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Dans Destins de femmes, Judith Beller reçoit Dorothée Ollieric, reporter de guerre chez France Tv et auteure de "Maman s'en va-t-en guerre : ma vie de grand reporter" - Éditions du Rocher

"Destins de Femmes" nous raconte les parcours des femmes extraordinaires qui tissent le lien de notre République. Nous explorons des thèmes universels tels que la lutte pour l’Egalité des genres, la liberté d’expression, la diversité culturelle, le droit à disposer de son corps. Emission tirée du livre de Valérie Perez-Ennouchi, "Destins de Femmes", sorti chez Ramsay, prix Edgard Faure 2021.

Une émission de Judith Beller.

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##DESTIN_DE_FEMMES-2024-10-12##

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00:00Simplicicar, la vente de votre auto servie sur un plateau, avec plus de 90 concessions
00:05près de chez vous. Simplicicar.fr présente Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:12Bonjour à toutes et à tous. Destin de Femmes sur Sud Radio, c'est votre rendez-vous du
00:16samedi à 13h30 avec les femmes françaises qui, par leur incarnation, tissent le lien
00:19républicain. C'est une idée tirée du livre au même titre de Valérie Pérez. Le destin
00:24que vous allez découvrir aujourd'hui est celui de Dorothée O'Leary, grand reporter
00:28plus exactement reporter de guerre chez France Télé. Dorothée, vous vous racontez
00:32et vous nous racontez aussi vos incursions en terrain dangereux. Pour nous importer l'information
00:36dans votre livre « Maman s'en va en guerre » sorti aux éditions du Rocher. Une route
00:41inscrite à la force de votre volonté, c'est clair. Bienvenue sur Sud Radio. Merci, merci
00:44beaucoup. Avec plaisir. Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:49Alors pour commencer Dorothée O'Leary, les questions que je pose à toutes mes invitées,
00:53on commence par la première. Votre définition du féminisme ?
00:55C'est une évidence pour moi, le féminisme. Je ne comprends pas pourquoi on en parle autant
01:02aujourd'hui puisque c'est une évidence depuis Olympe de Gouges, depuis cette déclaration
01:08des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, je crois. Elle a été guillotinée
01:14pour ça. Après, elle a écrit ça pour Maëlle Antoinette.
01:17Ça n'a pas été la seule à s'écrire. Il y en a eu une qui est moine de Méricaux.
01:20Il y en a eu quelques-unes, oui. C'est assez dingue en fait quand on voit ça. Pour moi,
01:23ça commence là et ça n'est qu'une succession d'évidences, mais qu'il faut rappeler
01:30avec différentes façons de le faire, je pense. C'est-à-dire ?
01:33Je pense que c'est un combat qui peut être un combat peut-être plus doux que ce qu'on
01:37a aujourd'hui, qui peut être un combat de chaque instant. Nous, en France, évidemment,
01:42on a énormément de choses à faire. Le droit des femmes, c'est surtout le droit de vivre
01:48sans violence, le droit de s'exprimer, bien sûr, le droit à l'éducation, mais ça,
01:53on l'a. Et je pense surtout au féminicide, à la violence. Là, oui, il faut élever
01:58la voix, il faut crier, il faut hurler pour protéger les femmes et pour faire avancer
02:02les choses. Quand je pense aux droits des femmes, moi, comme je voyage beaucoup et je
02:06fais des reportages dans le monde entier, j'ai tendance, alors je compare même si
02:12c'est incomparable. Mais là, aujourd'hui, j'ai envie de vous dire que je pense aux femmes
02:15afghanes parce que là, il n'y a aucun droit. C'est absolument monstrueux. Cet été, au
02:22mois d'août, une nouvelle loi a été promulguée par les talibans. Elle interdit tout bonnement
02:27le fait d'être femme. Elles doivent être invisibles, elles doivent être cachées.
02:31Elles doivent se taire. Elles n'ont même pas le droit de parler. Donc, une femme d'or
02:34doit murmurer. Et où a-t-on déjà vu une chose pareille ?
02:38Et personne ne dit rien, d'ailleurs.
02:40Personne ne dit rien parce que c'est comme s'il n'y avait pas de solution. Les Américains
02:44sont intervenus 20 ans sur place, les Français aussi. Et puis, finalement, tout le monde
02:48est parti de façon pas très glorieuse en laissant les talibans refaire ce qui avait
02:54été défait pendant 20 ans. Et toutes ces libertés chèrement acquises disparaissent
02:59plus que jamais. Donc, aujourd'hui, je suis très inquiète. Et quand je pense droit des
03:03femmes, féminisme, je pense à l'Afghanistan.
03:06D'accord. Est-ce que les hommes peuvent être féministes, selon vous, Dorothea O'Leary ?
03:10Alors, est-ce qu'ils peuvent l'être ? Est-ce qu'ils peuvent adhérer à la cause ? Si c'est
03:15une cause, oui, bien sûr. Et il y en a certainement beaucoup. Moi, j'ai envie de dire mon conjoint.
03:23Très féministe, en fait. Philippe Vandel, qui est un ancien de Canal Plus, qui a travaillé
03:28aussi en radio. Je pense qu'à vos côtés, en plus, il a toujours soutenu vos voyages,
03:35vos engagements, etc. Ce qui n'est pas chose aisée quand on a une femme qui s'en va à
03:39l'autre bout du monde dans des zones de guerre. Comme ça, on imagine qu'effectivement, ne
03:42serait-ce que vous soutenir cette imposition féministe.
03:44C'est tout à fait un positionnement féministe. On est ensemble depuis 25 ans. Il faut se remettre
03:48en arrière. Il aurait pu tenter d'influencer ou de dire non, ne part pas là. Il ne l'a
03:55jamais fait. Il a dit quand je t'ai rencontrée, tu étais déjà reporter, journaliste, tu
04:00couvrais des terrains de guerre. C'était ton choix. Donc jamais, je ne te ferai la
04:03moindre remarque.
04:04C'est peut-être un peu aussi pour ça que vous lui avez plu, non ?
04:05Je ne sais pas. Parce que lui, quand il a commencé en tant que journaliste, on lui
04:09a demandé qu'est-ce que tu veux faire ? Il a dit tout, sauf les pays en guerre. Il a
04:12totalement respecté mon choix.
04:13Un obstacle, selon vous, à l'avancement du droit des femmes en France actuellement ?
04:18Un obstacle, c'est la mauvaise volonté, les politiques, ceux qui ne jouent pas le
04:28jeu, ceux qui ne font pas assez de lois. Je repense aux violences faites aux femmes.
04:33Que ça ne bouge pas assez sur les féministes.
04:36Je sais qu'en Espagne, ça a bougé très vite, beaucoup plus qu'en France. D'ailleurs,
04:40ils disaient les chiffres, j'ai entendu ce matin, ils sont à 30 féminicides par
04:45an. Ils étaient à plus de 120 il y a trois ans, je crois, effectivement. Donc, c'est
04:49une grande avancée. Il y en a toujours trop, mais c'est politique. C'est à eux de
04:54faire des lois, d'obliger, d'imposer, de cadrer, de protéger les femmes.
04:59Et alors, qu'est-ce qui se passe bien pour les femmes en France ?
05:03Moi, j'ai le sentiment que les femmes au travail peuvent vraiment prendre des places
05:11de plus en plus importantes et sans avoir le côté imposé des quotas, qui est quand
05:15même assez désagréable d'avoir un poste parce que c'est le quota de femmes ou le
05:18quota de diversité.
05:19Quelles compétences parlent maintenant ?
05:22Plus, plus.
05:23Ce qui est quand même infiniment plus agréable de se le dire, c'est parce que je suis compétente.
05:27Inégalité salariale conséquente ?
05:30Conséquente, je ne sais pas. Moi, dans mon métier, c'est toujours difficile de comparer
05:34les salaires parce qu'il y a l'ancienneté, il y a les enfants, il y a tout plein de choses
05:38qui font qu'on n'a jamais le même bulletin de salaire. Mais moi, je n'ai pas le sentiment
05:43d'avoir été moins bien payée que mes collègues à France Télévisions. Je n'ai pas le sentiment,
05:49mais je devrais peut-être vérifier.
05:50Et alors, Simone de Beauvoir, elle nous disait on ne n'est pas femme, on le devient. Est-ce
05:55que vous avez souvenir de la première fois où vous vous êtes sentie femme, vous, Dorothée ?
06:00On le devient, femme ? Alors moi, j'ai le sentiment d'être devenue une femme peut-être
06:05forte au moment où j'ai quitté tout simplement le cocon familial.
06:09Votre premier appartement, quoi.
06:11Alors oui, mon premier appartement à Paris. Moi, je suis née à Nantes et c'est vrai
06:15que d'être au sein de sa famille, j'ai quatre frères et sœurs. On est quatre, mes
06:20parents sont ensemble. On a cette protection. Donc, ce qui est sûr, c'est que dans mon
06:26éducation, depuis toute petite, mes parents, mon père, ma mère, nous ont toujours traité
06:32de façon totalement égalitaire. Et mon frère est devenu pilote de chasse. Moi, journaliste
06:38grand reporteur. Mon petit frère a travaillé dans la banque. Ma petite sœur, infirmière.
06:42Chaque métier était encouragé. Notre choix, respecté. Il n'y en a pas un qui disait
06:50toi, tu vas faire mieux que l'autre. Et garçons, filles, c'était la même éducation et la
06:54même ouverture aux autres et le même respect.
06:56Comme quoi, c'est important l'éducation. Ça passe par là.
06:58Alors, Dorothée O'Leary, je rappelle votre livre « Maman s'en va en guerre » qui est
07:03sorti aux éditions du Rocher. Au tout début de votre récit, sur la page de garde, vous
07:07citez le poète Guillaume Apollinaire. Alors moi, je voulais vous citer la phrase d'un
07:11poème d'Arthur Rimbaud que la majorité d'entre nous a appris à l'école. Alors, c'est des
07:16extraits. Un soldat jeune, tête nue et la nuque baignant dans le frais, crée son bleu
07:19d'or. Alors là, je passe le bout. Il dort dans le soleil, la main sur la poitrine, tranquille.
07:23Il a deux trous rouges au côté droit. Alors, j'ai choisi ce poème parce que ça raconte
07:27la déformation qu'on a tous à rendre la guerre, donc la mort, une chose commune, en
07:33fait. Ça devrait être à peine l'exception. Est-ce qu'on s'habitue à l'horreur quand
07:37on est reporter, Dorothée O'Leary ?
07:39Moi, non. Non, je ne m'habitue pas à l'horreur. Cette phrase comme celle que j'ai mis en exergue
07:47au début, en fait, c'est un paradoxe parce que la guerre est jolie. Et comme dit Apollinaire,
07:52Dieu que la guerre est belle, que la guerre est jolie. Mais d'un autre côté, la guerre
07:57est immonde, affreuse, sale, noire. On ne peut pas faire pire. Mais c'est un mélange
08:03des deux parce qu'il y a l'exaltation du soldat. Il y a l'exaltation du soldat. Ce
08:08n'est pas pour rien qu'on disait que le soldat partait de la fleur au fusil. Il y a cette
08:11camaraderie, cette fraternité qui porte et que souvent des jeunes soldats n'ont trouvé
08:16nulle part ailleurs. Donc, il y a des choses très fortes humainement. C'est ça le beau
08:20côté de la guerre. Effectivement, quand on est dans les trous d'obus, quand les corps
08:24sont déchiquetés, quand un camarade tombe devant soi, que ce soit un journaliste, que
08:31ce soit un soldat, là, la mort devient concrète et on ne s'habitue pas. C'est un coup de
08:36poignard dans le cœur à chaque fois qu'on est aux premières loges de la guerre.
08:41Oui, parce que vous le recitez en deuxième phrase. Si tu voyais ce pays, ces trous à
08:45hommes partout, partout, on en a la nausée, les boyaux, les trous d'obus, les débris
08:49de projectiles et les cimetières. Ça, vous l'avez vu. Vous le voyez souvent quand vous
08:52partez. Comment on fait pour vivre avec ces images-là, après Dorothée O'Leary ?
08:56Alors, elle reste ancrée dans mon histoire.
08:59À jamais ?
09:00À jamais. J'ai un diaporama assez horrible. Il fait partie de moi. Je n'en parle pas.
09:06Je le garde un peu enfoui. Après, en ce moment, en parlant de tous ces terrains, je suis allée
09:13du Rwanda à la Tchétchénie.
09:15Vous avez fait grosso modo tous les conflits qu'on a connus depuis les années 80, au
09:20milieu de 90, début 90. Tous les conflits importants qui ont rythmé ma génération,
09:29je peux le dire.
09:30Alors, je ne veux pas vous donner le détail de ces horreurs parce que ce n'est pas le
09:33but. Mais ce sont des images qu'on ne montre pas dans les reportages, bien évidemment,
09:38dont je parle un petit peu dans le livre. Mais elles font partie de moi. Et j'ai choisi
09:43je ne veux pas que cette noirceur déteigne sur moi, sur ma vie, sur ma famille. Donc,
09:48je mets un point d'honneur à mettre plus de joie, plus de gaieté, plus de bonheur,
09:52plus d'optimisme. Je suis toujours du côté de « ça va, ça va ranger ».
09:55C'est quoi la méthode qui vous aide ? De vous dire « ça va, en fait ».
09:57Oui, c'est en moi. Oui, il y a du noir en moi, mais il y a beaucoup de couleurs,
10:07beaucoup de joie, beaucoup d'espérance, beaucoup d'espoir.
10:10Est-ce que vous avez besoin d'aide quand vous revenez de reportage ? Parce que je sais
10:13que vous avez des psys à disposition chez France Télé, etc. Est-ce que c'est nécessaire,
10:16ça, pour vous ? Alors, pas pour moi, mais je ne m'explique
10:20pas tellement. Je pense que ma maman sert de psy depuis toujours. En fait, je pense
10:26qu'il faut exprimer les choses. Il faut débriefer, il faut exprimer. Quand j'ai
10:31commencé ce métier, pendant 15 ans, on roulait un peu des mécaniques et on ne faisait pas
10:36part de sa peur ou de ses traumatismes. Surtout en tant que femme, j'imagine.
10:39Surtout en tant que femme, on se devait d'être peut-être encore plus courageuse, en tout
10:42cas d'encaisser et ne pas montrer la moindre faille. Parce qu'on se serait dit, oui, c'est
10:46une femme, on ne va pas la renvoyer, elle n'est pas solide, elle est fragile. Donc,
10:49non, peut-être qu'il y a des choses qui sont enfouies. Mais moi, j'ai réussi à continuer
10:54sans traumatisme, justement, en en parlant à maman.
10:58Non pas à maman, exactement. Merci, maman. Et pas à mes conjoints, pas à mon conjoint
11:04et pas à mes enfants. On lui passe le bonjour à maman. Allez, vous
11:06restez avec nous sur Sud Radio pour Destin de Femmes, avec la grande reporter de guerre
11:09chez France Télé, Dorothée Olieric. Et son livre « Maman s'en va tant guère » s'est
11:13sorti aux éditions du Rocher et je vous le conseille fortement à tout de suite rester
11:17avec nous.
11:30Destin de Femmes sur Sud Radio, c'est l'émission du féminisme autrement femmes et hommes ensemble
11:34pour le droit des femmes et pour une société meilleure. Alors, aujourd'hui, vous avez
11:38avec vous Dorothée Olieric, grande reporter de guerre chez France Télé et son livre
11:42« Maman s'en va tant guère » sorti aux éditions du Rocher. Alors, Dorothée Olieric,
11:46vous avez connu les conflits au Cambodge. D'ailleurs, c'est votre premier déplacement.
11:50En 1992.
11:51Voilà. Et vous avez beaucoup attendu avant de partir sur le front. Alors, déjà...
11:55Alors, beaucoup attendu, pas vraiment. J'étais très jeune, je suis arrivée à 23 ans à
11:59France Télévision. C'était en TN2 à l'époque, en stage. Et deux ans plus tard, à 25 ans,
12:03je partais sur mon premier terrain de guerre.
12:05Oui, mais on n'imagine que deux ans pour quelqu'un qui a envie de s'en aller, c'est long.
12:09Et du coup, il y a une exaltation, évidemment, sur un premier départ comme ça. Quand vous
12:15arrivez là, en zone de guerre, jeune femme comme vous êtes, on imagine que pour une
12:20première fois, c'est quand même un choc. On a envie de savoir ce que vous ressentez
12:22à ce moment-là et comment vous gérez ces émotions très fortes, justement.
12:26Alors, pour le Cambodge, je suis partie, on va dire, très bien entourée parce que je
12:29suis partie avec 350 légionnaires. Voilà, donc j'étais la seule femme. Il y avait
12:33deux, trois journalistes. C'était l'armée française qui organisait cet embarquement.
12:39Donc, je me sentais quand même assez sereine, bien entourée.
12:42Oui, mais on n'en parle pas de votre sécurité à vous. Je parle plutôt de ce que vous avez
12:46vu, quoi.
12:47Alors, j'ai vu, j'ai survolé le Cambodge, les quatre coins du Cambodge, en hélicoptère,
12:53en rase-mote au-dessus de la jungle. J'ai fait de longs convois en 4x4, en s'enfonçant
12:59dans la jungle.
13:00Quelle vie !
13:01C'était l'époque où ils assuraient les accords de paix de Paris, les Khmers rouges
13:13qui devaient rendre les armes. Donc, voilà, c'était les Khmers rouges qui étaient pour
13:15moi une guerre d'avant. J'ai eu un face-à-face avec l'histoire, avec ce qui me passionnait.
13:21Je dis, j'y suis. Franchement, c'est incroyable. Et je suis revenue, je me suis dit, je fais
13:25m'exalter.
13:26C'est un beau métier du monde.
13:28C'est vrai, c'est un très beau métier. Vous avez connu aussi l'Angola, l'Irak, la Bosnie,
13:33l'Ukraine. Vous avez connu le massacre, le génocide au Rwanda. Il y a eu Israël aussi,
13:40plus récemment. La liste est longue, j'en ai cité que quelques-uns. Est-ce que vous
13:45êtes une femme, on l'a dit. Est-ce qu'à l'occasion de vos reportages, vous avez quand
13:48même été maintes fois dans des situations dangereuses ? Est-ce que vous avez été confronté
13:51à des agressions ?
13:53Alors, ce qu'il y a de bien, c'est quand on est journaliste télévision, on est toujours
13:57en équipe. On est avec un géri, un journaliste, un reporter d'images, un monteur, un fixeur
14:01qui est cette interprète du pays, qui justement gère non seulement les contacts, les traductions,
14:06mais aussi la sécurité. Jusqu'où peut-on aller pour la sécurité globale de l'équipe,
14:12la personne qu'on peut fréquenter ou pas, ne pas me laisser seule. Il m'est arrivé
14:16quelquefois d'être confronté à des agressions d'ordre sexuel. On est paré dans des pays
14:25où la culture est différente, où une jeune femme occidentale arrive. Il peut y avoir
14:31des... Il y en a eu. Alors moi, j'ai résisté. J'ai trouvé la force de le faire.
14:37Vous avez été agressé quoi ? Mais vous avez résisté ?
14:39Oui, j'ai résisté. C'est pas facile, c'est un moment compliqué. Je ne vous donnerai pas
14:42plus de détails, mais moi, ce que je dis à toutes les jeunes filles, voilà, ça arrive sur le terrain.
14:46Il faut s'armer psychologiquement, physiquement. Il faut être prête à ce que ça arrive sur le
14:51terrain, potentiellement ? Oui, il faut être prête. Il y a plusieurs échelles. En Afghanistan,
14:58je me souviens qu'il y avait, dans un village, plein d'hommes. J'étais la seule femme. Ils se
15:02sont rapprochés de moi. Ils se sont tous mis à me pincer les fesses, pincer comme ça. Et j'étais
15:08en panique. Mon interprète est venue et a fait corps pour me protéger. Ça, c'était une petite
15:13agression. Mais oui, il faut être prête et il faut réagir très fermement. On masque un peu la
15:21féminité aussi sur les terrains comme ça, parce qu'on est dans un monde souvent en guerre avec des
15:25hommes, loin de leur famille, loin de leur femme, loin des femmes, tout court. Donc, il faut s'habiller
15:31en conséquence, se comporter en conséquence, effacer un peu les signes de féminité. On va
15:37parler sur une ligne de front, toutes pomponnées, maquillées. Ça ne va pas passer sinon. Non,
15:42ça ne passera pas. Alors, votre secret pour vivre avec ça, justement, et faire la paix avec tout ça,
15:46qu'est-ce que c'est ? Le secret, c'est la passion. La vocation, quoi. Oui, c'est que malgré toutes les
15:55horreurs, malgré les risques, malgré les obus parfois qui sifflent au-dessus de nos têtes,
15:59malgré les bombes, malgré la peur, eh bien, on a des rencontres, du point de vue humain,
16:06absolument extraordinaires. Franchement, les sentiments, ils sont exacerbés. Donc, on est,
16:11vous, vous êtes meilleur, je suis meilleur, on donne plus, on reçoit plus. Il y a plus de courage,
16:17il y a plus d'amitié, il y a plus de solidarité, il y a plus d'amour, il y a plus de... Tout est
16:21absolument intense, fougueux, ardent. Et quand on revient, alors oui, c'est un peu différent.
16:28Quand on revient, on se dit, on est parisiens, qu'est-ce qu'ils leur râlent, ils ne sont jamais
16:31contents. Mais il y a des belles âmes, il y a des rencontres incroyables. Et moi, je le fais,
16:36je pense, avant toute chose, pour ces rencontres.
16:39Alors, quelques mots aussi, en cette semaine de commémoration des massacres du 7 octobre,
16:44c'était mardi dernier, en Israël. Quand on doit raconter des horreurs comme ça,
16:49comment est-ce qu'on gère la responsabilité de raconter une histoire terrible telle que
16:52celle-là, à hauteur d'hommes et de femmes, j'ai envie de dire, sans tomber dans la revendication,
16:57quelle qu'elle soit d'ailleurs.
16:57Alors, raconter ces massacres, moi, je n'y étais pas le 7 octobre, je suis arrivée 15 jours après,
17:03j'ai rencontré des survivants. Là, effectivement, ce sont des interviews absolument bouleversantes,
17:10parce qu'on vous raconte des choses qui sont absolument inimaginables. Alors,
17:15il y a le moment de l'émotion, on la reçoit bien évidemment. Et le moment où on écrit,
17:20où on raconte, où il faut qu'on reprenne un peu de distance, surtout sur un sujet qui est aussi
17:25délicat. Nous, on va en Israël, on va à Gaza. Moi, je suis allée plein de fois à Gaza. Et à
17:32chaque fois qu'on raconte ce qui se passe dans un des deux camps, que ce soit les massacres ou
17:36autre chose, on est toujours critiqués, c'est toujours extrêmement sensible. Mais on met un
17:40point d'honneur à prendre une distance et à raconter les faits et des faits avérés.
17:45Alors, justement, il y a aussi cette histoire qui m'a marquée. Parce que rester objective,
17:51en couvrant des sujets aussi durs, ce n'est pas simple. Je pense notamment à ces deux petites
17:55filles que vous avez retrouvées sous un amas de cadavres pendant le génocide rwandais en 1994 et
18:00que vous avez gardées deux semaines près de vous avant de les conduire à l'orphelinat. Vous avez
18:05eu envie de les garder, on imagine ? En plus, vous êtes maman. J'étais pas maman à l'époque,
18:10mais elles étaient tellement toutes petites, terrorisées, deux petits squelettes qui étaient
18:15par miracle encore en vie. Et donc, j'étais avec les militaires. Donc, elles se rençaient à rester
18:21avec nous pendant 15 jours dans cette espèce de caserne où il n'y avait rien, mais elles avaient
18:24un peu d'amour, un peu de soin. Et c'était une rencontre bouleversante. Et je les imagine
18:29aujourd'hui toutes replètes, en bonne santé. Et hélas, j'ai perdu le lien parce qu'elles ne pouvaient
18:36à peine parler. C'était la catastrophe là-bas. Vous débutez, vous terminez votre livre par votre
18:42rapport à vos enfants que vous laissez régulièrement pour aller sur le terrain. Alors maintenant,
18:47ils sont grands, mais quand ils étaient petits, on imagine que ce n'était pas si simple que ça. Et
18:50je fais aussi référence à la lettre de votre fille qui est à la fin du livre et qui dit qu'aujourd'hui,
18:55avec le recul, elle a 20 ans, mais que quand vous partez en guerre, malgré l'inquiétude,
18:59elle n'a pas peur parce qu'elle croit en votre bonne étoile. Et surtout, elle nous dit que sa
19:03mère est une aventureuse qui n'a peur de rien. Elle est si fière de vous. En fait, c'est une
19:09déclaration d'amour et ça vous confirme que finalement, vous avez raison de faire ce choix,
19:14de continuer à travailler dans ces zones où vous êtes mis en danger malgré le fait que vous êtes
19:19maman. Alors, je ne savais pas quelle serait sa réponse. Je lui ai demandé, écris-moi comment tu
19:24as vécu toutes ces années où je suis partie, où j'ai pris des risques, même si je minimisais
19:28les risques. Et donc, j'étais très émue à la lecture de cette lettre puisqu'elle me dit qu'elle
19:33comprend, qu'elle accepte et qu'elle me pardonne s'il y avait quelque chose à pardonner, notamment
19:36l'absence pour les anniversaires, et qu'elle est fière de moi. C'est arrivé souvent ça ? Oui,
19:41c'est arrivé quelquefois. Ça, c'est dur. Et en fait, elle me dit, maman, j'espère que je vais
19:46trouver un métier qui me passionnera autant que le tien. Et on parlait de féminisme au début. Ma
19:52fille qui a 20 ans fait partie de cette génération de jeunes femmes extrêmement féministes qui vont
19:58lutter et qui vont faire changer les choses en plus des politiques. Et je suis, moi, très fière d'elle.
20:03C'est beau ça, c'est une vraie transmission finalement. Dorothée, hors antenne, on s'était
20:09quand même dit qu'on a le droit d'être féministe et en talons aiguilles. Ça, c'est important de le
20:12redire. C'est-à-dire qu'en fait, aujourd'hui, être féministe, ça ne veut pas forcément dire
20:16sortir des attributs féminins. Au contraire. Alors, au contraire, totalement. Moi, je vous dis, je suis
20:22féministe au fond de moi depuis toujours et je suis extrêmement féminine aussi. Alors, pas trop sur les
20:27terres de guerre. Mais je pense que l'un va avec l'autre. Moi, j'ai un discours qui n'est pas un
20:33discours agressif. J'ai un discours compréhensif. J'ai un discours qui se veut utile et je porte la
20:40voix des femmes, des femmes du monde entier et la mienne. Et moi, j'ai appris effectivement à mes
20:44enfants, à mon fils, le respect total des femmes, comme mes parents me l'ont appris. Il n'y a pas
20:51toujours besoin de se bagarrer ou de se séparer. On peut avancer ensemble, les hommes, les femmes,
20:56sur un chemin qui va libérer tout le monde et donner plus de place aux femmes qu'elles méritent,
21:01évidemment. Si vous aviez un souhait, qu'est-ce que ça serait ? Je ne vais pas vous dire la paix
21:05dans le monde parce que je n'aurais plus de boulot. Non, je plaisante. Un souhait, déjà, c'est le bonheur
21:12de mes enfants. Déjà, égoïstement. Votre mot de la fin, ça sera quoi, Dorothée O'Leary ?
21:19C'est une belle rencontre. Merci d'avoir mis en avant les femmes comme ça et avec justesse.
21:25Quel parcours, chers auditrices, chers auditeurs. Je vous le conseille, Maman sur Matangar, c'est le livre de
21:29Dorothée O'Leary qui s'est sorti aux éditions du Rocher. C'est vraiment à lire. Et si vous avez un
21:34conseil, tiens, avant qu'on se quitte, pour une jeune fille qui a envie de suivre la même route que vous,
21:37le premier conseil que vous lui donneriez ? Qu'elle fonce, qu'elle fonce, qu'elle n'attende pas, qu'elle
21:42se dise c'est possible. Parce qu'il y a encore des jeunes filles qui viennent et qui me disent
21:44j'aimerais faire ça, mais je ne suis pas sûre. Est-ce que c'est possible pour moi ? Et quand j'aurai
21:49des enfants, je dis mais fonce, vas-y, demande l'autorisation ni à ton mari, ni à ta mère, ni à ton père.
21:53Tu fonces et tu y vas. Oui, à tes enfants d'ailleurs. Et tu vis tes rêves. Merci beaucoup. Merci Dorothée O'Leary.
21:59Le livre « Maman s'en va en guerre, je vous le redis » est sorti aux éditions du Rocher. Dorothée O'Leary qui est
22:04grand reporter de guerre chez France Télé, c'est dispo dans toutes les bonnes librairies. Je vous le
22:08conseille, je vous le recommande fortement. Nous on a rendez-vous samedi prochain à 13h30 pour un
22:11nouveau Destin de Femme. Demain 19h pour C'est Excellent. Puis vous pouvez retrouver
22:15sur sudradio.fr. Merci à Djamal qui réalise pour vous aujourd'hui. Je vous embrasse, à demain.
22:29Soudradio, Destin de Femme, Judith Belaire.

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