• il y a 2 mois
Ecrivain et éditeur, Guillaume BASQUIN s'entretient avec Evelyne ARTAUD, critique d'art et commissaire d'exposition.
Transcription
00:00Donc ton texte, la première des questions, qui est bateau, c'est pourquoi pas confiation?
00:25Alors c'était un hommage à Philippe Solas en son Paradis, mais aussi H et Paradis II,
00:35parce que quand j'ai lu ses livres, qui étaient très célèbres, mais qu'on ne voit jamais en
00:40librairie parce qu'ils ont été écrits il y a trop longtemps, dont tout le monde parle,
00:43mais sans les avoir lus, quand je les ai achetés et lus, j'ai été bouleversé par l'audace en fait.
00:50Je me suis dit, quelle audace, parce que c'est dur à lire, le lecteur doit tout mettre lui-même,
00:56les pauses, la ponctuation, et s'il le fait, s'il accepte ce jeu, alors la jouissance de lecture,
01:01de lecteur, est plus grande. Et productive aussi. Et j'ai voulu aller dans cette direction-là,
01:09parce qu'il me semblait que personne n'avait été plus loin en France, donc c'était un hommage et
01:12un défi aussi au monde littéraire actuel, qui n'ose jamais faire ça quasiment. Il y a des
01:17exceptions, mais il n'ose pas beaucoup. Et voilà, c'était un hommage et un défi. Côté défi,
01:23ça n'a pas loupé, les éditeurs ne voulaient pas le lire. J'ai été confronté à des dizaines de
01:28refus de lecture. La Bible est écrite comme ça, je l'ai appris, et dans sa langue d'origine.
01:34En latin, oui. Tu crois qu'en latin, ils n'avaient pas coupé les mots ? Non. Ah si,
01:40ils coupaient les mots, mais c'était capital. Je pense que c'est à l'Ancien Testament,
01:43alors c'est écrit en hébreu, sans couper les mots, c'est tout attaché. À l'époque,
01:50les gens arrivaient à lire, les lettrés lisaient sans problème. Donc tout ça,
01:54c'est des conventions en fait. Donc Philippe Solaire, je lui ai envoyé ce manuscrit,
01:59forcément. Il m'a répondu très vite, je ne peux pas publier ça, vous imaginez bien pourquoi,
02:04ça va trop près de ce que j'ai fait. Dans un second temps, il a accepté de publier une défense
02:10de ce livre par Jean-Marie Apostolides, qui était un professeur de français et de théâtre à
02:15Stanford Université. Et 17 pages dans la revue, ça fait. Il a accepté de publier ce texte très
02:22vite, donc il n'avait rien contre mon texte, c'est juste qu'il ne pouvait pas publier quelque
02:27chose d'aussi proche de lui. Donc tout ça, c'est terminé dans le meilleur des mondes possibles.
02:32Dans un premier temps, peut-être que j'ai pu penser que c'était une décision formelle des
02:38filles littéraires, hommage, et en l'ayant expérimenté, j'avais déjà un peu expérimenté
02:43dans mon livre précédent. Non, en fait, c'est une nécessité parce que ça permet tous les collages,
02:48toutes les fluidités, le passage d'une langue à l'autre, sans tout un arsenal très compliqué,
02:54très complexe et très lourd au final, de deux points, ouvrez les guillemets, fermez les guillemets,
02:59italique, notes de bas de page, références. Ça peut se faire, mais c'est lourd, ça ne permet pas
03:06cette vitesse et in fine, mais ça, je ne pouvais pas le savoir avant d'avoir écrit le livre et
03:12avant d'avoir terminé, peut-être même publié, c'est un livre sur la vitesse. Je ne l'avais pas
03:17prévu. C'est un livre où tout va très vite. Comme dans mon autre métier, activité principale que je
03:24ne vais pas forcément nommer là, je travaille dans la vitesse. Du coup, rétrospectivement,
03:32je suis très content d'avoir fait ce livre, ouvrons les guillemets, le plus rapide du monde
03:37parce que ça joue sur la vitesse. Ça, ce n'était pas prévu et ça devient finalement, c'était
03:42nécessaire. Sinon, le livre était très ralenti et beaucoup alourdi. Est-ce que tu as lu tous ces
03:48livres de Virilio, Hermonte Rosa, etc. sur l'accélération du temps. Paul Virilio, oui.
03:56Sur l'accélération du temps qu'on vit véritablement tous avec toutes ces technologies.
04:05J'ai lu la plupart des livres de Paul Virilio. J'étais complètement d'accord avec lui. Au
04:09moment des bateaux rapides, les bateaux à moteur, on a compressé l'espace géographique. On l'a
04:17diminué. Du coup, on a fait de la terre un espace de village global planétaire. Et avec
04:23l'Internet, on a liquidé le temps. Maintenant, on peut avoir le journal télévisé à 8 heures du
04:30matin à Tahiti en direct dans un bateau. Je l'ai vécu, ça. J'étais en train de regarder le
04:36paysage entre Tahiti et Moorea. Donc, en train de jouir de ça. Il était 8 heures du matin. Je
04:42vois tout le pont qui se vide, y compris des confrères et des consoeurs de travail. Je me dis
04:48mais qu'est-ce qu'ils vont faire en bas ? Et au bout de quelques minutes, je vais en bas. Je
04:52comprends qu'ils sont en train de regarder le journal d'antenne en direct, 12 heures dès qu'à la
04:56journée. Donc là, on a liquidé le temps. Et ça, c'est la compression. D'abord de l'espace avec
05:03les bateaux rapides et les avions. Et ensuite, du temps avec Internet. Donc, il faut faire avec.
05:08On ne reviendra jamais en arrière. Mais ce qui se passe, c'est que les écrivains sont complètement
05:12à côté de la question. Ils ne parlent jamais de ça, sauf Philippe Solers. Quelques autres,
05:17ils ont parlé du TELEX à l'époque. Jean-Jacques Choulle, Philippe Solers. Comme quoi le TELEX a
05:22révolutionné les communications et il fallait en tenir compte dans la littérature. Et ils l'ont
05:27fait. Quelqu'un comme Michel Houellebecq, il n'a jamais parlé de ça. Ils sont à côté de cette
05:35question, la volonté technique avec un V majuscule et un T majuscule que Heidegger a théorisé en
05:41premier, je crois. Il faut que l'écrivain ou le cinéaste en tiennent compte pour être dans la
05:49question, dans son temps, pas à côté de son temps. Sinon, c'est quand même très réactionnaire. Moi,
05:54je trouve que Michel Houellebecq a une écriture complètement réactionnaire dans le style.
05:58Oui, mais c'est ce qu'il a de l'essentiel. Oui, d'une certaine façon. Il se démarque de la
06:08littérature bien pensante. Il surjoue parce que quand même, c'est gonflé. Dosé à ce point,
06:12il est réactionnaire, c'est gonflé. Je pense qu'il surjoue. Il surjoue. Céline l'a bien surjoué
06:18aussi. Mon autre question perfide, c'est est-ce que tu es devenu éditeur pour t'éditer ou est-ce
06:24que tu es devenu éditeur parce que tu voulais éditer d'autres artistes? Je n'ai jamais voulu
06:29être éditeur. D'accord. Et je n'ai jamais voulu écrire. Tout ça est arrivé vers 40 ans,
06:36quand le cinéma était numérisé. Ah oui. Première. C'est très important dans le livre. Première
06:42projection numérique, projection barrée. Parce que pour moi, il ne peut pas y avoir de projection
06:47avec le numérique. Ce n'est pas une transparence. Ce n'est pas un effet caverne avec un tout petit
06:53trou dans la caverne noire. C'était un film de Raoul Ruiz, Les mystères de Lisbonne. Très long,
06:59quatre heures. Là, je suis très près de l'écran. C'est au MK de Hautefeuille. Je me souviens très,
07:05très bien de la situation. Je comprends que ça n'a plus rien à voir avec le cinéma argentique
07:09que j'adorais. J'y allais presque tous les jours depuis 20 ans. Tout d'un coup, je vois que c'est
07:14fini. On va me casser mon jour, on va me le retirer. Puisque pour des raisons économiques,
07:17c'était évident qu'on allait passer à 100% à ça. C'est ce qui s'est passé. Et là, j'ai tellement
07:24aimé le cinéma. Pourtant, je ne suis pas cinéaste. Je n'ai pas dormi pendant deux jours d'angoisse.
07:28J'ai écrit mon premier livre qui s'appelle Fondu au noir, le film à l'heure de sa reproduction
07:33numérisée. J'ai eu 40 refus d'éditeur parce que n'ayant jamais écrit, c'est normal. Personne ne
07:39vous connaît. Et il a été publié par le 41e éditeur qui se trouve être un très bon éditeur. Pareil
07:44expérimental. Pareil, tout s'est terminé dans le meilleur des mondes possibles. Mais neuf mois
07:49d'attente et 40 refus ou non réponse, c'est beaucoup de souffrance. J'attendais tous les
07:54jours les réponses. À l'époque, c'était plus par lettres que par Internet. Et je regardais la
07:58boîte aux lettres, vide, non, vide, non. Et ensuite, un jour, j'ai un problème de santé,
08:06une hernie discale, je suis paralysé dans mon lit et j'étais en train de lire Les frères Karamazov
08:12d'Estoyevski et ça se retrouve au début du livre. Et là, je me dis déjà pour m'occuper, je me lance
08:21dans un nouveau livre qui est celui-là, mais je ne sais pas du tout où je vais à part que tout de
08:26suite, je vais dans le non ponctué parce que je vais vers Paradis, mais je ne sais pas du tout
08:31où je vais plus avant. Et j'écris, j'écris. Et puis, ce livre, pour le faire publier, c'était
08:40très, très difficile sans être déjà très, très connu. Jacques-Henri pense que si Solers n'avait
08:46pas eu sa revue telle qu'elle, il n'aurait pas pu publier Paradis, âge, nombre, loi. Il n'est pas
08:53sûr qu'il aurait pu publier ces livres-là. Alors du coup, comme je sens que les éditeurs ne veulent
08:58pas le lire et ne le lisent pas, je me dis bon, je vais faire autre chose en attendant. Je réfléchis
09:04à la situation de la littérature française contemporaine en 2013-2014 et je vois qu'il n'y a
09:09pas de texte sur Jean-Jacques Choulle et il n'y a pas de texte sur Jacques-Henri. Les textes conséquents,
09:14c'est-à-dire un livre. Je me dis je vais faire ça, je vais faire un livre sur Jean-Jacques Choulle
09:19parce que là, Solers va le publier et puis mon nom va circuler et peut-être qu'après, j'arriverai
09:23à faire lire ce manuscrit. Et mon Jean-Jacques Choulle a été publié, un des larges extraits dans
09:29l'Infini, mais il ne l'a pas publié en livre. Il m'a dit malheureusement, je ne peux pas le faire.
09:34C'est les termes qu'il m'a écrits, malheureusement pour moi, pour Jean-Jacques Choulle, pour un peu
09:40pour tout le monde. Je ne sais pas s'il voulait le faire et qu'il a été censuré plus haut, peut-être
09:46par Antoine Gallimard, c'est possible. Il était 100% libre dans sa revue, mais pas 100% libre dans
09:51sa collection. Ça c'est sûr, beaucoup d'auteurs le disent. C'est une éventualité. Bon, il est
09:56publié chez, après beaucoup de refus, au moins 30 refus, il est publié chez Honoré Champion,
10:01c'est un éditeur universitaire très ancien qui est à côté du Théâtre de l'Odéon. Donc ça,
10:05c'est une satisfaction, mais pas de visibilité médiatique. Ils font très peu de services de
10:09presse. Les livres sont dans la librairie, mais très peu dans les autres librairies,
10:14la librairie de l'éditeur. Donc je repars encore à zéro, je n'ai pas la visibilité suffisante. Même
10:19si j'ai un texte dans Artpress, je suis content, mais ça ne suffit pas. Qu'est-ce que tu veux,
10:24tu veux être lu ou tu veux la gloire ? Non, je veux que ce livre de papier soit publié tel quel,
10:32mais je ne veux pas être éditeur à ce moment-là. Donc je continue, Jacques-Henri qu'entre images et
10:37textes. Premier livre sur Jacques-Henri, je me dis là, je vais trouver un éditeur parce qu'il a
10:42publié chez une dizaine d'éditeurs. Je le renvoie à tous, il y en a bien qui va dire oui. Personne
10:47n'en a voulu, même le seuil. Alors qu'il pouvait trouver un préfaceur prestigieux. Moi, je sais
10:54qui c'est qu'il fallait, parce que je connais bien leur histoire personnelle. L'histoire d'Artpress,
10:57c'était Pierre Guyota. Quand Pierre Guyota était dans le coma à cause de ses écrits extrêmes,
11:03c'est Jacques-Henri qui l'a hébergé, qui l'a nourri, qui l'a aidé, qui l'a défendu dans la
11:07revue. Donc Pierre Guyota, il devait renvoyer l'ascenseur en écrivant cette préface, ce premier
11:13livre sur son ami. Et il n'a pas répondu. Et là, je me dis, là c'est un peu raté mes essais pour
11:21être connu. Et par un ami commun qui s'appelle Jean Duranson, qui écrit sur le cinéma, qui a
11:27une caméra stylo, une revue un petit peu connue à une certaine époque dans les années 80 et qui
11:31écrivait dans le trafic régulièrement. Je lui demande de m'aider parce que je n'y arrive pas
11:36tout seul. Et il me dit, j'ai un ami qui va monter une maison d'édition à Arles et envoie lui
11:42le manuscrit. Cet ami s'appelle Cyril Huot. Il est le premier éditeur potentiel ou futur à adorer
11:50le manuscrit avec une lettre de réponse. Alors je me dis, ça y est, j'ai trouvé. Et puis deux
11:56semaines après, il me dit, malheureusement, je n'ai pas trouvé de diffuseur et je renonce à
12:01monter ma maison d'édition. Alors là, ça retombe tout de suite. Je repars à zéro et je lui dis,
12:06mais vous n'avez pas... si vous montez une maison d'édition, vous avez peut-être un manuscrit ou
12:10plusieurs en cours. Il dit, bien sûr, parce qu'il a eu les mêmes problèmes que moi. Il m'envoie un
12:15manuscrit qui s'appelle Le spectre de Thomas Bernard, qui n'a pas trouvé d'éditeur à l'époque,
12:20n'avait pas trouvé d'éditeur. Et tout d'un coup, eureka, je vais publier son livre. Je vais publier
12:28mon essai sur Jacques-Henri et on va lancer une maison d'édition. Donc ça me permettait d'être
12:34sûr de pouvoir publier livre de papier comme je voulais, c'est-à-dire comme ça, tel quel, avec
12:39cette couverture, avec ces idéogrammes chinois qui viennent des rappants. Alors que si j'avais été chez
12:45Flammarion ou chez l'Infini, je n'aurais jamais eu ça en couverture. Il n'y a pas d'image possible
12:50chez Gallimard. D'où vient le graphisme du ciseau découpant? Alors ça, c'est quand j'ai monté la
13:01maison d'édition. Enfin, on a monté avec ma femme et à l'époque, Jean Durançon. Donc on voulait
13:07Sinbad. Sinbad étant un marin. Oui, bien sûr. Et mon activité principale étant proche de la marine
13:14marchande. Je voulais un marin parce que les écrivains marins, ils sont mythiques. Conrad,
13:20Melville. C'était aussi un défi au monde littéraire. Je ne venais pas de là et j'allais
13:25en tant qu'écrivain marin d'aujourd'hui les défier et aller plus loin que tous réunis.
13:29Conrad, c'est pas mal. Et donc, je me souviens que Sinbad s'est pris. C'est une filiale d'Actes Sud
13:38et ils font de la littérature de Moyen-Oriental, des traductions, tout ça. Donc, dans mon souvenir
13:43de lecture d'Ulysse, il y avait cette phrase Sinbad the sailor and Timbad the tailor. Et tout
13:50ça était inconscient. Je ne savais pas que ça allait s'appeler Timbad cette maison d'édition.
13:55Et en rêvant comme ça, je me disais ce sera Timbad. Et comme c'est un tailleur, ça va être un tailleur
14:01de mots. Du coup, il y a un ciseau et un patron parce qu'on peut couper la couverture comme ça.
14:07Et depuis, j'ai appris que Jean-Jacques Choulle parle dans ses textes, écrive souvent de couture
14:12pour la même littérature. Chez Proust aussi. Ça pourrait être de la censure aussi. Alors,
14:18je n'ai pas pensé à ça. Est-ce que tu as préparé quelque chose des lectures? Oui,
14:25on peut parler de la couverture? Oui, bien sûr. Donc, la couverture, j'ai déjà montré une fois.
14:31Ces idéogrammes viennent des cantos des rappants que je lis en piochant. Je n'ai jamais lu les
14:38cantos dans la continuité encore un jour parce que c'est long, c'est dur parce que je les ai en
14:44anglais, c'est à dire dans toutes les langues, mais principalement en anglais. Mais je sais que
14:49le livre est mythique, etc. Et je comprends très vite que pour lui, les idéogrammes,
14:53ok, il y a un des premiers aussi dans le tour à s'intéresser, c'est du montage parce qu'il y a
14:59un idéogramme, un autre, ça crée un troisième sens. Ce n'est pas comme Béat qui va faire bas,
15:04mais ça va faire un autre sens. Donc, comme au cinéma, on met un photogramme, un autre ou un
15:10plan, un autre, et ça crée un troisième sens. Comme chez Koulekhoff ou Eisenstein,
15:14les théoriciens du montage. Et celui-là, les deux idéogrammes, ils veulent dire ce qui vient avant,
15:21ce qui vient après. Et forcément, dans ma tête, ce qui vient avant, c'est Paradis. Ce qui vient
15:27après, c'est Il y a deux papiers. Donc, c'est encore une fois un défi, mais aussi un hommage.
15:31Dont Solace n'a pas pris ombrage d'ailleurs pour faire une petite rime qui marche.
15:37Mon autre activité professionnelle, je suis au cœur du capitalisme mondial,
15:41complètement au cœur. Et ça ne m'empêche pas d'être critique, je ne suis pas dupe,
15:45je vois bien ce qu'il se passe et pourquoi ça se passe et comment ça se passe.
15:50J'en connais d'autres.
15:51Peut-être que des poètes, vraiment poètes, ils ne peuvent pas accéder à ça.
15:56Ils sont trop naïfs par rapport au capitalisme. Ils ne voient pas la chose.
16:01Même dans les philosophes. Je veux dire, dès qu'on parle d'économie, c'est comme si on
16:07parlait une langue étrangère. Moi-même, j'avoue mon ignorance dans ce domaine. Alors,
16:15je m'en doute, si j'ose dire, mais je n'ai pas ces précisions.
16:20Je n'ai rien inventé. Ce sont des pirates, en fait. Ce sont les pirates modernes. Ils pillent
16:24le monde à leur façon, comme les pirates du XVIIe siècle. C'est la même chose,
16:29différemment. Il y a toutes mes obsessions qui sont rassemblées à la fin du livre,
16:34dans une espèce de panique. C'est la fin, alors il faut que je rassemble tout ce à quoi je tiens
16:39le plus, c'est-à-dire l'imprimé contre le numérique et le réel contre le virtuel.
16:46Il y a énormément de savoir là-dedans. Tout est arrivé, tout est vrai. Les mots sont
16:54tous écrits quelque part. Ils sont tous plus ou moins fous et dingues. Le monde est fou et dingue,
16:59mais il y a des jouissances. On ne te sent pas désespéré. On te sent remonté.
17:06Je suis remonté, révolté par plein de choses, mais pas désespéré.
17:10Non, non. Ce livre-là t'emmène au suivant. Tout à fait.
17:15C'est ça qui est important, c'est construire l'oeuvre.
17:18Et le suivant, je peux en parler un tout petit peu, parce qu'il est fini d'être composé,
17:22presque la maquette est finie. Il s'appelle « Tweet numéro 1 ». C'est un hommage à « Telex
17:28numéro 1 » de Jean-Jacques Chieux, qui a écrit, comme je le disais tout à l'heure,
17:32sur le telex, la vitesse, les choses qui tournaient, qu'est-ce que ça modifiait
17:35dans leur monde, dans son monde. Aujourd'hui, c'est évident que c'est les réseaux sociaux,
17:42comme Twitter, devenus X, qui ont changé le monde. Donc, « Tweet numéro 1 » est en sous-titre,
17:49ça fera image aussi, classé entre parenthèses « X », mais le « X », c'est le « X » de Twitter,
17:55le logo. Encore une fois, sans ma maison d'édition, il y a peu de chances que je réussisse à avoir ce
18:02logo, parce que Gallimard, Flammarion, ils ne prennent pas jamais le risque, il faudrait payer.
18:06Et puis, je pense qu'ils seraient timides. Un moyen éditeur, il aurait peur d'être attaqué
18:12par Elon Musk s'il ne paye pas. Mais moi, petit éditeur indépendant à petit tirage,
18:17je prends le risque, il n'y a aucun problème. Elon Musk étant plutôt un libertaire ou libertarien,
18:24jamais il ne va attaquer un livre français comme ça. Et quand Elon Musk a décidé de
18:29racheter Twitter et a changé le nom en X, il a dit maintenant, il n'y aura plus de censure,
18:35le moins possible. Il ne continue rien à voir si on publie des choses interdites,
18:38si on appelle au crime des choses racistes, antisémites et pédophiles, on est censuré,
18:44mais beaucoup moins qu'avant, et certainement pas la connaissance scientifique et médicale.
18:49Et quand j'ai vu ça arriver, je me suis dit, c'est génial, je vais rendre hommage à ça,
18:54à Elon Musk, dont je n'apprécie pas tous les domaines, parce que son côté intelligence
19:01artificielle, transhumanité, je suis complètement loin de ça, mais plutôt d'autre côté, opposé.
19:07Mais la liberté de parole, de débat, c'est très important, parce que la science n'avance que
19:12comme ça, la philosophie aussi. Au centre du lit, je mets une page noire en hommage à
19:19« Vies et opinions » de Tristram Shandy, de Laurence Sterne, qui est un des livres les plus
19:26expérimentaux de tous les temps, et pourtant, il date du 18e siècle. Je le fais, du coup,
19:33au milieu du lit, je mets une page noire en hommage à Laurence Sterne, pour sa liberté.
19:36Le fin mot, pour moi, le plus important à défendre, c'est la liberté collective et individuelle.
19:44Non, et puis c'est ce qui fait les œuvres. Sans quoi il n'y aurait pas d'œuvre, il n'y aurait
19:49que des gens qui illustrent, je ne sais quelle idée qu'on leur a mis dans la tête. Une œuvre,
19:55c'est forcément quelque chose qu'on ne peut pas prévoir.
19:58Et on l'a vu dans le communisme, c'était une très belle utopie, le communisme. Mais dans la
20:04peinture, ça a été une catastrophe. Dans le cinéma, il y a eu au début, Ludwig Habertoff,
20:09avec le communisme, il a fait une œuvre géniale. « Six chants pour Sélénine », « L'homme à la
20:16caméra », « La symphonie du Donbass », et il y croyait sincèrement. Ce sont des films géniaux,
20:21c'était une utopie. Et ça a duré cinq ans. Lui-même a été castré, il n'a pu faire que des
20:29commandes et des films de seconde main par rapport à ce qu'il a fait avant. Et en peinture,
20:35en revanche, ça a été 100% catastrophique. Tout l'art réaliste socialiste est une catastrophe. Il
20:39y a la même chose en Italie sous le fascisme, il y a la même chose en Allemagne sous le nazisme.
20:44L'art sans liberté s'effondre, il n'y a plus rien. Au début du communisme, en peinture,
20:51il y a eu le suprématisme de Malevich. On a pu y croire pendant quelques années. Mais en fait,
20:56lui aussi a été censuré, castré, et il a fini par être obligé de faire marche arrière et de refaire
21:02des peintures beaucoup plus figuratives, réalistes, qui sont beaucoup moins grandes que ce qu'on a
21:07le suprématisme. Donc, sans liberté, l'art s'effondre. Oui, puis l'idée de l'égalité
21:13entre les êtres, c'est aussi une drôle de contrainte. Oui, c'est une belle utopie,
21:19mais elle est occultiste. C'est Philippe Muray qui a terrorisé ça dans son chèdre,
21:28le 19e siècle à travers les âges. C'est-à-dire qu'on occulte le réel, c'est que tout le monde
21:32n'est pas égal, on n'est pas des fourmis, on ne peut pas fonctionner comme des fourmis. L'homme
21:36est un loup pour l'homme, il faut en tenir compte. Comme les loups, comme les chiens,
21:42les tigres, les lions, on est un loup pour l'homme, il faut en tenir compte, il faut le
21:47redresser avec des règles sociales, du socialisme démocratique, etc. Mais il ne faut pas l'occulter.
21:53Si on l'occulte, ça fait l'ekmeroud avec les gens méchants de la mort, ça fait le goulag,
21:59et ça devient un catastrophe. Il ne faut pas occulter que les hommes et les femmes ne sont
22:04pas égaux entre eux. Il faut corriger, mais il ne faut pas occulter. Surtout tenir compte de
22:11l'histoire, pas la répétition.

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