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L’ADEME estime que depuis les années 1990, le nombre de points lumineux dans la nuit en France a augmenté de 89%. Ce qui n’est pas sans conséquences pour la biodiversité. Les schémas directeurs lumières permettent de redéfinir les espaces qui doivent être éclairés et ceux à laisser dans la pénombre, propices à la biodiversité. Roger Narboni, inventeur de ces documents, nous présente le projet d’éclairage urbain qu’il a développé dans la ville de Montevideo, en Uruguay.

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Transcription
00:00L'invité de ce Smart Impact depuis le forum des projets urbains, c'est Roger Narboni, bonjour.
00:12Bonjour.
00:13Bienvenue, heureux de vous accueillir.
00:14Vous êtes concepteur lumière, inventeur entre autres de ce qu'on appelle les DAL, Schéma directeur d'aménagement lumière.
00:20Alors, on va rentrer dans le vif du sujet. De quoi il s'agit ?
00:23Alors, le Schéma directeur d'aménagement lumière, c'est des stratégies d'éclairage
00:27qui permettent d'anticiper sur la lumière nécessaire dans la ville,
00:31avec souvent des échéances de 3 ans, 5 ans, 10 ans, voire plus,
00:35et donc de se poser des questions sur le futur de la lumière en ville et son évolution et sa mutation.
00:41De son évolution, de sa mutation, de sa place, de son omniprésence, parfois, c'est un vrai enjeu, c'est un débat.
00:49Oui, qui est très contesté aujourd'hui par rapport notamment à la préservation de la biodiversité,
00:53qui est en même temps nécessaire parce qu'on a besoin de pouvoir faire la promotion des activités nocturnes,
00:58que ce soit le travail de nuit ou les loisirs, mais bien sûr, il faut aussi préserver la biodiversité
01:04et puis aussi protéger le ciel nocturne.
01:06Donc, on a ces enjeux qui sont parfois un peu contradictoires,
01:09mais qu'on essaye justement de solutionner en travaillant une stratégie
01:14et en essayant de répondre à tous ces enjeux qui sont parfois un peu différents.
01:18Avec ce chiffre, plus 94% de lumière artificielle est mise de la nuit en France depuis 1990,
01:25donc elle a doublé en 30 ans.
01:27Oui, on est entre 11 et 12 millions de points lumineux.
01:30Alors, on parle souvent de pollution lumineuse, c'est peut-être pas un mot que vous employez.
01:35Si, parce qu'aujourd'hui, on sait que ça crée et ça génère une pollution.
01:39Moi, quand j'ai commencé ce métier, c'était en 1987, on était des magiciens,
01:44on a porté du rêve, de la beauté, du décor dans la ville.
01:48Et puis, petit à petit, il y a eu cette prise de conscience,
01:50mais aussi cette connaissance par les scientifiques de la pollution du ciel,
01:54puis de la pollution des espèces animales et végétales.
01:58Et aujourd'hui, on connaît aussi bien les méfaits de la lumière artificielle
02:02qu'aussi la nécessaire, je dirais, obligation de pouvoir encourager les liens nocturnes,
02:09encourager la vie nocturne et encourager la qualité de vie nocturne.
02:12Et alors, ce que vous proposez aux schémas directeurs d'aménagement lumière,
02:15comment ils intègrent ces enjeux aujourd'hui ?
02:18On crée ce qu'on appelle des trames noires, une méthodologie qu'on a mis au point depuis 2011.
02:23Et donc, l'idée, c'est vraiment de faire une balance entre les activités,
02:27les usages nocturnes des humains et puis la préservation de la biodiversité
02:32en, si possible, restaurant l'obscurité ou en la préservant,
02:36ou en l'instituant quand elle n'existe pas et qu'on en a besoin.
02:39Et donc, c'est tout notre travail, justement, de concepteur lumière
02:42et notre travail stratégique de trouver ces équilibres
02:44et de permettre qu'il y ait une très bonne cohabitation entre humains et vivants.
02:48Alors, on peut prendre un exemple qui va nous faire voyager jusqu'en Uruguay,
02:52puisqu'on est à Montevideo.
02:54Vous y avez déployé vos schémas de lumière et ces trames noires.
02:59Alors, donnez-nous des détails, comment ?
03:01Alors, tout est parti de la volonté du service d'éclairage public de Montevideo
03:06de rénover la totalité de ces appareils d'éclairage public en LED
03:10et de le faire de manière massive,
03:12puisque quasiment 80 à 90 % des points lumineux sont en LED aujourd'hui.
03:17Alors que si on voit en France, on est entre 20 et 30 % de rénovation en LED
03:21des luminaires d'éclairage public.
03:23Donc ça, ça a été le point de départ.
03:24Et après, on s'est posé des questions sur l'image nocturne de Montevideo
03:28qui est beaucoup tournée vers le tourisme,
03:30qui est en bord du fleuve du Rio de la Plata,
03:32mais aussi l'identité, les quartiers, l'inclusivité,
03:35la manière de faire participer les habitants, la concertation.
03:38Et puis, on a effectivement développé une trame noire
03:41de manière à préserver aussi la biodiversité,
03:44que ce soit au bord du fleuve ou à l'intérieur, dans les parties rurales de la ville.
03:49Les parties rurales de la ville ?
03:50Oui, parce que...
03:51Déjà, ça donne envie de visiter Montevideo, ça !
03:53Oui, c'est une ville qui est étonnante, qui fait 1,3 millions d'habitants à peu près
03:56et qui a une grande partie de son territoire qui est rurale,
03:58avec des hameaux et une partie beaucoup plus dense urbaine.
04:02Et donc, pour bien comprendre, ça veut dire que dans ces trames noires,
04:05dans ces espaces où vous identifiez une biodiversité assez riche et à protéger,
04:11vous faites quoi ?
04:12Vous diminuez la lumière ?
04:14Vous la supprimez complètement par endroit ?
04:16Ça peut être les deux.
04:17Il y a aussi tout un travail sur les spectres des sources solides
04:20parce qu'on a beaucoup appris sur les espèces animales.
04:22Il y a des espèces animales qui sont très sensibles à certaines longueurs d'onde,
04:26par exemple le bleu, le violet, l'ultraviolet,
04:28et qui sont beaucoup moins impactées par l'orange ou le rouge ou le jaune orangé.
04:33Et donc, en fonction des espèces animales, parce que chaque espèce animale est différente
04:37et selon que c'est des chauves-souris, des batraciens, des oiseaux, des mammifères nocturnes,
04:42on va pouvoir adapter les spectres.
04:44On va pouvoir effectivement abaisser la lumière à certaines parties de la nuit,
04:47au début ou en fin de nuit, quand il y a une activité animale,
04:50et selon les saisons aussi.
04:53Et puis, on peut effectivement éteindre.
04:55Des fois, c'est ce qu'on demande parce qu'il n'y a pas d'activité humaine
04:58et donc, il n'y a pas besoin d'éclairage et donc, on peut les éteindre.
05:01Donc, si je comprends bien, ça commence par une espèce de recensement de la biodiversité
05:06avant de trouver et d'inventer les bonnes solutions ?
05:08Tout à fait. On a soit des inventaires qui existent déjà.
05:10En tout cas, en France, on a déjà pas mal d'inventaires qui existent, qui sont faits.
05:14Soit on travaille avec des biologistes et des écologues dès le début de la mission
05:17et on a ce travail de repérage des espèces animales
05:21et quels types d'espèces animales puisqu'elles sont toutes différentes
05:24et elles n'ont pas la même activité nocturne tout au long de l'année.
05:27Alors, on a parlé de Montevideo.
05:29Il y a des villes françaises qui sont dans des démarches similaires
05:33que vous accompagnez ou que vous prévoyez d'accompagner ?
05:35Oui, parce qu'on a commencé, comme je le disais, dès 2011 avec la ville de Rennes.
05:39La première trame noire en France, c'était pour la ville de Rennes.
05:42Depuis, on a fait un certain nombre d'études.
05:45On a travaillé en France à Annecy.
05:47On a travaillé à Pleine Commune, en Seine-Saint-Denis.
05:50Et on travaille aussi beaucoup à l'étranger.
05:52On a fait des trames noires en Chine.
05:53Ça peut paraître paradoxal, mais la Chine, qui a signé le plan climat,
05:56elle est aussi demandeuse de ce travail contre la pollution lumineuse
06:00et pour la préservation de la biodiversité.
06:02Et en Suisse, on a travaillé à Lausanne, à Fribourg, autour de Genève.
06:06Donc, les Suisses sont aussi très promoteurs de ces trames noires.
06:09Est-ce que c'est forcément un investissement important ?
06:12C'est un investissement important, mais il y a un retour sur investissement colossal.
06:15C'est ça qui devrait motiver les communes françaises.
06:18C'est qu'avec les économies d'énergie qu'on fait en LED, on peut diviser par deux.
06:21On peut même être des fois à 80 % d'économies d'énergie, dans certains cas.
06:25Et donc, en quelques années, on a le retour sur investissement
06:28quand on sait quel est le prix de l'électricité aujourd'hui.
06:31Donc, c'est sûr que c'est un investissement, mais c'est un investissement productif
06:34et qui ramène beaucoup d'argent.
06:36C'est un investissement important, mais il y a un retour sur investissement colossal.
06:39C'est sûr que c'est un investissement, mais c'est un investissement productif
06:42et qui ramène beaucoup d'argent dans la commune.
06:44Est-ce que ça, c'est l'argument qui pèse plus que l'argument de l'impact environnemental,
06:47de la lutte contre la pollution ?
06:49Vous voyez ce que je veux dire quand vous arrivez pour convaincre un élu ou un conseil municipal.
06:52Ça dépend des communes.
06:54Quand on est dans des petites communes rurales, puisqu'on travaille beaucoup dans les communes rurales,
06:57on a travaillé dans le parc naturel régional de l'Aubrac.
07:00Les communes sont très intéressées par la biodiversité, par l'environnement naturel.
07:03Mais bien sûr, la question de l'économie d'énergie, elle est aussi essentielle.
07:07Alors, elle n'est pas toujours une économie financière, parce que ce n'est pas toujours aussi simple.
07:11Parce que des fois, il y a des abonnements, des forfaits,
07:14qui font que quand vous réduisez la consommation énergétique,
07:17vous n'avez pas forcément gagné beaucoup d'argent.
07:19Mais par contre, à terme, oui, c'est quelque chose qui est de toute manière une obligation,
07:24puisque plus aucune source n'est produite aujourd'hui en France et dans le monde.
07:28On est obligé de passer en LED, il n'y a pas le choix.
07:31Toutes les autres sources, soit sont interdites, notamment par la communauté européenne,
07:34comme les lampes à décharge, soit elles ne sont plus produites, ni fabriquées.
07:38Donc, de toute manière, on fait le changement en LED, on a une obligation.
07:42Et d'ailleurs, j'aurais pu commencer par là, le comparatif entre nos modes d'éclairage classiques et le LED.
07:51C'est quoi, par exemple, en consommation d'énergie ?
07:56Et peut-être aussi, ça se rejoint en impact sur la biodiversité, s'il y a des différences ?
08:03Alors, aujourd'hui, la LED, c'est la meilleure source en termes d'efficacité énergétique.
08:08C'est-à-dire qu'elle produit le plus de lumière possible par rapport aux watts consommés.
08:12Si on prend l'exemple par rapport au sodium, qui est la lumière orangée que tout le monde connaît,
08:16on était à 110, 120 lumens par watt.
08:18Avec les LED, on est déjà à 140 lumens par watt.
08:21Le lumen, c'est vraiment notre quantité de lumière produite par une source.
08:25Et donc, on a déjà cette performance énergétique colossale.
08:29On a des spectres qu'on peut choisir.
08:31Et donc, ça, c'est fondamental.
08:32Alors que le sodium, le spectre était déterminé par le sodium lui-même.
08:36Donc, ça, c'est ce que vous expliquez tout à l'heure, le spectre, c'est-à-dire les...
08:39Le nombre de rayonnements qu'émet la source, puisque une source LED peut émettre du blanc, du jaune, du orangé.
08:45On essaie de limiter le bleu, parce que c'est le bleu qui est dommageable à la fois pour la santé des humains
08:50et à la fois pour les espèces animales.
08:52Et puis surtout, on a une qualité de lumière, parce que c'est une source qui est toute petite,
08:56qui n'est pas chaude, qui ne brûle pas comme pouvaient le faire les lampes à décharge
09:00et qui nous permettent aussi de créer des luminaires piétonniers, des candélabres,
09:04des mobiliers qui intègrent de la lumière sous un banc, dans une structure,
09:08de créer des espaces et des salons nocturnes, par exemple, qui vont changer notre vie nocturne.
09:13Ça vous permet de quoi ? D'être plus précis dans ce que vous proposez, vous, comme concepteur lumière ?
09:17Oui, c'est ce que j'allais vous demander.
09:18Aujourd'hui, on met des LED partout, dans le fer à repasser, dans la cafetière, dans le thermos.
09:23On en met partout.
09:24Mais en ville, on peut en mettre aussi dans les façades, dans les mobiliers, dans les structures.
09:29Et puis surtout, être très créatif au niveau du design des appareils d'éclairage.
09:33On a, par exemple, développé des lanternes portatives, toutes petites,
09:37que les gens peuvent emmener pour se substituer à l'éclairage public,
09:39permettre l'extinction de l'éclairage public, mais avoir quand même une indépendance,
09:43une liberté quand on a envie de se promener la nuit.
09:45Dans les solutions que vous proposez aux villes, est-ce qu'il faut mettre des capteurs, par exemple,
09:52pour se dire dans tel quartier, si personne n'est en train de marcher dans la rue, pourquoi l'éclairer ?
09:58Ça peut être intéressant.
09:59Ce n'est pas forcément systématique parce que le capteur a quand même des nécessités de captation.
10:07Ce n'est pas toujours évident.
10:08Par exemple, si vous avez une rue avec plein d'intersections et que vous avez des capteurs pour détecter les voitures,
10:12vous allez avoir de la difficulté parce qu'il faudra en mettre à chaque intersection.
10:15Même chose pour les piétons.
10:16Des fois, quand le piéton est sur le trottoir d'en face, c'est compliqué, etc.
10:19Donc, bien sûr qu'à terme, on peut imaginer qu'il y a des technologies qui vont nous permettre,
10:24notamment des caméras qui font de la détection de présence
10:27et qui permettent de différencier une personne d'un gros chien ou de quelqu'un qui passe par rapport à un animal ou un oiseau.
10:34Mais il y a aussi des possibilités de grader la lumière, de l'abaisser.
10:38Et ça, ça peut être fait en amont avec un centre de contrôle.
10:42Il y a la possibilité d'éteindre en fonction de ce qui se passe.
10:44Et puis aussi, à la demande, si les services de sécurité ont besoin d'éclairage, de remonter l'éclairage.
10:49Parce qu'aujourd'hui, il y a des centres de contrôle que les villes peuvent piloter.
10:52Et donc, elles peuvent le faire en fonction des besoins.
10:55Vous l'avez évoqué, mais très rapidement.
10:57Je veux bien vous entendre un peu plus longuement là-dessus sur la santé humaine.
10:59Parce que là, on a beaucoup parlé de biodiversité et c'est très bien.
11:02Mais les solutions que vous proposez, finalement, elles sont moins agressives pour nos yeux.
11:07Alors, il y a déjà le fait qu'on s'est rendu compte que l'éclairage artificiel à forte dose était dommageable pour le sommeil, par exemple.
11:15Si vous avez de l'éclairage public qui rentre dans votre chambre, ça réduit vos capacités de sommeil.
11:20Puisque ça fait de la production de mélatonine.
11:23Et on s'est rendu compte aussi que le bleu des LED n'était pas forcément bon pour nos yeux.
11:27Et par exemple, pour les enfants, on a interdit aujourd'hui d'avoir des LED qui émettent du rayonnement dans le bleu.
11:33Après, il s'agit aussi de combiner ces éclairages avec les besoins et les usages.
11:39Donc, on n'est pas obligé d'éclairer les villes toute la nuit.
11:42Il y a des villes d'ailleurs qui éteignent entre 11h du soir et 5h du matin.
11:46De plus en plus, il y a près de 40% des communes moyennes qui commencent à éteindre à la demande des habitants la plupart du temps.
11:52Donc, ça permet d'améliorer le sommeil et une meilleure qualité de vie.
11:56C'était la dernière question que j'avais prévue sur nos usages.
12:00Parce qu'il y a ces impératifs biodiversité, santé, économie d'énergie.
12:05Mais il y a aussi des impératifs de sécurité, de sentiments de sécurité, etc.
12:09Comment vous combinez les deux ?
12:11J'espère qu'on va pouvoir réenchanter la nuit et redécouvrir l'obscurité avec du plaisir.
12:17Il y a beaucoup de fantasmes sur la question de l'obscurité.
12:20Il y a aussi beaucoup d'idées reçues sur la sécurité et l'éclairage.
12:23C'est vrai que l'absence d'éclairage peut générer un sentiment d'insécurité.
12:27Mais il y a beaucoup d'études qui ont montré que les gens préfèrent être dans l'ombre et ne pas être sous le feu des projecteurs.
12:32Parce qu'ils se ressentent beaucoup mieux en étant dans la pénombre et en étant observateurs.
12:36Je pense qu'on doit pouvoir notamment éduquer les enfants sur cette question de l'obscurité.
12:41Qui aujourd'hui pour eux est peuplée de monstres et de tout un tas de choses terribles.
12:46Mais dans d'autres civilisations comme en Asie où je travaille beaucoup, le noir et l'obscurité c'est le bien et la lumière c'est le mal.
12:53On termine sur cette belle pensée et on pense aux histoires qu'on racontait à nos enfants sans leur faire peur.
12:59J'espère. Merci beaucoup.
13:01Merci à vous.
13:02Bon forum des projets urbains.
13:04On passe tout de suite à notre débat.
13:05On parle, et ça se rejoint, maîtrise des consommations d'énergie en ville.

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