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Responsabilité étatique pour lois inconstitutionnelles avec Théo Ducharme, maître de conférences en droit public, Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Répartir les risques dans une opération de M&A Andras Haragovitch, Associé Fondateur, KUBE M&A

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Transcription
00:00On poursuit ce Lex Inside et on va parler de la responsabilité de l'État du fait
00:14des lois inconstitutionnelles avec mon invité Théo Ducharme, maître de conférences en
00:20droit public à l'université Paris Panthéon-Sorbonne. Théo Ducharme, bonjour.
00:26Bonjour, je vous remercie de l'invitation.
00:27Nous allons nous intéresser à un sujet complexe, la responsabilité de l'État du fait des
00:33lois inconstitutionnelles et on verra ensemble que c'est un recours encore sous-exploité.
00:38Commençons par les bases. Pouvez-vous nous expliquer ce qu'est la responsabilité de
00:44l'État du fait des lois inconstitutionnelles ?
00:46Cette responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles, elle prend
00:50son origine dans la question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors qu'on peut
00:54contester une loi qui a existé, se pose la question de savoir si cette loi a pu causer
00:59un préjudice à un individu ou à une société par exemple. Et donc à la suite d'une déclaration
01:04d'inconstitutionnalité, le Conseil d'État a progressivement reconnu le principe suivant
01:09lequel un individu peut engager la responsabilité de l'État pour être indemnisé du fait
01:14de l'application d'une loi que le Conseil constitutionnel a déclarée contraire à
01:18la constitution.
01:19D'accord, alors maintenant on a une idée générale de ce qu'est la responsabilité
01:23de l'État du fait des lois inconstitutionnelles, entrons dans le détail, quelles sont les
01:28conditions pour engager la responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles
01:33?
01:34Alors ce régime de responsabilité est un régime de responsabilité qui ressemble à
01:38un régime de responsabilité pour faute classique, c'est-à-dire qu'il faut un fait dommageable,
01:42donc une loi déclarée contraire à la constitution, il faut ensuite un ou plusieurs préjudices
01:48qui sont indemnisables et enfin un lien de causalité entre les deux. Ça va fonctionner
01:52de la manière suivante, le fait dommageable sera identifié par le Conseil constitutionnel
01:56lorsqu'il examinera la QPC et ensuite le Conseil d'État, lui, engagera la responsabilité
02:02de l'État si ce fait dommageable est bien en lien avec les préjudices invoqués.
02:06Donc si on a ce fameux triptyque réuni, on peut engager la responsabilité de l'État.
02:12Exactement, il faut pouvoir réunir ce triptyque, alors toute la difficulté pour le requérant
02:17va être de montrer que c'est bien cette inconstitutionnalité de la loi qui est à
02:22l'origine des préjudices qu'il a subis. Alors vous évoquez les préjudices, quel
02:27type de préjudices peuvent être indemnisés par ce recours ? A priori tous les préjudices
02:32qui découlent de l'application de la loi peuvent être indemnisés, que ce soit des
02:35préjudices patrimoniaux, des préjudices de perte de chance, il n'y a pas de limitation
02:40sur le type de préjudice, même si on peut plus difficilement envisager un préjudice
02:44corporel. En revanche, la difficulté va plutôt porter sur les délais de prescription.
02:49Le Conseil d'État est assez restrictif. Qu'est-ce qu'il dit ?
02:53Il considère que la prescription quadriennale s'applique, mais il estime que la décision
02:58du Conseil constitutionnel ne fait pas repartir le délai de prescription de zéro. Et donc
03:03si on vous applique la loi depuis 30 ans, c'est seulement les 4 dernières années
03:08qui pourront être indemnisées, ce qui limite fortement les capacités d'obtenir une réparation.
03:14Vous estimez que ce recours est sous-exploité ? Pourquoi ?
03:18Ce recours est sous-exploité pour deux raisons principales. La QPC, on le sait, a irrigué les
03:24différentes branches du droit, ça devient un outil qui est utilisé par les professionnels
03:28du droit et par les conseils. Assez largement ?
03:30Assez largement. En revanche, l'après-QPC est parfois un petit peu délaissé, c'est-à-dire
03:36qu'on en reste au fait qu'on a obtenu l'inconstitutionnalité de la loi, mais on ne
03:41poursuit pas le débat sur le terrain, par exemple, de la responsabilité. Il faut dire
03:46aussi que la jurisprudence du Conseil d'État est très récente, elle date de 2019, donc il y a
03:50plusieurs exemples dans la jurisprudence qui restent relativement éparses et pour le moment,
03:54il faut le dire, assez mal construits, ce qui n'a pas conduit à engager la responsabilité de l'État.
03:58Alors concrètement, elle dit quoi cette jurisprudence, pour résumer ?
04:01Cette jurisprudence du Conseil d'État ou des juridictions...
04:05Du Conseil d'État.
04:06Cette juridiction, cette jurisprudence du Conseil d'État, c'est celle qui fixe le
04:10principe de la responsabilité, qu'il est possible d'engager, et ensuite le Conseil
04:15constitutionnel est venu poser des bornes en estimant que c'est lui qui avait la charge dans
04:20ses décisions de dire si au cas par cas, telle inconstitutionnalité pouvait permettre d'engager
04:26la responsabilité de l'État. Donc il y a toujours ce coup près du Conseil qui peut dire certes la
04:31loi est abrogée, mais vous ne pourrez pas engager la responsabilité de l'État et on le comprend
04:35bien pour protéger entre autres les finances publiques.
04:37Bien sûr. Alors abordons maintenant des questions pratiques.
04:40Quelles sont les principales difficultés pour mettre en oeuvre ce type de recours ?
04:45Les principales difficultés pour mettre en oeuvre ce type de recours vont reposer sur
04:50principalement la détermination du lien de causalité.
04:54D'accord.
04:54Il va falloir que les requérants démontrent que c'est bien l'application de cette loi qui est
04:59à l'origine des préjudices. Et la jurisprudence pour le moment est assez restrictive sur ce lien
05:05de causalité, ce qui est assez classique en droits administratifs. Ce que le juge donne d'une
05:09main, il le reprend souvent de l'autre. Et en l'espèce, par exemple, ce qu'on appelle une
05:15incompétence négative, c'est-à-dire lorsque le législateur n'a pas épuisé toute sa compétence,
05:19va conduire à rompre le lien de causalité. Puisque finalement, on ne sait pas quelle loi le
05:24législateur aurait dû prendre. Donc on ne peut pas considérer que son absence de loi est à
05:29l'origine des préjudices.
05:30Quelle est la tendance de la jurisprudence sur cette question ?
05:33La tendance de la jurisprudence, on va dire que c'est une jurisprudence relativement prudente,
05:40eu égard principalement à deux éléments. D'abord, la concurrence des droits européens,
05:46qui reste souvent plus sollicitée encore que le contrôle de constitutionnalité. C'est plus aisé,
05:52et puis c'est plus ancré dans la tradition jurisprudentielle. Il y a un recours en
05:57responsabilité similaire pour les lois inconventionnelles. Ce qui fait que la
06:02responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles est un petit peu en retrait.
06:06En tout cas, elle est un petit peu plus en retrait, on va dire, par rapport à l'inconventionnalité,
06:10qui a quand même plus de place historiquement.
06:12Est-ce qu'il y a une façon d'expliquer justement cette tendance de la jurisprudence à restreindre
06:22ce recours ?
06:23Une tendance souvent difficile à identifier dans la jurisprudence, la raison pour laquelle il va
06:30limiter tel ou tel recours. Je pense qu'il y a d'abord le fait que les partis ne le demandent
06:35pas toujours. Ils le demandent d'ailleurs assez rarement, ce qui s'explique aussi par le fait
06:40que la QPC est devenue un outil principalement utilisé par des associations, entre autres,
06:45pour conduire à modifier le droit. Les associations ne sont pas directement impactées par la
06:52disposition législative, elles n'ont pas de préjudice à faire valoir, donc elles n'engagent
06:56pas la responsabilité. Ensuite, je pense qu'il y a un défaut de culture toujours autour de la
07:02Constitution, qui reste un outil sous-exploité dans les recours, tout simplement parce qu'il y a
07:08d'autres possibilités qui sont plus traditionnelles pour pouvoir obtenir ce que souhaitent les requérants.
07:14Vous l'avez dit avec l'usage de la QPC par exemple.
07:16Exactement, et aussi avec le recours pour excès de pouvoir. Plutôt que de contester
07:22directement la loi, on va essayer de contester les actes d'application, ce qui est plus traditionnel
07:26dans l'esprit des conseils.
07:28Alors pour finir, comment on pourrait remédier à cette situation et faire en sorte que justement ce recours soit plus accessible et plus efficace ?
07:37Peut-être plus de communication sur les recours existants, sur les modalités.
07:42Par exemple, la responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles, elle a un avantage manifeste pour faire une QPC.
07:49Parce que pour faire une QPC, le préalable c'est d'avoir un recours. Ce n'est pas toujours évident de créer un recours.
07:54Et donc là, on a une instance et on peut insérer après une QPC dans cette instance.
07:59Pour créer un recours en responsabilité, rien de plus simple, vous envoyez une lettre à un ministère en demandant une indemnisation.
08:05Il ne vous répond pas. Au bout de deux mois, vous avez un refus et vous pouvez contester ce refus devant le juge.
08:10Et là, vous avez votre instance pour pouvoir ensuite contester la constitutionnalité de la loi.
08:15Donc, je pense qu'il y a encore un manque de culture dans l'utilisation de ces modalités pour pouvoir contester la loi.
08:20Donc, il faut faire encore preuve de pédagogie, de communication sur ce sujet.
08:25Exactement, faire preuve de pédagogie, faire preuve de communication et expliquer que les modalités techniques d'engagement de la responsabilité sont relativement aisées.
08:36Le fait dommageable, c'est le conseil constitutionnel. Les préjudices, il n'y a pas de limite sur ce que vous pouvez invoquer.
08:43Donc, finalement, certes, vous êtes heureux que la loi inconstitutionnelle disparaisse, mais vous pouvez également obtenir une indemnisation du fait d'une loi pénale, d'une loi fiscale.
08:53Peu importe les domaines, une indemnisation est possible.
08:55D'accord, on va conclure là-dessus. Merci d'être venu sur notre plateau.
09:00Je vous remercie.

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