Près de six mois après la mort du plus célèbre des journalistes littéraires, sa fille, Cécile Pivot, publie "Bernard Pivot, le goût des autres" paru aux éditions Calmann-Lévy. L'écrivain Pierre Assouline en signe la préface. Ils sont les invités du grand entretien de France Inter.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00C'est un œil qui pétille, une mèche ondulée, un peu rebelle, une branche de lunettes dans
00:05la bouche.
00:06Et c'est l'une des figures les plus emblématiques de la littérature et du paysage audiovisuel
00:10français.
00:11Vous aurez peut-être reconnu Bernard Pivot qui s'est éteint au printemps dernier et
00:15qui fait l'objet d'un très joli livre qui vient de sortir et dont on a choisi de
00:19vous parler aujourd'hui.
00:20Ça s'appelle « Bernard Pivot, le goût des autres » publié par Calman Levy, co-signé
00:24par ses deux filles, Agnès et Cécile.
00:26C'est un ouvrage qui fourmille d'anecdotes, des photos très connues pour certaines sur
00:29le plateau d'apostrophes, de bouillons de culture, d'autres beaucoup plus surprenantes
00:33et intimes.
00:34Bernard Pivot en premier communiant au milieu des vignes avec son équipe de foot.
00:37On en trouve aussi dans ce livre un très beau texte de Pierre Assouline, membre de
00:44l'Académie Goncourt, journaliste, écrivain, qui nous fait le plaisir d'être en studio
00:47pour parler de ce livre ce matin.
00:49Bonjour.
00:50Bonjour.
00:51Et autour de la table également, bien sûr, celle qui co-signe le livre, Cécile Pivot.
00:54Bonjour.
00:55Bonjour.
00:56C'est un plaisir à tous les deux d'être venus évoquer le monument, mais aussi l'homme
01:00qu'était Bernard Pivot, le journaliste, le professionnel, le passionné de la langue
01:03et votre père, votre ami.
01:05Chers auditeurs, n'hésitez pas à nous appeler pour nous parler de votre Pivot 01 45 24 7000.
01:11Alors, je parlais de Pivot, le père, l'ami, c'est un peu ce qu'on découvre en fait
01:15dans le livre.
01:16C'est une facette plus intime de Bernard Pivot, des photos de lui tout bébé et puis
01:20plus récemment.
01:21C'est aussi ça que vous vouliez montrer, Cécile Pivot ?
01:24Oui, je voulais vraiment montrer les différentes facettes parce que mon père a une vie extrêmement
01:28riche et c'était quelqu'un qui aimait beaucoup l'amitié, qui avait des amis, qui était
01:32très proche de sa région natale, le Beaujolais, qui aimait beaucoup le vin, qui était un
01:38grand connaisseur de vin et qui était aussi un grand amateur de football et de tous les
01:43sports.
01:44Donc, c'était tout ça en effet que je voulais montrer.
01:46Je ne me serais pas permise de faire un livre seulement sur sa vie professionnelle que moi
01:51j'ai vue, mais en tant que fille.
01:53Le public connaissait mieux.
01:54Oui, voilà, moi je voulais montrer toutes ces facettes-là chez lui parce qu'il a une
01:58vie très riche.
01:59Et pour ça, vous avez utilisé des photos prises par votre sœur Agnès.
02:02Pourtant, Bernard Pivot, c'était une des personnalités sans doute les plus photographiées
02:06de l'époque.
02:07Alors, pourquoi avoir utilisé ces photos-là ?
02:08Parce que ma sœur a beaucoup photographié.
02:11Ma sœur aimait beaucoup la photographie, mon père aurait aimé d'ailleurs qu'elle devienne
02:14photographe.
02:15Elle n'est pas devenue photographe et elle a fait tout au long de la vie de mon père
02:20des albums.
02:21Elle en a fait à toute la famille.
02:22Elle lui a fait un album qu'un sien en Beaujolais, un album sur le foot, un album sur apostrophe,
02:31sur ouvrez les guillemets.
02:32Et j'ai retrouvé en fait tous ces albums.
02:34Mon père n'était pas du tout dans la nostalgie, donc on ne regardait jamais de photos ensemble.
02:38Mais une fois qu'il est mort, je suis allée pour la première fois tout seule dans son
02:42appartement et j'ai en fait redécouvert tous ces albums que j'ai feuilletés toute
02:47seule dans son salon.
02:49Et je me suis dit, on va faire quelque chose.
02:52En fait, Agnès, ma sœur, dans ces albums avait mélangé et ses photos à elle et les
02:58photos de grands photographes qui ont été prises sur mon père.
03:01Donc, je me suis dit, on va en faire un livre.
03:03Puisque vous avez évoqué déjà plusieurs fois le Beaujolais et l'attachement à Sterrois,
03:09mais aussi au vin, on va l'écouter.
03:11Bernard Pivot en parlait avec passion dans l'émission de France Culture à Voineux,
03:14c'était en 1991.
03:16J'ai eu la chance de vivre dans cette sensualité du vin, dans cette beauté de la vigne.
03:24Rien n'est plus beau finalement qu'un vignoble en plein été quand les raisins
03:29sont si beaux sous le soleil et à l'automne quand les feuilles de roussisse deviennent
03:34jaunes et prennent toutes les couleurs de la peinture.
03:37Rien n'est plus beau qu'un vignoble, c'est étonnant, un homme de lettre qui dit ça,
03:41Pierre Assouline.
03:42Mais on retient quand même aussi le bon vivant finalement.
03:44Oui, le bon vivant en toute chose, mais moi ça ne m'étonne pas tellement cette façon
03:50de parler de la sensualité du vin, parce que quand il parlait de littérature, c'était
03:55aussi très sensuel.
03:56Il parlait de l'odeur des livres, de la couleur d'un roman, de la musique d'un texte.
04:04Donc c'est un tout, on ne peut pas isoler une personne par rapport non seulement à
04:10sa vie professionnelle, mais au sein de sa vie professionnelle, à ses différentes activités.
04:14Il y a dans le livre aussi une photo avec ses plus vieux amis, des amis qu'il a rencontrés
04:18dans sa jeunesse, qu'il n'a jamais quittés.
04:20Vous étiez aussi son ami Pierre Assouline, quel ami il était ?
04:23Un ami d'une fidélité exemplaire, parce que c'est quelqu'un sur qui on pouvait compter
04:32en toute chose.
04:33Moi je lui dois beaucoup parce qu'avant d'être son ami, parce qu'il ne donnait pas son amitié
04:37facilement.
04:38Non, ce n'est pas quelqu'un qui utilisait le mot « ami » de manière un peu galvaudée
04:42comme on fait très souvent.
04:43D'ailleurs ça le frappait toujours, mais quand il m'envoyait ses livres, je savais
04:49que quand il écrivait en toute amitié ou avec mon amitié, je savais qu'il avait pesé
04:54le mot avant.
04:55Moi il a été mon patron avant d'être mon ami, et donc pendant dix ans j'ai travaillé
05:01à ses côtés, et au bout de dix ans il m'a demandé au magazine Lire de lui succéder
05:05à la direction du magazine.
05:07Et par la suite, il a été mon président, puisque je l'ai retrouvé à l'Académie
05:12Goncourt quand j'ai été élu il y a treize ans, et il fait partie de ceux qui ont favorisé
05:17mon élection.
05:18Et je l'ai eu comme président, et on s'amusait beaucoup.
05:21Je n'oublierai jamais quand je suis arrivé il y a treize ans à l'Académie Goncourt
05:25pour le premier déjeuner chez Droit, il est venu vers moi, et la première chose qu'il
05:29m'a dite, il m'a dit « bon, à partir de maintenant, on se tutoie, parce que je ne
05:33suis plus ton patron ».
05:34Et là, c'est vrai qu'une amitié a démarré qui ne s'est jamais démentie par la suite.
05:41Alors, Cécile Pivot, ce qu'on voit aussi, c'est un immense travailleur, il se décrit
05:46lui-même dans le livre comme un homme sans dimanche, on le voit presque autant sur les
05:51photos avec sa fidèle assistante, avec son équipe, qu'avec sa famille.
05:55Comment vous l'avez vécu, vous, sa fille ? Quel père aussi était-il ?
05:59C'était un père absent, longtemps, ça a été longtemps un père absent.
06:04Après, c'était une génération aussi où les pères étaient souvent absents, donc
06:09mon père n'avait rien de particulier par rapport à ça.
06:12Mais la différence, je dirais, c'est que physiquement, notre père était là, il était
06:18dans l'appartement familial qui était très grand, et il travaillait là toute la journée.
06:22Donc c'était peut-être ça qui était peut-être plus perturbant pour nous, c'est que c'était
06:27un immense travailleur, donc oui, il était vraiment absent.
06:31Peut-être, je me suis aperçue en fait, en travaillant sur ce livre tout l'été, que
06:37ce qui avait aussi peut-être de très perturbant pour ma sœur et moi, c'est qu'il était
06:42à la maison extrêmement sérieux, très gentil, toujours d'une grande gentillesse, mais très
06:47sérieux, plongé dans ses livres, plongé dans l'écriture, et que quand on le voyait
06:52à la télévision, il était extrêmement souriant, extrêmement vivant.
06:57Et nous, on avait affaire à un père qui était, pas renfrogné, c'est pas ça, mais
07:04qui était dans ses livres, qui était avec les écrivains, qui n'était pas avec nous,
07:09et qui était en revanche, dès qu'on… En revanche, il était tout le temps, on n'entendait
07:14parler que de lui à l'extérieur, ma sœur et moi, c'était le temps d'apostrophes,
07:18il faut se rendre compte que c'était énorme, apostrophes.
07:22On était à l'école, « Ah, t'es la fille de Bernard Pivot », tout le monde ne parlait
07:25que… Enfin, beaucoup, on était la fille de Bernard Pivot, on était la fille de Bernard
07:31Pivot qui faisait apostrophe.
07:33Et nous, on avait à la maison un père qui était très silencieux, très rêveur.
07:38Les livres ont mangé sa vie, d'ailleurs, c'est ce que vous écrivez, Pierre Assouline,
07:42il y a un des chapitres qui s'intitule « Carte de presse 17316 », c'était le numéro
07:48de sa carte de presse parce que Bernard Pivot, c'était vraiment un journaliste, un drogué
07:52de l'info.
07:53Oui, il est resté journaliste toute sa vie, parce que ça, on en parlait souvent, il y
07:57en a qui le présentaient comme producteur de son émission, ce qui n'était pas le
07:59cas, et puis le Roi-Lire, enfin tous les soubriquets dont on l'a publié, ils me disaient toujours
08:06« Non, mais attends, nous sommes des journalistes et on le reste… » Quand on est journaliste,
08:11à partir de l'âge de 20 ans, on le reste toute sa vie, dans l'esprit, et puis même,
08:15il a continué, bien après « Apostrophes et bouillons de culture », il a écrit dans
08:19« Journal du dimanche », un feuilleton littéraire qui a duré des années et des années, il
08:23adorait ça, et moi je l'ai vu lire un crayon à la main, pratiquement jusqu'à la fin
08:29de sa vie.
08:30Et donc, cet amour du journalisme, qui lui a tout donné, et à qui il a beaucoup donné,
08:37c'est quelque chose de fondamental chez lui.
08:39Il disait toujours « Un journaliste, c'est la curiosité.
08:43Un jeune qui n'est pas curieux, je lui déconseille d'entrer dans ce métier.
08:47C'est la base.
08:48» Mais ça, il l'a utilisé aussi pour ses émissions.
08:52Vous savez, la meilleure définition de Pivot par rapport à la télévision, c'était
08:57Pierre Nora, qui l'avait donnée, il avait dit « Pivot, c'est l'interprète de la
09:02curiosité publique ». Et c'est tout à fait ça.
09:04Saskia de Villet-Poche Il disait aussi « un mélange de salon parisien
09:07et de maison de passe », c'était pour l'ambiance du plateau.
09:10Guillaume Meurice Il y a eu plein de formules pour le définir.
09:13Moi, ce que je lui dois, notamment, je dois beaucoup de choses, c'est l'indépendance.
09:18L'indépendance en tant que journaliste au magazine Lire, il nous a toujours appris
09:22ça par rapport aux éditeurs, et ça c'est important, mais aussi en tant que membre et
09:27puis président de l'Académie Goncourt, l'indépendance par rapport à ce milieu
09:32littéraire où on noue des amitiés, et puis par rapport à la pression éditoriale.
09:37C'est très important.
09:38Et ce métier, il lui permettait de rencontrer de grandes personnalités.
09:44Par exemple Jane Fonda, c'est une des photos qu'on voit dans le livre, qu'il qualifie
09:48lui-même d'irrésistible, et c'était le 31 mai 1985.
09:51Guillaume Meurice Vous avez une formule que je trouve très
09:53bien.
09:54Vous dites « autrefois j'étais jeune, aujourd'hui je me sens jeune ».
09:57Jane Fonda Oui.
09:58Je suis plus en harmonie avec moi-même psychologiquement, physiquement, moralement qu'autrefois.
10:06Je suis plus forte physiquement, je suis plus souple, j'ai plus de souffle.
10:10Je peux monter les montagnes plus rapidement qu'avant, c'est vrai.
10:15Je fais des choses physiquement maintenant que je n'aurais jamais pu faire à 20 ans.
10:19Aliette de Laleu Alors là, clairement, Cécile Pivot, il
10:21était sous le charme, mais Pierre Assouline parlait d'indépendance, d'une forme de
10:26distance aussi tout à l'heure.
10:27C'était un incorruptible ? Vous écrivez dans le livre qu'il refusait par exemple
10:31que les éditeurs l'invitent à dîner ?
10:33Cécile Pivot Pierre Assouline a raison, c'était vraiment
10:35un incorruptible parce qu'il n'aurait jamais accepté un travail pour l'argent déjà,
10:42pas du tout.
10:43Ni la flatterie, la flatterie ne le touchait pas, pas au point en tout cas de changer quelque
10:50chose dans sa vie professionnelle.
10:51Il était extrêmement indépendant, son indépendance était chez lui une de ses grandes caractéristiques.
10:59J'ai le souvenir moi d'un enfant, deux ou trois fois, on lui a proposé des postes
11:07où il a hésité, je me souviens de ça, je me souviens très bien de ça, de conversations
11:10avec ma mère ou avec nous, et puis non, il n'y était pas allé.
11:15Et à chaque fois il disait « qu'est-ce que j'ai bien fait ? ». Mais évidemment
11:19il y a eu à cette époque-là, il y a eu des ponts d'or, on lui a proposé des ponts
11:22d'or pour certains postes à la télévision, qu'il n'a pas accepté et il a dit « j'ai
11:26bien fait, je n'étais pas fait pour ça ». Non, voilà, c'est irresponsible, vous
11:31disiez ça allait loin.
11:32Ça allait loin parce que ce n'est pas seulement à la télévision, mais il a refusé l'Académie
11:35Française plusieurs fois, parce qu'il disait « le comble aujourd'hui, c'est que si
11:40je me balade, bras-dessus, bras-dessous, avec Claude Lévi-Strauss sur les Champs-Elysées,
11:44l'anthropologue, tout le monde va s'arrêter pour demander à moi un autographe et à lui
11:49on ne lui demandera rien parce qu'on ne va pas le reconnaître ». Il disait ça c'est
11:52scandaleux, c'est le comble.
11:54Nous, il nous a appris à la rédaction de lire, il a toujours dit « un journaliste
11:59ne doit pas accepter d'être décoré par un gouvernement ». Donc pas de légion d'honneur,
12:05pas de mérite agricole, pas de tous ces trucs et ces rubans autour de la veste, il disait
12:10parce qu'un journaliste doit demeurer indépendant par rapport à tout ça.
12:14Vous savez, son image était si forte dans la société du temps d'apostrophes, de bouillons
12:21de culture et même après, que je pense qu'on l'a proposé à plusieurs reprises d'être
12:27ministre de la culture.
12:28Oui.
12:29Oui.
12:30Oui, vous confirmez ?
12:31Oui, oui, c'est vrai.
12:32Et il a toujours dit « non mais ministre c'est un métier, ce n'est pas le mien du
12:36tout ». Et donc il a toujours refusé mais il aurait pu être ministre de la culture.
12:39Et puis il n'aimait pas les réunions, il disait « oh là là, non, un travail comme
12:42ça où je dois avoir beaucoup de réunions, c'est pas du tout mon truc ».
12:45Et là, Cécile appuie sur un défaut parce qu'il avait des défauts.
12:48Oui, vous en faites la liste justement dans le livre.
12:51Il avait des défauts.
12:52Moi, il y en a un qui me frappait toujours, ça m'amusait d'ailleurs, c'est l'impatience.
12:55Une impatience terrible.
12:57Son impatience faisait du bruit parce qu'il remuait des pièces de monnaie dans sa poche
13:02en permanence.
13:03Ça voulait dire qu'il faut accélérer le rythme.
13:06Il avait un marron aussi, c'est ce que vous racontez dans le livre.
13:10Oui, toujours.
13:11Pourquoi ?
13:12Il a toujours eu un marron.
13:13Un marron qui lui portait chance.
13:14Il tripotait des pièces de monnaie et ce marron, il avait toujours un marron.
13:19Il aimait beaucoup les marrons.
13:20Il y a cette citation qui est assez savoureuse d'Arthur Miller qui s'étonne d'abord que
13:24Pivot ait lu son livre avant de faire l'interview et qui dit « Les intervieweurs charmants
13:28sont en général mal renseignés, ceux qui sont le mieux renseignés sont souvent sérieux
13:32à mourir ».
13:33Lui, il avait les deux, Pierre Asseline ?
13:36Oui, il avait les deux.
13:38Vous savez, beaucoup de gens ont essayé en France, mais aussi à l'étranger, d'imiter
13:43l'apostrophe.
13:44C'était pas imitable pour plusieurs raisons.
13:47D'abord parce que sa réussite vient de la parfaite osmose entre une personnalité,
13:53qui est celle de Bernard Pivot, l'époque, la télévision de ce moment-là et le public.
14:00Et ça, on ne peut pas le répéter.
14:01Ça s'est improvisé.
14:03Il n'a pas du tout calculé que ça allait marcher.
14:06Donc, on ne peut pas recommencer ça.
14:09Et sa sagesse, parce que c'est un paysan, ce qu'évoquait finalement Cécile tout à
14:15l'heure, c'est des qualités de paysan, savoir dire non.
14:18C'est ça, la liberté.
14:20Le paysan en lui, lui donner une sagesse que d'autres n'ont pas.
14:24Alors, on va filer au standard, parce qu'il y a beaucoup de questions d'auditeurs.
14:27On va commencer avec vous, Aurélien, bonjour.
14:28Aurélien, vous êtes là ? Aurélien n'est pas là, mais ce n'est pas grave, on va
14:35se tourner vers…
14:36Je suis là.
14:37Ah, vous êtes là, voilà.
14:38Alors, vous aviez une question pour nos invités.
14:39Oui.
14:40Oui, j'ai l'impression que contrairement à l'époque d'Apostrophe, je suis un
14:45enfant d'Apostrophe, il y a beaucoup plus d'auto-censure et de censure à la télévision
14:52et que des émissions où, par exemple, on voit Bukowski qui se saoulait avec son vin
14:58blanc à la télévision…
14:59Une image mythique.
15:00Ce serait impossible aujourd'hui.
15:01Ce n'est pas seulement Bukowski, vous remarquerez une chose, dans les Apostrophes de l'époque
15:08et tous les films de Claude Sautet, tout le monde fume.
15:11Le studio est totalement enfumé.
15:14La loi est vingt et serait mise à mal aujourd'hui.
15:16Et ça a disparu.
15:17Cela dit, votre auditeur a parfaitement raison sur une chose, mais ce n'est pas qu'eux,
15:21Apostrophes, c'est que la société, aujourd'hui, s'auto-censure.
15:24Et ça, c'est une chose que Bernard n'aurait pas supportée.
15:29D'ailleurs, il s'en plaignait souvent.
15:31Valéry nous appelle de Marseille.
15:33Bonjour Valéry.
15:34Oui, bonjour à vous tous.
15:36Je suis très ému de retrouver Cécile Pivot et Pierre Assouline, que je voudrais remercier
15:41d'avoir écrit un si bel ouvrage consacré aussi au grand nageur, Alfred Nackasch, le
15:48nageur d'Auschwitz.
15:49Merci Pierre Assouline.
15:50Il sourit.
15:51Merci.
15:52En ce qui me concerne, je suis redevable à Bernard Pivot de m'avoir fait aimer plus
15:58encore à la fois la littérature et la politique.
16:02Parce que je me souviens qu'en 1988, Michel Rocard, Premier ministre, fut l'invité resplendissant
16:10d'Aspostrophes.
16:11Michel Rocard évoqua son service militaire de jeune énarque dans l'armée de l'air
16:19sur la base aérienne de Cancarpiquet et ses obligations militaires avaient été agrémentées
16:24par sa lecture d'un ouvrage que Pierre Assouline connaît bien, le Caporal épinglé de Jacques
16:29Perret.
16:30Magnifique.
16:31C'est une occasion éblouissante que l'on peut revoir aujourd'hui grâce aux archives
16:35de l'Institut national de l'audiovisuel et j'ai été aussi très heureux de pouvoir
16:41remercier et Bernard Pivot lorsqu'il fut l'invité de France Inter dans une matinale
16:47en 2011.
16:48On va aigrainer tous les souvenirs avec vous.
16:52Et de remercier aussi Michel Rocard que j'ai eu le bonheur de rencontrer au Festival d'Avignon
16:57en 2003.
16:58Merci Valérie.
16:59Alors Pierre Assouline.
17:00Je rebondis sur deux choses qu'a dit votre auditeur.
17:02La première, l'évocation de Jacques Perret.
17:05Bernard adorait des écrivains dont on ne parle plus du tout hélas.
17:09Et nous étions tous les deux en parfaite communion là-dessus.
17:11Jacques Perret, Antoine Blondin, Henri Béraud.
17:15Qui connaît Henri Béraud aujourd'hui qui est un Lyonnais pur porc j'allais dire.
17:21Mais il y a donc cette évocation de cette littérature.
17:24Et puis il a parlé de politique.
17:25Alors voilà.
17:26Vous dites qu'il détestait la politique.
17:28Ce n'est pas seulement ça.
17:29C'est par rapport à sa pudeur parce que c'était quelqu'un de très pudique.
17:34On n'a jamais pu savoir à la rédaction de lire quelles étaient ses opinions politiques.
17:39On le charriait en lui disant « mais qu'est-ce que vous allez voter aux prochaines élections
17:43? ». Il disait « ça, vous ne le saurez jamais ».
17:45Alors Cécile Pivot, vous faites non quand Pierre Assouline…
17:47Oui.
17:48Je pense moi qu'il aimait bien interviewer des hommes politiques.
17:50Ça le faisait rire.
17:51Parce qu'il y en a eu beaucoup.
17:52C'était un autre travail.
17:53Vraiment il a aimé ça.
17:54Il a interviewé Chirac.
17:55Mitterrand.
17:56Il a fait des émissions magnifiques.
17:58Toutes les photos qu'il y avait en livre.
18:00Mitterrand, Chirac.
18:01Parce qu'évidemment Mitterrand était un grand lecteur.
18:03Donc il a beaucoup aimé.
18:04Mais en effet, on ne pouvait pas savoir ce qu'il votait.
18:07Et je pense que sur la politique, il avait un vrai recul.
18:10C'est-à-dire que tout ça l'amusait.
18:12Et je me souviens, il y a vraiment très peu de temps avant sa mort, où il m'a dit « tu
18:17vois… ». Je ne sais plus à propos de quel homme politique c'était.
18:20« Tu vois… ». Et bien voilà.
18:21Il n'a pas reconnu qu'il avait eu tort.
18:22Pourquoi les hommes politiques ne reconnaissent jamais qu'ils ont eu tort ?
18:26Donc il y avait des petites choses comme ça qui l'énervaient dans la politique.
18:29Mais je pense qu'il avait un vrai recul et il aimait interviewer les hommes politiques.
18:33Il a aimé ça.
18:34Il a été très fier d'interviewer par exemple Mitterrand.
18:36Et puis il a interviewé aussi des grands comme Solzhenitsyn, comme le patron aussi
18:41du syndicat Solidarnosc, Lesch-Valaisa.
18:43Je voudrais avant qu'on se quitte, écouter un tout petit extrait de l'émission de France
18:47Culture à voix nue, où il explique pourquoi c'était bien d'être enfant de cœur.
18:50« Ayant été enfant de cœur pendant 10 ans, 12 ans, ayant été l'enfant de cœur
18:53de Jésus, de Marie et des Saints pendant 10 années, ça m'a évité ensuite de devenir
18:58l'enfant de cœur de Marx, de Mao, de Castro, de Pinochet et autres tyrans de cette planète.
19:06»
19:07Alors voilà pour le côté politique et l'indépendance toujours maintenues.
19:11Alors on n'aura pas le temps d'évoquer tout l'héritage, tout ce qu'il a fait
19:15et ensuite la dictée, le théâtre, son compte Twitter aussi avec son million d'abonnés.
19:22Je ne résiste pas, Cécile Pivot, Pierre Assoulin, à vous quitter avec cette chanson
19:26délicieuse qui est aussi dans le livre et qui est de Pierre Perret, dédiée à Bernard Pivot.
19:31« Un homme illustre disait des Français, ce sont tous des vaux.
19:35On a depuis fait de nombreux essais pour changer de peau.
19:40Mais c'est pas avec le loto ou Dallas que nos cellules se dégrassent.
19:46Un homme est venu rehausser le niveau, c'est Bernard Pivot. »
19:50Voilà, Cécile Pivot et Pierre Assoulin.
19:52Immense, merci d'être venu évoquer avec nous ce matin la mémoire et la figure de
19:56Bernard Pivot au centre de ce très bel ouvrage qu'on recommande chaleureusement que vous
20:01venez de publier.
20:02Je rappelle le titre, Bernard Pivot, le goût des autres, c'est chez Kalman Levy.
20:06Merci beaucoup d'être venu sur Inter.
20:08Merci.
20:09Merci beaucoup.