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Sonia, survivante du génocide rwandais, porte en elle une histoire bouleversante. Avec des mots emprunts de courage et de douleur, elle raconte l'horreur qu’elle a vécue, mais aussi sa résilience face à l’indicible. Chaque souvenir qu’elle partage est une leçon d’humanité, un cri contre l’oubli.

« Ce que j’ai traversé, je ne le souhaite à personne, mais je veux que le monde sache. Savoir, c’est comprendre. Et comprendre, c’est agir pour que plus jamais cela ne se reproduise », confie-t-elle, les larmes aux yeux.

À travers son témoignage, Sonia incarne l’espoir : celui d’un monde où la mémoire protège l’avenir et où l’amour triomphe de la haine.

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Transcription
00:00Quand la guerre a été déclarée, la date officielle c'était le 7 avril 1994, j'avais l'âge de 3 ans.
00:11On espérait peut-être que ça allait se terminer vite et qu'on reviendrait à la maison,
00:17ça s'était déjà passé dans le passé, plusieurs années auparavant il y avait eu des massacres,
00:23mais quelques jours après les gens fouillaient, on brûlait leur maison, on pillait,
00:30quelques jours après ils revenaient à la maison.
00:33C'était très surprenant, je ne comprenais pas ce qui se passait mais ça a été un moment marquant.
00:38Je me rappelle de ce moment, je me rappelle de ce que je portais par exemple,
00:42je me rappelle d'une robe brune avec des cercles blancs que je portais.
00:47Je me rappelle des images qui me reviennent à l'esprit du moment où on nous réunit tous dans le salon,
00:56on fermait les fenêtres pour être entendus et on a dit on va faire une petite prière avant de partir.
01:06On sort du salon, on est dans la cour de notre maison
01:13et mon père il avait une radio sur son épaule pour suivre ce qui se passait,
01:20les régions qui avaient été envahies par les meurtriers, on les appelait les « Nia la hamari »
01:27et il nous a dit on se sépare, comme ça on ne va pas être tous tués en une seule fois.
01:34Et il est parti et je ne l'ai plus jamais revu.
01:39Et tous ensemble, c'est surtout ma mère qui a pris la décision,
01:44elle a dit on va rester ensemble à la vie ou à la mort.
01:49La plus grande de mes sœurs aussi elle m'a mis à son dos et on est partis, on est partis dans les bois.
01:58On se cachait dans les champs de sorgho et au plus tard on avait décidé de partir dans une autre province
02:05parce que comme il y avait de moins en moins de personnes à tuer dans le village,
02:10ils cherchaient beaucoup plus.
02:12Les troupes venaient avec les chiens, les chiens qui cherchaient, qui étaient de plus en plus persévérants
02:19et on a décidé de partir, donc là on est encore ensemble.
02:23On a passé par les petites rues pour ne pas être trouvés,
02:27il y avait des personnes qui sont mortes déjà sur la route,
02:32tu passes à côté, tu regardes, tu passes sur le corps, tu continues de marcher.
02:39On avait tellement peur qu'on ne réalise même pas ce qui se passe.
02:43On est plus préoccupé par on se cache ou on se cache derrière ce bois,
02:48est-ce qu'il y a des cris qui se passent de ce côté-là, est-ce qu'il y a des chiens qui sniffent,
02:52est-ce qu'il y a les troupes qui viennent et qui chantent des chants de victoire.
02:58On va tous vous exterminer, il faut tuer les serpents,
03:05un petit serpent les écrasa la tête.
03:11Donc c'est là où, quand on entend les chants de victoire,
03:16quand ils descendaient les collines avec les machettes dans leurs mains, très fiers d'eux,
03:23on se cachait.
03:24La plupart des réfugiés vont dans les écoles religieuses.
03:31On se sentait un peu plus en sécurité, bien sûr.
03:34On est arrivés dans cette école vers la moitié du génocide.
03:41Le génocide avait duré 100 jours, trois mois et quelque chose,
03:47donc on était peut-être un mois, un mois et demi.
03:51Et je ne comprends pas pourquoi on est là.
03:53La nuit, je me rappelle, je sortais, il y avait un petit jardin devant,
03:58où il y avait des herbes qui poussaient, en plus ça avait un bon goût au salé,
04:03donc j'allais là-bas la nuit, je les mangeais.
04:06Et ça m'a fait tenir.
04:08Ils avaient voulu venir et tuer tout le monde,
04:10même si on était quand même beaucoup plus, on n'a pas de force,
04:13on est faible, on n'a pas mangé pendant longtemps.
04:16Et les frères Josephites avaient dit,
04:19vous ne pouvez pas tous les tuer ici, dans les classes,
04:23parce qu'il va y avoir beaucoup de corps, ça va commencer à sentir,
04:27on ne veut pas de ça dans notre établissement,
04:31mais vous pouvez venir quand vous voulez,
04:33prendre les personnes que vous voulez et aller les tuer.
04:39Je ne crois pas qu'ils auraient pu les empêcher de toute façon.
04:43Ils venaient, ils prenaient des personnes,
04:46ils allaient les tuer à côté d'une rivière,
04:49pour que les corps partent rapidement.
04:52Ils espéraient que le corps flotte jusqu'en Éthiopie,
04:56de là où les Tunisiens venaient en fait.
05:06Ils tuaient tout le monde, mais c'était surtout les hommes,
05:10parce que quand on extermine les hommes,
05:14on extermine une race, une tribu,
05:20il n'y a plus de chef de famille, on ne peut plus faire des enfants.
05:23Ils considèrent que les femmes peuvent être mariées par d'autres,
05:29et que de toute façon, il ne faut pas apporter l'air ligné,
05:34parce que c'est les hommes qui vont créer une succession.
05:40C'est d'ailleurs pour ça que peut-être on a survécu,
05:44parce qu'on n'était pas avec notre père.
05:47Si on était avec lui, peut-être si on l'avait trouvé avec nous,
05:51je ne serais peut-être pas ici.
05:55Il y avait un homme qui était un ami de ma mère,
06:03et quand il venait chercher les personnes à tuer,
06:06on s'assoyait sur lui, on essayait de le cacher,
06:09comme ça on ne le voyait pas, il venait le sélectionner,
06:11il repartait, il est tué, et après il revenait le jour suivant.
06:15J'ai perdu la notion du temps,
06:17j'ai l'impression qu'on a passé deux jours dans cette école.
06:21On ne sent presque plus rien, on peut être mordu par une souris,
06:25on ne sentait même rien.
06:27C'était le vide, c'était le vide, je ne sais pas ce qu'on attendait.
06:33Le FPR, le Front Patriotique Rwandais,
06:38était venu le 2 juin 1991,
06:42ce sont eux qui étaient venus libérer le pays,
06:45c'était les enfants des réfugiés qui étaient partis,
06:49plusieurs années auparavant, qui se réfugiaient en Ouganda,
06:54qui se réfugiaient dans les pays qui étaient autour du Rwanda.
06:59Ils étaient peu nombreux, ils ne pouvaient pas prendre le pays en même temps,
07:03donc ils libéraient quelques parties,
07:05renvoyaient les survivants dans la partie qui est libre,
07:11et ils continuaient petit à petit.
07:13Quand ils arrivaient le 2 juin, il y avait pas mal de réfugiés qui restaient,
07:18et à ce moment-là, quand les tueurs ont entendu qu'ils venaient,
07:22ils sont venus vite, ils ont pris quelques personnes,
07:25ils ont mis dans les camions pour partir les tuer,
07:28quelque part où le massacre continuait,
07:31et donc un des fils d'une amie aussi qu'on s'était fait,
07:35il est parti à ce moment-là.
07:38S'ils n'étaient pas venus, je ne sais pas ce qu'il se serait passé,
07:45peut-être qu'on serait tous morts.
07:48Donc on a commencé le chemin de la liberté,
07:57parce que c'était fini,
08:01c'était fini, on a commencé le chemin vers les endroits où on pouvait être en sécurité,
08:10tous les survivants en marche,
08:12on marchait beaucoup, on est partis vers le sud du pays,
08:18c'était très loin de chez nous, parce qu'on était venus de l'ouest du pays,
08:23on marchait, on marchait, on était arrivés dans un endroit,
08:26c'était vraiment de grandes foules sur une route,
08:30et on arrivait à un chemin, c'est là où mon petit frère a commencé à pleurer,
08:37et comme on n'avait plus d'eau, ma mère n'avait plus de quoi la nourrir,
08:44elle ne mangeait plus, elle n'avait pas de quoi boire,
08:48elle n'avait pas de lait pour lui donner,
08:51et il avait sa langue qui saignait,
08:58ce qu'elle a essayé de faire c'était de mettre un peu de salive sur sa langue,
09:02mais ça, ça n'a pas suffi.
09:06Il a pleuré, il a pleuré,
09:10et il a succombé, il a arrêté de pleurer à un certain moment.
09:22Même si quelque chose comme ça arrive,
09:26on était les soldats du Front Patriotique,
09:32donc on devait partir là où ils nous mènent,
09:37la seule chose possible qu'on pouvait faire c'est,
09:40on avait une écharpe, donc ma mère a pris l'écharpe,
09:45et elle a mis mon petit frère dedans,
09:49et elle est partie derrière un petit poisson,
09:52elle a fait une prière, et elle a déposé là.
09:57Je me rappelle très bien de cet endroit,
10:00l'organisation internationale n'a rien fait,
10:03on le sait tous, ils étaient venus,
10:06ils ont protégé personne,
10:09et ils ont quand même commencé à envoyer de l'aide,
10:12après que la guerre soit terminée.
10:16Alors à ce moment-là, on est quand même soulagés,
10:20après il y a beaucoup de choses qui ne sont plus en place,
10:23ce n'est pas normal, tout ce qui se passe, on vit dans la peur,
10:27Pourquoi ils nous ont amenés, c'était pour qu'il n'y ait pas de personnes pour nous tuer,
10:32donc c'était juste, soyez là, on a déjà libéré la région,
10:37et là, on se débrouille, les réfugiés se débrouillent,
10:40dans cette région-là, il y a beaucoup de personnes qui sont parties,
10:43qui ont abandonné leur maison,
10:46et donc la première maison qu'on trouve,
10:50on va dedans, et on cherche ce qui est autour,
10:53rien n'appartient à personne,
10:55on commence de zéro dans une société,
10:58là où on est, il n'y a rien qui nous appartient,
11:01mais il y a la paix jusqu'à ce que tout le pays soit libre.
11:04Je pense que tout le monde essaie quand même de survivre,
11:09personne contre personne,
11:11mais on sait qu'on a vécu la même chose,
11:14et on va s'entraider,
11:16le pays commence à organiser des camions pour rentrer chez nous,
11:22donc au fur et à mesure, tout le monde va commencer à rentrer chez eux,
11:26on va arriver là où on habitait avant,
11:29notre maison est détruite,
11:31donc on commence à reconstruire de zéro,
11:34mais on vit dans la peur, on a des cauchemars,
11:38on a des crises, il y avait beaucoup de crises,
11:42il y a beaucoup de personnes qui se font arrêter,
11:44il y a beaucoup de personnes en prison,
11:47les voisins ont tué des voisins,
11:51et nos voisins qui étaient des amis,
11:54ils ont tué les membres de ta famille,
11:58on trouve des cornes, des ossements,
12:02un peu partout il y a des mines dans les champs
12:05qui ont été laissées, qui peuvent exploser à tout moment,
12:07il y a beaucoup de campagnes de sensibilisation,
12:10ne ramassez pas tout ce que vous trouvez, les enfants,
12:12sinon vous allez vous faire exploser,
12:16tout est une bombe à retardement,
12:20j'ai pardonné pour pouvoir avancer,
12:22sinon il n'y a rien que tu puisses faire,
12:26tu n'es pas assez fort pour te venger.
12:31Quand j'étais jeune, dans tout ce chaos,
12:34il n'y avait que des choses qui m'avaient quand même aidé
12:38à rester intacte dans ma tête,
12:42c'était que je rêvais beaucoup,
12:44j'avais créé un monde où tout allait bien,
12:48à ce moment-là, j'ai 18 ans,
12:53j'étais en 5e année secondaire,
12:57j'ai un oncle qui m'offre l'opportunité d'aller en Belgique,
13:01j'ai dit oui,
13:03et donc j'étais très contente de pouvoir venir en Europe,
13:06c'était un changement, j'avais une nouvelle chance,
13:09je recommence de zéro, je rêve, je vais à l'école,
13:14et là je commence aussi petit à petit dans le monde de la mode.
13:19On ne parlait pas beaucoup de ce qui s'est passé,
13:23c'était un sujet qui devenait un peu plus tabou,
13:27et moi je suis dans le déni total,
13:31je rêve souvent du fait que mon père n'ait pas mort,
13:38j'ai beaucoup de rêves,
13:40il revient et il nous dit,
13:43je suis partie, j'ai changé d'identité,
13:46je suis partie ailleurs, mais tout a été malentendu,
13:49je voulais croire ça.
13:51Un jour, c'était en 2007, je pense,
13:56j'étais à l'internat, je viens pour les grandes vacances,
13:59et là on me dit, on a trouvé le reste de ton père,
14:06un voisin de l'époque, il y avait eu beaucoup de pluie,
14:11il avait marché dans sa forêt,
14:14il a vu un os qui dépassait un peu à côté des racines,
14:19et il s'est dit, ici c'est un endroit proche de là
14:23où on était venus creuser,
14:25il a appelé les autorités de la région,
14:28ils sont venus, on a creusé,
14:30il y avait toujours des vêtements qu'il portait ce jour-là,
14:33et au fait, on savait que c'était lui.
14:35Quand on avait été à la mairie,
14:37on avait mis un sac avec tout ça,
14:40pour aller laver les ossements,
14:44pour les ramener au mémorial,
14:49et je me rappelle que j'avais glissé un petit bouton
14:53dans ma poche, pour garder un souvenir,
14:58mais même à ce moment-là,
15:00je n'ai pas vraiment enregistré l'information,
15:02j'ai vu, mais ce n'était pas mon corps,
15:07ma tête, mon cœur,
15:11rien n'a accepté ça, j'ai vu,
15:14et après je me suis dit, d'accord, d'accord.
15:16Ça nous a aidé d'amener le corps,
15:20le reste de ce qu'on avait trouvé de mon père au mémorial,
15:25parce qu'on avait l'impression de l'enterrer avec dignité,
15:29on avait l'impression d'avoir rendu sa dignité.
15:34Ça me dérange d'en parler dans le sens où ça valide,
15:40quand j'en parle, ça valide cette différence,
15:44et ça rend les choses beaucoup plus réelles.
15:47Ce sont des erreurs humaines qui se sont faites,
15:50c'est la barbarie, c'est inhumain,
15:53c'est dans leur tête,
15:55c'est peut-être le résultat des propagandes
15:58qui se sont passées,
16:00c'est beaucoup plus facile de tuer quelqu'un
16:03quand on voit cette personne comme un serpent.
16:06Alors le moment où j'ai commencé à m'intéresser à la mode,
16:11déjà c'est quelque chose que je trouvais fascinant,
16:15mais je ne croyais pas que j'aurais accès.
16:18J'ai envoyé des candidatures à des concours,
16:21c'est devenu mon espace où je m'échappais,
16:24où j'échappais à mon passé,
16:28où je ne m'inquiétais pas de mon futur,
16:31où j'étais dans le moment présent.
16:34Là, j'avais une référence de comment c'est que ça intervient.
16:38Et j'ai été découverte par mon agence mère,
16:41l'agence Dominique, en 2014, fin 2014.
16:45Alors quand j'arrive dans les grandes villes,
16:48et aussi dans ce monde de strass et de paillettes,
16:51bien sûr que c'est très différent de ce que je connais.
16:57La valeur des choses change complètement.
17:02Il y a beaucoup de choses que je trouvais quand même capricieux.
17:08Mais on finit par devenir comme ça à un certain moment,
17:11c'est pour ça que je pense qu'il faut garder la tête sur les épaules
17:16et se rappeler de qui on est.
17:19Mais jusque-là, on me dit toujours,
17:22mais Sonia, à ton âge, là j'avais déjà dépassé mes 22 ans, 23 ans,
17:29t'es à la fin, d'après ce qu'on dit, à la fin de ta carrière.
17:36J'écoutais, mais je me disais, mais qu'est-ce qu'ils en savent ?
17:38Tout est possible, j'ai survécu au génocide.
17:41Il n'y a personne qui peut venir me dire que je ne peux pas faire la Fashion Week.
17:48J'ai eu des opportunités pour les magazines, et une chose m'a amenée à une autre.
17:53J'ai fini par partir à Londres, j'ai fini par faire la Fashion Week de Londres,
18:00j'ai fini par faire la Fashion Week de New York,
18:04et là c'était le rêve qui devenait réalité.
18:08C'est incroyable, je ne peux pas dire que j'ai réussi, que je suis importante.
18:14Non, je ne me sens pas comme ça, je ne me sens pas comme ça du tout.
18:18J'ai été passionnée, et j'ai fait des choses qui m'ont rendue fière,
18:24et mon rêve c'est peut-être de pouvoir transmettre,
18:28de pouvoir inspirer ou projeter une image qui pourrait être positive pour le monde.
18:39Le mannequinat m'a permis d'avoir une voix,
18:43m'a permis de repousser les portes et les fenêtres,
18:47aller jusqu'à faire des collaborations avec les Nations Unies,
18:51où je peux servir à une cause, et aussi de rendre hommage,
18:55je pense, à toutes les personnes qui ne sont pas là ou qui n'ont pas pu,
19:00ça donne du sens à ma vie.
19:02Pendant longtemps j'avais peur de m'exprimer,
19:05et pendant longtemps, dès qu'il y avait une situation qui me stressait,
19:10je n'arrivais pas à sortir vraiment,
19:13c'était parce que moi la parole c'est la mort.
19:16Je ne serais pas la personne que je suis aujourd'hui,
19:19je n'aurais pas la force,
19:21si je n'avais pas eu autant de difficultés, de moments difficiles dans ma vie,
19:28quand on fait face à beaucoup de souffrances, beaucoup d'injustices,
19:33je pense qu'on développe une autre force.
19:36Quand je commençais sur ce chemin,
19:39ce n'était pas facile pour moi de trouver des informations,
19:42de trouver une personne en qui je pouvais m'identifier,
19:45qui avait le même parcours que moi,
19:48qui avait peut-être eu des limites psychologiques,
19:51ou on va dire raciales,
19:55ou problème de s'intégrer dans une culture,
20:00ou qu'on lui dise, voilà, tu n'as pas la taille,
20:03je me suis dit, je veux écrire un livre,
20:06et partager mon expérience.
20:08En français c'est Le Massacre des Innocents,
20:11et en anglais c'est Slow Tababy.
20:15Alors le fait d'écrire un livre,
20:17ça a vraiment été un sentiment,
20:22je dirais les deux,
20:24je dirais que d'un côté ça m'a aidée à guérir,
20:27et d'un autre côté ça a aussi réveillé
20:30les choses que je voulais oublier.
20:33Bien sûr pendant la période où j'écris le livre,
20:36bien sûr il y a aussi beaucoup de difficultés,
20:39on fait face, je me dis,
20:41est-ce que je suis légitime de dire quelque chose,
20:44dans le sens où il y a beaucoup d'histoires,
20:48de personnes au Rwanda,
20:51chaque personne a vécu quelque chose,
20:53des deux côtés,
20:54et ça a été difficile pour tout le monde,
20:56et je ne pense pas que je sois la personne
20:58qui a vécu la chose la plus difficile.
21:00Donc il y avait toujours cette question,
21:02est-ce que mon histoire aide vraiment ?
21:04On veut se créer comme un beau personnage,
21:07et ce n'est pas facile d'être honnête
21:09quand on écrit sur soi-même.
21:11Mais j'ai essayé d'être le plus honnête possible.
21:14J'avais commencé vraiment à faire mon deuil en 2000,
21:17peut-être en 2021,
21:19c'est après le deuxième confinement.
21:21Quand même on a passé beaucoup de temps avec soi-même,
21:24il y a beaucoup de choses qui reviennent à moi,
21:27et il y a des jours où je n'ai plus envie de vivre.
21:30J'ai un ami qui me parle d'une sorte de thérapie
21:34qui s'appelle IMDR.
21:38J'avais pris tous mes souvenirs,
21:40toutes les choses,
21:41je les avais mises quelque part,
21:43c'est comme si j'avais fermé, j'avais jeté la clé.
21:45Je commence à avoir peur,
21:47je ne peux pas sortir de chez moi,
21:49je commence à entendre des voix,
21:51je commence à avoir des silhouettes dans un coin de l'œil,
21:54je ne sais pas ce qui m'arrive,
21:56je ne peux pas couper une tomate,
21:58parce que je pense que c'est du sang.
22:01Il y a tout qui sort, tout qui a explosé,
22:05et mon corps n'arrive pas à supporter tout ça.
22:09Et c'est à partir de ce moment où je commence à accepter
22:13que j'ai perdu des personnes,
22:16qu'il y a des membres de ma famille qui ont été tués,
22:19je l'accepte à l'intérieur de moi.
22:22Je commence à être en colère
22:25envers des personnes qui ont crié ça.
22:27Je me dis, c'est quand même incroyable
22:32de commencer à se sentir comme ça.
22:35Le génocide de Contre les Toutes,
22:37il s'est passé en 1994,
22:40et aujourd'hui, là, c'est 2024,
22:45ça va faire 30 ans au mois d'avril,
22:50et les jours où je suis en process de me sentir comme ça,
22:55je me sens comme si ça s'était passé hier,
22:58je retourne là-bas comme s'il n'y a pas 30 ans
23:03qu'il s'est passé au milieu.
23:05On peut envoyer des aides alimentaires,
23:09on peut essayer d'éduquer,
23:13mais il y a toute une génération
23:17des enfants de guerre,
23:21aussi des adultes,
23:23qui souffrent toujours des effets psychologiques.
23:26Mais au moment où on va devenir parent,
23:30ça nous prend parce qu'on n'a pas eu de parent.
23:33Je ne parle pas pour moi,
23:35mais par exemple, les amis que j'ai,
23:37on va devenir parent et on ne sait pas comment devenir parent
23:40parce qu'on n'a pas eu de parent.
23:43Et ça, c'est des choses qui viennent après,
23:47quand on pense qu'on n'a plus le droit de pleurer
23:49pour quelque chose qui s'est passé il y a 30 ans.
23:52On vit avec et il faut accepter son histoire,
23:56mais il faut se rappeler que ce sont des effets
24:02qu'on vit à vie.
24:04Mais j'essaie de trouver un moyen à moi de me guérir
24:08par le développement personnel,
24:13par la méditation,
24:16par peut-être le sport, le yoga,
24:20et peut-être changer ma façon de penser aussi.
24:24J'ai déjà pensé à contacter les associations
24:27de personnes qui témoignent
24:29ou qui ont aussi vécu les mêmes expériences que moi,
24:33entre différents génocides ou des conflits, des massacres.
24:38J'ai eu peur que ça me ramène
24:42dans le fait de penser tous les jours
24:44aux choses qui me rendent triste.
24:47Et je pense que j'ai eu peur
24:50que je finisse par me perdre dedans
24:53et que je vive une vie de victime.
24:56Et je n'ai pas envie de vivre une vie de victime.
24:58Je voudrais vivre une vie inspirante.
25:02J'ai une partie de la famille qui est au Rwanda
25:04qui s'agrandit, ils ont leurs propres familles
25:07et ils sont bien.
25:10Et j'ai aussi une partie de la famille qui est en Belgique
25:14qui se reconstruit,
25:17ils ont leur vie, ils sont contents.
25:20J'ai eu une période où je ne voulais pas retourner au Rwanda.
25:24Quand je suis venue en Belgique,
25:27j'ai commencé à me construire une vie
25:29où j'ai laissé mon passé derrière moi,
25:31j'ai laissé ma vie derrière moi.
25:33Ça sentait tellement bien d'être cette nouvelle personne
25:37que je ne voulais pas me rappeler,
25:41je ne voulais pas entendre parler du Rwanda.
25:44J'en voulais injustement à tout le pays.
25:49Sauf qu'en 2016, je me suis dit
25:53je vais retourner, je vais voir.
25:55Et j'ai beaucoup aimé.
25:57J'ai fait la paix avec cet endroit.
26:00Je me suis reconnectée, je suis allée au mémorial
26:04voir là où on avait enterré mon père.
26:09Ce n'était pas que du négatif,
26:12je suis partie encore trois fois après.
26:15Si la Sonia d'aujourd'hui pouvait parler à la Sonia de trois ans,
26:19je lui dirais je suis là pour toi
26:22et sois patiente avec toi-même.
26:26Et si tout ce qui t'est arrivé,
26:29c'est parce que c'est le plus fort
26:32qu'il faut faire face à des choses les plus difficiles,
26:35alors il faut être très fier de toi.
26:37Il ne faut pas penser que ça t'a abandonné.
26:41Tu as dû partir au combat pour conquérir quelque chose,
26:45conquérir toi-même, conquérir le monde
26:48et aider les autres.
26:50Et c'est de là où je sens le devoir de pouvoir aider.
26:53Si je dois m'intéresser à mon père,
26:56je lui dirais que je l'aime, bien sûr,
27:01que je suis contente du petit chemin qu'on a fait ensemble
27:08et que je sais que le choix qu'il a fait,
27:13c'était pour notre bien,
27:15même si pendant longtemps je ne l'ai pas vu comme ça,
27:21mais c'était pour nous protéger et que je comprends ça
27:24et que je suis sûre que de là où il est,
27:27si c'est quelque part,
27:29je sais qu'il nous garde, c'est notre ange gardien
27:37et que je ferai de mon mieux pour le rendre fier.
27:43Là où il y a la vie, il y a toujours de l'espoir.
27:46Il faut toujours avoir ce grand espoir.
27:50Alors si aujourd'hui je devais dire quelque chose
27:53à une personne qui a vécu un génocide
27:57ou quelque chose de difficile,
28:01je leur dirais qu'ils ne sont pas seuls.
28:04Et leur histoire compte.
28:07Chaque histoire est importante.
28:09Et peu importe la façon dont ils se sentent,
28:12même si aujourd'hui ils n'arrivent pas à se lever
28:16et à aller dehors, c'est OK.
28:19À partir du moment où tu as le courage de vivre
28:22et que tu vis, c'est déjà très très bien.
28:26Maintenant, si tu peux faire un pas de plus,
28:30et faire un pas de plus pour ton propre bien,
28:35pour ta famille ou pour la société,
28:39ou pour ton rêve, ça c'est incroyable.
28:42Parce que vivre déjà, c'est une réussite.
28:46Ils ont déjà gagné.
28:48C'est la meilleure chose.
28:50Tu as une très grande force qui se cache en toi
28:53que tu pourrais développer.

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