Ce dimanche, nous fêtons l'anniversaire de la loi Veil sur l'IVG avec nos invités : la philosophe Léa Veinstein, la Dr Joëlle Tiano-Moussafir et la gynécologue Ghada Hatem.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Et un grand entretien avec Marion Lourdes, nous voulions nous arrêter sur un anniversaire
00:06il y a 50 ans, c'était le 17 janvier 1975, la loi Veil légalisait l'interruption volontaire
00:14de grossesse, cette loi était promulguée et nous avons voulu croiser les regards ce
00:19matin de trois invités pour essayer de comprendre ce qu'il s'est passé il y a maintenant
00:25un demi-siècle, mais d'abord Simone Veil.
00:28Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le
00:32faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d'hommes, aucune femme ne recourt
00:37de gaieté de cœur à l'avortement, il suffit d'écouter les femmes.
00:44Il suffit d'écouter les femmes et Simone Veil qui conclut c'est toujours un drame et
00:48cela restera toujours un drame et donc pour parler de la question ce matin nous voulions
00:54croiser les regards de nos invités, Léa Weinstein, bonjour, vous êtes philosophe
01:00romancière et vous publiez donc « Il suffit d'écouter les femmes » et c'est un titre
01:04donc directement inspiré de ce discours de Simone Veil, c'est publié aux auditions
01:10Flammarion et vous avez mis en récit des témoignages et c'est absolument passionnant,
01:16des témoignages d'avortements clandestins qui ont été collectés par l'INA, on va
01:21en parler dans un instant, Joël Tiano Moussafir, bonjour, vous avez répondu à l'appel témoignage
01:29et merci d'avoir accepté de nous raconter votre histoire ce matin, vous avez 81 ans
01:34et votre témoignage, presque, j'ai vieilli, l'âge est là malheureusement, mais votre
01:42témoignage est l'un des plus anciens collectés par l'INA sur ses avortements clandestins
01:48et Rada Atemganzer, bonjour, vous êtes la fondatrice de la Maison des Femmes à Saint-Denis,
01:54c'est un lieu d'accueil exceptionnel, médical, psychologique, juridique pour les
01:58femmes qui sont dans le besoin et vous avez participé justement à cette entreprise pharaonique
02:04et passionnante de collecte de témoignages, vos questions, vos réactions, chers auditeurs
02:10au 0145 24 7000 ou sur l'application Radio France, il suffit d'écouter les femmes,
02:18il suffit d'écouter les femmes Léa Weinstein et pourtant elles ont été condamnées à
02:23rester dans la clandestinité jusqu'en 1975, quand Simone Veil s'exprime, on a l'impression
02:30que c'est tout simple, il suffit d'eux, et pourtant, et pourtant.
02:34Et pourtant, il a fallu attendre peut-être 50 ans, en tout cas de nombreuses années
02:41pour pouvoir les écouter vraiment, là dans cette collecte de témoignages qui a été
02:46donc entreprise par l'INA, qui justement, l'Institut National de l'Audiovisuel, qui
02:53justement a cette mission de collecter nos archives, notre mémoire, notre passé, et
02:59ils se sont aperçus que certes, la loi, elle a été tellement incarnée par Simone Veil,
03:06par cette femme, cet individu, donc l'histoire de la loi, on la connaît, elle a été documentée,
03:13voilà.
03:14L'histoire du combat aussi des femmes plus collectives pour ce droit a été documentée,
03:21mais qu'en est-il de la parole ordinaire, si je peux dire, des femmes, c'est-à-dire
03:26de celles qui ont ce vécu intime, est-ce qu'elle, on a été en mesure de les écouter
03:32vraiment ?
03:33Je disais archives, parce que c'est vrai qu'on vous l'INA a recueilli 79 témoignages
03:39d'avortement clandestin, et vous avez fait un très grand travail pour en restituer quelques-uns
03:44par écrit dans ce livre, et on va en parler, il y a aussi des témoignages d'hommes qui
03:48ne sont pas étrangers à cette histoire.
03:50Joël, Tiano Moussafir, vous avez accepté de raconter l'histoire de votre avortement
03:55clandestin, ça vous a paru essentiel, quasiment évident de le faire, raconter une histoire
04:01aussi intime, aussi douloureuse ?
04:02Écoutez, curieusement, c'est une de mes filles qui m'a parlé de cet appel de l'INA
04:08pour la collecte, et elle connaissait mon histoire, mes enfants connaissent mon histoire,
04:14je viens d'apprendre que mon petit dernier finalement ne savait pas ce qui était arrivé
04:17à sa mère quelques années avant, et oui, ça m'a paru évident et important, particulièrement
04:25aujourd'hui, avec toutes les remises en cause de ce droit.
04:27Et on va en parler.
04:28Oui, c'est ça, parce qu'il y a cette volonté très claire des femmes, en tout cas on le
04:32voit aussi dans le documentaire qui va être diffusé sur France Télévisions mardi, qui
04:36restitue aussi ces témoignages de l'INA, de témoigner pour les jeunes générations,
04:41pour les filles, pour les petites filles, c'est ça aussi qui vous motive ?
04:44Oui, tout à fait, tout à fait, parce que dans mon entourage proche, j'ai eu la soeur
04:54de ma nounou qui est morte d'une embolie pulmonaire à la suite d'un avortement,
04:58j'ai la meilleure amie de ma mère qui a eu une stérilité définitive après un avortement
05:04mal fait, je connais un clandestin, quelqu'un qui a été en prison, un médecin qui était
05:12en prison, donc si vous voulez, très près de moi, il y a des choses criantes et dont
05:18il ne faudrait vraiment pas qu'elles se reproduisent.
05:20Rada Atem, vous vous avez aidée à recueillir ces témoignages, vous êtes aussi gynécologue
05:25obstétricienne, l'avortement on le voit, on le lit aussi dans les récits des femmes
05:30interrogées, c'était quelque chose de tabou, de caché, interdit à l'époque,
05:35est-ce qu'aujourd'hui c'est plus facile de parler ?
05:37C'est beaucoup plus facile de parler, rien n'est comparable à ce que Joël et les
05:43autres femmes ont pu vivre, en revanche, ça reste stigmatisant, et je pense, j'adore
05:51Simone Veil, attention, c'est une icône, et quand elle dit il suffit d'écouter les
05:55femmes, elle a mille fois raison, quand elle dit pour conclure, il faut qu'on ait l'oreille,
06:02mais quand elle conclue par c'est un drame et ça sera toujours un drame, moi ça me
06:05fait mal, je pense qu'elle était obligée de le dire, elle ne pouvait pas dire, c'est
06:11parfois génial, et je crois qu'il faut arrêter de dire que c'est un drame.
06:15Ce qu'on voit dans certains récits, d'ailleurs, mais bien sûr, alors que faire peser ce truc
06:21hyper lourd c'est un drame, non, parfois ça résout une situation de vie insupportable,
06:27et merci l'avortement.
06:28Il y a plusieurs références qui parcourent votre livre et votre mise en récit, Léa
06:33Weinstein, il y a Simone Veil, il y a Gisèle Halimi, il y a aussi la prix Nobel de littérature
06:39Annie Ernaud et son livre « L'événement » parce que ça fait événement.
06:43J'aimerais juste qu'on revienne avec vous sur votre histoire, en l'occurrence Joël
06:49Tiano Moussafir, parce que votre témoignage c'est l'un des plus anciens, il s'est
06:53déroulé, cet avortement clandestin en 1964, il n'y avait pas de tissu associatif, il
06:58n'y avait pas le MLF, et c'est 20 ans à 20 ans que vous avez eu une première expérience
07:06amoureuse, est-ce que vous pourriez nous raconter la suite ?
07:09Alors, la suite, tout dépend où je prends le début.
07:12Vous découvrez votre grossesse ?
07:15Voilà, je découvre ma grossesse, j'ai quelqu'un dans ma vie dont je suis extrêmement amoureuse,
07:26je suis forte d'une demi-science, c'est-à-dire que j'ai bouquiné le livre qui s'appelait
07:30« La limitation des naissances ».
07:32Vous connaissez la méthode aux ginots ?
07:34Voilà, alors je dis que la méthode aux ginots, on en a beaucoup ri parce qu'on dit qu'il
07:37y a eu beaucoup de bébés aux ginots qui sont nés, puisque cette méthode est basée
07:40sur le changement de température avant et après l'ovulation.
07:44Vous prenez la température tous les jours pour voir si on était…
07:46Alors pas tous les jours, on se dit à peu près quand on approche de l'ovulation,
07:48on commence à la prendre, elle est un petit peu en dessous 37 et puis après au-dessus,
07:52mais n'importe quoi peut faire varier la température.
07:53Ce n'est pas très fiable.
07:54Ce n'est pas fiable du tout.
07:55Et voilà, et donc, ce n'est pas fiable du tout, puis il y a parfois des ovulations
08:02précoces, et puis il y a une durée de vie des spermatozoïdes qui peut être longue,
08:05je parle sous le contrôle, et voilà, et donc, c'était ma première expérience
08:13sexuelle, cette histoire, et au bout de quelques mois, je me suis retrouvée « bonne comme
08:16la Romaine », comme disait ma grand-mère, voilà.
08:18Avec cet amoureux qui est un Américain, qui était plus âgé que vous, vous attendiez
08:23qu'il prenne ses responsabilités, et vous êtes allé voir une gynécologue, et c'est
08:28à un moment que vous rencontrez un médecin qui pratique des tarifs, parce que c'est
08:31aussi une histoire sociale, des tarifs qui sont acceptables, et vous vous souvenez encore
08:36aujourd'hui du numéro de téléphone de ce médecin, et vous avez demandé à votre
08:41amoureux de partager les frais ?
08:42Non, c'est moi qui… Oui, oui, j'ai voulu partager les frais, oui, c'est ça, tout
08:45à fait, oui, oui.
08:46Donc, il y a une gynécologue qui fait le diagnostic, et qui est terrorisée quand je
08:50lui demande conseil, même au téléphone, mais c'est vrai qu'il y avait la menace
08:54de la prison, c'était extrêmement grave, et puis finalement, je ne sais plus comment,
08:58on a trouvé un médecin qui était quelqu'un qui, bien sûr, gagnait sa vie, mais qui
09:03pratiquait des tarifs assez raisonnables.
09:05Et votre Américain, vous l'êtes tout payé ?
09:10Il m'a dit, n'hésitez pas à discuter, moi je vais lire.
09:15Oui, je pense que ça lui paraissait implicite, et moi je pense que je me serais sentie vraiment
09:19mineure si ça avait été le cas.
09:23Vous avez imaginé porter l'enfant ?
09:25Oui, je l'ai imaginé quelques jours.
09:27Et lui donner naissance ?
09:28Je l'ai imaginé quelques jours, un scénario très romantique, je m'imaginais au quartier
09:33latin, puisque j'étudiais au quartier latin, avec un bébé dans les bras, je dis un bébé
09:36reproche, mais bon, ça n'a pas duré longtemps, je n'étais pas suffisamment mûre pour.
09:41Léa Wenstein, vous citez donc ce livre « L'événement », est-ce qu'à chaque fois, c'est justement
09:46le mot qui convient ? « Événement » ?
09:48Alors, je dirais que dans la plupart des témoignages que moi j'ai pu consulter, oui, c'est quand
09:54même un moment dont on se souvient, vous voyez, on se souvient même du numéro de
09:59téléphone, il y a des effets de mémoire comme ça, il y a aussi, je me souviens là
10:03d'un témoignage...
10:04Oui, mais sur le coup, on n'en parle pas à sa mère, on n'en parle même pas à ses enfants,
10:07mais à ses petits-enfants, comme si ça sautait une génération.
10:09Peut-être que ce silence aussi inscrit dans la mémoire des détails, la toile cirée,
10:15il y a des femmes qui racontent qu'elles ne supporteront plus jamais de voir une toile
10:19cirée chez elles, parce que c'est la cuisine, c'est la faiseuse d'anges, c'est ce moment,
10:24c'est la douleur aussi physique, la clandestinité, c'était ça, ça, ça revient beaucoup.
10:29Vous avez souffert, vous, Joëlle Tiano-Moussafir ?
10:31Pas du tout.
10:32Une des rares, parce que c'est vrai que dans vos récits, il y a beaucoup de douleur physique.
10:37On vous griffe par l'intérieur, il y a des images comme ça.
10:40Dont les femmes, oui, se souviennent.
10:42Après, c'est vrai que dans cette collecte, il y a aussi, et donc je rejoins ce que vous
10:48disiez, il y a aussi des femmes qui s'inscrivent en faux contre le discours de Simone Veil,
10:53en disant que ça n'a pas été un drame, ça a été d'abord un soulagement.
10:57C'est d'abord ce sentiment-là, quand même, qui parfois domine.
11:02Et il y a même une témoin, par rapport à Annie Arnaud, qui dit pour moi, c'est plutôt
11:07un non-événement dans ma vie, qu'un événement.
11:10De fait, il n'y a pas d'heureux événements, c'est en quelque sorte un non-événement
11:14pour certains.
11:15Radha Atem, dans les témoignages aussi, il y a effectivement cette relation avec les
11:19soignants dont on parlait.
11:20Il y a cette femme qui a très peur parce qu'elle peut tomber sous le coup de la loi,
11:23cette gynécologue.
11:24Mais aussi certains qui humilient les patientes, qui se font parfois insulter.
11:30Il y en a une qui n'aura pas son anesthésie pour son curetage parce qu'elle est considérée
11:35comme une sorte de punition, elle est considérée comme une traînée pour avoir couché hors
11:38mariage.
11:39Est-ce qu'aujourd'hui, la relation avec les soignants est totalement apaisée ? Est-ce
11:42que tous les soignants pratiquent ce geste, je dirais, dans l'apaisement ?
11:46Évidemment que non, mais ça n'a plus rien à voir.
11:50Alors moi, ce qui m'a frappée, parce que j'ai pu voir le film hier, c'est effectivement
11:54cette question de la douleur.
11:55Et ça, c'est notre faute à nous soignants, parce qu'on n'est pas obligés en fait.
12:01Aujourd'hui, on peut avorter sans avoir mal.
12:02Non, mais même avant, on aurait pu décider, puisqu'on est d'accord pour le faire, on
12:06aurait pu décider de faire des anesthésies.
12:08C'est insupportable de ne pas l'avoir fait.
12:10La violence, elle est toujours là.
12:11Alors aujourd'hui, on ne fait pas d'avortement sans anesthésie pour punir une femme d'avoir
12:16couché.
12:17Ça n'existe plus.
12:18Mais en revanche, il y a des médecins qui ne veulent pas le faire, pour des raisons
12:22en général religieuses.
12:23Alors c'est respectable.
12:25L'important, c'est que ça puisse être fait de manière bienveillante par des gens
12:28qui ont envie de le faire.
12:30On ne peut pas dire qu'il n'y a jamais de réflexion, parce qu'il peut arriver que
12:34dans un bloc opératoire, un anesthésiste, une infirmière ou un jeune médecin qui n'a
12:39pas très envie, lâche une réflexion pas sympathique, pensant que la femme dort par
12:44exemple.
12:45Et ça, ça fait toujours extrêmement mal.
12:46Mais vous dites que l'IVG reste le parent pauvre de la médecine, ça veut dire quoi
12:50ça ?
12:51Parce que voilà, quand on a besoin de moyens… Je prends le Covid par exemple.
12:55Le Covid, on ferme les blocs opératoires.
12:57Bon, et alors on annule les avortements.
13:01Et nous, on a dû aller négocier en disant non, elles ne vont pas avorter après le Covid,
13:06les femmes, ce n'est pas possible.
13:07Donc voilà, c'est toujours le geste qu'on va… Finalement, si on pouvait ne pas le
13:11faire, ça serait plus simple.
13:12Ça embête tout le monde dans les blocs opératoires, etc.
13:15C'est en ça que pour moi, ça reste toujours un combat pour que ça se passe bien.
13:18Là où ça a changé, c'est qu'aujourd'hui, on peut arriver à la maison des femmes à
13:229h du matin et avorter dans l'après-midi, c'est un immense chemin parcouru.
13:29Et il y a un travail immense que vous avez fait pour rencontrer des femmes qui avaient
13:34pour le coup connu des avortements clandestins, qui étaient presque mortes.
13:40Et c'est ce qu'on voit dans le livre de Léa Weinstein, à travers ses témoignages.
13:44En fait, moi, j'ai commencé mon internat au siècle précédent et je recevais encore
13:50des femmes qui me racontaient comment ça s'était passé, combien elles avaient été
13:54maltraitées, humiliées, en réanimation, où elles entendaient les soignants dire « mais
13:58celle-là, c'est la salope qui a avorté ». Heureusement, on n'entend plus ça.
14:02En revanche, il y a eu des médecins extraordinaires, et je trouve qu'on n'en parle pas assez,
14:08qui ont accepté de prendre des risques, de faire des IVG.
14:10Je pense à un copain qui, à Marseille, accueillait plein de femmes dans son bureau pour les avorter.
14:16Et il avait une réputation de tombeur parce qu'il y avait un défilé de jolies filles.
14:20Et j'adore cette histoire.
14:21Joël Tchano-Moussaphir, on va bientôt aller au standard, puisqu'il y a Nicole qui nous
14:28attend.
14:29Vous avez connu, vous, une forme de solidarité dans la clandestinité ? Parce que c'est
14:33quelque chose qui revient assez régulièrement à travers les nombreux témoignages que Léa
14:38Weinstein a mis en récit, ces histoires d'avortements clandestins racontées par celles qui l'ont
14:43vécu.
14:44Alors, vous appelez quoi solidarité ? Le fait qu'on se communique les informations ? Oui,
14:49dans ce cas-là, effectivement.
14:50Déjà qu'un médecin accepte de vous prendre en charge ?
14:51Voilà, voilà, tout à fait, tout à fait.
14:52Oui, oui.
14:53Donc, oui, on a réussi à se procurer relativement rapidement les coordonnées de ce médecin,
14:59et qui était donc un bon médecin, donc j'ai eu de la chance.
15:02Mais je reviens sur ce que vous disiez tout à l'heure, moi je pense que les sentiments
15:05sont beaucoup plus mélangés qu'on ne veut le croire.
15:07Je pense qu'il y a quand même un sentiment, moi je sais que j'ai eu un sentiment de liberté
15:11recouvrée, mais dix minutes après être sortie de chez le médecin, en plus il faisait un
15:15temps absolument magnifique ce jour-là, mais vraiment de liberté recouvrée, parce que
15:19dans les jours précédents, j'avais l'impression qu'il y avait un mur devant moi, et que
15:22j'avais plus de futur, que j'étais coincée.
15:24Bonjour Nicole, et bienvenue sur France Inter.
15:28Merci à vous.
15:29Vous avez un témoignage et une question pour nos invités ?
15:32Est-ce qu'il y a un réel progrès, sincèrement, actuellement ? Parce que moi j'ai entendu
15:41des infos, enfin ça va que j'avais un certain caractère, ton bâtard, ton vachin,
15:47on avait des termes qui n'étaient quand même pas très élogieux et pas très flatteurs
15:50quand on nous voyait avec un gros ventre, vous voyez ce que je veux dire ? Moi je suis
15:57de 43, 25 janvier 43, imaginez, non ? Et je vois qu'il y a guère de progrès, parce
16:03que quand on dit ça, qu'on a eu un enfant toute seule, le mot bâtard je peux vous dire
16:08que je le connais par cœur, même si, vous voyez, pas besoin de regarder le dictionnaire
16:13pour savoir ce que c'est, on a l'explication du mot, vous voyez, mais quand on le replace
16:18en 2025, ça paraît, enfin je ne sais pas comment dire, pas dérision, ce n'est pas
16:23une dérision, mais vous voyez ce que je veux dire, ça fait sourire.
16:27Merci Nicole pour votre témoignage.
16:29Léa Wenstein, vous commencez votre livre en disant que vous, vous êtes issue d'un
16:32monde, vous êtes née dans un monde où l'IVG c'était un droit, que vous venez d'une
16:36famille avec une mère qui a été membre du MLF, comment est-ce que vous avez perçu
16:42ce décalage total entre ce que vous, vous avez vécu en grandissant et ces histoires
16:50de clandestinité ?
16:51Je l'ai vécu avec beaucoup de reconnaissance pour les femmes qui acceptent de parler et
16:58de donner.
16:59Aujourd'hui, je pense qu'il faut mesurer aussi le courage que ça demande et qui nous
17:05permet aujourd'hui, à nous, générations d'après, de pouvoir mesurer que ce n'est
17:12pas acquis, en fait, que ça a été un combat.
17:15Ce n'est pas acquis ?
17:16Je pense que, en tout cas, moi, personnellement, me plongeant dans ces histoires et dans ces
17:21témoignages, j'ai l'impression d'avoir plutôt traversé ces 50 ans en comprenant
17:28ça, c'est-à-dire en ayant un point de départ où j'ai le sentiment que c'est
17:32acquis, que ça a été chèrement acquis, mais par une génération d'avant et en
17:39cheminant de comprendre qu'en fait, c'est un droit fragile et qui sera toujours menacé
17:47à protéger, à défendre et à transmettre.
17:50Les hommes dans cette histoire, parce qu'on entendait Simone Veil tout à l'heure en
17:53parler à la tribune de l'Assemblée, les hommes, puisque vous insistez sur cette dimension-là
17:58dans votre livre et dans la collecte des récits et j'aimerais vous entendre justement toutes
18:04les trois sur les hommes, il y a quelques années, vous étiez à l'Assemblée en
18:09train d'assister à des débats sur l'avortement et vous étiez médusé de voir qu'on en
18:13était encore là ? Oui, et je vais vous dire pas que par des
18:16hommes, il y avait aussi des femmes qui prenaient des positions d'une virulence incroyable
18:21contre l'avortement et ça, ça m'avait décomposée.
18:24Mais il y a un baromètre qui a été publié par l'IFOP l'an dernier qui montre que
18:27l'opinion est majoritairement attachée quand même à l'avortement et que l'accès
18:31est jugé facile, mais qu'il y a des freins qui sont reconnus par une majorité d'interrogés.
18:36Qu'est-ce que vous voyez comme frein aujourd'hui ?
18:38Je pense qu'il y a moins de freins idéologiques, évidemment.
18:45Il y a toujours des gens qui trouveront que c'est scandaleux, qu'on tue une vie, des
18:51gens qui se foutent éperdument qu'on tue des enfants partout sur la planète dans des
18:55combats innommables.
18:56Mais par contre, que des cellules soient aspirées, ça leur est insupportable et ça j'ai beaucoup
19:01de mal à le comprendre.
19:02Il y a des freins parce qu'il y a des déserts médicaux, parce que c'est pas un geste justement
19:07dont on va se glorifier forcément.
19:10Si vous dites « je fais de la PMA », vous êtes un médecin très intéressant.
19:14Si vous dites « je fais des avortements », bon, c'est pas très chouette.
19:18Non, il y a plein de freins comme ça, mais qu'on devrait pouvoir surmonter.
19:22Justement, il y a une auditeurise, Françoise, qui dit que l'avortement a été un sujet
19:25quasiment quotidien dans sa jeunesse.
19:27Elle n'a jamais compris pourquoi on accusait systématiquement les femmes pendant leur
19:31grossesse involontaire et jamais les hommes.
19:34Qu'est-ce qui vous a frappé, Léa Wenstein, justement, dans ces témoignages d'hommes
19:37que vous avez réunis ?
19:38Oui, alors, Lina, dans cette collecte, a réussi aussi à faire parler des hommes, donc soit
19:46des aidants, soit il y a aussi par exemple un juge d'instruction, soit des géniteurs,
19:52des compagnons.
19:53Un médecin généraliste ?
19:54Un médecin généraliste, un interne, voilà.
19:57Et oui, dans le livre, on a choisi de leur faire aussi cette place.
20:02Donc, il y a un chapitre vraiment consacré aux hommes qui interroge leur place.
20:07Et puis, il y a d'autres chapitres où on retrouve aussi des témoignages d'hommes.
20:12Là aussi, il y a une variété, en fait, de situations qui est très grande.
20:17Vous, Joël, dans votre cas, vous avez partagé les frais, par exemple, vous avez été accompagné.
20:22Ce n'est pas le cas de toutes les femmes loin de là, qui souvent se retrouvent dans
20:28une solitude totale face à cette situation.
20:32On termine en musique avec une chanson qui est justement citée par Annie Ernaud dans
20:38l'événement et qui vous a accompagné, Léa Wenstein, au cours de votre travail.
20:43Un mot d'ailleurs, pourquoi ?
20:44Pourquoi elle m'a accompagnée ?
20:46Oui, qu'est-ce qu'elle dit cette chanson dont on n'imagine pas du tout qu'elle puisse
20:49avoir un lien avec l'avortement ?
20:51Non, je ne pense pas par ailleurs qu'elle en ait, je ne m'avancerai pas sur cette question.
20:57En tout cas, oui, Annie Ernaud la cite souvent, elle la cite dans l'événement.
21:02Donc, Jeanne Moreau, « J'ai la mémoire qui flanche ». Cette collecte qui a été
21:05entreprise par Lina, c'est vraiment un acte de mémoire aussi.
21:10Et je pense que c'est ça, aujourd'hui, qui est important, c'est qu'on nous a transmis,
21:16vous nous avez transmis cette mémoire, à nous maintenant de la faire vivre.
21:20Et Jeanne Moreau, à un moment dans cette chanson, il y a « De toutes ces nuits blanches,
21:24il ne reste plus rien ». Et souvent, il y a plusieurs femmes dans la collecte qui utilisent
21:30cette formule-là qui moi m'a beaucoup frappée.
21:32Quand on parlait du soulagement qui suit un avortement, il ne reste plus rien.
21:37Et c'est un soulagement.
21:39Merci infiniment à toutes les trois d'être venues à France Inter ce matin.
21:45Et merci particulièrement Joël Kano-Moussafir pour votre témoignage.
21:50Le livre « Il suffit d'écouter les femmes » s'est publié chez Flammarion INA et c'est
21:56votre mise en récit, Léa Weinstein, de ces nombreux témoignages.
22:01Quant à vous, je rappelle donc que Rada Athem, la fondation, elle est ouverte de 9h du matin
22:08et pour le coup, pour accueillir des femmes.
22:10Toutes les femmes, tous les termes, toutes les situations, nous sommes là.
22:15Et Elina diffusera ses témoignages à partir du 21 janvier.
22:19Il y a un film « Il suffit d'écouter les femmes » pour le coup qui sera diffusé le 14 janvier
22:23à 21h sur France 5.
22:26Merci infiniment à toutes les trois, excellente journée.