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BRUT BOOK. Un champignon hallucinogène, une chamane, deux scientifiques autodidactes…
Dans son étonnant premier roman “Petites choses”, Benoît Coquil raconte comment la culture occidentale s’est emparée d’une tradition ancestrale mexicaine pour développer le tourisme et favoriser la "disneylandisation" du monde…

Dans ce format Brut Book, plusieurs écrivains racontent à Brut pourquoi et comment ils ont écrit leur nouveau roman publié à l’occasion de la rentrée littéraire.
Transcription
00:00C'est l'histoire d'une découverte d'un champignon dans les années 50 et les premiers personnages qui interviennent dans mon livre c'est les découvreurs
00:06qui sont deux New-Yorkais
00:08de la haute bourgeoisie nord-américaine qui s'appellent Gordon et Valentina Wasson.
00:13Lui est banquier,
00:16vice-président d'une des plus grosses banques des Etats-Unis, voire du monde à l'époque, JP Morgan.
00:21Et puis elle, elle est médecin, pédiatre.
00:23Ils ont existé ces personnages ?
00:24Oui, oui, ils ont tout à fait existé et donc voilà, ils se prennent de passion pour les champignons,
00:28en particulier les champignons psychotropes hallucinogènes, c'est cela qui les fascine particulièrement.
00:33Au début des années 50, ils tombent sur une piste, on leur dit qu'au sud du Mexique, il y aurait
00:39un champignon encore inconnu des occidentaux qui serait encore utilisé dans des rites divinatoires, chamaniques,
00:46par une petite ethnie, un peuple indigène qui s'appelle les Mazatecs,
00:51qui vit, alors pas en autarcie complète, ce serait exagéré de le dire, mais de façon assez isolée dans les montagnes
00:57du sud de Mexique. Ils vont se mettre en quête de ce champignon, ils partent au Mexique et
01:02dans un petit village, ils tombent sur une chamane qui s'appelle Maria Sabina. Alors Maria Sabina,
01:07c'est une icône aujourd'hui au Mexique,
01:09donc on trouve son visage sur des t-shirts,
01:13son visage sur des graffitis dans les villes à Mexico, à Oaxaca. Très vite, très très jeune,
01:20moins de dix ans a priori, d'après ce qu'elle raconte,
01:23elle goûte les champignons avec sa sœur,
01:26elle a une sorte de révélation
01:28qui fait beaucoup penser pour nous occidentaux à des visions de la Vierge.
01:33Elle, elle voit Dieu quand elle prend les champignons,
01:36et puis elle va continuer à les prendre et s'apercevoir qu'elle a
01:40une capacité à devenir chamane, elle va
01:45pratiquer de façon assez intensive.
01:47Et en fait, l'arrivée des Wassons, de ces Américains dans sa vie dans les années 50 va être un cataclysme, va être un bouleversement.
01:55Elle accepte avec plutôt bienveillance et une forme de curiosité pour ses étrangers
02:02de les initier.
02:04Et puis, juste avant qu'ils repartent à New York, après leur première expédition, après cette première nuit de champignons
02:11initiatique, elle leur fait plus ou moins promettre,
02:14de façon plus ou moins explicite, que
02:17ils ne vont pas trop dévoiler leur secret, enfin le secret qu'elle vient de leur montrer. Et puis, bien évidemment, comme on peut s'en douter,
02:23les Wassons vont s'empresser de
02:26lever le voile, de dévoiler le secret. Ils publient leur photo-reportage de 15-20 pages dans une
02:32revue qui s'appelle Life, à l'époque, qui est l'équivalent de Paris Match, qui est tiré à des millions d'exemplaires aux Etats-Unis.
02:38Donc, le secret est dévoilé, mais massivement et brutalement dévoilé
02:42à la face du monde
02:44par cet article-là. Et donc, la vie de Maria Sabina va s'en trouver complètement bouleversée, puisque
02:50une des conséquences un peu inespérées de cet
02:53de cet article, de cette publication, c'est que, la contre-culture hippie des années 60
03:00arrivant,
03:02il y a des hordes de hippies
03:05qui vont converger en pèlerinage jusqu'au petit village de Maria Sabina, pour se faire initier par elle.
03:11Je vais être franc avec vous, il y a quand même un côté un peu what the fuck.
03:14On est devant le livre, on se dit, vraiment ? Avec, effectivement, c'est le cirque, quoi.
03:18Et tout est vrai, pourtant.
03:21N'est-il pas troublant de penser que les nations mycophobes sont, de grosso modo,
03:24celles que réunit le pacte atlantique, quand les plus mycophiles sont toutes dans le bloc de l'Est ?
03:29En somme, ne pourrait-on pas comprendre les enjeux géopolitiques du monde bipolaire, à l'aune du goût ou du dégoût pour les fonguis ?
03:36Alors, ça, c'est...
03:39Cette histoire-là part d'une théorie des Wesson, de mes personnages de découvreurs, là, Gordon et Valentina,
03:44qui est une théorie un peu fameuse qu'ils ont lancée, comme ça,
03:48dans les années 50, qui dit que le monde se divise entre mycophiles et mycophobes.
03:52Donc les gens qui aiment... Enfin, les nations, les civilisations qui aiment les champignons et celles qui ne les aiment pas,
03:57voire en ont peur, dont les champignons les dégoûtent.
04:01Donc ils s'amusent, comme ça, à faire toute une classification du monde selon le goût ou le dégoût pour les fonguis.
04:07Donc, fongui, c'est le nom, disons, scientifique pour le règne des champignons.
04:12Et c'est une théorie qui a beaucoup plu à l'anthropologue Claude Lévi-Strauss,
04:17qui les a vraiment encensés dans un article, à l'époque, à la fin des années 50,
04:23et qui dit qu'on pourrait même aller plus loin, selon lui, et lire le monde bipolaire de la guerre froide,
04:33qui est son monde de l'époque, selon ce même critère, puisque les Russes adorent les champignons,
04:38la culture russe vraiment vénère les champignons, en mange beaucoup, raconte des tas de contes pour enfants autour de champignons, etc.
04:45Et les anglo-saxons, globalement, en ont peur.
04:48Bon, vous dites que c'est une théorie fameuse, c'est peut-être aussi une théorie fumeuse,
04:52en tout cas un côté, évidemment, un peu blague, en tout cas un peu d'humour là-dedans,
04:56qui illustre bien le ton de votre livre. C'est l'idée ?
05:00C'est l'idée, mais je pense que les Watsons le prenaient très au sérieux, ça.
05:04Alors, ce qui m'a intéressé, moi, dans ce passage que j'ai sélectionné, c'est l'usage du « ont ».
05:09C'est la façon dont vous racontez cette histoire, c'est-à-dire, il y a une certaine distance dans le « ne brûlons pas les étapes »,
05:17on s'adresse limite directement au lecteur, et puis vous utilisez le « ont » pour dire « ne brûlons pas les étapes ».
05:23Et c'est ce que j'ai trouvé très intéressant, c'est qu'il y a une certaine distance entre le « ne brûlons pas les étapes »
05:29et le « ne brûlons pas les étapes », on s'adresse limite directement au lecteur, et puis vous utilisez le « ont » pour raconter cette épopée.
05:36Est-ce que vous pouvez m'expliquer pourquoi et comment vous avez procédé, et puis si c'était votre choix initial ?
05:41Le « ont », c'est celui de ce narrateur omniscient, très fluide, qui survole l'histoire, qui fait des plongées comme ça près des personnages,
05:50ou qui les survole, qui a ce petit ton d'ironie, d'humour parfois, qui me permet cette fluidité, cette plasticité narrative.
06:04Et puis le « ne brûlons pas les étapes », moi j'aime bien ces livres-là où l'auteur interpelle directement le lecteur,
06:11où il y a comme ça une espèce de retour de l'incrédulité, une mise à distance d'un coup de l'histoire.
06:18Il n'y a pas le risque de le sortir de l'histoire, justement, de mettre un terme à cette immersion, et du coup qu'on se retrouve à dire
06:23« ah mince, oui, c'est vrai que je suis en train de lire un livre », et que du coup on sort de l'histoire ?
06:26Si, si, absolument, mais je fais le pari que ce risque-là est intéressant, parce que j'aime bien les postures de lecteurs un peu alertes.
06:35J'aime bien qu'on ne s'immerge pas complètement, que le lecteur garde une attitude un peu critique vis-à-vis de ce qu'il lit.
06:41Est-ce qu'il n'y a pas aussi une histoire d'attitude de vous en tant que romancier ?
06:45C'est-à-dire que du coup ça vous pose en tant qu'écrivain qui ne se prend pas forcément au sérieux, ce qui est, si j'ose dire, assez rare en France.
06:53Oui, et puis c'est peut-être une des formations professionnelles aussi.
06:57Contrarié, disons, je ne veux pas paraître trop universitaire dans ce que je raconte, donc ça se présente comme un roman.
07:06J'ai envie qu'il y ait ce plaisir de lecture qui se base aussi sur cette forme de jeu.
07:12« On dit ainsi que Walt Disney est passé par là, entre autres vedettes. John Lennon, Bob Dylan, Jim Morrison.
07:17Jim Morrison ou bien Mick Jagger, Keith Richards, Cat Stevens. On ne sait pas trop.
07:22C'est qu'à l'époque, on fabrique tous les jours des dieux, des demi-dieux, des idoles.
07:27On écrit leurs légendes, leurs tribulations et leurs révélations, les étapes de leur vie, comme celles de Siddhartha devenu Bouddha. »
07:34Alors ça, c'est la légende des années 60 dans le village de Maria Sabina.
07:42C'est que toute une flopée d'icônes, de la contre-culture, donc surtout des rock stars seraient passées par là.
07:48Et puis dans ce passage, vous citez Walt Disney, qui est présent dans votre livre, tout au long du livre.
07:53Alors Walt Disney, c'est vraiment un fil rouge. Je suis parti de l'anecdote, encore une fois, c'est une légende sans doute,
08:01mais ça m'intéressait, l'anecdote selon laquelle Walt Disney serait passé à Waoutla, le village de Maria Sabina,
08:07pour se faire lui aussi initier aux champignons sacrés.
08:11Et ce dont on est sûr, c'est qu'il avait une fascination pour les psychotropes, ce qui se ressent d'ailleurs assez bien dans Fantasia, par exemple,
08:17avec des scènes qui ressemblent à des tripes sous psylo. On peut très bien les voir comme ça.
08:23Ce que me permettait cette anecdote aussi de Walt Disney chez Maria Sabina, c'était de parler de la Disneylandisation du monde,
08:30on pourrait dire, et de comment la culture occidentale du milieu du XXe siècle, étatsunienne en particulier,
08:40fait des cultures étrangères l'objet d'un tourisme, ici un tourisme chamanique, avec les hippies qui viennent consommer les champignons
08:48comme des bonbons psychédéliques, et comment les Etats-Unis font de tout quelque chose de, ouais, une sorte de parc d'attraction global, en fait.
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