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L'Invité du 13h (13h - 10 Septembre 2024 - Carine Durrieu-Diebolt)

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00:00Bonjour Karine Durieux-Diébolt, merci d'être avec nous sur France Inter, vous êtes avocate,
00:05vous avez été membre de la CIVIS, la commission indépendante sur l'inceste et les violences
00:10sexuelles faites aux enfants et vous consacrez votre activité d'avocate à 100% à défendre
00:15les victimes de viols et d'agressions, vous avez dédié votre vie, votre engagement professionnel
00:20à cette cause ? Oui, tout à fait, j'ai choisi de défendre
00:24et d'assister uniquement des victimes et actuellement des victimes de violences sexuelles
00:29parce que d'abord c'est un engagement militant, c'est pour améliorer les droits des femmes
00:34et des enfants victimes de violences sexuelles et il y a encore beaucoup de progrès et d'avancées
00:40à mener et ensuite j'ai aussi des formations et des compétences spécifiques puisque j'ai
00:48fait des diplômes universitaires dans ce domaine-là, je suis spécialisée en réparation
00:53du dommage corporel donc j'ai des compétences aussi spécifiques et c'est important parce
00:58que je crois que les professionnels qui interviennent dans ce domaine-là doivent être formés aux
01:03violences sexuelles, au psychotraumatisme et c'est important de faire valoir ce type
01:09de compétences. Voilà pourquoi nous vous avons invité pour
01:12parler ensemble de ces cas de figure où l'agresseur présumé est décédé, quelles enquêtes
01:16possibles, quelles indemnisations, quelle écoute pour les victimes ? J'attends vos
01:20questions 01 45 24 7000, vous pouvez passer également par l'application France Inter.
01:26Karine Durieux-Diébolt, dans un tel cas de figure, l'affaire de l'abbé Pierre, pas
01:30de condamnation possible, il est décédé, mais est-ce qu'il est tout de même possible
01:34pour d'éventuelles victimes de déposer plainte ?
01:36Alors, déposer plainte contre l'abbé Pierre, personnellement ça va être compliqué puisqu'il
01:42est décédé et ça m'étonnerait fort que le procureur de la République décide de
01:47mener une enquête alors que la personne est décédée. En tout cas moi dans mes dossiers,
01:51je ne l'ai jamais vue à moins que la personne ne décède en cours d'enquête. À ce moment-là
01:55on a une enquête et on peut s'orienter vers d'autres voies. Mais là il est déjà décédé
02:00depuis 2007, donc il peut y avoir un problème de prescription. Normalement le décès de la
02:06personne qui est mise en cause éteint toute action possible, donc a priori contre l'abbé
02:11Pierre, non. En ce qui concerne par contre les instances religieuses, ça a déjà été envisagé
02:20par exemple dans l'affaire Barbarin, vous savez, qui a été jugée en 2021. C'est une affaire qui
02:25a été jugée devant la cour de cassation pour non-dénonciation de crimes et de délits par
02:31les instances religieuses qui étaient au courant des infractions sexuelles qui avaient été commises
02:36par un prêtre. Et malheureusement, la cour de cassation avait considéré qu'il y avait
02:44prescription pour pratiquement toutes les affaires sexuelles qui étaient présentées et qu'il ne pouvait
02:51pas y avoir de non-dénonciation d'infractions, de non-dénonciation de crimes ou de délits dès
02:57lors que les victimes étaient désormais majeures et qu'elles pouvaient elles-mêmes agir en justice.
03:03Donc c'est des recours qui avaient été rejetés. Donc le fondement juridique contre les instances
03:09religieuses va être compliqué à trouver parce que non-dénonciation de crimes ou délits, ça va
03:15être compliqué. Au pénal, il y a aussi la question de la prescription et au civil, il y a aussi la
03:23question de la prescription parce que les faits sont tout de même très très anciens en ce qui
03:27concerne l'abbé Pierre. Quelle est la durée de la prescription ? Ce n'est pas la même si ce sont
03:31des viols ou si ce sont des agressions sexuelles ? Alors s'il s'agit de mineurs, le délai de
03:37prescription actuel, il est de 30 ans à compter de la majorité. Si ce sont des majeurs qui sont
03:45victimes, le délai de prescription est de 10 ans à compter des faits. Mais là on se situe, ce sont
03:53des faits qui ont été commis entre les années 50 et 2000. Donc ce sont encore des délais de
03:59prescription qui sont moindres. Donc a priori, en tout cas pour les violences sexuelles, tous les
04:04faits sont prescrits et en nous, de toute manière, on ne peut pas agir sur cette base-là dès lors que
04:10l'abbé Pierre est décédé. Donc pour les violences sexuelles, ce n'est pas possible. Pour le délit de
04:15non-dénonciation de crime ou de délit qui pourrait être invoqué à l'encontre des
04:23instances religieuses, le délai de prescription actuel, il est de six ans à compter de la
04:31non-dénonciation, à partir du moment où ils ont eu connaissance des faits. Donc là encore, on peut
04:36penser que les faits sont prescrits. Exactement. Et encore, c'est un délai de prescription depuis
04:402017. Mais avant 2017, c'était trois ans. Ça veut dire qu'il n'y a quasiment aucune possibilité pour
04:47les victimes qui s'expriment aujourd'hui d'être entendues un jour par des enquêteurs et de raconter
04:53ce qui leur est arrivé ? Judiciairement, ça va être compliqué effectivement de mener une
05:00procédure à son terme. Il y a des causes d'interruption de la prescription. S'il y a eu
05:07notamment des plaintes qui ont déjà été envoyées au parquet et des actes d'enquête qui ont été
05:16menés, à ce moment-là, on peut trouver des causes d'interruption et de suspension de la prescription.
05:22Ça peut être effectivement un enjeu d'une enquête préliminaire. C'est possible de l'envisager. Mais
05:29ça va être compliqué quand même. En outre, on a une jurisprudence récente devant la CIVI. La
05:37CIVI, c'est la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions, qui a admis que dans
05:42un cas d'inceste, il y avait une omerta familiale qui, de ce fait, était reconnue et avait permis à
05:53une fratrie d'agir en dehors des délais de prescription. La CIVI, c'est pour obtenir une
05:58indemnisation financière uniquement. Mais c'est quand même une reconnaissance judiciaire, d'une
06:03certaine manière. Il faut que ça soit lié à une condamnation ? Il faut qu'il y ait une condamnation
06:06préalable ? Non, il ne faut pas forcément une condamnation préalable, mais il faut établir la
06:10matérialité des faits. Donc, il faut apporter des éléments de preuve. Ça, c'est une chose. Et
06:15d'autre part, à travers l'inceste, il y a eu cette notion d'omerta, de silenciation, qui a été admise
06:21pour prolonger les délais d'action pour les victimes, donc qui agissent directement. Et là,
06:28c'est un fonds d'indemnisation de l'État qui indemnise les victimes. Et on pourrait aussi,
06:32peut-être, admettre que dans le cadre de l'Église, il y a une silenciation qui a été organisée
06:41par ces instances qui ont été informées et qui se sont eues. Donc, peut-être que ça pourrait être
06:45une notion qui pourrait être mise en exergue, qu'on pourrait faire valoir devant la civi.
06:52C'est une interrogation. C'était les missions de la SIAZ, Comité indépendant sur les abus
06:58sexuels dans l'Église, indemniser les personnes victimes d'abus sexuels de la part, par exemple,
07:05de prêtres. La mission de la SIAZ était d'établir un rapport, d'abord d'essayer de quantifier le
07:13nombre de victimes de l'Église. Et si on comprend les agresseurs laïcs dans le cadre de l'Église,
07:19on était quand même arrivé à 330 000 victimes dans le cadre de l'Église. Donc, déjà, ça a été
07:26un coup de massue parce qu'on ne s'attendait pas à un chiffre aussi important. Et encore, ce sont
07:30les personnes qui se sont manifestées, qui ont révélé des faits. Ça peut être d'une ampleur
07:35encore plus importante. Donc, c'était déjà de quantifier les victimes et ensuite d'essayer
07:42d'apporter des recommandations. Et de là, il y a eu deux instances qui ont été créées. C'est la
07:48commission reconnaissance et réparation et une instance indépendante reconnaissance et réparation
07:55également, qui a vocation à indemniser les victimes de l'Église. Mais ça concerne
08:01essentiellement des victimes mineures. Vous nous avez expliqué, Karine Durieux-Diébolt,
08:05et pourquoi la voie judiciaire, le recours judiciaire a été extrêmement étroit, compte
08:10tenu du fait que l'abbé Pierre, qui est mis en cause par ces témoignages, est décédé. C'est
08:15peut-être pourquoi Emmaüs a annoncé qu'une commission indépendante chargée d'expliquer
08:19les dysfonctionnements qui lui ont permis d'agir, je cite Emmaüs comme il l'a fait,
08:24pendant plus de 50 ans, une commission va être créée. Elle, elle pourrait entendre des victimes.
08:30Oui, je pense que ça serait important. Ça peut être d'ailleurs une demande des victimes à la
08:36fois de pouvoir parler, de pouvoir dire ce qui s'est passé et d'avoir une reconnaissance. Parce
08:42que les victimes, à travers les procédures qu'elles mènent, qui sont souvent très très
08:46éprouvantes pour elles, parce qu'il s'agit quand même de verbaliser ce qu'elles ont pu
08:50taire aussi pendant une certaine période, c'est de pouvoir parler, d'avoir une écoute, d'avoir une
08:56reconnaissance et d'avoir également une réparation et une reconnaissance non seulement des faits,
09:01mais des préjudices à hauteur de la gravité des souffrances qu'elles ont subi pendant toute leur
09:07vie. Donc c'est important, oui. Les appels des auditeurs de France Inter. 0145 24 7000. J'accueille
09:12Stéphane. Bonjour Stéphane. Oui bonjour. Vous nous appelez du département des Vosges. Tout à fait.
09:18Nous vous écoutons. Oui j'avais une question à poser à votre interlocutrice qui parlait à l'instant de
09:22prescription. J'aimerais bien savoir en fait pourquoi est-ce que les crimes sexuels bénéficient
09:27d'une prescription ? Ce qui correspond in fine à une possibilité qui est offerte à tout
09:32criminel sexuel s'il parvient à passer entre les mailles du filet et bien un jour de s'en sortir
09:36sans avoir jamais à rendre de compte à la justice et donc de ne jamais aller en prison. Merci Stéphane
09:43pour cette question. Karine Durieux, Diebold. En France contrairement à d'autres pays mais en France
09:49il n'y a que les crimes contre l'humanité qui sont imprescriptibles. Dans d'autres pays comme
09:55le Canada par exemple effectivement il y a une imprescriptibilité pour ce qui concerne les
10:01violences sexuelles. Je faisais partie de la civise pendant trois ans lorsque Édouard
10:08Durand était président de la civise et on a eu comme recommandation en tout cas pour ce qui
10:14concerne les victimes mineures qu'il y ait une imprescriptibilité. C'est une recommandation
10:20que l'on a formulée et pour l'instant qui est restée lettre morte. Même s'il peut apparaître
10:25difficile Karine Durieux, Diebold d'établir les faits avec 20, 30, 40 ans après ? Oui et non.
10:34Oui il y a une difficulté mais cette difficulté on peut l'avoir deux mois, trois mois après des
10:40faits de viol. On peut avoir des dossiers dans lesquels les faits sont advenus récemment et avec
10:45une grosse difficulté à prouver. Donc ça c'est quel que soit le temps. Et maintenant on a quand
10:51même des progrès à la fois scientifiques mais aussi on a des traces écrites qui sont plus
10:57courantes. Par exemple on va avoir des échanges qui sont plus fréquents actuellement qu'on peut
11:04exploiter et je dirais que la multitude des victimes aussi qui dénoncent des faits contre un
11:10agresseur, ça fait aussi preuve quelque part. Là on est à plus de 20 témoignages, un dernier mot sur
11:16cette affaire plus précisément. Ce qui est saisissant tout de même c'est le poids du silence.
11:20Depuis 17 ans il y a eu des livres, il y a eu des documentaires, il y a même eu un film, une fiction
11:24très récemment sur l'abbé Pierre. Pas un mot, pas une réaction. Aujourd'hui ces témoignages ça vous
11:29étonne ? Vous qui connaissez bien ces affaires ? Là je pense vraiment qu'il y a eu une silenciation
11:37qui a été institutionnalisée par l'église. Mais c'est ce qu'on a vu aussi à travers le rapport de
11:43la sillase de manière générale. C'est à dire qu'il y a l'abbé Pierre mais il y a d'autres prêtres avec
11:51des informations qui ont été remontées au niveau hiérarchique et à chaque fois il y a eu une chape
11:57de plomb qui a été portée sur ces affaires. Et l'abbé Pierre, oui ça a été un choc social je pense pour tout le monde, c'était quand même la
12:10personnalité préférée pendant des années des français. Donc évidemment que ça a été un choc et d'autant plus que c'était l'image
12:19religieuse mais aussi l'image de défense des pauvres, l'image de défense des plus vulnérables et finalement
12:25lui-même, d'après les témoignages qui ont été apportés, était un agresseur des plus vulnérables.
12:30Merci Karine Durieux-Diébolt d'avoir répondu aux questions des auditeurs de France Inter. Je rappelle que vous êtes avocate et que vous consacrez votre activité à 100% à la défense des victimes de viols et d'agressions sexuelles.

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