"Pourquoi certains instants passent plus rapidement que d'autres alors qu'ils durent la même quantité de temps ?"
C'est sûr qu'une heure dans une salle d'attente, ça paraît souvent plus long qu'une heure en terrasse avec des amis.
Alors, pourquoi ? On a posé la question à Axel Fouquet, professeur de philosophie.
C'est sûr qu'une heure dans une salle d'attente, ça paraît souvent plus long qu'une heure en terrasse avec des amis.
Alors, pourquoi ? On a posé la question à Axel Fouquet, professeur de philosophie.
Category
🛠️
Style de vieTranscription
00:00Pourquoi certains instants passent plus rapidement que d'autres alors qu'ils durent une même quantité,
00:07voire parfois durent moins longtemps ?
00:09Une heure dans une salle d'attente, ça passe évidemment beaucoup plus lentement que trois heures dans une bonne soirée.
00:13La question de la perception du temps est avant tout liée à la question de l'activité.
00:20Si vous êtes dans une activité, par exemple dans une soirée, vous allez être en quelque sorte extérieur à vous-même,
00:26vous allez être absorbé dans ce que vous faites.
00:28C'est-à-dire que votre conscience réflexive, la conscience que vous avez de vous-même,
00:34elle va être diminuée, elle va être entièrement prise dans votre conscience objective,
00:38c'est-à-dire des objets qui sont extérieurs de vous.
00:40Et donc, par cette perte de conscience de soi, il y a aussi une perte de conscience du temps.
00:45Ça, c'est quelque chose de très important à remarquer.
00:47C'est que moins on a conscience de soi, plus notre conscience est occupée par autre chose,
00:51plus le temps semble passer rapidement.
00:54Inversement, quand vous n'avez rien à faire, là vous prenez conscience de vous-même.
00:59Et à ce moment-là, le temps va passer beaucoup plus lentement.
01:03Ce qui fait qu'on perçoit une durée, ce qui fait qu'un temps s'allonge pour nous,
01:07et que ce n'est pas simplement un instant, c'est que non seulement vous avez la perception du présent,
01:11là par exemple vous percevez la syllabe que je suis en train de dire,
01:15mais vous retenez aussi en même temps avec votre mémoire ce que j'ai dit avant, le début de ma phrase.
01:20Et en même temps, vous attendez ce qui va arriver.
01:23Et vous voyez, il y a une sorte de dilatation du présent grâce à la mémoire, grâce à l'attente,
01:28qui fait que vous percevez une durée qui s'allonge, et pas simplement un instant.
01:33Et donc c'est cet acte complexe de la conscience qui fait que le temps se transforme en durée.
01:39On va prendre un exemple.
01:41Vous attendez un ami qui doit arriver dans deux heures.
01:50Et ça fait déjà deux heures que vous l'attendez.
01:53Le temps vous semble passer terriblement lentement.
01:56Pourquoi ? Parce que votre perception du temps, elle est élargie.
02:01Non seulement vous êtes focalisé sur les deux heures qui vont arriver,
02:04et vous voyez les différentes étapes, vous savez qu'il y aura d'abord dix minutes, dix minutes, dix minutes, etc.
02:09Vous voyez devant vous s'étaler deux heures à attendre, et ça fait long,
02:12et vous avez en plus dans votre mémoire les deux heures qui sont déjà passées.
02:15Vous voyez, vous avez une conscience du temps qui est étendue.
02:17Ce qui fait que le temps passe très lentement à ce moment-là.
02:20Au contraire, vous êtes dans une soirée.
02:22Reprenons l'exemple de la soirée.
02:24C'est génial, vous vous dansez, vous allez boire un verre, vous sortez dehors prendre l'air,
02:28vous rencontrez quelqu'un, etc.
02:30Vous êtes dans une succession d'actions où vous êtes plongé dans l'instant.
02:34Au moment où vous buvez le verre, vous ne pensez déjà plus à la danse que vous avez faite il y a dix minutes.
02:38Au moment où vous sortez dehors prendre l'air et que vous parlez à quelqu'un,
02:41vous ne pensez déjà plus au verre que vous avez pris.
02:44De la même façon, vous ne pensez pas à ce qui va arriver après.
02:47Vous êtes pleinement plongé dans l'instant.
02:49Et donc là, évidemment, le temps va passer très rapidement.
02:52On dit souvent, et notamment avec le numérique, les réseaux sociaux, Internet, tout ça,
02:56on dit que tout va plus vite, que le temps s'accélère.
03:00Qu'est-ce que vous en pensez de cette phrase ?
03:02Alors, est-ce que c'est vrai que le temps s'accélère ?
03:05Non, parce que de nos jours, une seconde de nos jours,
03:09ça équivaut à une seconde il y a mille ans, voire même il y a dix mille ans.
03:12Une journée de nos jours ne passe pas plus rapidement qu'il y a mille ans ou dix mille ans.
03:17Vous parliez des réseaux sociaux. En effet, qu'est-ce que c'est les réseaux sociaux ?
03:20C'est la capacité à obtenir, échanger des informations à une vitesse qui est celle, grosso modo, de la lumière.
03:27Alors qu'avant, pour pouvoir communiquer avec des personnes,
03:30il fallait au minimum des jours, des semaines, voire des mois si c'est à l'autre bout de la Terre.
03:34Donc là, on peut voir qu'ici, en effet, il y a une forme d'accélération de notre expérience,
03:38mais qui n'est pas une accélération du temps en tant que telle.
03:41Évidemment, c'est facile de suivre. Par exemple, quand on est jeune, c'est peut-être beaucoup plus facile
03:47parce qu'on a l'énergie, parce qu'on a la motivation pour rester dans le mouvement,
03:53mais à partir d'un certain âge, c'est beaucoup plus difficile de rester dans ce rythme.
03:57Donc je pense que tout va trop vite si ça exprime ce problème de la désynchronisation,
04:02c'est-à-dire ces gens qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas, pour des bonnes raisons parfois,
04:07même souvent, suivre cette accélération permanente du temps dans la modernité.
04:11C'est un problème de société, et pourtant, c'est une question qu'on entend rarement abordée dans le champ politique.
04:17Je n'entends pas les hommes politiques questionner cette notion du temps.
04:21On pourrait même dire que c'est l'inverse, parce que l'idéologie de la modernité, c'est précisément celle de l'accélération.
04:29Toutes les pensées politiques modernes sont fondées sur l'idée de la transformation d'une façon ou d'une autre.
04:34Que vous preniez à gauche ou à droite.
04:36A gauche, par exemple, c'est l'idée du progrès social,
04:39avec une sorte de méfiance envers toutes les structures qui pourraient freiner ce progrès social,
04:44qui sont vues comme des forces réactionnaires.
04:46Mais à droite, avec le libéralisme, c'est pareil.
04:48Qu'est-ce que c'est le libéralisme ?
04:49C'est l'accélération, la fluidification des échanges économiques,
04:53avec une méfiance envers les structures sociales qui ralentiraient ces échanges.
04:59La politique moderne, qu'elle soit de gauche ou de droite au sens moderne du terme,
05:05est fondée sur l'idée de la transformation et d'une forme de changement.
05:11On voit bien ici que les politiques n'en parlent pas, parce que notre système est fondé dessus.
05:16Critiquer l'accélération, ce serait critiquer radicalement tout notre mode de production,
05:23mais aussi toute la vision moderne de la politique.
05:25Le verbe principal qui définit l'homme moderne, ce n'est pas être.
05:28C'est faire.
05:29C'est l'idée de l'homme qui à la fois transforme le monde et se transforme lui-même.
05:34Le temps s'accélère à la modernité, mais l'homme aussi lui-même cherche cette accélération du temps.
05:38Il y trouve un intérêt.
05:39En l'occurrence, on le voit, c'est une sorte de fuite hors de lui-même.
05:43Oui, c'est ce que j'allais vous dire.
05:45Moi, je prends mon cas personnel, j'aime bien faire plein de trucs,
05:47être débordé, être stressé quelque part.
05:50Sinon, je m'ennuie.
05:51Et en fait, pourquoi je devrais m'ennuyer ?
05:53Oui, en effet, c'est une bonne question.
05:55Parce que le temps de l'ennui, c'est un temps fécond.
05:58C'est bien de s'agiter dans l'activité extérieure,
06:01mais la méditation sur soi, sur le sens de son existence,
06:04doit être le fondement de notre existence.
06:07Or, ce temps d'ennui, c'est précisément ce temps que l'on peut passer à l'introspection,
06:10à la réflexion sur soi-même.
06:12Évidemment, il ne s'agit pas de valoriser, de dire qu'il ne faut absolument avoir que de l'ennui,
06:16mais l'ennui est quand même un temps fondamental d'un point de vue existentiel
06:19parce que c'est un temps où on n'est pas dispersé dans l'extérieur,
06:22mais au contraire, on se ramasse en soi-même pour se poser les questions existentielles.
06:26Qu'est-ce que c'est la crise de la quarantaine ?
06:28Ou la crise de la cinquantaine, je ne sais pas à quelle décennie ça a lieu.
06:31Oui, la crise de la trentaine aussi.
06:32La crise de la trentaine, c'est le moment où on s'est dit,
06:34bon, ben voilà, j'ai passé, alors mettons la crise de la quarantaine,
06:37ou même la crise de la trentaine, ça suffit.
06:39J'ai passé dix ans à faire plein de trucs,
06:41j'ai fait la fête, j'ai rencontré plein de monde, j'ai construit ma carrière,
06:44mais qu'est-ce que j'ai vraiment fait pour moi-même ?
06:47Qu'est-ce que j'ai réellement accompli ?
06:49Alors oui, je me suis dispersé dans plein d'activités, mais qu'est-ce que je fais ?
06:52L'artisan qui fait une œuvre qui va lui prendre du temps
06:55va se sentir plus satisfait une fois son œuvre finie
06:58que s'il va faire, je ne sais pas, s'il travaillait à la chaîne
07:01en faisant une centaine d'actions dans la journée.
07:05Donc peut-être, au même titre que l'artisanat est peut-être plus satisfaisant
07:08qu'à travailler à la chaîne,
07:10peut-être qu'une vie dans laquelle on a réussi à construire un fil directeur
07:13est plus satisfaisante qu'une vie où on accélère tout le temps et on se disperse.
07:16Mais en effet, c'est discutable et il y a en effet des pensants qui discutent,
07:19qui ne sont pas d'accord avec ça.
07:21Donc je prends contrepied de ce que vous dites,
07:23mais vous pouvez tout à fait avoir raison de votre façon.