"Sur le terrain je ne suis pas une femme, je suis journaliste" Nadjet Cherigui - Destins de femmes

  • il y a 6 mois
Dans Destins de femmes, Judith Beller reçoit la grand reporter au Figaro Magazine Nadjet Cherigui.

"Destins de Femmes" nous raconte les parcours des femmes extraordinaires qui tissent le lien de notre République. Nous explorons des thèmes universels tels que la lutte pour l’Egalité des genres, la liberté d’expression, la diversité culturelle, le droit à disposer de son corps. Emission tirée du livre de Valérie Perez-Ennouchi, "Destins de Femmes", sorti chez Ramsay, prix Edgard Faure 2021.

Une émission de Judith Beller.

Merci au Groupe Connect Travail Temporaire !

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##DESTINS_DE_FEMMES-2024-03-23##
Transcript
00:00 Le groupe Connect, expert en recrutement intérimaire.
00:04 Rejoignez les 35 agences du groupe Connect pour des opportunités de carrière partout en France.
00:08 Le groupe Connect présente...
00:10 Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:14 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Destin de Femmes sur Sud Radio,
00:17 votre rendez-vous du samedi à 13h30 avec les femmes françaises qui tissent le lien républicain.
00:22 C'est une émission tirée du livre, au même titre, de Valérie Pérez-Enouchi,
00:26 qui est sortie chez Ramsay et qui est pris Edgar Ford 2021.
00:29 Dans Destin de Femmes, aujourd'hui, vous allez découvrir le destin de la grande reporterne,
00:34 et les journalistes d'investigation au Figaro Magazine, Najet Cherighi.
00:39 Vous êtes une habituée des immersions en profondeur dans des milieux difficiles et dangereux.
00:43 Vous êtes une femme courage qui nous apporte l'information avec conviction, on vous remercie.
00:47 Autant vous dire, chers auditeurs, un vrai destin de femmes comme on les aime sur Sud Radio.
00:51 Bienvenue, Najet Cherighi.
00:53 Merci à vous de m'accueillir.
00:54 Plaisir.
00:55 Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
00:59 Alors pour commencer, Najet Cherighi, je vais vous poser les quatre questions
01:03 que je pose à toutes les invitées de Destin de Femmes.
01:06 La première, quel destin de quelle femme vous inspire le plus ?
01:11 Je parlerai de destin au pluriel et de femmes au pluriel parce que
01:16 cette question m'inspire une réponse et une pensée.
01:19 Je pense aux femmes iraniennes, en particulier à Narjes Mohamedi, qui est en ce moment en prison.
01:26 Je pense à ces femmes iraniennes dont on ne parle pas tellement en ce moment, plus tellement,
01:30 puisque c'est un peu noyé dans l'actualité, très dramatique.
01:36 Hélas, et on ne saurait oublier leur combat.
01:41 Leur combat contre l'obscurantisme, le port du voile obligatoire.
01:48 Elles meurent pour ça.
01:50 Elles meurent pour le droit de ne pas porter le voile.
01:52 Voilà.
01:53 C'est un destin qui vous touche très directement, Najet.
01:56 On le sent quand vous en parlez.
01:58 Pourquoi ça vous touche autant ?
01:59 Ça me touche parce que je suis une femme.
02:04 Je suis une femme libre.
02:07 Je sais ce que ça coûte.
02:09 Et quand je pense à ces femmes qui paient le prix fort encore et qui ne sont toujours pas libres
02:20 et que je vois encore ou que j'entends ici dans un pays comme la France...
02:25 Des femmes qui se battent pour l'inverse ?
02:29 L'inverse, des intermoins, des hésitations.
02:32 Mon regard se tourne vers ces femmes et ça me rappelle en tout cas qu'il faut se lâcher,
02:41 il faut se battre, il faut penser à elles.
02:42 Elles comme les femmes afghanes aussi.
02:45 On va demander de choisir, je pensais à l'Iranienne, mais ça on peut décliner.
02:50 On peut décliner à tous les pays où les femmes sont réprimées.
02:53 Quel a été votre plus grand succès à vous, Najet Cheriki ?
02:57 C'est une question qui m'interroge parce que le succès, c'est quoi ?
03:04 Votre réussite alors peut-être ?
03:06 C'est quoi la réussite ?
03:08 Non, je vais vous décevoir, je ne vais pas vous parler de succès.
03:13 Parce que si on parle du travail, de mon travail, il n'y a pas de succès.
03:21 C'est un éternel recommencement à chaque fois qu'on fait.
03:24 Oui parce que vous êtes hors des pions, c'est assez terrible.
03:27 Donc en fait vous voyez des choses compliquées à chaque fois.
03:30 Et du coup cet éternel recommencement ne peut pas vous dire que quand vous arrivez
03:34 à aller au bout d'un article et que vous avez un succès sur un article, c'est un succès.
03:38 Non, c'est un article, c'est un article qui dure le temps que ça dure, c'est-à-dire
03:45 une semaine, un hebdo.
03:46 Et on doit sans cesse recommencer, y retourner.
03:51 Le succès, ça serait que ça s'arrête en fait, non ?
03:55 Peut-être, vous avez la réponse.
03:59 Quel a été votre plus grande joie ?
04:03 Ma plus grande joie ?
04:08 Vous hésitez ?
04:11 En fait on a l'impression quand je projette ce que je vois de vous, c'est que finalement
04:19 vous n'êtes pas en montagne russe.
04:21 Il n'y a pas de plus grande joie ou de plus grande déception peut-être.
04:24 Il y a la vie quoi.
04:25 Il y a la vie.
04:26 Ma plus grande joie c'est quoi ?
04:27 Moi je suis assez optimiste, alors même quand on touche le fond et qu'on voit le pire,
04:33 dans le monde ou chez les gens, j'essaye toujours de trouver quelque chose, une lumière.
04:39 Je vais vous prendre l'exemple d'un néo-nazi en Hongrie que j'avais interviewé et j'ai
04:44 essayé de sonder la lumière dans son âme.
04:51 Vous avez réussi à trouver de la lumière ?
04:53 Non, j'ai vu la noirceur mais j'ai compris surtout d'où venait cette noirceur.
05:02 Donc au moins avoir des réponses à ça.
05:05 Donc si je vous pose quelle est votre plus grande déception, c'est pareil en fait.
05:09 Vous n'avez pas de grande déception Najat ?
05:12 Chérigui ?
05:13 L'humanité peut-être.
05:14 L'humanité vous déçoit ?
05:16 Oui mais en même temps je m'accroche.
05:18 Avec son éternel recommencement.
05:19 Alors vous revenez tout juste d'Ukraine, vous étiez sur le front Najat Chérigui.
05:31 Vous avez un papier qui est paru hier dans le Figaro magazine.
05:34 Alors on a envie de savoir un peu ce que vous avez vu et quelles sont les conditions de
05:37 ce front.
05:38 Et qu'est-ce que vous nous racontez dans ce papier ?
05:40 Je ne suis pas allée en première ligne de la ligne de front là où ça se bat.
05:48 Mais je suis allée dans les zones sinistrées encore, pas très loin.
05:53 À Tchernigiv, à une centaine de kilomètres de la frontière russe et biélorusse.
06:00 Il fait chaud.
06:01 On va vous mettre un peu de climat.
06:03 Il s'agissait surtout d'aller au plus près de ces gens qui sont restés dans ces villes
06:14 et villages qui ont été occupés, bombardés par les russes et qui vivent dans les décombres.
06:19 Oui parce que ça a été libéré mais rien n'a changé en termes de...
06:22 Leurs conditions de vie sont catastrophiques.
06:24 Oui.
06:25 D'accord.
06:26 Et comment est-ce qu'ils font pour faire avec le quotidien ces gens-là justement ?
06:30 Là encore j'ai vu beaucoup de résilience, beaucoup d'optimisme, beaucoup d'humour.
06:41 Mais une force de vie.
06:46 On est dans l'ordre de la survie.
06:50 Ce sont des gens qui vivent dans les décombres de leur maison sans toit, ni électricité,
06:57 ni eau, qui survivent grâce à l'aide humanitaire locale, à l'entraide entre voisins.
07:11 Ils font des échanges du train.
07:12 Et puis ils restent parce que c'est chez eux.
07:15 C'est une façon de résister aussi.
07:16 Et alors vous avez fait aussi un papier il y a peu sur les femmes de Tzahal, qui est
07:21 l'armée israélienne.
07:22 On a envie de savoir ce que ça implique d'être une femme à l'armée dans les conditions
07:26 qu'on connaît, sur ce qui se passe au Proche-Orient actuellement.
07:29 Et qu'est-ce qu'elles vous ont dit justement ces femmes ? Comment vous allez chercher leur
07:33 intimité ? Comment les gens se confient à vous dans ce genre de situation ?
07:35 Le temps c'est la clé.
07:39 Il faut passer du temps sur place en fait.
07:42 Par exemple pour votre papier sur ces femmes-là, vous avez passé combien de temps sur place
07:46 ?
07:47 Une dizaine de jours.
07:48 C'est du temps et en même temps c'est trop peu parce que j'aurais pu aller chercher
07:51 plus.
07:52 Mais voilà, on passe du temps.
07:54 On parle beaucoup, il faut instaurer une confiance.
08:00 Peut-être que le fait d'être une femme, ça change quelque chose, mais je ne suis
08:03 pas sûre puisque j'ai travaillé avec deux photographes masculins qui ont très bien
08:10 su faire avec elle.
08:11 Dans le temps, la parole, elle écoute.
08:17 D'accord.
08:18 Et finalement, quel que soit le pays où vous allez, parce que vous êtes allé beaucoup
08:23 sur des pays où il y a des complications, est-ce qu'il y a des points communs entre
08:28 tous ces endroits où il y a la guerre, où il y a la famine, où il y a que vous allez
08:32 en fait, parce que vous n'allez que dans les endroits où c'est compliqué.
08:35 Est-ce qu'il y aurait un point commun global ?
08:37 Est-ce que vous voyez ? Est-ce que vous avez envie de transmettre avec nos auditeurs ?
08:42 C'est vrai qu'on se faisait la réflexion avec le photographe, Yuri Bilak, avec qui
08:53 j'ai travaillé sur le dernier sujet en Ukraine.
08:56 Donc on est rentré il y a une dizaine de jours et sur la route, sur le chemin du retour,
09:05 en regardant, en se faisant le point sur les histoires que nous avions vues et la désolation,
09:11 on se disait qu'en Ukraine, comme en Irak ou ailleurs, hélas, les histoires se ressemblaient
09:20 beaucoup, sur le terrain on trouve toujours les mêmes désolations, les mêmes situations.
09:29 Les femmes et les enfants sont souvent les premières victimes.
09:34 Les plus pauvres d'entre les plus pauvres sont souvent ceux qui sont laissés de côté
09:43 un peu.
09:44 C'est ce qu'on a vu en Ukraine, c'est-à-dire que les personnes âgées qui ont moins de
09:51 50 euros par mois comme pension m'expliquaient que c'était chez elles et qu'elles n'avaient
09:57 nulle part où aller et qu'elles n'avaient pas les moyens de reconstruire.
10:00 Ce sont toujours les mêmes histoires.
10:03 Donc en fait c'est la misère qui est commune.
10:06 C'est ça que vous dites.
10:08 Et vous, pourquoi est-ce que vous avez la conviction que c'est important de ramener
10:13 cette information ? Pourquoi ce choix ?
10:14 Parce que ce n'est pas simple ?
10:16 Non, ce n'est pas simple.
10:21 Non, ce n'est pas simple parce que humainement c'est toujours douloureux.
10:26 C'est violent, oui.
10:29 Mais je crois, aussi loin que mes souvenirs m'emmènent, je crois que j'ai toujours
10:37 voulu faire ce métier.
10:38 Pas pour changer les choses mais pour en tout cas les raconter, les exposer.
10:50 À la fin de la journée, un article, ça ne change pas la face du monde, ça ne change
10:55 pas la situation des gens dans les histoires qu'on raconte.
11:01 Mais au moins on est peut-être un peu le porte-voix de ces personnes qui n'ont pas
11:10 la parole.
11:11 Et puis on fait quelque chose au moins.
11:15 On fait quelque chose, vous voulez dire par rapport à leur situation ?
11:18 En tout cas, dire, aller regarder et rapporter l'information, c'est une façon, c'est
11:25 une action.
11:26 C'est-à-dire qu'au lieu de nettoyer les plaies du monde, vous nous aidez à mieux
11:36 les comprendre.
11:37 C'est ça quoi.
11:38 J'essaye déjà de les comprendre moi-même pour les raconter.
11:41 Et vous y arrivez ? À comprendre cette humanité ? Un peu désespérante quand on vous écoute.
11:49 Non, c'est désespérant mais on…
11:52 C'est désespérant, on ne comprend pas toujours mais on doit s'efforcer de déchiffrer,
12:01 d'écripter, d'écouter.
12:02 Pour donner, pour la faire comprendre.
12:06 Et dire, écrire.
12:08 Témoigner quoi, pour eux.
12:10 C'est tout ce que, en tout cas, je parle pour moi mais aussi pour ceux qui travaillent
12:17 avec moi.
12:18 Je pense aux photographes, on est dans la même chose.
12:21 Restez avec nous sur Sud Radio chers auditeurs et chères auditrices.
12:26 Évidemment, pour Destin de Femmes, nous sommes avec la grand reporter et journaliste d'investigation
12:31 au Figaro Magazine, Najet Chérigui.
12:33 A tout de suite.
12:34 Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
12:38 Le groupe Connect, expert en recrutement intérimaire.
12:42 Rejoignez les 35 agences du groupe Connect pour des opportunités de carrière partout
12:46 en France.
12:47 Le groupe Connect présente…
12:49 Sud Radio, Destin de Femmes, Judith Beller.
12:52 Destin de Femmes sur Sud Radio, c'est l'émission consacrée aux femmes exceptionnelles qui
12:56 tissent le lien et le serail de notre République française.
12:59 Aujourd'hui, vous êtes avec Najet Chérigui qui est grand reporter et journaliste d'investigation
13:04 au Figaro Magazine.
13:05 Alors Najet Chérigui, vous êtes une femme, il va s'en dire.
13:09 Et à l'occasion de vos reportages, on vient d'en parler un petit peu, vous avez été
13:13 maintes fois quand même dans des situations dangereuses, enquêtée sur des gens dangereux
13:16 aussi, comme lors de votre immersion en Seine-Saint-Denis, notamment autour des réseaux islamistes.
13:22 Je crois que c'était le nouveau Molenbeek le titre, c'est ça ?
13:25 Est-ce qu'être une femme, ça complique pas les choses quand même ? Parce que c'est
13:28 une question qu'on se pose forcément, parce que pour plonger dans un milieu islamisme,
13:31 vous voilez par exemple ? Comment vous faites ?
13:33 - Non.
13:34 - Ah ouais ? Vous y allez les cheveux lâchés comme ça ?
13:35 - Ouais, avec mes cheveux.
13:37 - D'accord, ok.
13:38 - Ça passe pas de coeur dessus.
13:40 - Et du coup ça complique pas ? Enfin c'est pas que ça…
13:44 - En fait on n'a pas besoin de ça pour que ce soit déjà compliqué.
13:47 - D'accord.
13:48 - Je suis journaliste, donc je n'ai pas besoin de me néguiser.
13:53 La difficulté c'est de parler aux gens, d'avoir des gens qui acceptent de vous parler.
13:59 Donc ça aussi c'est beaucoup de temps, beaucoup de temps passé sur place, et puis venir,
14:06 revenir, revenir, ne rien lâcher, arpenter le terrain.
14:14 Je vais juste revenir sur une chose que vous disiez, en parlant de terrain dangereux comme
14:21 Saint-Denis.
14:22 Moi j'ai jamais des…
14:23 - Alors je ne parlais pas de Saint-Denis pour le terrain dangereux, je parlais des gens
14:27 dangereux à Saint-Denis.
14:28 Parce que bon, les islamistes c'est pas des gens gentils ? Ou calmes ? Ou sympathiques
14:34 ? Si ?
14:35 - Non mais comme on sait à qui on a affaire.
14:43 - Et vous les abordez comment alors ?
14:44 - Je me présente et…
14:46 - Et ils vous parlent ?
14:47 - Ça dépend.
14:48 - Mais quand on a un islamiste qui couvre la tête normalement de la femme en face, comme
14:54 c'est en train de se passer en Iran, comme on vient de parler de notion iranienne, quand
14:58 il vous voit débarquer avec votre tignasse là, il ne bloque pas ?
15:01 - Non, non, non, non.
15:04 - Alors pourquoi ? Parce que vous êtes journaliste ?
15:07 - Parce que je suis journaliste et puis surtout je décide que ce n'est pas un sujet.
15:12 - Donc c'est votre bagout ?
15:13 - Je ne sais pas si j'ai du bagout, la preuve que non.
15:20 - Il ne faut pas se dénigrer à l'antenne.
15:23 - Non je pense que…
15:26 - En fait c'est difficile d'écrire ça en quelques mots ici au micro, mais un islamiste
15:35 convaincu, politisé, etc., il n'a qu'une envie, c'est de vous expliquer sa position
15:41 et pourquoi.
15:42 Donc ce n'est pas si difficile que ça.
15:45 - Donc il ne va pas s'empêcher de vous parler parce que vous allez les cheveux lâchés
15:47 quoi ?
15:48 - Non, il y a ceux qui vous jugent aussi pour ça, mais c'est pas grave, je prends aussi…
15:54 - En fait vous vous en fichez du regard qu'ils portent sur vous ?
15:58 - Oui, je ne suis pas là pour ça, non.
16:01 Je ne suis pas une femme, je ne suis pas…
16:03 - Vous n'êtes pas une femme, vous êtes journaliste ?
16:04 - Je suis journaliste.
16:05 - Ok.
16:06 - Je ne prends rien…
16:07 - C'est un habit que vous mettez quoi ? Et puis après vous ne pensez plus qu'à ça,
16:10 il n'y a plus d'autre sujet en fait.
16:11 - Oui, je ne fais pas mon boulot et puis les insultes…
16:13 - C'est peut-être ça qui fait que vous n'avez pas peur aussi, non ? Parce que quand
16:17 même, il faut y aller.
16:20 - Non, je ne me pose pas la question en ces termes, c'est-à-dire qu'il y a un sujet
16:25 qui me passionne, je veux y aller et puis c'est difficile, plus ou moins difficile.
16:31 En fait, ce qui est plus gênant c'est la difficulté, c'est pas tellement…
16:38 On est dedans, on fait le job et puis on creuse.
16:43 Ce sont des sujets difficiles avant, après, pendant…
16:50 - Alors justement, ce sujet-là, comment est-ce que vous parvenez à rester objective tout
16:54 en couvrant des sujets qui sont aussi émotionnellement chargés, on peut le dire quand même ? Comment
16:59 vous arrivez à faire la part des choses entre ce que ça vous fait ressentir et ce qu'il
17:02 faut que vous fassiez dans l'action ?
17:04 - La subjectivité, c'est très subjectif quand même.
17:08 - Ok.
17:09 - Mais du coup, est-ce qu'il y a un processus que vous mettez en place pour vous détacher
17:14 quand vous voyez des scènes d'horreur ?
17:16 - Est-ce que vous avez dû en voir ?
17:20 - Là, on ne parle plus des islamistes, par exemple.
17:22 - On ne parle plus des islamistes, on parle du terrain.
17:24 - Non, on ne se détache jamais des scènes d'horreur, c'est pas possible, émotionnellement.
17:33 Je ne comprends pas les personnes qui répondent qu'on s'habitue à l'horreur.
17:39 Non, le jour où on s'habitue à l'horreur, c'est qu'il faut s'arrêter.
17:43 Non, évidemment, on pleure, on est écoeuré.
17:46 Et l'horreur, je tiens à le dire ici, elle n'est pas forcément à l'autre bout du monde
17:54 dans des pays difficiles.
17:56 On peut la rencontrer aussi en action.
17:58 - Vous avez un exemple concret ?
17:59 - Oui, je me souviens d'un reportage particulièrement éprouvant, vraiment.
18:04 Un des plus difficiles.
18:06 C'était en banlieue parisienne, j'étais en immersion avec la brigade des mineurs
18:11 et je crois que c'était il y a plus de dix ans et ça me poursuit encore.
18:16 - Ce qu'on fait aux enfants, quoi.
18:18 - Oui.
18:19 - Sur le rôle des journalistes dans la lutte contre l'extrémisme,
18:25 pour revenir un petit peu sur la montée de l'islamisme qu'on connaît dans notre société,
18:31 il est indubitable, il est important, ce rôle-là.
18:35 Parce que même si on est censé être objectif, on s'engage quand on écrit.
18:43 - Choisir un angle pour un papier, c'est déjà commencer à être subjectif, quelque part.
18:52 - C'est une forme de subjectivité.
18:55 Mais il faut faire attention de ne pas tomber en tant que journaliste
19:00 dans la lutte contre, on n'est pas là pour lutter,
19:03 même si évidemment on est tous plus ou moins engagés.
19:09 Notre travail c'est de raconter.
19:13 - C'est pas de donner votre avis, quoi.
19:18 - Je pense souvent à ça quand j'écris, pour rester équilibrée.
19:23 Je fais confiance à l'intelligence du lecteur.
19:27 Je suis là pour raconter ce que je vois, ce que j'entends.
19:30 - De manière la plus neutre possible ?
19:32 - J'essaye, oui.
19:34 Evidemment, ça veut dire parfois raconter les choses sans filtre,
19:38 comme quand on va sur le terrain raconter le communautarisme
19:45 ou ce qu'il se passe, l'islamisme, etc.
19:50 On raconte les choses sans filtre et ça ne plaît pas toujours.
19:55 - Vous avez été menacée déjà ?
19:58 - Oui, oui.
20:00 - Ça n'a pas l'air de vous embêter plus que ça, Najat Jeregi.
20:05 - Ça fait partie du...
20:07 - C'est une dextérité, quand même.
20:10 - Non, mais ça fait partie du paquet.
20:13 Quand on traite ce genre de sujet, il faut s'attendre à ce genre de réaction.
20:21 Et puis, voilà...
20:24 - Vous n'avez pas peur ?
20:26 - Non.
20:28 Non, non.
20:30 - Peut-être que c'est parce que dans votre personnalité,
20:33 vous n'avez pas peur en général ?
20:35 - Euh...
20:37 Il faut...
20:40 Là, on parle des sujets d'enquête de société
20:45 qui ont suscité parfois des polémiques sur le terrain.
20:50 Quand on est sur un terrain dangereux, en guerre ou je ne sais pas ailleurs,
20:56 où le risque physique est immédiat, il faut écouter sa peur.
21:01 Ça ne sert à rien d'aller...
21:03 - Écouter son instant, en fait.
21:05 - Évidemment, la peur est toujours là à un moment,
21:08 mais il faut juste la maîtriser, l'écouter, trouver son équilibre.
21:12 Mais se laisser submerger par la peur, ça n'est pas...
21:16 - Ça bloque, ça empêche de...
21:19 - C'est pas très... Ouais.
21:21 - C'est pas enrichissant.
21:23 Finalement, vos articles démontrent que vous vous engagez fortement
21:27 pour ce que vous disiez un peu tout à l'heure.
21:30 J'ai envie de vous entendre plus là-dessus.
21:32 Donner une voix aux personnes et aux problèmes qui sont souvent négligés.
21:36 Faire parler le silence.
21:38 - Oui.
21:40 En fait, je crois que...
21:43 J'ai une carapace comme ça.
21:46 Mais qu'on apprend à...
21:49 Enfin, on apprend à s'armer avec le temps,
21:53 mais je crois que j'ai au fond une grande sensibilité.
21:58 J'ai toujours été très sensible aux autres.
22:04 À l'injustice, je suis très en réaction
22:08 avec ce qui se passe dans le monde, à côté de chez moi.
22:13 Et ça explique certainement...
22:16 - Votre usage. - Les choix de mes sujets, en tout cas.
22:19 - Et comment vous êtes devenue journaliste ?
22:22 C'est quoi l'élément déclencheur ?
22:24 Grand reporter, en fait, surtout. J'ai envie de dire.
22:27 - Bah, c'est...
22:31 Moi, je peux dire que je vis un réveil éveillé tous les jours,
22:35 puisque, comme je le disais tout à l'heure,
22:39 et c'est vrai, aussi loin que je me souvienne,
22:42 je pense que ça doit monter entre 8 et 10 ans,
22:47 je me rêvais grand reporter.
22:51 Quand on me demandait "Qu'est-ce que tu feras plus tard ?"
22:53 je disais "Je serai grand reporter."
22:55 - C'est ça, votre plus grand succès !
22:57 D'avoir réussi à faire ce que vous vouliez dans la vie, là, Thierry Guy.
22:59 - Non, je le vois pas comme ça.
23:01 Parce que, vraiment, c'est un challenge tous les jours.
23:04 On recommence, on se remet en question à chaque fois qu'on a fait un papier.
23:08 Vraiment, je dis ça sans aucune forme de...
23:12 On recommence à chaque fois.
23:16 On a mis une pièce dans la machine, et après on recommence tout à zéro.
23:19 Il faut... Rien n'est jamais gagné.
23:21 Mais oui, je sais la chance que j'ai de pouvoir
23:26 faire le métier dont je rêvais quand j'étais enfant.
23:30 - Le mot de la fin d'Ajat Chéry Guy, parce qu'on va déjà se quitter.
23:33 Vous avez un petit mot à partager avec nous ?
23:35 Vous avez quelque chose que vous voulez dire aux auditeurs ?
23:37 Ou aux auditrices ?
23:39 - Non, il y a juste une question.
23:42 Vous m'aviez demandé à un moment votre plus grande fierté.
23:47 Et je tenais à répondre à cette question.
23:49 - Allez-y.
23:50 - Ma plus grande fierté, c'est une réponse bateau, mais c'est ma fille.
23:53 - Ah bah voilà.
23:54 - Ma fille que j'ai eu plaisir à voir grandir
23:58 en prêtant attention au monde, aux autres.
24:01 Et puis je suis très fière de voir la jeune femme...
24:04 - Qu'elle est devenue.
24:05 - Qu'elle est devenue engagée, déterminée...
24:08 Et qui continue toujours de tout questionner sans rentrer dans le moule.
24:13 - Comment elle s'appelle ?
24:14 - Sundis.
24:15 - Eh bien Sundis, on lui passe le bonjour.
24:17 Merci beaucoup Najat Chéry Guy d'être venue par ici.
24:20 Votre tout dernier article, pour les auditeurs, de Najat Chéry Guy,
24:25 qui est la grand reporter et journaliste d'investigation du Figaro Magazine,
24:28 il est sorti hier.
24:29 Achetez le Figaro Magazine, le titre de l'article.
24:32 - "Dans les ruines", en Ukraine, "Dans les ruines".
24:35 - C'est un titre évocateur.
24:36 Eh bien nous on a rendez-vous samedi prochain,
24:39 déjà demain, vous le savez, pour cet excellent.
24:41 Puis samedi prochain, 13h30, pour un nouveau Destin de Femme.
24:44 Vous pouvez nous retrouver sur sudradio.fr,
24:46 la chaîne YouTube de Sud Radio sans oublier,
24:48 les réseaux sociaux, le Deezer en complet, etc.
24:50 Merci à Thomas qui réalise pour vous.
24:52 Je vous embrasse. Bye.
24:54 Sud Radio, Destin de femmes, Judith Belaire.

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