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"Une fois que tu as hurlé dans toutes les langues que tu connais et qu'on ne te réponds pas, au bout de dix minutes, tu fais : c'est bon, je vais mourir là."
MARQUÉ À VIE : Morgan Segui voulait être explorateur, et au Timor, dans l'archipel indonésien, il a connu l'aventure, celle qui marque à vie. Après une chute de 7 mètres, il a passé 5 jours, seul, sans eau, finalement sauvé par… un troupeau de chèvres. Il nous raconte son histoire.

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Transcription
00:00Une fois que t'as hurlé, que t'as appelé au secours dans toutes les langues que tu connais
00:03et qu'on ne te répond pas, au bout de 10 minutes tu fais c'est bon, je vais mourir là.
00:08Les règles de la survie c'est 3 minutes sans air, 3 jours sans eau, 3 semaines sans manger.
00:13J'ai 46 ans, je m'appelle Morgan Segui et je voulais être explorateur.
00:18J'ai un copain qui part au Timor, il me dit écoute là, plus jeune pays du monde,
00:22c'est blindé d'ONG, tu vas trouver du boulot tout de suite.
00:25Donc je pars voir ce qu'il se passe et j'arrive au Timor.
00:29Je prends une maison et dans la maison il y a un petit bateau, un laser.
00:32Et je me mets à faire de la voile.
00:34Petit à petit j'apprends à naviguer.
00:36En face de la maison il y a une île à Tauros, sur cette île il y a un pic de 1000 mètres,
00:39le Manukoko, le haut du Manukoko est sacré.
00:41Je fais de la montagne depuis longtemps, la moyenne montagne, je pars direct.
00:45Les gens m'aident à transporter mon bateau sur la plage.
00:47Et là en chemin tout le monde me dit non mais 11h, t'es parti trop tard en fait.
00:52Pour Manukoko il faut partir à 5-6h du matin et tu fais ça tranquillement dans la journée.
00:57Je me dis ça va, je vais courir, un peu de trail, je pars avec un sac à dos très léger.
01:02Et on me dit ça une fois, deux fois, trois fois et plus je monte plus on me le dit.
01:05Je monte, il y a ces gens qui me disent bon ben allez-y, j'arrive en haut tard.
01:11Mais heureux quoi, je prends dix minutes à peine, je finis ma bouteille d'eau.
01:16Du coup là j'ai un premier signe qui dit ah,
01:19j'en suis au-delà de la moitié parce que la descente c'est facile.
01:24Je trouverais de l'eau pas avant la mi-altitude.
01:29Je me dis bon ça va le faire mais je vais avoir soif.
01:31Mais t'accompances déjà un petit truc comme ça dans la tête qui fait
01:34premier problème, plus d'eau.
01:36Je redescends tranquillement et par le même chemin.
01:39Je suis rationnel et rationnellement je vois bien que je suis perdu.
01:41Je regarde autour de moi, je vois une rivière en contrebas.
01:45Et je me dis ben une rivière rationnellement elle va à la mer.
01:48Et la rivière à sec c'est la saison sèche.
01:50En montagne, dans des reliefs très escarpés, il n'y a pas de ligne droite.
01:54Tu penses que tu veux aller par là mais par là t'as un premier précipice.
01:57Donc tu tournes puis un deuxième précipice.
01:59Puis en fait il faudrait repasser par là.
02:01Donc je me paume.
02:02Il fallait vraiment que j'aille à cette rivière.
02:03Au bout d'un moment je trouve un accès.
02:04Et puis arrive la chute d'eau que tu ne peux pas descendre.
02:09Puis derrière tu ne peux pas remonter.
02:11À droite t'as la jungle, t'as une paroi de jungle inextricable.
02:15Et à gauche, un pic.
02:17Je me dis je vais monter sur ce pic.
02:18Et puis soit je verrais un autre chemin, soit je trouverais ma route.
02:22Soit je toperais du signal avec mon téléphone.
02:27Dans tous les cas, c'est la seule issue, c'est ça.
02:29Et il y a ce tapis qui fait 40 mètres.
02:31Et ça commence vraiment simple, comme une échelle.
02:34Et puis les 10 derniers mètres, ça commence à devenir compliqué.
02:38Donc il faut vraiment escalader.
02:39Et puis les 5 derniers mètres, c'est un pic qui dépasse un peu de la forêt.
02:45Il y a de l'érosion, du vent, de la pluie, c'est lisse.
02:47Et là il n'y a plus aucune prise.
02:49T'es à 35 mètres de haut, t'as 35 mètres de gaz sous les pieds.
02:53Et il n'y a plus de prise, sauf un arbuste.
02:56C'est généralement pas une bonne idée de s'accrocher à un arbuste en falaise.
03:00Donc je me dis bon, je le teste.
03:02Je teste, je tire, je regarde.
03:04Il a l'air vraiment bien ancré, c'était la seule prise.
03:06Je me dis si je monte dessus, j'arrive, je passe.
03:09Et au moment de mettre tout mon poids, là il y a l'arbuste.
03:12Toute la pierre, tout vient, la paroi qui se détache.
03:15Et moi je me détache de la paroi.
03:18Et là c'est la chute.
03:21Et là black out, il ne se passe plus rien.
03:23Je me réveille la nuit, tout cassé, enfiché dans cette pierre volcanique
03:28qui m'a stoppé à 7-8 mètres, je n'ai pas dégringolé les 35 mètres.
03:33Tu ne peux pas bouger, j'étais comme ça sur la roche.
03:36Il y a ce truc, comme ça.
03:37Puis je continue et là je touche mon crâne.
03:40Tout mon crâne, tout ça, t'es épluché comme une banane.
03:46Et je suis là, je fais ok, donc je touche mon crâne,
03:48et là je touche le dessous de la peau, mes cheveux, tu sens tout quoi.
03:51Les médecins m'ont expliqué que ton cerveau passe de,
03:53je ne sais plus dans quel sens, mais d'onde alpha à onde bêta.
03:56Donc c'est la façon dont les fréquences électriques
04:01déplacent l'information dans ton cerveau, dans les neurones, etc.
04:05Et qu'il y a une des deux fréquences qui évite les points d'angoisse,
04:08les points de peur, etc.
04:10Et que ça se concentre sur de la survie.
04:12Donc c'est un truc où il n'y a plus de douleur, plus d'angoisse.
04:14Donc je me dis, il faut, je bouge de là quoi.
04:17Je ne suis pas l'homme dans la nature perdue, je suis un animal blessé.
04:21Et il dit tiens, là il y a de l'ombre, on va aller là.
04:25Tu te décolles aussi bien que tu peux, tu ne marches plus,
04:27donc je rampe sur les fesses.
04:30Et puis je me mets à l'ombre au fond de la rivière d'où je venais.
04:35Et je dors trois jours.
04:36Trois jours, je ne bouge pas, je grignote des petites herbes autour de moi,
04:40je gratte la terre, j'essaye de trouver de la fraîcheur.
04:42Et le troisième jour, il m'arrive un truc que je n'avais jamais lu
04:46dans un bouquin d'aventure.
04:48Je me fais caca dessus quoi, la colicte.
04:53Soit du mourant, soit du mec qui ne mange que de l'herbe d'un seul coup.
04:57Et en tous des cas, je me suis dit là, ce n'est plus le roman d'aventure quoi.
04:59Et je me dis, OK, je vais essayer de me lever et de me laver,
05:02au moins rester un peu dans le monde des vivants.
05:05Et très péniblement, je titube, je tombe, j'arrive à m'accrocher à une roche.
05:10Je me lave avec des plantes, du sable.
05:13Je me dis, bon, j'ai pu faire ça.
05:15Juste avec la tête, juste avec une idée,
05:18je suis passé de la position couchée à la position debout.
05:20Je me dis, bon, on peut explorer.
05:23Donc j'explore un peu plus, 15, 20 mètres autour,
05:25je commence à manger des choses.
05:27En fait, le choc est passé, je me suis un peu réparé.
05:30Ça, ça a séché, j'ai une croûte qui me barre le visage,
05:35mais ça a séché un mélange de terre, de poussière, de sang.
05:37J'entends des pas, des pas de grosses bêtes qui arrivent dans la rivière.
05:42Et ce sont des chèvres, un troupeau de chèvres qui arrivent,
05:46puis elles partent, et je les vois disparaître derrière un truc.
05:51Et puis, je revois les chèvres qui montent là où moi, j'étais tombé.
05:55Et en fait, là où moi, je montais tout droit, les chèvres, elles montaient en zigzag.
05:59Il y avait un petit chemin de chèvres, en fait, qui zébraient cette falaise.
06:04Donc, il fallait se passer le cap, de dire OK, je vais repartir, je vais me lever.
06:08Se lever, c'était hyper fatiguant, épuisant, t'es à zéro en énergie.
06:13Et puis, il faut y croire.
06:15Tu te dis, je vais quitter ce coin où j'ai de l'ombre,
06:18des petites choses qui me rafraîchissent,
06:19et là, une falaise où il va faire chaud, où je vais peut-être retomber.
06:22Et je pars, un petit pas de grand-mère sur le chemin de chèvres.
06:25Je retrouve le chemin, et puis un chemin de chèvres, c'est...
06:30T'as la falaise comme ça, puis t'as rien.
06:31Parfois, t'as 2 centimètres, un peu plus, 3, 4, 5, 10.
06:35Je grimpe, je grimpe, je grimpe.
06:36Je me dis que si je tombe, j'y vais peut-être la première.
06:39C'est vraiment le premier truc, je me dis, là, c'est bon, je...
06:42Je refais pas deux fois, là, chut, le machin.
06:44Il est 10 heures du matin, il commence à faire chaud.
06:46J'arrive en haut, de là où j'étais tombé.
06:49Et je suis sur un éboulis, il fait très, très chaud.
06:52Mais là, je suis vraiment une chèvre.
06:53Je suis un petit cabri ou une bête malade, mais qui se déplace dans la forêt.
06:59Et je vois une barrière, et une barrière.
07:01Première construction humaine depuis 4 jours.
07:05Je passe, j'atterris de l'autre côté, de l'autre côté de la barrière.
07:09Et je suis dans un champ avec un chemin,
07:10et le chemin, il va évidemment à droite ou gauche, quoi.
07:13Et là, je me souviens vraiment d'avoir le sentiment d'être perdu, perdu.
07:16Je me dis, je peux aller à droite ou je peux aller à gauche.
07:18Je vais la faire courte, je suis allé à droite, c'était pas possible.
07:20Je reviens, je prends à gauche, je continue.
07:22Je trouve une maison, une petite maison de champ.
07:24C'est une maison qui fait 3 mètres sur 2.
07:26Et loin, loin, loin dans la vallée, je vois une petite maison avec un drapeau.
07:30Et là, j'appelle, quoi, ajouda, ajouda, à l'aide, à l'aide.
07:35On t'étoune.
07:36Et j'entends un truc, un homme balèze, tu vois, avec des yeux perçants,
07:44avec un lance-pierre armé comme ça, un gros lance-pierre,
07:47pas un petit lance-pierre pour avoir des oiseaux, quoi.
07:50Un gros lance-pierre qui me regarde, je le regarde.
07:54Puis on se demande vraiment, tu vois, c'est quoi, c'est qui en face de nous ?
07:59Le mec a des armes sans lance-pierre.
08:02Je commence à lui expliquer, tu vois, un peu,
08:03je parle un petit peu de tétoune, le langage local.
08:07Et il me dit, laisse tomber les explications,
08:09viens dans mes bras et on va faire une prière.
08:11À ce moment, il m'emmène à sa maison de champ qui était un peu plus bas.
08:14Donc là, on est à 500 mètres d'altitude.
08:17On est encore loin, on est à des villages.
08:18Et l'homme qui m'a trouvé, il s'appelle Moïse,
08:21et moi de Moïse, il me dit, assieds-toi là.
08:23Et là, il y a sa femme, Manara, qui arrive avec une assiette de riz,
08:28d'un café chaud, des petits pois, des tomates, plein de trucs comme ça.
08:34Elle dit, mange.
08:35Je suis là avec ma main.
08:37J'entends quelqu'un derrière qui fait de la machette.
08:39Il y a Moïse qui arrive avec une noix de coco,
08:41mais nickel, épluché comme un mug, quoi.
08:43Il a tout enlevé.
08:45Ils sont allés chercher une personne, Manarati,
08:47qui parlait un peu anglais, qui parle bien anglais,
08:49et qui avait un téléphone qu'ils captent avec de la batterie et du crédit.
08:52Et donc, on va à un endroit où les téléphones captent avec Manarati
08:57et qui appelle un numéro que j'avais, mon ami You,
09:01qui bosse dans une OMG.
09:04Et ils organisent, il y a un pêcheur le lendemain qui viendra me chercher,
09:08en bas, donc il faut marcher une heure pour aller jusqu'à la plage.
09:11Le pêcheur m'amènera de l'autre côté de l'île,
09:14où il y a une toute petite piste d'avion de brousse.
09:16Morgane rentre à Dili, la capitale timorese.
09:18Il est opéré de la tête et passe trois semaines à l'hôpital
09:21avant de rentrer à Paris, où il se fait opérer du bras droit.
09:23Cinq ans après cet accident, Morgane publie 5 jours au Timor.
09:27Un des trucs aussi, on peut dire, qui m'a marqué à vie,
09:30c'est d'avoir tout mis dans ce livre et d'avoir un objet fini.

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