Dans "Tout Public" du jeudi 3 octobre 2024, l'auteur Pat Perna pour le roman graphique "Grégory" et Marina Hands en Gena Rowlands dans la pièce "Contre" à la Comédie Française.
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00:00Voici tout public avec Frédéric Carbone et d'abord ce qui est l'un des plus grands
00:06mystères criminels de ces dernières décennies.
00:09Effectivement un fait divers qui a frappé une famille du malheur le plus profond et
00:12qui fascine pour le pire parfois depuis 40 ans, 4 décennies après que le corps de
00:17Grégory Villemin, enfant à l'époque de 4 ans, a été retrouvé dans la Vologne.
00:20Et alors que ce crime n'a toujours pas de réponse ni de vérité judiciaire, voilà
00:24donc une nouvelle pièce à verser au dossier déjà épais des livres, films, enquêtes,
00:28récits consacrés à ce qu'il y a des allures de tragédie grecque.
00:31Bonjour David Di Giacomo.
00:32Bonjour Frédéric.
00:33Chef du service Police Justice de France Info, précisons d'abord, et c'est pour
00:36ça qu'on en parle à cette heure-là sur France Info, que ce n'est pas un livre de
00:39plus Grégory aux éditions des Arènes de Pat Pernas, scénariste qui est avec nous.
00:44Bonjour, je vous salue aussi, merci d'être venu.
00:47Et Christophe Gauthier, le dessinateur, il a une histoire singulière parce qu'il y
00:51a un troisième auteur, celui qu'il a voulu ce roman graphique Jean-Marie Villemin.
00:55Oui, en effet, c'est seulement la troisième fois en 30 ans que Jean-Marie Villemin s'exprime.
01:00Dans la préface, il dit avoir souvent pleuré avec sa femme Christine en découvrant les
01:05pages de cette bande dessinée qui, raconte-t-il, retrace la période la plus noire de leur
01:10vie.
01:11Une BD qui s'appuie sur le témoignage du père de Grégory.
01:13On revit son procès pour avoir tué son cousin Bernard Laroche, qu'il considérait comme
01:18le meurtrier de son fils.
01:19D'ailleurs, il exprime ses plus profonds regrets dans la préface.
01:22La vengeance n'est pas une solution, reconnaît-il.
01:27Une bande dessinée qui nous fait découvrir aussi Grégory et sa relation avec ses parents
01:32avant qu'ils ne soient enlevés et tués.
01:34Et on imagine combien ça a pu être douloureux pour Jean-Marie Villemin d'aller chercher
01:40ses instants de bonheur dans ses lointains souvenirs.
01:4340 ans plus tard, je me demande comment nous avons survécu, écrit-il encore.
01:49Et on comprend bien, au fil des pages, que celui qui leur a donné la force de tenir,
01:54d'avoir trois autres enfants aussi, c'est tout simplement Grégory.
01:57C'est effectivement ce qu'écrit Jean-Marie Villemin dans cette préface.
02:01Oui, c'est un parti pris, évidemment, pas de Pernin, commencé avec Grégory qui vit
02:06dans la maison, dans le jardin de ses parents.
02:09C'était indispensable, ça, pour vous ?
02:10Pour moi, oui, parce qu'on a tous en tête cette affaire, évidemment, qui a traumatisé
02:18la France entière et même au-delà.
02:19Mais surtout, on en garde une image figée.
02:22Christine et Jean-Marie Villemin et Grégory sont pour l'éternité ces portraits qu'on
02:28a vus dans la presse.
02:29Et je pense qu'à mesure, les gens ont perdu la conscience de cette réalité, de ce drame.
02:38Et moi, je voulais les réincarner, leur redonner vie.
02:40Humaniser un peu plus ? Retrouver l'humain derrière tout ça ?
02:44Oui, redonner de l'humain tout court, même pas derrière ce crime, mettre de l'humain
02:49avant toute chose.
02:50On a manqué cruellement d'empathie à l'égard de ces gens.
02:54On les a fait souffrir collectivement.
02:57La justice les a vraiment blessés.
03:01Les journalistes ont été terriblement durs avec eux.
03:07Et donc, il s'agit aujourd'hui de remettre les choses à leur place et de leur redonner
03:12de cette humanité qu'il leur a tant manqué.
03:14C'est effectivement une des dimensions bien entendue de cette affaire, bien entendue de
03:17ces livres aussi.
03:18On en parlera avec David Di Giacomo, les errements, et le mot est faible, de la justice, de certains
03:24médias également.
03:25Mais vous dites, dans une interview à Libération, je crois, à Pat Pernin, que vous ne vouliez
03:29pas être un vautour de plus.
03:31Qu'est-ce qui fait ? Qu'est-ce qui vous a convaincu de vous lancer quand même dans
03:36ce projet ?
03:37Oui, je ne voulais vraiment pas que ce soit un acte jugé comme opportuniste.
03:42Je sais très bien que l'affaire Grégory, tout le monde a envie d'en savoir plus.
03:45Moi, je ne voulais pas participer à cette curée.
03:47Donc, simplement en parlant avec Jean-Marie Villemin, très rapidement, j'ai découvert
03:51cet homme et ça a été bouleversant pour moi.
03:53C'est une vraie rencontre au sens le plus beau qui soit.
03:57Donc, ce qui m'a convaincu, c'est qu'il m'a dit, moi je ne participerai en rien à l'écriture
04:02de ce livre.
04:03Il t'appartient, tu feras tout ce que tu veux, le scénario c'est le tien.
04:07Simplement, je veux que ce soit le plus juste possible.
04:10C'est votre scénario, mais il alimente tout.
04:12C'est presque lui qui remène l'enquête une nouvelle fois, des décennies après.
04:17En fait, il n'a jamais arrêté.
04:18Il m'a remis avant de commencer un document qu'il avait appelé une synthèse.
04:25En réalité, sa synthèse faisait 250 pages, simplement pour m'expliquer l'affaire.
04:29Et puis ensuite, il m'a donné plus de 5000 coupures de presse qu'il a classées, scannées,
04:36archivées par date, par type de journaux, etc.
04:40Donc, en fait, j'avais une masse considérable d'informations dans laquelle il était facile
04:45de se noyer.
04:46C'est pour ça que moi, j'ai pris le parti de viser la seule chose qui m'intéressait,
04:49c'est-à-dire qu'est-ce qui anime ces gens, Christine et Jean-Marie Villemin aujourd'hui,
04:54qu'est-ce qui les singularise ? C'est la force incroyable et surpuissante de cet amour
04:58qui nous fascine tous, parce que ça a l'air aujourd'hui un petit peu à l'eau de rose,
05:04ce que je dis, ou ringard, peu importe, cet amour incroyable qui leur a permis de se
05:08transcender, de transcender cette histoire et d'aller au-delà.
05:13Et pourquoi avoir choisi comme fil rouge le procès, justement, de Jean-Marie Villemin
05:20pour avoir tué son cousin Bernard Laroche ?
05:22Parce que c'est le climax de cette histoire.
05:24En réalité, il n'y aura jamais de procès Villemin, on ne jugera jamais Bernard Laroche,
05:32malheureusement, puisqu'il a été assassiné par Jean-Marie, donc l'affaire Grégory,
05:38elle aurait disparu.
05:39A l'occasion de ce procès, tous les intervenants étaient d'accord pour que ce soit en réalité
05:44le procès Villemin dans son ensemble, Grégory y compris.
05:48Et pour moi, c'était les clés d'entrée pour pouvoir faire un scénario le plus précis
05:51possible en ayant tous les intervenants.
05:53Il n'y a pas d'opportunisme, c'est une évidence quand on lit votre roman graphique
05:58Pas de Pernard avec Christophe Gauthier, néanmoins, sans doute, de la part de Jean-Marie Villemin,
06:03qui sait très bien ce qu'il se passe tous les dix ans, à chaque anniversaire, de ce
06:07qu'il s'est passé ce jour-là dans la Vologne, il sait qu'il y a d'autres livres qui vont
06:11être écrits, qu'il y a d'autres scénarios qui vont être donnés, il voulait redonner
06:15une nouvelle fois sa part de conviction et de vérité.
06:18Il voulait surtout, pour une fois, avoir la main sur quelque chose, puisqu'on a toujours
06:21parlé d'eux sans jamais rien leur demander, jamais, ne serait-ce que la permission.
06:27On parle d'eux, on fait des livres, on les met en scène dans des séries, dans des livres,
06:33et bientôt dans des BD, j'en suis convaincu, on les dessine.
06:36Or, ce n'est pas un acte anodin, la bande dessinée, ça apporte une dimension supplémentaire.
06:41La page dessinée, en l'occurrence telle qu'elle l'est là par Christophe Gauthier,
06:46vous voyez bien l'effet que ça provoque, cet enfant en couverture, il a une autre dimension,
06:51il nous touche différemment.
06:52Jean-Marie refusait qu'une fois encore il soit confronté à ça, c'est trop dur pour eux,
06:57ça leur brise le cœur à chaque fois.
06:59Comment il a reçu ce livre, une fois qu'il l'a lu ?
07:03Le plus difficile, c'était à mesure qu'on l'écrivait, parce qu'à lui, je lui envoyais
07:07les pages au fur et à mesure, et donc c'était à chaque fois un choc renouvelé,
07:12ça a duré pendant deux ans, donc on en discutait beaucoup, bien souvent il n'était même
07:16pas en capacité de parler.
07:18Le plus difficile, ça a été Christine Villemin, puisqu'ils m'ont fait l'honneur de venir
07:24chez moi, partager du temps pour boucler ce livre avant qu'il parte à l'impression,
07:28on était tous les trois dans un cocon avec notre éditeur, et puis du coup le livre est
07:34arrivé, imprimé, je lui ai donné un petit peu ému, en tremblant, et j'ai vu son visage
07:40se transformer, elle a ouvert la première page et elle a fondu en larmes, mais comment
07:45peut-on imaginer qu'il en soit autrement ? Comme si 40 ans après, les gens pensent
07:50que le temps a passé, et pas du tout, c'est exactement pareil.
07:54Parce qu'il faut le dire, pour les auditeurs qui ne le savent peut-être pas, autant Jean-Marie
07:58Villemin ne lâche pas une seconde ce dossier-là, vous l'avez dit, avec quel acharnement, détermination,
08:07conviction pour vivre, pour suivre, peut-être lui aussi, autant que Christine Villemin,
08:11elle, refuse complètement, et elle veut, je pense qu'ils le vivent de la même manière,
08:14je ne suis pas psychologue, ce n'est pas l'idée, mais elle ne veut absolument jamais
08:17en parler, elle laisse ça complètement de côté.
08:19Oui, alors ils sont très proches, ils se protègent l'un à l'autre, c'est très
08:23mignon, parce que ça reste ce petit couple, presque de 23 et 26 ans, ils sont restés
08:30pareils, attentifs l'un à l'autre, faire attention, et Christine elle, à chaque fois
08:35qu'on parle de ça, d'une manière assez élégante, sans que ce soit brutal, elle
08:39se lève, elle s'en va, elle va faire autre chose, elle va préparer un repas, ou cueillir
08:43des fleurs, mais en tout cas elle refuse d'être confrontée à ça de nouveau, comme elle
08:49est de toute manière encore convaincue que la France entière la déteste, elle est restée
08:56sur cette idée-là, elle a une peur panique des journalistes, je l'ai eue là au téléphone
09:02et elle me dit c'est la première fois que je n'ai pas ce sentiment d'être haï par
09:06les journalistes, et je lui dis mais non, plus personne, c'est fini, mais avec les mots
09:12on n'arrivera pas à soigner quoi que ce soit, c'est autre chose.
09:15Peut-être vous dire que vous avez été utile, en tout cas, Pat Pernin, vous restez, s'il
09:20vous plaît, on va parler des errements de l'enquête, notamment avec des éléments
09:24recueillis par David Di Giacomo.
09:25Avec grand plaisir.
09:26Juste après le Fil info, 13h45, Armand Péroulot garde.
09:30Les hausses d'impôts concerneront seulement 0,3% des ménages l'an prochain, ce qui
09:36gagne plus de 500 000 euros par an, précision du ministre du budget, Laurent Saint-Martin,
09:41Gérald Darmanin parle lui d'un budget inacceptable et affirme qu'il ne votera pas à une augmentation
09:46des impôts.
09:47Les actes racistes et antisémites en forte hausse à l'école, il y en a eu 3600 sur
09:52l'année scolaire 2023-2024, soit trois fois plus que l'année précédente, chiffre communiqué
09:57aujourd'hui par le ministère de l'éducation nationale, des chiffres qui ont explosé depuis
10:01l'attaque du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.
10:04Israël qui poursuit ses bombardements au Liban, l'état hébreu affirme avoir tué 15
10:08combattants d'Huezbola la nuit dernière dans le sud du pays, un militaire libanais
10:12a aussi été tué par une frappe israélienne dans le sud du Liban, et un raid israélien
10:17a également fait 9 morts et 14 blessés la nuit dernière en plein cœur de Beyrouth,
10:21c'est un centre de secours d'Huezbola qui était visé.
10:23Le nouveau chef de l'OTAN est à Kiev, deux jours à peine après sa prise de fonction,
10:28Marc Routte veut assurer une nouvelle fois l'Ukraine du soutien occidental alors que
10:32l'armée ukrainienne est en difficulté sur le front.
10:35Greenpeace alerte sur les risques de submersion marine pour la centrale nucléaire de Gravelines,
10:39centrale installée près de Dunkerque alors que 3 EPR des réacteurs nouvelle génération
10:43doivent y être construits.
10:44Pour Greenpeace, la centrale n'est pas adaptée à la montée des eaux dans les prochaines
10:49décennies.
10:50Et puis du football ce soir, deuxième journée de la Ligue Europa, Nice joue sur le terrain
10:53de la Lazio-Rome à 18h45, Lyon est en Écosse face aux Glasgow Rangers à 21h.
11:06Vous l'avez compris en écoutant, il est toujours avec nous Pat Perna, le scénariste
11:11de ce roman graphique, Grégory, aux éditions des Arènes, il n'est pas question dans cet
11:16ouvrage de refaire une énième fois l'enquête sur l'affaire Grégory depuis 40 ans, une
11:24affaire d'humanité, de rencontre, vous nous dites, avec Jean Marais et Christine Villemin.
11:29Néanmoins, David Hidjakomo, le soubassement, le contexte de tout ça, bien évidemment c'est
11:34ce fiasco judiciaire et médiatique depuis le 16 octobre 1984, crime donc non élucidé.
11:40Et c'est la première fois qu'une magistrate honoraire, Fabienne Klein Donati, accepte
11:44de parler de cette affaire.
11:46David, elle était substitue du procureur à Epinal, elle a vécu de l'intérieur ce fiasco.
11:52Oui, précisément, elle explique que c'était un cours en direct de tout ce qu'il ne fallait
11:57pas faire.
11:58Voilà comment Fabienne Klein Donati résume ses premières années de magistrate à Epinal.
12:02Pour elle, dès la mort du petit Grégory le 16 octobre 1984, et face à l'émotion
12:07de tout un pays, les magistrats, débordés, n'ont absolument pas maîtrisé leur communication.
12:12A Epinal, on n'avait ni un procureur, ni un président qui ont pris le sujet de la communication
12:19à bras et le corps.
12:20Il n'y a pas eu de point de presse, il n'y a pas eu de communiqué de presse.
12:23Si bien qu'on a été envahis dans la juridiction, tout le monde rentrait n'importe comment
12:27dans le tribunal.
12:29Moi, j'étais obligée de fermer les volets de mon bureau pour ne pas que les journalistes
12:33qui avaient pris camp dans la brasserie derrière, filment ou photographient ce qui se passait
12:38dans mon bureau.
12:39Et je pense que s'il y avait eu cette maîtrise de la communication, peut-être aussi on aurait
12:45pu mieux maîtriser le juge d'instruction.
12:48Le juge d'instruction dont elle parle, c'est bien sûr Jean-Michel Lambert qui apparaît
12:51d'ailleurs dans la bande dessinée, lui à qui on a reproché ses nombreuses prises
12:55de parole, sa direction d'enquête, mais aussi son acquaintance avec certains journalistes.
13:00Un magistrat qui traînera cette affaire comme un boulet et finira par se suicider en 2017.
13:05Il s'est égaré dans l'enquête, mais il s'est égaré lui-même, c'est en fait
13:10ce qui est triste.
13:11Moi, quand j'ai appris son suicide, j'étais très affectée parce qu'on l'a quand même
13:18côtoyé pendant quatre années, enfin moi en tout cas professionnellement quatre années,
13:22et il s'est fourvoyé lui-même.
13:25Et puis surtout, il n'a pas du tout été encadré et soutenu par les chefs de juridiction
13:30et les chefs de cour.
13:31Et l'exemple le plus parlant dont se souvient Fabienne Clindonati, c'est celui de l'ancien
13:37président du tribunal d'Epinal, je vous laisse écouter.
13:40Alors, il fuyait les médias, mais comme il ne pouvait pas fuir la juridiction puisqu'il
13:45en était le président, quand il croisait un journaliste, il lui demandait, vous sauriez
13:48pas ou ceci ou cela, et il disait non, mais moi je ne sais pas, je ne suis pas au courant,
13:54moi je suis commis, ici je fais les photocopies, ça fait caractéristique, mais c'était quand
13:59même ça, donc c'est un gros gâchis quand même.
14:02Voilà, ce sont des anecdotes qui éclairent le fiasco à la fois judiciaire et médiatique
14:06de l'affaire Grégory.
14:07Alors Fabienne Clindonati quittera Epinal en 1988, elle deviendra beaucoup plus tard
14:12procureure de Bobigny, procureure générale à Lyon, et gardera toujours en tête l'impérative
14:17nécessité de maîtriser la communication avec les médias, mais aussi de saisir deux
14:21voire trois juges d'instruction dans les affaires complexes, ce sont les leçons qu'elle
14:26a tirées de cette affaire Grégory.
14:27Et ce que l'on entend David Di Giacomo avec ce reportage, c'est aussi à quel point
14:31les personnes sont marquées, frappées depuis des décennies par cette affaire, est-ce qu'il
14:36faut rajouter Pat Parnas désormais votre nom à cette longue liste-là, et de quelle
14:40manière, en quoi ce que vous vivez depuis deux ans vous aura marqué, qu'est-ce que
14:44ça vous aura appris ?
14:45Moi je ne suis pas au stade de tous ces magistrats, de tous ces gens qui ont participé à l'enquête
14:52et qui ont quelque chose qui n'est pas passé, moi j'échappe à ça parce que jusqu'à
14:58présent la seule chose qui compte c'est d'incarner Christine et Jean-Marie Villemin.
15:05Mais quelle responsabilité !
15:07Oui mais en même temps on dit souvent que si on n'a pas l'impression que sa vie va
15:14changer, il ne faut pas écrire un livre.
15:15Moi je l'ai fait dans cette optique-là, non pas pour que ma vie change d'un point
15:22de vue notoriété ou je ne sais quoi, simplement pour qu'elle soit bouleversée au sens le
15:28plus noble du terme.
15:29Grâce à eux j'ai fait un bond en avant considérable d'humanité, ça m'a changé
15:40et ça a même changé mon point de vue sur plein de points que je pensais être acquis.
15:45Quelque chose qui ne vous fascinait pas d'ailleurs je crois, l'affaire Grégory ?
15:48Pas du tout.
15:49Il n'y a pas pire pour dire ce dossier que l'affaire Grégory, mais non, moi allons-y.
15:53Vous y étiez très loin de ça ?
15:54Complètement, j'ai un souvenir à dos de quelque chose qui effectivement touchait
15:59plus les parents qui étaient terrifiés que nous autres qui étions… voilà, une affaire
16:06comme celle-là.
16:07D'ailleurs, j'ai même moi-même probablement participé à ce qui aujourd'hui me révulse
16:12absolument, c'est-à-dire toutes les blagues à propos de l'affaire Grégory.
16:16Le cocktail.
16:17Par exemple, je me dis quel manque d'empathie, quel manque d'empathie généralisée.
16:25Je comprends l'idée de la liberté d'expression, du droit à la caricature, mais en quoi cette
16:34blague grossière dont on sait forcément qu'elle va atteindre les parents à un moment
16:40ou à un autre, par ricochet, en quoi ça défend quelque chose de la liberté d'expression,
16:45en quoi ça apporte un plus au droit à la caricature ?
16:50Rien, rien du tout.
16:52En réalité, c'est juste une blague potache de mauvais goût qui est faite pour faire
16:57ricaner.
16:58Or, je ne pense pas qu'on puisse encore aujourd'hui ricaner de ça.
17:01Et qui dit peut-être ce qui était un état d'esprit.
17:03À une époque, et les débordements qu'ont suscité ce dossier-là, un moment d'humanité
17:09avec votre livre.
17:10Merci beaucoup.
17:11Merci à vous.
17:12Pat Pernah et Christophe Gauthier, édition des Arènes, Grégory, merci à David, dit
17:16Giacomo.
17:17Venons-en à une interrogation, c'est difficile de passer à autre chose, Thierry Fioril,
17:21mais allons-y.
17:22De l'humanité encore.
17:23Parce que c'est vraiment de l'humanité dont on va parler, et cette question, comment interpréter
17:28au théâtre le rôle d'une comédienne qui a une place tellement singulière au cinéma
17:31et qui a inspiré tant d'actrices ?
17:33C'est la pièce « Contre la Troupe de la Comédie Française » au Vieux Colombier,
17:37et il est donc question de Gina Rolands, décédée l'an dernier à l'âge de 94 ans.
17:42Avant de l'aborder, cette pièce, de parler de l'actrice qui joue Gina Rolands, rappelons
17:47ce couple, Gina Rolands et son mari John Cassavetes, le réalisateur.
17:51C'est un couple mythique du cinéma indépendant américain.
17:54Lui, le rebelle, né de migrants grecs, et elle, la jeune actrice blonde, née dans un
18:00milieu bourgeois, qui aurait pu avoir une carrière hollywoodienne linéaire.
18:04De leurs rencontres naîtront des chefs-d'oeuvre, méprisées à l'époque, une femme sous
18:08influence, Gloria Hopling Knight, et dans l'Amérique d'après-guerre, ils cassent
18:13les codes.
18:14Jamais on n'avait vu de rôle féminin aussi intense, cabossé, réaliste, libre.
18:18Gina Rolands est encore un exemple pour les actrices, et c'est Marina Hans qui l'incarne
18:24sur scène.
18:25Oui, elle a vraiment ouvert la voie, c'est-à-dire, les actrices étaient très iconisées, elles
18:31le sont encore, elles le sont régulièrement, à nouveau, et puis il y a toujours une actrice
18:34qui débarque et qui dit, mais moi je vais jouer les femmes, les vraies femmes, et je
18:39vais être une vraie femme.
18:40Jouer des femmes qui galèrent, des femmes qui souffrent, des femmes de milieux difficiles,
18:45ça fait beaucoup de bien à tout le monde, c'est-à-dire que ça fait du bien à l'industrie,
18:48ça fait du bien aux femmes en général, et puis aux hommes aussi, je pense.
18:52Et quand je me suis mariée avec John, j'ai amené avec moi toutes les valeurs traditionnelles
18:58de l'époque, alors j'ai beaucoup de sympathie pour les femmes qui se jettent dans la vie
19:02domestique.
19:03Elle avait cette beauté un peu hitchcockienne, comme ça, un peu blonde, un peu froide, avec
19:10beaucoup de pudeur, de quant à soi et tout, et puis elle était fille de sénateur, elle
19:15avait une certaine éducation, et elle est partie avec le grec, et elle a fait le pont,
19:22je pense, vraiment entre le vivier créatif de Cassavetes, mais qui aurait pu être essentiellement
19:28marginal et marginalisé, et le public.
19:31Elle a permis la transmission de l'art de Cassavetes.
19:34Alors, l'art de Cassavetes, effectivement, ce couple Cassavetes-Rolland, c'est Thierry,
19:39dans cette pièce qui gravite autour du film, un des relais plus marquants de Gina Rolland,
19:43une femme sous-influence, on voit donc ce couple, l'ami fidèle Peter Folt, tribu où,
19:48avec peu de moyens, la vie et le travail ne font qu'un.
19:50Oui, Cassavetes, c'est Hollywood, ça l'a jamais fait, il passera même à côté du
19:53nouvel Hollywood, le couple retourne à New York, Gina Rolland exige seulement de son
19:59mari que même Fauché, elle puisse encore aller chez le coiffeur, là-dessus, elle est
20:03intraitable.
20:04Et lui, colérique, bagarreur, gros buveur, perfectionniste à rendre fou ses équipes
20:08de tournage, est obsédé par les relations homme-femme, la vie du couple, et les films
20:13ne font qu'un.
20:14Leur création, leur créativité étaient absolument prioritaires, mais c'était la
20:18priorité, ce n'était pas le couple la priorité, ce n'était pas de gagner de l'argent
20:23la priorité, ce n'était pas le confort, c'était de faire des films.
20:26Et ça, moi, j'ai une grande, grande admiration pour ça, c'est une forme d'engagement.
20:31Cassavetes, il dit qu'il déteste faire de la politique et il dit que sa façon de faire
20:35de la politique, c'est de regarder les hommes et les femmes et de s'occuper des hommes
20:38et des femmes et que c'est la seule chose qui l'intéresse.
20:40Mais pour moi, c'est éminemment politique.
20:42J'ai fait des films, j'ai bu, j'étais loin de chez moi, je n'ai été ni un bon père,
20:46ni un bon mari.
20:48J'ai fait ce film, voilà, une femme sous influence, c'est un hommage à Adjena.
20:53Et une oeuvre doit rester un électron libre, absolu, totalement assumé par son metteur
20:58en scène et pas tout d'un coup un énième pot de yaourt dans l'industrie des pots de
21:01yaourt.
21:02Vous voyez ce que je veux dire?
21:03Et quand il dit à la fin de la pièce, quand il dit le manque de reconnaissance, au bout
21:08d'un moment, c'est étouffant, c'est épuisant.
21:10Enfin, ça m'arrive très souvent de voir autour de moi, parce que moi, j'ai eu beaucoup
21:14de chance.
21:15Mais des gens qui souffrent de manque de reconnaissance, cette injustice-là, elle perdure absolument.
21:20Voyons, est-ce que vous avez déjà vu quelque chose de similaire?
21:22Mais qu'il fasse une vie mentaire au lieu de nous imposer, ces acteurs embarrassés,
21:27ces situations absurdes, ces instants volés.
21:30Ce que propose Cassavetes, c'est une expérience nouvelle de spectateur.
21:34Bon, c'est la voix qu'on entendait, c'est notre grande actrice Abdominique Blanc qui
21:37joue la redoutable critique ciné de l'époque, Pauline Kael.
21:40La pièce tirée, elle est moins sombre que l'univers de Cassavetes.
21:42Oui, car Cassavetes, c'était un clown dans la vie, alors plutôt tendance joker.
21:46Et Gina Rolland, c'est aussi cette démesure, cette liberté d'en contre.
21:51La pièce, il y a leur intimité, leur bande, la maison était toujours pleine et Marina
21:55Hans, actrice ô combien physique et subtile à la fois, nous fait ce cadeau incroyable
22:00sans jamais tomber dans le mimétisme.
22:02Elle nous permet de voir Gina Rolland sur scène.
22:04Il y a de tout dans son jeu.
22:05Il y a beaucoup d'humour aussi, même dans Une femme sous influence ou dans Love Strings.
22:11Son corps, sa corporalité, la manière d'être une cette femme un peu à côté, à côté
22:16de la plaque.
22:17Vous savez, on dit souvent qu'on fait des expériences dans la vie, qu'on utilise sur
22:21un plateau.
22:23Mais pour moi, je me suis rendu compte que c'est l'inverse.
22:26Je prends mes expériences du plateau vers la vie et je m'en suis vraiment rendu compte
22:32à ce moment là.
22:33Donc, moi, je la convoque en tout cas.
22:35Voilà si elle vient se balader.
22:38Alors, si vous la voyez ou en tout cas, vous envoyez une trace.
22:41Alors, j'ai fait mon travail.
22:43C'est étonnant, le parcours de Marina Hans, Thierry, parce qu'elle avait fait un court
22:47passage à la Comédie française il y a une quinzaine, vingtaine d'années presque.
22:50Elle y revient et elle n'arrête pas.
22:52Oui, puis elle a eu bien raison de revenir au français.
22:54Cette année, elle enchaîne les défis déchirantes dans le silence de Lorraine de Sagazan.
22:58Plus que convaincante en Gina Rolland, si elle joue le soir et prépare en journée
23:02sous la direction du patron Éric Ruff.
23:04Une pièce fleuve, le soulier de satin de Claudel, digne d'une sportive de haut niveau.
23:10Ah bah oui, ça, c'est sûr qu'au français, ça bosse.
23:14Oui, il faut aimer ça, ouais.
23:15Mais moi, j'ai fait ce choix là, il y a quelques années.
23:17Je me suis dit, voilà, mon art, c'est ma priorité dans la vie.
23:20Après, il faut, voilà, c'est beaucoup de travail.
23:22En ce moment, je ne sais pas, c'est des choses, je ne bois pas une goutte d'alcool.
23:26Je fais très attention à ce que je mange, je m'échauffe tous les jours.
23:29C'est la période où je sais que je ne peux pas me blesser.
23:32Je ne peux pas me laisser dériver dans des pensées qui me parasitent ou des trucs.
23:37Je fais très attention, ouais, c'est une discipline.
23:40Pas un régime à la cassavette, sans le comprendre.
23:42Marina Hans, formidable Gina Rolland, donc, sur scène,
23:45contre de Constance Meyer et Sébastien Poudroux à la comédie française
23:49au théâtre du Vieux Colombier.