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Dans ce nouvel épisode de "Chocs du monde", Edouard Chanot reçoit le général deux étoiles Jean-Bernard Pinatel.
Kiev a ouvert un nouveau front et lancé ses troupes sur le territoire russe, dans la région de Koursk. Un coup de poker qui a d'abord surpris Moscou… mais dont l’intérêt stratégique interroge, tandis que Volodymyr Zelensky espère finir le conflit à l’automne. Se berce-t-il d’illusions ? A-t-il provoqué sa chute ?
Le général Jean-Bernard Pinatel, ancien officier parachutiste blessé en opérations et spécialiste de la stratégie nucléaire, a publié "Ukraine, le grand aveuglément européen" (éditions Balland).

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00:00Bonsoir à tous et bienvenue dans Chocs du Monde, le magazine des crises et de la prospective
00:26internationale de TVL, magazine qui, je vous le rappelle, est devenu hebdomadaire, je vous
00:30donne donc rendez-vous ici sur la chaîne YouTube de TVL tous les mardis soirs.
00:34Cela fait plus d'un mois que Kiev a ouvert un nouveau front et lancé ses troupes sur
00:39le territoire russe dans la région de Kursk, un coup de poker qui dans un premier temps
00:43a surpris Moscou mais dont l'intérêt stratégique, quelques semaines plus tard, interroge.
00:47D'autant plus que Zelensky a déclaré vouloir finir le conflit à l'automne, alors le
00:52dirigeant ukrainien se berce-t-il d'illusion pour trancher cette interrogation et évoquer
00:56les perspectives du conflit alors que la température sur le front commence à baisser à l'approche de
01:01l'automne et de l'hiver ? Je reçois le général Jean-Bernard Pinatelle qui se fait remarquer sur
01:06les réseaux sociaux depuis le début de la guerre par ses analyses et qui a publié récemment aux
01:11éditions Balland l'essai « Le grand aveuglement européen ». Général Pinatelle, bonsoir.
01:17Bonjour et merci pour votre présence dans le Choc du Monde. Général Pinatelle, nous commençons
01:23donc par cette actualité, par cette tragédie de Kursk qui a suscité l'euphorie dans les médias
01:30occidentaux depuis plusieurs semaines. Est-ce cela, le grand aveuglement européen, est-ce un
01:35nouvel épisode de cet aveuglement que vous dénoncez ? Bien entendu. Il s'agit, je pense,
01:42pour Zelensky, d'une opération à la fois de communication et politique, notamment par rapport
01:51à son grand sponsor qui sont les États-Unis. Biden et les démocrates sont en pleine campagne
01:59électorale. La critique, si vous écoutez les médias américains, se porte sur effectivement
02:08tout l'argent qui a été mis avec des résultats qui n'existent pas. Et donc cette offensive de
02:17Kursk qui est un non-sens stratégique, et on en parlera après, est une opération de communication
02:24vis-à-vis des sponsors et aussi vraisemblablement à usage interne. Mais il va le payer, il va le
02:35payer cash, et notamment il est en train de le payer dans le Donbass parce qu'on ne détourne pas,
02:40alors qu'on a très peu de réserves stratégiques, que les différentes unités sont décriées et
02:50vraiment qu'il a un mal considérable à reconstituer ses effectifs et à les entraîner. On n'en voit
02:57pas 2, 3 ou 4 brigades d'élite, si vous voulez, en Russie pour conquérir 2000 km2 ou 3000 km2,
03:08ce n'a aucune importance, dans un pays qui en compte 17,5 millions. Voilà, donc si vous voulez,
03:16c'est tout à fait triste que cette guerre... Alors la communication compte beaucoup, mais le
03:25sang des soldats, d'après moi, doit passer avant la communication. Le sang des soldats doit passer
03:31avant la communication. Cet offensif dans la région de Kours qui a rendu pendant plusieurs jours,
03:36plusieurs semaines, la situation diplomatique incertaine, mais Poutine a déclaré pour envisager
03:41de nouveau des négociations, ce qui aurait pu surprendre sous condition toutefois. Alors je
03:45vous propose de faire un point pour que tout soit clair. S'il y a un désir de l'Ukraine de
03:51poursuivre les négociations, je peux le faire, a déclaré le 5 septembre Vladimir Poutine à
03:56Vladivostok. Le dirigeant russe rouvrait là la possibilité de négociation avec Kiev, estimant
04:03que le Brésil, la Chine ou l'Inde pouvaient jouer le rôle d'intermédiaire. Une telle perspective
04:08s'était éloignée au début du mois d'août, la diplomatie russe l'ayant balayée à la suite de
04:14l'attaque ukrainienne dans la région russe de Koursk. Une attaque qui a surpris Moscou dans
04:20un premier temps mais qui a échoué à ralentir la progression russe dans le Donbass. Sur ce front,
04:26épicentre des combats, les troupes russes avancent et menacent les villes stratégiques de Pokrovsk
04:32et Toretsk. Zelensky affirmait pourtant le 7 septembre vouloir mettre fin à la guerre cet
04:39automne et fin août vouloir contraindre la Russie, l'arrêter de façon diplomatique. Poutine a néanmoins
04:46précisé que les pourparlers devaient prendre pour base le document paraffé par les deux
04:51belligérants à Istanbul au printemps 2022. Un texte envisageant la neutralité de l'Ukraine
04:58en échange de garanties de sécurité mais un texte non adopté en raison des encouragements
05:04occidentaux à poursuivre les combats. Après deux ans de conflits, Moscou maintient ses exigences.
05:10Général Pinatel, Moscou maintient donc ses exigences à l'encontre de Kiev,
05:20à l'encontre de Zelensky. Est-ce selon vous réaliste ou cela rend-t-il de facto
05:25impossible toute issue pacifique avant un dénouement beaucoup plus tragique sur le front ?
05:30Écoutez, pour les Russes, les quatre blocs qui ont été annexés font aujourd'hui partie de la
05:38fédération de Russie. Pour d'ailleurs les anglo-saxons, quand vous écoutez un petit peu
05:45qu'ils soient les débats en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, ils les considèrent comme perdus.
05:50Et donc pour les grands sponsors, il n'y a que nous qui encore, notre président qui a tendance
06:01à dire on va aider l'Ukraine jusqu'à la victoire. Ce n'est plus du tout le cas outre-Atlantique.
06:08Donc il n'y aura pas de négociations si elles ne se font pas sur la base de ça. Mais en plus,
06:15en plus, Poutine demande la neutralisation de l'Ukraine et le fait qu'elle ne s'engage jamais
06:25dans l'OTAN. Depuis le début, pour la Russie, l'Ukraine dans l'OTAN, c'est un cas de guerre.
06:34Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est que si cette guerre a été faite par la Russie,
06:40c'est parce qu'elle estimait que ses enjeux, les enjeux essentiels étaient mis en cause.
06:45Je vais revenir sur votre essai général. Il faut comprendre que pour vous, il y a un
06:51absolu quasi-apocalyptique qui détermine le conflit. C'est le fait que la Russie est dotée
06:55de l'arme nucléaire et non l'Ukraine, même si évidemment les alliés de l'Ukraine en disposent.
07:00Moscou ne peut pas perdre, selon vous, l'Ukraine ne peut pas remporter ce conflit. Pour vous,
07:07c'est une certitude depuis deux ans ? Bien entendu. C'est la première fois depuis 1945
07:14qu'une puissance nucléaire, la première ou la seconde du monde, démarre un conflit à ses frontières
07:22en disant qu'elle le fait parce que ses intérêts vitaux sont enjeux. Si nous, en Europe et dans les
07:31commentateurs, on a voulu occulter ou minimiser le fait nucléaire, il a été immédiatement perçu comme
07:39tel par Biden et les stratèges du Pentagone. On le sait puisque The Economist a publié en octobre
07:482023 les consignes que Biden avait données dès le premier jour de l'agression russe et ensuite que
07:56le chef d'état-major ukrainien, le mois suivant, l'a confirmé à The Economist. Biden a dit
08:07immédiatement qu'on va faire tout ce qu'on peut pour aider l'Ukraine mais sans jamais inquiéter
08:12la Russie. C'est pour ça que tout ce qui s'est passé depuis deux ans, c'est qu'on a maintenu la
08:19tête hors de l'eau de l'Ukraine sans lui donner la possibilité de gagner. Un général américain de
08:28mes amis m'a dit « nous donnons notre stratégie, nous donnons à l'Ukraine suffisamment pour survivre
08:36mais pas suffisamment pour gagner ». Pour les américains, le but n'est pas de battre la Russie,
08:41le but pour les américains c'est de créer un mur de haine entre l'Europe et la fédération de Russie
08:50parce que c'est la façon de maintenir la primauté mondiale qu'ils ont acquise en 91 avec la fin de
08:57l'URSS. Toute cette stratégie-là a été écrite par Brzezinski dans Le Grand Échiquier publié
09:04en 1997. Donc nous les américains défendons leur intérêt, je n'ai jamais critiqué les Etats-Unis
09:13dans ce qu'ils font. Ce que je critique c'est les leaders européens qui ne défendent pas l'intérêt
09:20de l'Europe. Et qui visiblement, si l'on vous écoute, si l'on lit vos publications, qui
09:27visiblement n'ont pas conscience de cette réalité nucléaire. D'ailleurs je rappelle que vous en
09:32avez une, vous avez assisté aux tests français. Est-ce cela aussi qui façonne votre regard sur
09:37géostratégie, sur le conflit et plus généralement sur la relation vis-à-vis de la Russie ?
09:41Ben écoutez, entre 71 et 73 j'étais en charge de la sécurité des essais nucléaires, un des
09:48responsables de la sécurité nucléaire et j'ai assisté à cinq tirs qui étaient de l'ordre
09:54d'Hiroshima, un peu moins puisque ce n'est pour nos têtes de l'arme nucléaire tactique,
09:59de l'ANT française. J'étais sur le Deux Grâces qui était le navire amiral et on était face au
10:06point zéro à 10 kilomètres et je peux vous assurer que j'étais un des rares à être autorisé à être
10:14sur le pont à condition de me retourner au moment du flash. Mais je peux vous assurer qu'à 10
10:21kilomètres ça décoiffe. Donc il est bien évident qu'une guerre nucléaire n'est pas possible et que
10:27jamais un chef d'état prendra le risque pour défendre notre état de risquer une guerre nucléaire
10:35sur son sol. Donc le général de Gaulle l'avait dit, le risque nucléaire ne se partage pas. Donc
10:41les américains ne prendront jamais le risque, si Poutine, et ils le savent très bien d'ailleurs,
10:48Foreign Affairs l'a publié et il a écrit, si Poutine nucléarisait le conflit, les américains
10:57n'escaleraient pas nucléairement. Et à ce moment-là, si vous voulez, tout le monde s'apercevrait
11:03que le parapluie américain sur l'Europe est un parapluie percée, en tout cas pour certains pays,
11:09pas nécessairement pour tous. Mais si vous voulez, si j'étais par exemple les Pays-Baltes, je me
11:14poserais des questions. Est-ce qu'un président américain risquerait Washington pour défendre
11:20ces petits états que la Russie peut congréer en un après-midi ? Donc si vous voulez, ce risque de
11:29nucléarisation du conflit est quelque chose qui est présent dans tous les états-majors sérieux,
11:34et bien entendu pour les états-majors français également. Mais nos politiques, si vous voulez,
11:44ne sont pas des chefs responsables de dire, ou alors ils font de la désinformation et ils se
11:57désinforment eux-mêmes d'ailleurs, je pense. Mais si vous voulez, c'est vrai que cette guerre,
12:01c'est la première guerre sous menace nucléaire. Et les américains, et Biden l'a dit publiquement,
12:07Biden l'a dit publiquement au moins à deux reprises que je cite dans mon livre, il a dit
12:12« Poutine c'est un mec que je connais assez bien, il est tout à fait capable d'utiliser l'arme
12:17nucléaire s'il est en difficulté ». Il a dit, au moment où il faisait une campagne pour lever des
12:25fonds pour les sénatoriales, il l'a redit ensuite. Donc pour les américains, c'est tout à fait clair.
12:33Nous, les américains, on dit que Poutine allait attaquer, nous on disait que Politnik n'allait
12:40pas attaquer, rappelez-vous, avant le déclenchement du conflit. Mais les américains sont des gens
12:45sérieux qui regardent les faits toujours. C'est pour ça que dans mon livre, il n'y a que des
12:50sources anglo-saxonnes et alors que nous, on se berce, si vous voulez, de tout ce qu'on veut,
12:59mais en tout cas pas des faits. La doctrine nucléaire russe implique une menace quasi
13:06existentielle, dirait-on, contre la Russie. La diplomatie russe évoque depuis quelques
13:10semaines la possibilité de faire évoluer cette doctrine. Est-ce une menace à peine voilée ? Comment
13:15interpréter ces discours ? Poutine, d'ailleurs, l'a aussi évoqué en juin dernier, soulignant ou
13:20accusant lui-même les évolutions américaines de l'autre côté de l'Atlantique. Écoutez,
13:26pour la Russie, ça fait un moment qu'ils réfléchissent à cela et il est bien certain que
13:35la doctrine militaire russe a été arrêtée en avril 2000, si vous voulez, quand Poutine est
13:46arrivé au pouvoir en 99. Il a lancé un débat sur la doctrine de sécurité nationale et la doctrine
13:54militaire. La doctrine militaire a été entérinée en avril 2000 et depuis, effectivement, ça n'a pas
14:03bougé. Or, beaucoup de choses ont bougé depuis 2000, notamment tout ce qui a trait à l'antimissile,
14:09tout ce qui a trait à l'observation satellitaire, à la guerre dans l'espace éventuellement. Mais sur
14:21le fait que la Russie ne peut pas défendre un territoire de 17 500 000 km² sans le
14:33nucléaire. Donc, si vous voulez, ça restera toujours comme d'ailleurs le cœur. Simplement,
14:42il peut envisager peut-être d'une utilisation, si vous voulez, sur des enjeux qui ne seraient
14:52pas essentiels et qui seraient à sa proximité. D'ailleurs, c'est ce que font les Américains quand
15:01les Américains nous disent « je mets des armes nucléaires en Europe et je vais protéger l'Europe
15:08avec mes armes à nucléaire si les États-Unis ne sont pas menacés et que l'Europe est menacée. »
15:16Si vous voulez, c'est de dire que je suis prêt à prendre un risque nucléaire pour des pays qui ne
15:23sont que mes alliés. Personnellement, je n'y crois absolument pas.
15:30Vous dites général que Biden y croit, à la menace nucléaire. Mais alors Zelensky,
15:36on a l'impression que pas du tout. Il ne cesse de demander des armes à ses alliés pour frapper
15:40en profondeur, de plus en plus en profondeur, sur le territoire russe pour y poster. Pour l'heure,
15:45Washington autorise les tirs de missiles de contrebatterie et contre la Crimée,
15:50qui est aux yeux de l'Occident encore un territoire ukrainien. Comment expliquer
15:57cet aveuglement ou cette tentative de coup de poquer permanent de Zelensky ?
16:02Zelensky joue son rôle. Zelensky n'a fait que des demandes que les Américains ont refusées.
16:07Je vais vous en donner quelques exemples. Début mars 2022, Zelensky a demandé à l'OTAN de créer
16:17une non-fly zone, c'est-à-dire une zone d'exclusion aérienne au-dessus du territoire de l'Ukraine.
16:23C'est à Washington qu'on lui a répondu qu'il n'allait pas question. Les Américains ne voulaient
16:27prendre aucun risque. Des pilotes américains se confrontent à des pilotes russes au-dessus du
16:32sol ukrainien. Il y a des risques de dérapage. Quand ils ont fourni les Imars, dont les missiles
16:43peuvent tirer à plusieurs centaines de kilomètres, ils ont interdit à l'Ukraine de tirer sur le
16:49territoire russe, y compris la Crimée. Quand un missile S-300 est tombé sur le sol polonais et a
16:56tué deux agriculteurs polonais, Zelensky s'est précipité dans les médias en disant que c'était
17:02un missile russe. Les Américains, immédiatement, dans la journée, ont dit qu'ils avaient suivi la
17:06trajectoire. C'est un missile antiaérien ukrainien qui n'a pas marché. Toute la démarche des
17:14Américains a été de freiner. Quand il y avait des discussions pour les F-16, immédiatement,
17:23Poutine a dit qu'il allait commencer à déployer des armes nucléaires tactiques en Biélorussie.
17:30Il y a eu un espèce de jeu en permanence entre les États-Unis et la Fédération de Russie.
17:41Bien entendu, il y a toujours le téléphone rouge. Il y a le jeu beaucoup plus sérieux que l'on ne
17:46voit pas. Entre les deux premières puissances nucléaires du monde, il faut savoir que la
17:54Fédération de Russie, d'après le Centre pour la non-prolifération d'Odessa, considère qu'il y a
18:051 500 missiles balistiques russes qui sont opérationnels et 2 000 armes nucléaires
18:13tactiques. Il y a une supériorité russe parce qu'ils ont des missiles hypersoniques, ce que
18:26n'ont pas encore les Américains. Avec ce niveau de volume qui est à peu près équivalent aux
18:33États-Unis, il y a une neutralisation complète. Ils ont de quoi faire sauter le monde, il ne faut
18:38pas se faire de l'illusion. Vous savez que nous aussi, avec un seul SNLE, je le dis souvent,
18:46qui a 16 missiles Mirvée avec 10 têtes de l'ordre de 100 kilotonnes, c'est 1000 fois Hiroshima. Un
18:57seul sous-marin nucléaire français est capable de délivrer 1000 fois Hiroshima. On est le seul
19:08pays d'Europe qui a la sécurité de son territoire qui est faite par lui-même et grâce au général
19:16De Gaulle et à la force de dissuasion. Le nucléaire reste le centre de toute la stratégie mondiale.
19:24Le centre de toute la stratégie mondiale, général. Pour vous, il existe aussi une loi
19:30d'airain qui a pu se lier au front lui-même. Je vous cite « La Russie commence mal les guerres,
19:36mais les qualités de résilience de son peuple, le courage de ses chefs et de ses soldats,
19:40ses capacités industrielles d'armement et les liens internationaux que sa diplomatie a forgé
19:44au cours des siècles lui ont toujours permis de rétablir une situation mal engagée ». C'est ce
19:49que vous écrivez dans votre essai, général Pinatelle. « Nous avons tort de les considérer
19:53comme des mougiques incultes ou alcoolisés » écrivez-vous aussi. Oui, puisque la Russie
20:01aujourd'hui a les meilleurs mathématiciens du monde et on l'a bien vu puisqu'aujourd'hui sur
20:08le terrain, alors qu'elle avait très peu de drones, qu'elle avait une guerre électronique
20:13qui datait des années 80, aujourd'hui ils ont été capables de créer un véritable brouillard
20:19électronique au-dessus de leurs troupes et de faire que les missiles guidés par GPS qui étaient
20:28les IMAR américains ou certains obus de nos Césars qui coûtent très cher, n'arrivent plus à leur
20:38cible, ils arrivent à les détourner. Alors qu'en 2022 c'était à tous les coups de toucher leur
20:44cible, aujourd'hui les Ukrainiens ont dit que moins de 6% de ces missiles guidés par GPS touchent.
20:51Donc on sait très bien qu'ils ont une capacité électronique. Il faut savoir quand même que les
20:58Russes produisent autant d'ingénieurs que l'ensemble de l'Occident. Les mathématiques
21:07en Russie c'est la chose la plus importante. Durant l'Union Soviétique, les acamédiciens
21:15mathématiques étaient plus payés que le secrétaire général du parti communiste.
21:19Moi j'étais à Moscou, j'étais aller voir le patron du département mathématique de l'université
21:29de Moscou, il avait un bureau qui était une véritable cathédrale et il avait sur le mur
21:33tous les certificats de félicitations de tous les GAFSA américains. C'était à Moscou qu'on
21:40faisait les algorithmes. Voilà les meilleurs algorithmes, d'ailleurs on le sait bien puisque
21:45tout le monde craint énormément les attaques internet russes, on en parle énormément. C'est
21:53un pays qui est resté très scientifique et très industriel. Une autre grosse différence qui fait
22:00que l'Ukraine a du mal à faire c'est que nous, sauf les Etats-Unis mais les Etats-Unis en partie,
22:08en 1991 on a considéré que la paix était arrivée et qu'on n'avait plus besoin de stocks. On a
22:16rationalisé les industries de défense et on s'est dit on va faire du flux tendu, ce qui suffisait
22:23face aux terroristes etc. Alors que les Russes ont conservé leurs stocks et ont conservé leur
22:30industrie de défense, c'est à dire quand il a fallu remonter en puissance. Déjà ils produisaient
22:35par exemple 2,5 millions d'obus de 155 au début de la guerre alors que les Etats-Unis ont
22:42produisé que 90 000, c'est à dire dix jours de consommation par l'armée ukrainienne. Les
22:50Américains montent en puissance mais en 2025 ils ne vont produire que la moitié de ce que les
22:55Russes produisaient en 2022. Quant à l'Europe, on est désarmé. L'atmosphère n'existe pas et
23:09l'armée française qui a un budget insuffisant parce que l'armée française a une force nucléaire
23:17mais en même temps est une puissance maritime et continentale donc à la différence des Anglais
23:22qui n'ont plus d'armée de terre et des Allemands qui n'ont pas de marine, nous on doit avoir une
23:26marine, une armée de terre et une aviation. Voilà donc on n'a pas de quoi mener une guerre comme
23:35celle que l'on voit et qui est une guerre tout à fait nouvelle, qui est une guerre à la fois
23:40d'attrition et en même temps d'une technologie très élevée. Nous allons revenir justement là-dessus
23:47sur les leçons que doit tirer l'armée française et la France de son conflit mais avant cela vous
23:52souveniez évidemment la production d'obus et qui sur le terrain se traduit par des pertes que l'on
23:57n'a pas vues en Europe depuis 45 au moins. Côté russe, 80 000 hommes selon l'organisation russe
24:03d'opposition Medouza, 70 selon une autre organisation d'opposition Important Stories,
24:0880 000 hommes, 70 000 pertes. Pour vous, 40 000 dans votre essai en tout cas semble plus crédible
24:15et côté ukrainien c'est encore flou, l'armée russe revendique évidemment en avoir tué près
24:20d'un demi million, ce qui semble un peu exagéré mais une chose est sûre, l'Ukraine est à bout,
24:24d'ailleurs des vidéos remontent régulièrement de manifestations locales contre les mobilisations
24:29quasi forcées. Général, à quel point jusqu'où l'Ukraine peut-elle se battre ? D'abord il faut
24:38saluer l'héroïse de l'Ukraine et des gens, je ne dis pas des oligarques qui s'enrichissent
24:45et qui achètent des yachts et qui sont sur la côte d'Azur ou ailleurs, mais je parle du peuple
24:51ukrainien. Moi je suis une admiration sans borne. Évidemment il y a une propagande qui est très
25:01forte mais il y a un sentiment national du moins chez les Ukrainiens qui sont à l'ouest du Nièvre
25:07parce qu'il y a quand même vraiment deux Ukraines. Il faut savoir l'ouest du Nièvre a fait
25:15la guerre aux côtés de l'Allemagne alors que l'est du Nièvre a fait la guerre du côté de la Russie,
25:22en gros, pour simplifier. Mais donc on a deux parties de l'Ukraine mais la partie ouest veut
25:33absolument rentrer dans l'Europe, est très européanisée et se bat pour défendre sa
25:39terre. Mais la Russie ne veut pas y aller. La Russie ne veut pas aller, d'après moi,
25:45à l'ouest du Nièvre. Sauf peut-être, mais j'estime que ce serait une grosse erreur,
25:54aller jusqu'en haut-descent. Voilà. Mais je pense que Putin est tout à fait capable,
26:00si on engage des négociations maintenant et si le front ukrainien ne craque pas,
26:05de contenir tous ces ultras nationalistes chez lui qui le poussent à aller jusqu'en haut-descent.
26:12Je pense que Poutine est en mesure effectivement de faire une négociation sur la base des quatre
26:19blocs qu'il a annexés et qui sont russes en fait, qui étaient et qui sont russes. Voilà. Donc,
26:26même s'ils ont été rattachés à l'Ukraine, si vous voulez, mais la culture des gens qui étaient
26:32était une culture, étaient des russes et des russophones. Voilà. Et donc, pour lui,
26:38il n'est pas question de transiger là-dessus, si vous voulez. Les russes ont quelque chose,
26:44comme beaucoup de pays d'ailleurs, quand on a le sang versé, on respecte le sang versé.
26:49Si vous voyez, s'il a fait cette guerre et qu'il a eu 80 ou 40 000 ou 80 000 morts et pertes,
26:59parce que quand on emploie pertes, on emploie les morts et les blessés très graves qui ne
27:04pourront pas retourner au front. Par exemple, on sait aujourd'hui qu'en Ukraine, il y a de l'ordre
27:09de 50 000 amputés. Et ça, c'est les Allemands qui fournissent les matériels pour les appareillers,
27:19qui ont sorti ce chiffre. C'est plus que dans la Seconde Guerre mondiale, si vous voulez,
27:23pour les forces de l'Ouest. Donc, c'est une guerre qui est terrible. C'est une guerre qui est terrible,
27:32il ne faut pas minimiser. Donc, il faut l'arrêter le plus vite possible. Moi,
27:35je connais un peu ce que c'est le feu, puisque j'ai été blessé à l'opération et j'ai eu dans
27:41une journée, deux morts et sept blessés, 37% de pertes dans ma section. Donc, je sais ce que c'est
27:48avoir des gens qui gémissent à côté, vous-même, en martyr tout en continuant à se battre. Donc,
27:56moi, je suis très, très critique, et je l'ai dit dans le bouquin, contre tous ces vingt ans de
28:03guerre de plateau TV qui passent leur temps à pousser à un affrontement, ce qui est tout à
28:10fait dément, alors qu'il faut absolument oeuvrer pour faire cesser cette guerre, sur des bases,
28:16à discuter, mais ce n'est pas la peine de se raconter des coups qui ne pourront pas être,
28:23Poutine ne donnera pas ce qu'il a acquis. Ça, c'est clair. Parce qu'il ne peut pas aussi,
28:33il faut voir, le nationalisme exacerbé qu'il a à la Douma. On présente Poutine comme un dictateur.
28:40Non, c'est un chef autoritaire, c'est évident, le système russe est un système autoritaire,
28:46mais il a une opinion publique, et il a une opinion publique bien plus radicale à la Douma que lui.
28:51Une opinion publique plus radicale que lui. Alors, on comprend bien dans votre essai l'argument de
28:57l'intérêt américain dans le conflit, c'est-à-dire d'infliger une défaite stratégique à la Russie.
29:01D'ailleurs, Moscou emploie aussi ce terme-là. Mais l'Europe, quel est son intérêt dans ce
29:06conflit ? Si on écoute Ursula von der Leyen et les Bruxellois, ils semblent affirmer que le
29:11conflit a donné à l'Union européenne conscience d'elle-même et l'aurait même renforcée.
29:15Alors là, je ne suis pas du tout d'accord. Ce conflit a bien montré qu'il y a une partie de
29:27l'Europe, l'Europe du Nord si on peut dire, qui est très proche des intérêts américains. Mais
29:33on le savait déjà pour ceux qui le regardaient. Mais il y a une Europe du Sud qui s'en détache.
29:41Quand vous regardez que ce soit de la Grèce à l'Autriche, à l'Italie, à la Slovaquie, à la
29:51Hongrie, etc., la position est très différente sur pratiquement tous les problèmes. Non,
29:58au contraire. La guerre, quand on est unis, ça renforce l'unité. Mais quand on est
30:08artificiellement unis, ça fait éclater les clivages. Ça fait éclater les clivages. Non,
30:16moi je ne crois pas du tout que ça donnait... Alors oui, ça donnait une conscience médiatique,
30:21etc. Mais en profondeur, non. Pourquoi ? Parce que les sanctions que les Américains nous
30:28ont imposées les ont renforcées alors que pour nous ça nous a affaiblis. Et regardez en Allemagne,
30:33regardez, regardez, là encore on a eu les chiffres en France de toutes les start-up qui déposent
30:38leurs bilans, etc. On souffre énormément économiquement parce que l'Europe avait
30:46connu sa croissance et son développement sur une énergie pas chère qu'elle importait de Russie.
30:51Et d'ailleurs tous les pays du Sud continuent à importer. Et les Américains aussi, ils ne se
30:59gênent pas. Il n'y a qu'un certain nombre de pays qui sont plus royalistes que le Roi et notamment
31:07l'Allemagne. Regardez ce qui s'est passé aux élections de Thurage et de Sachs. Il y a une
31:12opposition en Allemagne très très forte et qui grandit très vite parce que l'industrie allemande
31:19est en train de payer durement le prix de cette guerre qui n'est absolument pas de l'intérêt
31:28de l'Europe, qui n'est pas absolument pas l'intérêt de l'Europe. Et des gens comme Merkel ou Hollande
31:35sont des gens qui sont responsables en partie de cette situation en ayant trompé la Russie.
31:44Comment voulez-vous que la Russie aujourd'hui puisse croire des négociateurs européens alors
31:52qu'on a signé un accord avec eux dans le seul but d'armer l'Ukraine pour qu'elle puisse reconquérir
32:00le Donbass et qu'en plus on s'en vante ? C'est n'importe quoi. Oui, bien entendu.
32:09Je voulais revenir sur les enseignements que devraient tirer à la fois la France et l'armée
32:18française. Vous avez commencé à mentionner ces perspectives prospectives. Pourriez-vous
32:22préciser justement ce que l'armée française doit absolument, selon vous, comprendre du conflit ?
32:28L'armée française, je pense surtout que nos dirigeants doivent comprendre qu'il faut augmenter
32:36le budget de la défense beaucoup plus que ce qu'il le faut. Je vous rappelle quand même que
32:41Macron qui veut partir en guerre, va envoyer des soldats, n'a pas mis un euro de plus sur la loi
32:52de programmation militaire qui était prévue dès 2019. On savait qu'à partir de 2023 on allait
33:01mettre 3 milliards de plus pour effectuer un rattrapage. Mais ce rattrapage il est à peine
33:08commencé. Et si on veut en plus intégrer sur le plan classique et pouvoir engager pour aider
33:16nos voisins à autre chose que deux brigades qui seront capables de durer pendant un mois au
33:22maximum, c'est-à-dire 10 000 hommes pendant un mois, il va falloir mettre 5 milliards par an et
33:28pendant 10 ans. Quant à la Bundeswehr, la commissaire parlementaire qui a fait un rapport
33:37de 170 balles, d'ailleurs dont le monde a rendu compte en avril dernier, a dit c'est pas 100
33:43milliards qu'il faut, c'est 300 milliards et 10 ans. Donc on n'est absolument pas opérationnel
33:49pour mener une guerre telle qu'elle se présente. Et notamment, qu'est-ce qu'il y a ? Il y a un
33:55travail énorme à faire sur le volume, parce qu'on a une armée qui est d'échantillons. Volumes de
34:03chars, volumes de canons, volumes de défense antiaérienne à tous les niveaux, volumes de
34:10guerre électronique, etc. Donc tout ça, si vous voulez, on a les moyens de le faire industriellement
34:15et technologiquement, mais il faut de l'argent. Et cette montée en puissance ne peut pas se faire
34:21par un coup de sifflet. Alors ce qu'il y a pour nous qui est très important, c'est qu'effectivement
34:29on aura un bon retour d'expérience de cette guerre. Parce qu'on a envoyé des forces spéciales, que la
34:35force spéciale regarde ce qui se passe et que le chef d'état-major des armées est en mesure de
34:40présenter un bon plan, mais à condition qu'on lui mette de l'argent. Or, qu'est-ce qu'on a fait
34:46depuis ? On a repris à nos armées la moitié des canons César, on les a envoyés à l'Ukraine,
34:53on n'a pratiquement plus de munitions, on les a envoyés à l'Ukraine. Donc si vous voulez, la remontée
34:58en puissance de l'armée française, on a du mal à garder nos effectifs parce que la condition
35:03militaire est dans un état épouvantable. Donc il faut mettre de l'argent si on veut avoir une armée
35:10autre que la dissuasion nucléaire. Mais ça c'est un choix, parce que la dissuasion nucléaire ça
35:15fonctionne. Mais si on veut aider nos amis pesés en Europe, là, jusqu'à maintenant, on n'est pas
35:22capable de le faire, soyons certains. Un effort budgétaire supplémentaire, ce sera un nouveau
35:28message pour le nouveau Premier ministre, que le gouvernement devrait bien évidemment écouter. Ce
35:33sera le mot de la fin. Général Pinatel, merci beaucoup pour toutes vos explications. Je rappelle
35:38aux auditeurs que vous avez écrit l'essai « Ukraine, le grand aveuglement européen », carnet de
35:43200 guerres aux éditions Ballant. Merci encore, mon général. Surtout, surtout, merci à tous.
35:49N'oubliez pas de commenter et de partager cette vidéo, ce nouvel épisode de Chope du Monde,
35:54le magazine des crises et de la prospective internationale de TVL. Merci à tous.

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