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Chloé Morin et Thibault de Montbrial sont les invités de ce jeudi : ils débattent des dernières annonces sécuritaires de Bruno Retailleau, notamment l'extension de la vidéosurveillance algorithmique dont son prédécesseur jurait qu'elle ne serait utilisée que ponctuellement, pour les JO. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-10-octobre-2024-1561571

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00:00Ce débat ce matin sur les mesures de sécurité draconiennes prises pendant les Jeux olympiques
00:06afin d'assurer leur bon déroulement.
00:08Tout le monde a pu constater la présence massive des forces de l'ordre dans les rues.
00:13Beaucoup ont pu râler contre les QR codes, certains se sont inquiétés du recours à
00:19de nouvelles formes de vidéosurveillance ou de la multiplication de mesures d'assignation
00:25à résidence.
00:26Mais si le maintien de l'ordre a été assuré, et on peut s'en réjouir, des libertés
00:31ont-elles été ponctuellement ou durablement remises en cause ?
00:35On en parle ce matin avec Chloé Morin, bonjour, vous êtes politologue associée à la Fondation
00:41Jean Jaurès, et avec Thibaut de Montbrial, bonjour, bonjour maître, avocat au barreau
00:47de Paris, président du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure.
00:51Merci à tous les deux d'être dans ce studio.
00:54Pour nourrir notre débat, nous allons partir, Chloé Morin, d'une tribune que vous avez
00:59publiée dans Libération, intitulée « Derrière le succès sécuritaire des JO, le calvaire
01:05policier d'une nounou algérienne accusée de terrorisme ». Cette jeune femme est la
01:11nounou de votre fils, et je vous demande pour commencer donc, de nous raconter tout simplement
01:17cette histoire.
01:18Oui, c'est l'histoire d'une machine sécuritaire qui s'emballe.
01:22Comme vous venez de le dire, c'est une jeune femme, elle a 30 ans, elle est algérienne,
01:28elle est depuis plus de 10 ans sur le territoire français, elle travaille, elle réside légalement
01:33et elle garde des enfants.
01:34La mi-juillet dernier, elle a été convoquée au commissariat de police et on lui a dit
01:39« désormais tu vas pointer, avec le « tu » de rigueur trop souvent, tu vas pointer
01:44tous les matins au commissariat à 8h, si tu es en retard tu iras en prison et tu es
01:50accusée d'avoir un compte TikTok qui publie des contenus à caractère terroriste ».
01:55Évidemment, tout de suite, elle nie, mais à ce moment-là, j'étais assez effarée,
02:01je me suis demandé s'il était possible que les services se trompent, parce que je
02:05voulais croire que non, et je me suis dit « bon, quand elle sera confrontée au policier,
02:10ils se rendront compte qu'elle est innocente ». Elle est confrontée au policier trois
02:14semaines plus tard, ils se rendent compte que c'est probablement une histoire de numéro
02:19de téléphone qui a été réattribuée quand elle a arrêté de payer la puce, donc ils
02:25se rendent compte de ça et en dépit de ça, elle continue à être assignée en résidence.
02:30Elle a en tout été placée deux fois en garde à vue, toute une journée, dont une
02:36deuxième fois avec ses deux sœurs, puisque le numéro de téléphone en question, en fait,
02:40elle le payait pour sa jeune sœur, elle a été placée deux fois en garde à vue.
02:44La deuxième fois, les policiers ont fait pression pour qu'elle s'auto-incrimine
02:47en disant « si tu dis que c'est toi, tu n'auras qu'une amende », alors qu'évidemment
02:50c'est faux.
02:51Et il y a deux juges administratifs coup sur coup qui ont confirmé cette assignation
02:58en résidence, en dépit du fait que jamais le ministère de l'Intérieur ou quiconque
03:03n'a fourni la moindre preuve de sa culpabilité.
03:05Donc c'est l'histoire.
03:06Voilà, morale de l'histoire selon vous ?
03:08C'est l'histoire du coût de notre sécurité, et qui est un coût invisible.
03:14C'est-à-dire que moi, comme tout le monde, je veux que nous soyons protégés du terrorisme
03:19et que nous vivions en sécurité.
03:21Le problème que nous devons poser aujourd'hui, c'est à quel prix ? Parce que cette jeune
03:27femme est un dégât collatéral de notre machine sécuritaire, et je pense qu'il
03:32est nécessaire, y compris d'abord de poser la question « combien d'erreurs de ce
03:36genre ont été commises ? » et « est-ce que ces dispositifs sont véritablement efficaces
03:41et nécessaires ? »
03:42C'est un peu de monbréal.
03:43Comment réagissez-vous à cette histoire ?
03:45Ce que j'ai dit avant de venir, c'est que je ne connaissais pas le dossier en lui-même
03:50et que donc je ne vais pas me prononcer sur ce cas précis, mais peut-être expliquer
03:53à vos auditeurs le cadre dans lequel cette mesure a été prise.
03:57Ce dont on parle, c'est ce qu'on appelle une MICAS, une mesure individuelle de contrôle
04:01administratif et de surveillance, qui a été introduite dans le droit par une loi de 2017,
04:06donc c'est du droit commun, qui a été votée par les parlementaires et qui permet
04:10au ministre de l'Intérieur, c'est-à-dire l'autorité qui prend la décision, c'est
04:12le ministre de l'Intérieur évidemment, sur la base d'informations qui lui sont données
04:16par les services de renseignement, de prendre à l'encontre d'une personne des mesures
04:20qui, limite pour un temps donné, sont droits de se déplacer.
04:22Et je résume, en général, on dit aux gens qu'ils ne peuvent pas quitter la limite de
04:28la commune ou du département où ils résident et qu'ils doivent pointer, alors en l'occurrence
04:33ce que vous avez dit, c'est qu'ils doivent pointer tous les matins au commissariat.
04:36Et là c'était la commune.
04:37Donc là c'était la commune et le commissariat.
04:39Pourquoi est-ce que les MICAS ont été introduites en droit français ?
04:43Tout ça, bien sûr, je précise, sous le contrôle du juge administratif qui peut être
04:46saisi à tout moment par la personne visée.
04:48Pourquoi ? L'idée est la suivante.
04:51Nous sommes, depuis le début des années 2010, l'objet d'une vague de radicalisation
04:58et parfois de terrorisme qui submerge les capacités de l'État, les capacités de
05:03surveillance, les capacités judiciaires, etc.
05:05Donc vous avez des dossiers où, de façon tout à fait classique, il y a des éléments
05:09de preuves avec une enquête judiciaire et ça suit le parcours de la justice traditionnelle.
05:13Et puis vous avez des gens pour lesquels il y a une suspicion qu'ils risquent de poser
05:18un problème.
05:19Et l'esprit de cette loi, c'est que pendant une durée donnée, en marge d'un événement
05:23donné, donc ça peut être une COP, ça peut être un grand concert, ça peut être un
05:27grand match de foot, ça peut être les Jeux Olympiques, et bien des gens pour lesquels
05:31on n'a pas le temps de faire une enquête judiciaire classique qui prend du temps,
05:34et bien par précaution on limite leur capacité à se déplacer et donc la logique est ça.
05:43Et pour répondre à une des choses que Chloé Morin a dite, elle a dit « quand on a apporté
05:48la preuve que ce n'est pas cette femme qui utilisait ce compte TikTok ». Mais toute
05:53la difficulté, c'est que si maintenant on fait 180 degrés et qu'on se met du côté
05:58des enquêteurs, des services de renseignement, vous avez à la base un problème.
06:01A la base il y a un problème, on ne fait pas ça juste en choisissant une personne
06:04sur dix dans la rue.
06:05Il y a un problème, l'utilisation d'un réseau social, qui est derrière ce réseau
06:09social.
06:10La personne apporte une explication.
06:11Mais il faut vérifier.
06:12Et moi ce que je note, et encore une fois sans connaître le dossier, c'est que cette
06:17femme, quand elle a été entendue sur le fond, Chloé Morin nous explique que ses soeurs
06:21étaient là.
06:22Donc j'en déduis, mais par mon expérience sur les questions de sécurité, qu'il y a
06:26sans doute eu un élément qu'on ignore et que vous ignorez et que nous ignorons, qui
06:30a pu alerter les services, qu'ils aient eu raison ou tort, encore une fois.
06:35Et le dernier point, c'est jusqu'où un État peut aller.
06:38Vous avez un arbitrage à faire, événements, Jeux Olympiques, tout le monde pensait que
06:42nous avions un risque majeur, tout le monde, ça n'était pas discuté.
06:45Et est-ce qu'on entrave la liberté de dix personnes pendant deux mois pour empêcher
06:52une catastrophe qui peut remettre en cause l'effondrement de la société ? C'est
06:55une question d'arbitrage et d'équilibre.
06:57Et vous allez plus loin, Chloé Morin, vous parlez de présomption, de culpabilité pour
07:01les affaires de terrorisme.
07:02Oui, tout à fait.
07:03Moi, je pense qu'il ne faut pas extraire les choses de leur contexte.
07:07Il y a bien sûr un événement, mais il y a un outil dont on ne sait pas demain pour
07:11qui il sera utilisé.
07:13C'est quand même ça la question que cela pose.
07:15Aujourd'hui, le ministre de l'Intérieur décide de l'appliquer au radicalisé, mais
07:20qui nous dit que demain, un autre ministre de l'Intérieur pourrait l'utiliser pour
07:23d'autres personnes qui seraient suspectées, je ne sais pas, d'être écolos, radicaux.
07:27Cela a quand même été déjà fait pour les COP.
07:29Donc, ça, c'est une première question de liberté publique.
07:32Ensuite, la question de l'arbitrage.
07:34Nous vivons dans une société qui a peur des musulmans et il faut dire que cette femme
07:40était voilée.
07:41Et pour beaucoup de gens, malheureusement, c'est un signe de radicalisation, déjà,
07:45y compris des policiers, parce qu'elle s'est faite très maltraitée par les policiers et
07:49c'est important de le dire.
07:51Donc, il ne faut pas non plus prendre ça comme un cas, moi, je pense que c'est assez
07:58emblématique.
07:59C'est-à-dire que c'est l'histoire d'une population qui est de plus en plus souvent
08:03un dommage collatéral des contrôles au faciès, un dommage collatéral de toutes les mesures
08:08de sécurité que l'on met en place avec de très bonnes intentions par ailleurs.
08:12D'abord, les MICAS ne sont pas des mesures qui visent une population particulière à
08:17raison de son appartenance ethnique ou religieuse.
08:20Vous avez des gens dits de groupuscule, dits d'extrême droite ou dits d'extrême gauche
08:25qui sont l'objet de MICAS tout à fait régulièrement, notamment en marge d'événements au cours
08:30desquels ils pourraient se livrer à des violences.
08:32Non mais Chloé Morin parle là clairement d'un problème de racisme dans le traitement
08:35par la police du...
08:36Oui, mais il faut distinguer deux choses, il y a la structure juridique dans laquelle
08:40ça s'inscrit et puis après il y a les détails précis qu'elle donne, d'ailleurs tels qui
08:44lui ont été rapportés, puisque je note que vous n'y étiez pas, et moi je connais
08:48bien les services de renseignement, ce sont des gens...
08:50Ok, il peut y avoir de temps en temps des dérapages racistes, mais comme ils passent
08:54leur vie à travailler, parce qu'il y a des spécialistes pour chaque type de terrorisme,
08:58ceux qui travaillent sur la radicalisation islamique, ils connaissent très très bien,
09:00et je veux juste dire à vos auditeurs que le port de voile n'est pas un indice qui constitue
09:04une présomption de culpabilité de terrorisme.
09:07Et heureusement !
09:08Le concept de présomption de culpabilité, comment le recevez-vous ?
09:12Mais je ne le reçois pas, puisqu'on parlerait d'une culpabilité pénale.
09:15Il n'y a pas de culpabilité, il y a une mesure qui restreint, ce n'est pas une privation
09:18de liberté, c'est une restriction de liberté, pendant plusieurs semaines en marge d'un événement
09:24et sur la base d'un faisceau initial d'indices qui doivent être vérifiés.
09:27C'est ça la logique, ce n'est pas du tout une présomption de culpabilité.
09:30Une présomption de culpabilité, ce serait de dire « puisque vous appartenez à telle
09:34communauté ou vous avez tel comportement, alors on vous condamne ». Mais là, personne
09:38n'a été condamné.
09:39Elle a été quand même privée de liberté, privée de pouvoir aller travailler pendant
09:43deux mois.
09:44Elle a été en dépression à cause de ça, elle a été terrifiée, elle est encore terrifiée
09:48aujourd'hui parce qu'elle n'a toujours pas compris pourquoi on lui avait fait ça.
09:51Et elle avait demandé le renouvellement de ses papiers de manière tout à fait normale
09:55il y a plus d'un an.
09:56Et aujourd'hui, le renouvellement de ses papiers est bloqué.
09:59Donc peut-être qu'elle va finir en plus par être expulsée à cause de quelque chose
10:03qu'elle n'a pas fait.
10:04Donc ça n'est pas une petite affaire et je pense que si on continue à ne pas faire
10:08attention à la manière dont l'État traite un certain nombre de populations, c'est simple,
10:13on va aller vers l'affrontement.
10:15Et c'est précisément ce que les forces de police essayent d'éviter, on y va tout
10:21droit.
10:22Donc c'est simplement sur ça que j'allève.
10:24Mais vous parlez d'un racisme systémique, pour reprendre une expression qui a cours.
10:28Non, je parle là en l'occurrence d'un système.
10:30Non, non, moi je n'ai jamais dit que toute la police n'était raciste.
10:34Il y a du racisme dans la police et en l'occurrence, il ne faut pas le nier, je ne pense pas qu'il
10:38y ait de racisme systémique, mais là, c'est un système de privation de liberté qui, moi,
10:42me pose problème.
10:43C'est pas de la privation, c'est de la restriction.
10:48C'est une durée extrêmement limitée, que ça impacte les gens, je ne le nie pas, je
10:53le reconnais absolument.
10:54Et que des vérifications continuent.
10:57La mesure a été levée juste après les JO, racontez-vous, et c'est l'esprit d'ailleurs
11:01de ce genre de mesure, qu'ensuite, pour finir, on continue à vérifier des choses et que
11:06ces papiers lui soient confirmés un petit peu plus tard parce que l'enquête continue.
11:10Moi, je pense que dans cette histoire, que je ne connais pas, la logique du système,
11:14c'est que l'enquête continue.
11:15Mais comme on n'est plus sous la tension d'un événement précis, la micasse ne se
11:19justifiait plus.
11:20Mais encore une fois, il faut faire attention au mot, il n'y a pas de présomption de culpabilité
11:23dans cette affaire.
11:24Il y a eu une mesure administrative, contrôlée par un juge, quand vous dites un jour un autre
11:27ministre pour affaires, etc., contrôlée par des juges qui sont indépendants et votée
11:33par le Parlement.
11:34Et encore une fois, on a un risque, pour le coup, le seul risque systémique dont on parle
11:38ici, c'est un risque systémique de très grande fragilisation de la société française.
11:42Et il y a une balance des intérêts, entre l'intérêt de l'État et de la sécurité
11:46des citoyens et les libertés individuelles pendant quelques semaines de quelques dizaines
11:51de personnes.
11:52Un mot de conclusion, Chloé Morin.
11:53Il est important de dire qu'il y a une responsabilité médiatique dans tout ça, de parler de ces
11:57affaires, parce qu'on entend souvent les ratés des services de police et de la justice
12:01quand c'est un violeur sous EQTF qui récidive, on a des affaires comme ça tous les jours.
12:06Mais les dommages collatéraux des mesures de sécurité que l'on prend, on en parle
12:11beaucoup moins.
12:12Et du coup, les gens ont une impression, ont une vision, à mon sens, biaisée de la réalité.
12:18Et il ne faut pas oublier ces conséquences-là qui sont parfois très humainement terribles.
12:23Et c'est pour ça que c'était important de vous entendre ce matin tous les deux au
12:26micro d'Inter.
12:27Merci Thibaut de Montbrial, je rappelle que vous êtes avocat au barreau de Paris, président
12:32du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure.
12:35Merci Chloé Morin, politologue associée à la Fondation Jean Jaurès.

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