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Jean-Marie Le Pen est décédé à l'âge de 96 ans. Quelle trace va-t-il laisser dans notre histoire politique ? Regardez Jean Guarrigues, historien.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 07 janvier 2025.

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Transcription
00:00Yves Calvi, Aude Vernuccio, RTL Soir, jusqu'à 20h.
00:04Il est 18h44, bonsoir Jean-Garri.
00:06Bonsoir.
00:07Vous êtes historien spécialiste de notre vie politique.
00:09Je sais que la question n'est pas facile.
00:11Quelle place occupe Jean-Marie Le Pen dans notre histoire politique contemporaine ?
00:15Écoutez, incontestablement, c'est une figure de la vie politique française du XXe siècle,
00:23surtout du XXe siècle, plus que du XXIe.
00:25C'est une figure majeure.
00:27Parce qu'il a réussi cette forme d'exploit qui a été de réinstaller dans la vie politique française
00:35cette famille de l'extrême droite qui avait été très puissante dans l'entre-deux-guerres,
00:38autour de l'action française, autour des croix-de-feu, etc.
00:41Famille très puissante qui avait été totalement, évidemment, rejetée à la libération,
00:46qui n'existait plus que de manière parcellaire, des petites organisations émiettées,
00:51quelques royalistes, quelques pétainistes.
00:53Il a rassemblé tout ça en 1972, quand il a pris la tête du Front National,
00:59et il a quand même réussi cet exploit d'en faire une force politique de premier plan,
01:03au point d'être en 2002 au second tour.
01:06Alors, le problème et le paradoxe, c'est qu'en fait, les vrais dividendes de ce qu'a été Jean-Marie Le Pen
01:13ont été tirés, on le voit aujourd'hui, par sa fille, qui a complètement transformé son parti.
01:19C'est un paradoxe.
01:20Quel regard vous portez sur son irruption en politique ?
01:23C'est une carrière qui a débuté dans les années 50.
01:25Oui.
01:25Le regard que je porte, c'est celui d'un populiste.
01:30C'est avant tout quelqu'un qui est un provocateur, un aventurier populiste.
01:35C'est-à-dire que sa structure philosophique et politique,
01:39elle se fait autour de cette défense du peuple contre les élites.
01:44Il est anti-système avant tout.
01:46Et c'est pour ça qu'il rencontre, dans les années 50, le fameux Pierre Poujade,
01:51qui est, à l'époque, le tenant de cette famille populiste.
01:56Et c'est à partir de cette expérience, il est quand même, en 1956, élu le plus jeune député de France,
02:021956, à 27 ans.
02:04C'est à partir de cette expérience-là qu'il va devenir, finalement,
02:09une figure de proue relativement fréquentable pour l'extrême droite.
02:13C'est pour ça que c'est lui, finalement, qui a percé à l'extrême droite.
02:18Il a pris la place des François Brignot et des autres qui étaient des sortes de théoriciens de l'extrême droite,
02:24assez néo-fascistes d'ailleurs.
02:26Lui n'était pas un fasciste.
02:27C'est un populiste.
02:28C'est quelqu'un qui est, je répète, une sorte d'aventurier de la politique et qui va réussir.
02:33Donc il ne faut pas confondre le populiste et celui qui est perçu et d'ailleurs dénoncé,
02:37la plupart du temps, comme étant un leader d'extrême droite.
02:40Vous, vous ne le faites pas, l'historien.
02:41Moi, je dis qu'il est...
02:43C'est quoi un fasciste, alors ?
02:44Géographiquement, il est à l'extrême droite.
02:48Il reconstruit l'extrême droite, mais il le fait sur une base qui n'est pas celle du fascisme.
02:52Alors, on peut le taxer de racisme.
02:56Il a en tout cas fait à croire.
02:58On peut le taxer de xénophobie, d'antisémitisme, etc.
03:04Je ne suis même pas sûr qu'il l'était vraiment.
03:06Clairement, antisémite, nous le disait tout à l'heure Robert Ménard.
03:08Moi, je n'en suis pas si sûr.
03:09Moi, je pense que tout ça, c'était des instruments politiques pour capter un certain nombre d'électorats.
03:16Il ne faut pas se voiler les yeux.
03:18La France, surtout à cette époque-là, elle est très antisémite.
03:21Le mouvement Poujadis dont je parlais, ils étaient très antisémites.
03:25Et donc, c'est ce public-là que voulait séduire Jean-Marie Le Pen.
03:29Et c'est ce qu'il a réussi à faire.
03:30Alors, l'était-il, ne l'était-il pas ?
03:32Au fond, ça n'a pas d'importance.
03:34Si, ça a de l'importance.
03:36Ce qui est sûr, c'est qu'effectivement, beaucoup de témoignages attestent qu'intimement, il l'était.
03:44Mais ce qui m'intéresse, moi, si vous voulez, en historien, c'est plutôt qu'il ait utilisé tout ça pour ça.
03:50Et puis ensuite, évidemment, l'anti-européisme, ce qu'on appelle aujourd'hui le souverainisme, l'Europe comme bouc émissaire.
03:58Et puis, évidemment, et ça a été finalement sa grande chance.
04:01Il arrive à la fin des années 70, au moment où il y a une crise chômage, faillite, un peu partout.
04:09Et en même temps, une immigration qui commence à apparaître comme inutile, ou en tout cas qui n'est plus une nécessité pour l'économie française.
04:17Et donc, il va faire son miel de ça.
04:19Et autour de la xénophobie, l'antisémitisme étant, j'allais dire, une cerise sur le gâteau, il va construire justement cette nouvelle droite populiste.
04:28Et c'est sur ça, sur ces outrances, sur ces petites phrases, qu'il a bâti sa notoriété, Jean-Marie Le Pen.
04:33Est-ce qu'il les préparait, à votre avis, ces petites phrases ?
04:36Je crois qu'il n'avait pas besoin de les préparer, parce que ce qui est intéressant avec Jean-Marie Le Pen, c'est que c'est un homme de la 4ème République, en fait.
04:43C'est un avocat, et c'est un homme qui ne résiste pas à faire un bon mot, une provocation.
04:48Alors, beaucoup nous disent, d'ailleurs, de son entourage, que ce n'était pas préparé.
04:52Maintenant, ce sont des lapsus révélateurs, comme on dit, puisqu'on parlait de son antisémitisme.
04:57On voit bien que, quand il vous dit que les chambres à gaz sont un point de détail de l'histoire,
05:03c'est à la fois quelque chose qui est fait pour provoquer, mais intimement, c'est aussi quelque chose qui reflète sa vision de la société.
05:11Et ça l'a desservi ou ça lui a servi, finalement ?
05:13Alors, justement, ça, c'est une grande question. Tout le monde dit que ça l'a desservi.
05:17Alors, c'est vrai qu'on a l'impression qu'à chaque fois qu'il allait toucher un peu le Graal, à la fin des années 80, à la fin des années 90,
05:25il y a toujours une petite phrase comme ça qui le faisait, j'allais dire, repousser du côté de l'extrémisme et du côté de ce qu'on disait fascisme.
05:34Le fascisme, c'est autre chose. C'est un programme politique défini par Mussolini dans les années 20.
05:38Bref, en tout cas, il était à chaque fois, de par ses provocations, rejeté du côté d'une extrême droite fascisante, etc.
05:47Mais est-ce que, au fond des fonds, est-ce que tout ça ne séduisait pas une partie de l'opinion publique,
05:55une partie des citoyens ? Ce qui expliquerait malgré tout que, bon an, mal an, peu à peu, son parti, le Front National,
06:02s'est installé dans la vie politique française. Moi, là-dessus, franchement, je n'ai pas une réponse totalement catégorique.
06:08Au point d'être présent à un second tour d'élection présidentielle. On revient là-dessus.
06:11Voilà. C'est quand même... Ça veut dire quand même que... Alors, tout le monde sait aujourd'hui qu'il a été effrayé d'être au second tour de l'élection présidentielle de 2002,
06:22qu'il n'était pas du tout préparé à ça. Et je suis persuadé que ce n'était même pas son ambition. Je pense qu'il n'était pas structuré pour se dire
06:28« Je vais diriger le gouvernement ou même l'État qu'est la France ». Mais je pense que ce résultat-là, si vous voulez, il témoigne quand même
06:39de ce que ces idées, aussi étranges ou caricaturales ou extrêmes qu'elles puissent nous paraître, ben ces idées, elles ont réussi à s'implanter
06:49dans le cœur de beaucoup de Français. On va justement écouter un extrait de son discours le 21 avril 2002.
06:54« N'ayez pas peur, chers compatriotes. Rentrez dans l'espérance. Vous, les petits, les sans grade, les exclus, j'appelle les Françaises et les Français,
07:07quelle que soit leur race, leur religion ou leur condition sociale, à se rallier à cette chance historique de redressement national. »
07:17« Rentrer dans l'espérance, là, il nous fait le pape, non ? »
07:19« Ben, il nous fait surtout le crédeau du populiste. C'est-à-dire, vous, les petits, les exclus, etc. Ça a toujours très bien fonctionné.
07:27Adolf Hitler, au moment de la crise de 1929, il s'adresse au même public en leur disant « Regardez, la République de Weimar se moque de vous.
07:36Jean-Marie Le Pen nous dit « Regardez le système, là, les quatre grands partis se moquent de vous. Ils oublient vos problèmes, ils ne résolvent pas vos problèmes.
07:46Ils vous laissent envahir par ces immigrés qui vous prennent votre travail, qui vous prennent le pain de la bouche.
07:53Donc, voilà, c'est là-dessus que, véritablement, il se construit et ça fonctionne. Ça a fonctionné. Il ne faut pas se voiler la face.
08:01Et aujourd'hui, finalement, on voit bien qu'il y a une continuité idéologique avec le Rassemblement National de Marine Le Pen. »
08:08Vous dites qu'en 2002, Jean-Marie Le Pen n'était pas prêt. En fait, ce qu'on vous demande depuis le début de cet entretien,
08:14c'est est-ce qu'il prenait vraiment la politique au sérieux ? On sait que Marine Le Pen a envie d'être présidente de la République.
08:18Non. Moi, je pense que la politique était un jeu pour lui. C'était avant tout un jeu et on le voit bien.
08:25D'ailleurs, c'est ce qui explique ces provocations, ces sortes de sorties de route qu'il a effectuées.
08:32Parce que, quelque part, il y avait en lui une jubilation du bon mot, une jubilation de l'éloquence.
08:38C'est pour ça que je vous dis très quatrième République plus que cinquième République.
08:41Pas du tout un gestionnaire construit comme l'est aujourd'hui Marine Le Pen ou comme l'est l'entourage de Marine Le Pen.
08:47Donc, il ne voulait pas véritablement le pouvoir. Il voulait être le poil à grattes.
08:52Alors, c'est un tribun. C'est peut-être le dernier grand tribun avec Jean-Luc Mélenchon.
08:58On peut dire qu'il y avait lui et il y a encore Jean-Luc Mélenchon.
09:02Il n'y a que les extrémistes qui font des bons discours ?
09:04C'est vrai que l'extrémisme se prête au succès de l'oratoire.
09:09L'extrémisme vous permet justement d'aller dans des outrances qui sont propres à cultiver cette image de tribun.
09:16Et il l'a été. Et je pense fondamentalement que c'était son plaisir.
09:21C'était d'être le poil à gratter du système, de se dire qu'il était capable de tenir la dragée haute à ceux qui étaient les grandes figures de l'époque.
09:29D'abord le général de Gaulle, qu'il a combattu ardemment.
09:32François Mitterrand, Jacques Chirac.
09:34Il s'estimait à la hauteur de ces hommes-là, à la hauteur de l'histoire.
09:39Mais à mon sens, sans vouloir, sans se construire véritablement pour conquérir le pouvoir.
09:44Est-ce que d'après vous, il avait des modèles, j'ai envie de dire, qui idéologiquement parlant,
09:49pouvaient d'une certaine façon avoir une influence sur Jean-Marie Le Pen ?
09:54Parce que ce qui effrappant, et c'est la réponse que vous avez fait à Aude il y a quelques instants,
09:57c'est qu'on sent que c'est un joueur politique d'abord.
10:01Et du coup, c'est ce qu'il faut le prendre au sérieux.
10:03On n'en est pas sûr, puisque lui-même ne semble pas, en tout cas dans votre analyse,
10:07prendre très au sérieux la vie politique, et donc la vie démocratique.
10:10Il était très flou sur son programme.
10:13On peut dire qu'il s'était à la fois un ultra-libéral, sur le plan économique et social.
10:17Il était même pour la suppression de l'impôt sur le revenu, c'est vous dire.
10:21Il était ultra-nationaliste, ça c'est aussi un fait.
10:25Mais je pense qu'il s'était nourri, comme ça, de toute l'histoire de l'extrême droite française.
10:30Peut-être que, précisément, ses références étaient dans un certain nombre d'orateurs,
10:36de grands orateurs de l'extrême droite des années 30.
10:39Je pense à Xavier Vallin, par exemple, qui s'était distingué en traitant Léon Blum de juif en 1936.
10:46Il était dans cette veine-là, celle de Tixier Villancourt aussi,
10:50qui était candidat en 1965 à l'élection présidentielle, et dont il avait dirigé la campagne.
10:54C'est plutôt ça, ses références.
10:56Mais des références idéologiques, des choses carrées, majeures, comme ça, dans l'histoire de l'extrême droite,
11:02on ne les trouverait pas chez Jean-Marie Le Pen.
11:04Jean Garry, qu'est-ce que vous pensez de l'annonce familiale qui a été faite de son décès ?
11:08Jean-Marie Le Pen, entourée des siens, a été rappelée à Dieu ce mardi à midi.
11:13Marie-Caroline, sa fille, a également publié ses mots sur son réseau social.
11:18C'est la première à réagir.
11:19A Dieu, Papa, en trois mots.
11:23Cette référence à Dieu, elle est importante, parce qu'il s'inscrit aussi dans cet héritage.
11:29Il faut rappeler qu'au début, un des noyaux durs du Le Penisme, c'est l'intégrisme catholique.
11:35La religion catholique travaille famille-patrie.
11:38Là, on peut le relier au pétennisme.
11:40C'est quand même un des piliers de l'idéologie, on peut dire, de Jean-Marie Le Pen.
11:47Mais ce que je pense de ces quelques mots, c'est qu'on est à minima.
11:52On est dans quelque chose d'intime, de familial.
11:55Parce que ça va être évidemment très compliqué d'assumer l'héritage,
12:00ce qu'a légué Jean-Marie Le Pen, sans évidemment se dériver vers quelque chose
12:07qui aujourd'hui n'est plus possible, n'est plus possible, n'est plus audible par les Français.
12:11L'analyse de l'historien Jean Garrigue ce soir sur RTL, merci beaucoup Jean-Marie.
12:14Merci à vous.
12:15Dans un instant, un point sur la météo avec Peggy Brosh, bien entendu.
12:18Et toute l'actualité dans le journal de 19h.
12:20A tout de suite.

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