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00:30L'histoire d'Amara.org
00:33C'est l'histoire d'Amara.org
00:36L'histoire d'Amara.org
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02:52Alors ?
02:53Quoi alors ?
02:54Il se passe quoi ensuite ? Tu vas aller voir, tu descends, tu fais quoi ?
02:57Comment ça, je fais quoi ?
02:59Je fais rien, je me réveille.
03:01Tous les matins, tu te réveilles à ce moment-là ?
03:03À ce moment-là, oui. Mon rêve n'est jamais allé plus loin.
03:05Ça dure depuis longtemps ?
03:06Deux ans, deux ans et demi.
03:07Et c'est pour ça que tu me réveilles au milieu de la nuit ?
03:09T'es un vrai chieur, tu sais ce que tu me traites de chieur ?
03:11Ça veut dire quoi ?
03:13Tu comprends bien que ce rêve, il vient pas de n'importe où.
03:16Y a beaucoup de choses que je t'ai pas racontées.
03:18Quoi, par exemple ?
03:19Tu te souviens du Liban, non ?
03:21Oui, et alors ?
03:22Y a eu une période, au tout début de la guerre, on rentrait dans les villages
03:26pour neutraliser des suspects palestiniens.
03:29Oui, ensuite ?
03:43T'arrives à l'entrée du village, t'as les chiens qui te flairent en premier.
03:47Du coup, ils donnent l'alarme.
03:49S'ils aboient trop longtemps, le village se réveille et ton suspect disparaît.
03:52T'as plus l'effet de surprise, tu vois ?
03:54Fallait quelqu'un pour éliminer les chiens, parce que sinon, on risquait la vie de nos hommes.
03:58Je comprends même pourquoi il fallait que ce soit toi.
04:00Parce que j'étais incapable de tirer sur des gens.
04:02Alors on m'a dit, toi, Boaz, t'es en avant du commando.
04:05Tu prends un silencieux et tu nettoies les clébards.
04:1826 chiens. Je me souviens de chacun d'entre eux.
04:21Chaque museau, chaque cicatrice, jusqu'au regard, au moment de l'impact.
04:24Je me souviens de chacun d'entre eux.
04:26Y a eu combien de temps, entre cette époque et le début des cauchemars ?
04:2920 ans.
04:31T'as pensé à consulter ?
04:33Comment ça ?
04:34Je sais pas, à voir un psy, voir quelqu'un, un thérapeute, du chien dessous.
04:37Non, non, j'ai vu personne, c'est pour ça que je t'ai téléphoné.
04:39J'y connais rien, moi, je fais des films.
04:41Et tu crois que c'est pas une thérapie, de faire des films ?
04:43Je te connais, t'as un truc à régler, t'en fais un.
04:45C'est vrai ou pas ?
04:46Peut-être, en partie, oui, peut-être.
04:48T'as jamais des flashbacks du Liban, toi ?
04:50Non, non, pas que je sache.
04:53Pas que tu saches ?
04:55Non.
04:56Beyrouth, Sabra et Châtillon ?
04:58Quoi, Sabra et Châtillon ?
04:59T'étais en première ligne, t'étais à quoi, à 100 m du massacre ?
05:02200 m, 300 m.
05:04Non, franchement, là-dessus, j'ai pas imprimé, c'est tout.
05:07Mon disque du réveil.
05:09T'as vraiment rien retenu du Liban ? Aucun rêve, aucun souvenir ?
05:12Non, non.
05:14Non.
05:20Ça va aller, tu le sais, hein ?
05:22Tu crois que ça va aller ?
05:23C'est sûr.
05:24C'est sûr ?
05:25Ouais, je trouverai bien quelque chose.
05:27T'es sûr ?
05:28Oui, je suis sûr.
05:29Yallah.
05:42Yallah.
06:03Ma conversation avec Boaz a eu lieu en hiver 2006.
06:06Cette nuit-là, pour la première fois, après plus de 20 ans,
06:09j'ai eu un flashback effroyable.
06:11Un flashback du Liban.
06:12Pas n'importe quel Liban.
06:14Celui de Beyrouth Ouest.
06:15Pas n'importe quel Beyrouth Ouest.
06:17Celui du massacre dans les camps de réfugiés de Sabra et Châtillon.
07:09Il y a eu un malheur. Il est 6h30 du matin.
07:34Tu sais ce que c'est ?
07:35On a tous un... un ami avocat.
07:37un ami avocat, un ami médecin, un ami psychologue et on les met parfois à contribution.
07:43Bien sûr, mais l'avocat, tu viens pas à 6 heures du matin le sortir du lit.
07:46Mon ami avocat, il me coûte dix fois moins cher.
07:49Le nœud de la question, le voilà.
07:51Comment ça se fait qu'il a fallu le rêve de Boaz avec ses 26 chiens enragés
07:58pour débloquer ma mémoire ?
08:00Il n'y a pourtant pas de lien entre les deux.
08:02C'est très particulier la mémoire.
08:03Je te raconte une expérience intéressante qu'on fait en psychologie.
08:08Tu prends un groupe de personnes et tu leur montres dix photos de leur enfance.
08:14Neuf des dix photos sont authentiques.
08:16La dixième est un montage.
08:18On a pris leur image et on l'a incrustée dans un décor de fête foraine
08:22où ils n'ont jamais mis les pieds.
08:27Tu en as les quatre cinquièmes qui se sont reconnus dedans,
08:30dans la photo qui n'avait jamais été prise.
08:32Ils s'en souviennent.
08:33Les 20% normaux qui ne se souviennent pas rentrent chez eux.
08:36Tu leur dis, c'est pas grave, ça vous reviendra peut-être un jour.
08:38Ils reviennent avec la photo en disant, je me souviens.
08:41On est allés à la fête foraine, j'étais avec mes parents à la fête foraine,
08:44on a passé une super journée.
08:46Ils ont recréé la situation de toute pièce.
08:49La mémoire est dynamique, elle est vivante.
08:52S'il y a des détails qui manquent, même si ce sont des normes troubées en plein milieu,
08:56la mémoire se reconstruit jusqu'à fabriquer un événement fictif.
09:01Ce que tu me dis au fond, c'est que cette vision que j'ai du massacre,
09:05c'est comme la fête foraine.
09:07Une illusion, un événement que j'aurais inventé,
09:09qui n'aurait pas de rapport avec la réalité.
09:11Je ne sais pas, mais ça se vérifie.
09:12Il y avait qui avec toi ?
09:14Il y avait Carmi.
09:15Tu le connais, il était au lycée.
09:18Et il y avait un autre mec, je ne vois pas qui ça peut être.
09:20Ok.
09:21Tu vas demander à Carmi ce dont il se souvient.
09:23Il est en Hollande.
09:25Ça fait 20 ans qu'il vit là-bas.
09:27D'accord, va en Hollande, pose tes questions à Carmi.
09:29Si ça te tourmente autant.
09:31Ça ne te semble pas dangereux que je puisse découvrir des choses sur moi
09:33qu'il ne vaut mieux pas que je sache ?
09:35Non.
09:36Je pense que tu vas, oui, découvrir des choses
09:38qui sont importantes pour toi, que tu as envie de savoir.
09:41Ça m'étonnerait fort que tu te perdes.
09:43Il y a un mécanisme humain qui fixe un certain nombre de limites
09:45et t'empêche d'entrer dans les profondeurs les plus obscures
09:47où il vaut mieux ne pas s'enfoncer.
09:49En fait, c'est ta mémoire qui va te conduire là où toi tu dois aller.
10:03Tu vois tout ça ?
10:24Oui.
10:26Tout ça, c'est à moi.
10:30Tout ça, c'est à toi.
10:32Depuis les arbres jusqu'à la rivière de l'autre côté.
10:34Ça t'appartient à toi.
10:35Et aussi la maison.
10:37Quatre hectares environ.
10:40Tout ça en vendant des falafels.
10:42Tout ça en vendant des falafels ?
10:44Eh bien dis-le.
10:45Viens, je te montre.
10:49T'en as vendu combien, des falafels ?
10:51Pendant trois ans, pas plus.
10:53Au début des années 90, j'avais un petit stand à Utrecht.
10:56Le végétarien, à l'époque, c'était furieusement tendance.
10:59Le taboulet, le blé complet.
11:01Tu prends un falafel, c'est à la fois végétarien et oriental.
11:03Je vois.
11:04A une époque, tout le monde disait que tu serais physicien nucléaire.
11:08C'est qui, tout le monde ?
11:09Je n'en sais rien.
11:10Nos parents, tous nos copains.
11:11Ce qui était au bahut avec nous.
11:13On se disait que vers la quarantaine, maintenant, tu serais candidat au Nobel.
11:17À 20 ans, c'était déjà fini pour moi.
11:21Tu as froid ?
11:22Oui, c'est vrai, j'ai très froid.
11:23Je suis gelé, en fait.
11:24On va dans la maison.
11:26On fait tout ça à pied.
11:27Tout ça qui est à toi.
11:30C'est marrant que tu viennes maintenant.
11:32Pourquoi ?
11:33Quand tu m'as appelé, j'étais dehors avec mon fils Thomas, qui vient d'avoir 7 ans.
11:37Et donc, il est là, avec son petit fusil en plastique,
11:40et il se met à me poser plein de questions sur où j'avais fait mon service,
11:43si j'avais tué des gens ou pas.
11:45Tu as tué des gens ?
11:46Je ne sais pas.
11:47Tiens, on va rentrer, tu vas avoir moins froid.
11:50Dis donc, si je te dessine avec ton fils en train de s'amuser dans la neige, ça ne te dérange pas trop ?
11:56Non, ça ne me dérange pas du tout.
11:58Si tu veux, je vais lui dire de venir.
12:00Tant que c'est du dessin et pas de la photo.
12:28C'est bon ?
12:29Oui.
12:59Aussi bizarre que ça puisse paraître, on est partis à la guerre sur un yacht.
13:03Un petit bateau de croisière, genre Love Boat, loué par l'armée ou réquisitionné, je ne sais pas.
13:08Une ruse pour tromper l'ennemi.
13:10Un débarquement surprise.
13:12Attends, c'était un vrai bateau de croisière, avec jacuzzi, bar, piscine ?
13:17Ces trucs-là ?
13:19Dans mon souvenir, oui. En réalité, c'est peu probable.
13:22Des années plus tard, j'ai appris que c'était une vedette des commandos de la marine, ce genre de truc.
13:27Tu sais, à 18 ans, je te voyais comme un gars éclairé qui s'en foutait pas mal d'être perçu comme un héros.
13:31Ça avait son importance, pour une raison plutôt prosaïque.
13:34J'avais le sentiment à l'époque que tout le monde autour de moi n'arrêtait pas de baiser.
13:38Quant à moi, comment t'expliquer ça ?
13:41Moi, je remportais les tournois d'échecs et je brillais en mathématiques.
13:44Pourquoi je suis le seul qui baisse pas, je me disais ?
13:47J'avais des trucs à prouver.
13:49Fallait que je sois combattif, couillu, courageux.
13:52Tu m'apprends quelque chose ? Ça t'a réussi ?
13:54Bah, plutôt, oui.
13:56Je me suis senti fort, capable, compétent.
13:59Et voilà que la guerre commence et qu'on nous embarque comme un tas de marchandises sur ce love boat à la con.
14:05Mais moi, je...
14:07Quoi ?
14:08Bah, moi, j'ai vomi toutes mes tripes en me demandant ce que l'ennemi penserait d'une loque parie.
14:13Et sur ce, je me suis endormi sur le pont.
14:16Moi, quand j'ai des angoisses, je m'endors.
14:19Et même maintenant, je sombre dans le sommeil et les hallucinations.
14:46Je suis évanoui sur le pont.
15:02Et je rêve du moment où, enfin, une femme arrive.
15:10Et me prend pour la première fois.
15:16Et en face, je vois mes amis voler vif comme ça, sous mes yeux.
15:21Où sont-ils ?
15:22Restés sur le bateau.
15:39Je me réveille au débarquement.
15:53Le jour se lève, on est aux portes de la ville.
15:55C'est quelle ville ?
15:56Comment veux-tu que je sache ?
15:58Saïda, peut-être, je sais pas.
16:00Du fait de la peur, du stress, on se met tous à tirailler comme des malades.
16:06C'est qui ?
16:07Mais j'en sais rien, sur qui ?
16:10Il y a une vieille Mercedes bleue qui descend la rue.
16:12On mitraille toujours dans une sorte de trance.
16:18Deux ans d'entraînement et cette peur, cette peur incontrôlable.
16:25Et après, le silence.
16:27Un silence effroyable, un silence de mort.
16:30Et dans la lumière du petit jour, tu vas voir.
16:35Tu vas voir la destruction que tu as semée.
16:39Tu sais même plus où t'es.
16:41Et dans la voiture.
16:44Dans la voiture ?
16:46Dans la voiture, t'as les corps d'une famille.
16:49Pourquoi est-ce que t'es venu me voir ?
16:51Moi ?
16:52Moi.
16:54J'ai perdu la mémoire.
16:56Un accident ?
16:57Pardon ?
16:58T'as eu un accident ?
16:59Comment ça, un accident ?
17:01Je sais pas, un accident, en voiture, au boulot ?
17:03Non, c'est pas ça du tout.
17:06Toute cette période, la période de la guerre, au Liban,
17:08moi, en fait, j'ai aucun souvenir de tout ça.
17:11Et je n'ai qu'une seule image de là-bas.
17:14Et je vais pas te dire pourquoi, mais tu y figures.
17:18Raconte-moi ça.
17:34Tu étais avec moi là-bas ?
17:37J'aurais du mal à te le dire.
17:39Ça veut dire quoi, ça ? T'étais avec moi ou pas ?
17:41J'en sais vraiment rien.
17:43J'ai tout oublié du massacre.
17:45Oui, mais tu y étais.
17:47Tu étais sur place.
17:49J'étais là-bas.
17:51J'étais là-bas.
17:53J'étais là-bas.
17:55J'étais là-bas.
17:57J'étais là-bas.
17:59J'étais là-bas.
18:01Oui, mais tu y étais.
18:03Tu étais sur place. Tu étais bien à Beyrouth au moment du massacre.
18:05Oui, bien sûr, bien sûr. Je me rappelle.
18:07Je me rappellerai toujours mon entrée dans Beyrouth.
18:09Et le massacre.
18:11T'as dit quoi, déjà ? Je l'ai pas imprimé, le massacre.
18:14Formidable.
18:15Le massacre.
18:31Et soudain, il y a eu un déclic. Dans le taxi qui me ramenait à l'aéroport d'Amsterdam.
18:34Boom. La guerre m'est revenue en mémoire.
18:37Ce n'était ni une hallucination, ni mon subconscient, ni un rêve.
18:40C'est le premier jour de la guerre. J'ai 19 ans.
18:43Je me rase depuis quelques mois.
18:45On avance sur l'horizon.
18:47J'ai l'impression d'être dans l'espace.
18:49J'ai l'impression d'être dans l'espace.
18:51J'ai l'impression d'être dans l'espace.
18:53J'ai l'impression d'être dans l'espace.
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19:01J'ai l'impression d'être dans l'espace.
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