Ah c'est bien ça !
01:44Évidemment, si on travaille deux heures par jour,
01:47qui va travailler plus à notre place ?
01:49Les robots.
01:51Alors, à l'époque, ce n'était pas du tout les robots,
01:53et même encore aujourd'hui, oui.
01:55Est-ce que c'est les robots ? Est-ce que c'est d'autres personnes ?
01:57On fait venir qui, elles, travaillent plus que nous,
01:59ce qui se discute quand même sur un plan éthique et sur un plan social.
02:04En tout cas, c'est ces événements-là.
02:05Il y a des gens qui disent, si on travaille moins,
02:07encore une fois, on sera moins dans la production inutile.
02:10D'autres qui disent, oui, mais comme on va énormément améliorer notre productivité,
02:14finalement nos heures de travail seront tellement efficaces
02:17qu'il n'y a pas besoin de travailler beaucoup plus.
02:19C'est-à-dire qu'en France, ça a été beaucoup le discours.
02:21Vous savez, quand on est passé aux 35 heures,
02:22on était quand même les seuls au monde à faire ça.
02:24Et il y avait un truc, on disait, oui, d'accord,
02:25mais nous, on est quand même plus balèzes que les autres.
02:27Nous, notre productivité, elle est bien meilleure.
02:29Donc du coup, on a continué comme ça,
02:31beaucoup à travailler moins.
02:36C'est David Baverez, il a fait un bouquin assez marrant,
02:38qui s'appelle « Bienvenue en économie de guerre ».
02:40Et il raconte à un moment donné que nous, les Chinois disent,
02:45les Français travaillent 35 heures par semaine,
02:48nous, on dort 35 heures par semaine.
02:50Vous voyez, on arrive à des choses un peu...
02:51Je ne suis pas sûr que ce soit génial non plus.
02:53Il faut évidemment trouver un équilibre entre les deux.
02:56Mais il y a quand même quelque chose.
02:57Quand on regarde juste sur la durée de travail et tout ça,
03:00on est un des pays en Europe,
03:02et l'Europe étant un des continents qui travaille le moins,
03:05où on travaille le moins.
03:06Les Anglais doivent être à plus de 42 heures.
03:09Après, il y a les Allemands et tout ça.
03:11Et nous, on est vraiment en queue de peloton.
03:13Alors, il y a la quantité, il y a la durée du travail,
03:15mais il y a aussi la qualité du travail.
03:17Vous le savez forcément, on en a beaucoup parlé, Serge Garin,
03:20mais il y a un avant-après-Covid.
03:22Beaucoup, et notamment dans les jeunes générations,
03:24se sont interrogés sur...
03:25Oui, travailler, mais pourquoi faire ?
03:28Encore faut-il que ça ait un sens,
03:30que ce soit...
03:32Et peut-être d'être moins dans les générations d'avant,
03:35dans le sacrifice au boulot.
03:37Oui, il y a vraiment quelque chose.
03:39Alors, c'est en partie une partie des nouvelles générations,
03:43mais il y a aussi d'autres raisons.
03:44Peut-être la question de l'apprentissage.
03:46C'est génial qu'il y ait plus d'apprentissage,
03:48mais évidemment, on les apprentit,
03:49et c'est bien normal pour une qualité de travail,
03:52on pourrait dire, moins forte,
03:54parce que, simplement, il faut qu'ils apprennent.
03:56Il y a aussi des gens qui ont moins envie de s'impliquer,
03:58auprès dans les nouvelles populations qui ont pu arriver, tout ça.
04:01Donc, il y a sans doute aussi une inadéquation
04:03de plus en plus forte entre la formation des gens
04:05et les besoins des entreprises.
04:07Il y a aussi des questions à se poser.
04:09Il y a beaucoup de questions,
04:10ce qui fait que pendant longtemps,
04:11on a plutôt une productivité beaucoup plus forte
04:13que nos pays concurrents.
04:15Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse.
04:17La progression a continué dans le nombre de pays,
04:19et nous, ça a stagné, voire même ça a diminué.
04:21Donc, de ce point de vue-là aussi, il y a des différences.
04:23Par exemple, par rapport à la moyenne européenne,
04:25on travaille, sur une année, trois semaines de moins.
04:28Alors, je ne vous dis pas par rapport au Cambodge,
04:30on est à plus de 15 semaines d'écart.
04:32Oui, mais on n'a pas envie non plus d'être comme le Cambodge.
04:35Ce n'est pas ça la question.
04:36Du coup, c'est la qualité du travail,
04:38la raison du travail, au fait, pourquoi je travaille,
04:41et sans doute aussi des questions autour du management.
04:43Peut-être qu'on ne s'est pas suffisamment impliqué,
04:46les personnes, en France.
04:48Une partie des décideurs, des managers,
04:50sont encore très, très, si j'osais,
04:52je dirais, jupitériens.
04:54C'est quelqu'un qui est assez connu.
04:56Un peu vertical, vous voulez dire ?
04:57Un petit peu vertical, voilà.
04:58Et ça, il y a encore...
04:59Alors, il y a des gens qui demandent ça,
05:01qui en ont besoin, qui n'ont pas envie de prendre de l'autonomie,
05:03qui n'ont pas envie de décider,
05:05qui ont envie juste de faire ce qu'on leur demande,
05:07d'une certaine manière.
05:08Mais il y a aussi plein de gens,
05:09y compris dans les jeunes générations,
05:10qui ont envie d'avoir, encore une fois,
05:11plus d'autonomie, plus d'imaginaire,
05:13plus de possibilités aussi de décider,
05:15y compris leur organisation du travail.
05:18Et ça, il y a des choses qui évoluent, c'est vrai,
05:20mais on peut encore une fois s'interroger là-dessus.
05:22Et puis derrière, il y a finalement,
05:24à quoi sert le travail ?
05:25Est-ce que ça sert à quelque chose ?
05:26Mais en même temps, on oublie que le travail,
05:28ce sont aussi des cotisations.
05:30Et donc, si je cotise plus,
05:32et finalement, s'il y a plus de gens qui travaillent,
05:34il y a aussi moins de dépenses sociales
05:36et plus de cotisations.
05:37Donc, du coup, aussi,
05:38on finance mieux, par exemple, les retraites.
05:40On finance mieux le grand vieillissement.
05:42On finance mieux la santé.
05:43On finance mieux la formation.
05:45Vous voyez, on est toujours pris, un petit peu,
05:47entre deux aimants.
05:48Et puis, encore une fois, à un moment donné,
05:50si je décide de beaucoup moins travailler,
05:53ça marche, que si, soit.
05:55Il y a plein de robots qui travaillent à notre place,
05:57mais est-ce que vraiment, je ne sais pas,
05:58vous avez envie que votre mère âgée
06:01soit uniquement entourée de robots ?
06:03Est-ce que vous avez envie que vos enfants
06:05aillent à l'école avec des robots qui les forment,
06:07en passant leur vie sur des écrans ?
06:09On peut aussi s'interroger.
06:10Donc, on peut aussi s'interroger ce que ça veut dire
06:12si on travaille moins.
06:13Encore une fois, il faut que ce soit remplacé
06:15par d'autres personnes.
06:16Ou alors, on décide qu'on a besoin
06:17de beaucoup, beaucoup, beaucoup moins de choses.
06:19Pourquoi pas ?
06:20Encore une fois, qu'il décide
06:21de ce dont on a moins besoin.
06:22Et qui va décider
06:23de ce dont on a moins besoin ?
06:24Et ça, c'est des questions existentielles
06:26qui nous concernent tous.
06:27En tout cas,
06:28espérons qu'il n'y ait pas tout de suite des robots
06:30pour remplacer des sociologues comme vous.
06:32Merci beaucoup, mon cher Serge Guérin.
06:35Merci, à samedi prochain.
06:37Merci.