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Avec 176 jours de vacance du pouvoir, soit près d’un jour sur deux, 2024 restera comme une des pires années de la Ve République. Désormais c'est le gouvernement de François Bayrou qui pourrait être renversé. C’est le quatrième Premier ministre de l’année écoulée, un record sous la Ve.

Si Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée car il ne disposait pas de majorité absolue, il se retrouve à présent face à un hémicycle encore plus divisé. En prônant le dépassement politique, le chef de l'Etat a été dès 2017 un accélérateur de cette tripartition qui paralyse aujourd’hui l’Assemblée nationale.

Aujourd’hui considéré comme le principal responsable du chaos politique, une partie des Français et des élus de tous bords le poussent même à démissionner.

Comment expliquer cette crise politique ? Peut-on encore éviter la crise de régime ? Quelles seraient les solutions pour éviter ces situations de blocage ?

Les explications de Julien Bonnet, président de l'Association française de droit constitutionnel et professeur à l'université de Montpellier, Jean Garrigues, historien, président du Comité d'histoire parlementaire et politique, et Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences à l'université Paris-Panthéon-Assas.

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Transcription
00:00Je dois bien reconnaître ce soir que la dissolution a apporté pour le moment
00:04davantage de divisions à l'Assemblée que de solutions pour les Français.
00:08Une dissolution et une censure, 4 chefs de gouvernement, un pays sans budget,
00:12avec 176 jours de vacances du pouvoir, soit près d'un jour sur deux.
00:162024 restera comme une année chaotique dans l'histoire de la Vème République.
00:229 juin au soir, le résultat des élections européennes est catastrophique pour le camp présidentiel.
00:26Le Rassemblement national l'emporte avec 31% des voix.
00:29La réponse d'Emmanuel Macron est immédiate.
00:31Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale.
00:35Le parti de Marine Le Pen arrive en tête au premier tour des législatives anticipées.
00:38La gauche, unie au sein du Nouveau Front Populaire,
00:41l'emporte au second tour grâce au Front Républicain et réclame Matignon.
00:44Le président a le devoir d'appeler le Nouveau Front Populaire à gouverner.
00:51Après deux mois de tractation, Emmanuel Macron nomme finalement Michel Barnier à Matignon.
00:55Nous sommes dans un moment grave.
00:57Qui dégainera le 49-3 sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
01:01J'engage la responsabilité du gouvernement.
01:05Avant d'être renversé par le RN et la gauche, laissant le pays sans budget.
01:08Une censure inédite depuis 1962.
01:10Le premier ministre doit remettre au président de la République la démission du gouvernement.
01:16Désormais, c'est le gouvernement de François Bayrou qui pourrait être renversé à son tour.
01:19Je n'ignore rien de l'Himalaya qui se dresse devant nous.
01:25C'est le quatrième premier ministre de l'année écoulé.
01:27Un record sous la cinquième.
01:29On peut dire que 2024 a été une des pires années de la Ve République.
01:36C'est une crise d'un style nouveau.
01:38En 2024, on a un rebond d'une crise politique profonde,
01:42qui date déjà depuis quelques années, sur l'espace parlementaire.
01:48Ça, c'est en effet assez nouveau.
01:50En tout cas, ça l'est depuis 1962.
01:52Et donc, par définition, on est dans quelque chose qui, à minima depuis 1962, est assez inédit.
01:56Si Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée nationale car il ne disposait pas de majorité absolue,
02:00il se retrouve à l'issue des législatives anticipées face à un hémicycle encore plus divisé.
02:05Il faut voir que la crise que l'on vit aujourd'hui est une crise fondamentalement et essentiellement politique.
02:09C'est-à-dire qu'on a une tripolarisation de la vie politique.
02:11Il n'y a aucune majorité réellement possible.
02:14Ce qui, dans tout régime politique, induit de facto un blocage.
02:17Parce que pas de majorité, la Ve République est un régime parlementaire, égal blocage.
02:21Et donc, c'est vraiment cette tripolarisation entre un bloc gauche très cohésif,
02:24un bloc centriste en voie de fragilisation et un règne dynamique qui entraîne cette situation politique.
02:30Le clivage droite-gauche, on a besoin de le dépasser pour répondre à nos défis.
02:34En prenant le dépassement politique, Emmanuel Macron a été dès 2017 un accélérateur
02:38de cette tripartition qui paralyse aujourd'hui l'Assemblée nationale.
02:41Il est évident qu'à partir du moment où vous avez un parti qui remet en question
02:47l'alternance traditionnelle qui existe depuis 1958 entre la droite et la gauche,
02:54forcément, vous remettez à priori en question le fonctionnement des institutions.
03:00Emmanuel Macron obtient en 2017 60% des députés, mais ses 34% des votants au premier tour
03:05et uniquement 17% des inscrits, autrement dit, moins de deux Français sur dix
03:09qui portent leur suffrage au premier tour sur un candidat, l'AREM ou Modem, en 2017.
03:15Alors ça donne une majorité absolue, mais en soi, ça reste une minorité électorale.
03:19Cette minorité, dès lors qu'elle est fragilisée, elle lit contre elle le pôle droite
03:23et le pôle gauche et là, vous accélérez une crise politique qui était déjà latente.
03:27Le problème, c'est que derrière, il s'en est suivi une forme de dépit démocratique
03:36et un mécontentement populaire qui n'est pas dû seulement au président de la République actuelle
03:41parce que c'est une longue suite d'essoufflements.
03:44On avait déjà constaté ça lors des précédentes élections présidentielles
03:47et lors des précédents Gaguenard, sous François Hollande, sous Nicolas Sarkozy,
03:50il y avait aussi du mécontentement.
03:52Et le problème, c'est qu'Emmanuel Macron a poussé jusqu'au bout la logique du présidentialisme
03:57et aujourd'hui, on en voit les conséquences.
03:59C'est en cela qu'il y a un côté un peu inédit.
04:03Le chef de l'État est aujourd'hui considéré comme le principal responsable du chaos politique.
04:07Une partie des Français, des élus de tous bords le poussent même à démissionner.
04:10Il n'y a qu'une seule et unique solution, que le président s'en aille.
04:14Pour certains spécialistes, c'est la croyance dans l'homme providentiel
04:17qui est à l'origine de la crise actuelle.
04:18C'est l'idée qu'en confiant les clés du système institutionnel à une seule institution,
04:24à une seule personne, on va résoudre tous les problèmes.
04:26Et on voit depuis maintenant de nombreuses décennies
04:29que ce système suscite très rapidement de la déception.
04:32Et en plus, avec le quinquennat qui est en vigueur depuis les élections présidentielles de 2002,
04:37on a une hyperprésidentialisation puisque pendant cinq ans,
04:40jusqu'à avant 2022 en tout cas,
04:42le président gouvernait avec un Premier ministre qui lui était totalement subordonné.
04:45Dès lors, au fil des quinquennats, ce dépit s'est transformé en colère dans la rue et dans les urnes
04:51et notre système institutionnel est totalement déséquilibré.
04:55Il a apporté par le passé de l'équilibre, de la stabilité,
04:58mais aujourd'hui ce n'est plus le cas.
04:59Donc je fais partie de ceux qui pensent que le présidentialisme
05:03est l'origine principale de la crise que l'on vit
05:06et qu'il faudrait remédier à cela en rééquilibrant notre système.
05:10On n'est pas très loin d'une crise de régime.
05:11Faut-il dès lors changer de République comme le souhaitent certains responsables politiques
05:15et une majorité de Français selon un sondage ?
05:17C'est une crise d'un style nouveau et c'est vrai qu'elle remet en question nos pratiques institutionnelles.
05:23Il me semble qu'on peut se contenter de modifier la Ve République pour la faire mieux fonctionner.
05:29L'institution n'est pas parfaite.
05:30Elle montre un certain nombre de signaux de faiblesse qui aujourd'hui mériteraient qu'on s'y intéresse.
05:34De l'autre côté, l'idée que tout est dans les institutions
05:37et que si on passe à une VIe République, on ne sait pas trop ce que ça veut dire,
05:40mais quoi qu'il arrive, tout ira bien.
05:42En réalité, là non plus.
05:43Si on regarde par rapport à nos voisins, notre régime a des points de blocage.
05:46Ces points de blocage rendent plus difficile la formation de coalitions.
05:49C'est notamment le cas du mode de scrutin.
05:50Quand tout le monde est à la proportionnelle en Europe, sauf nous et les Anglais,
05:53ça peut permettre d'avoir des majorités pléthoriques quand il y a une bipolarisation.
05:56Mais hors période de bipolarisation, le mode de scrutin devient un point de blocage.
06:00Donc on peut évoluer sur certains aspects.
06:02Ensuite, il n'y a aucun régime politique, aussi parfait soit-il,
06:06qui peut fonctionner avec une tripolarisation de la vie politique,
06:09qui est structurelle et qui est étanche.
06:10Et donc forcément, ça fait une crise politique.
06:13Que vous soyez sous la quatrième, la cinquième, la sixième, la septième République,
06:17vous vous retrouvez à un point de blocage.
06:18Face à cette paralysie de l'Assemblée, les premiers ministres successifs
06:21appellent au compromis et à la négociation entre les différentes forces politiques.
06:25Nous allons faire du dialogue et de la culture du compromis un principe de gouvernement.
06:29Ce que Michel Barnier n'est pas parvenu à faire sur le budget,
06:32provoquant la chute de son gouvernement.
06:33Il y a tous les compromis possibles.
06:35On a pratiqué en permanence dans notre vie politique la culture du compromis.
06:40On s'étonne qu'aujourd'hui, les hommes politiques n'en soient plus capables.
06:44Mais ça s'explique parce que depuis 1962, on a ignoré le compromis.
06:49Le mot de compromis, ce n'est pas un gros mot.
06:51Chacun des partenaires institutionnels a des choses à faire évoluer,
06:55à commencer par la présidence de la République.
06:57Et pour cela, il faudrait revenir au texte initial de la Ve République
07:00afin d'assurer une meilleure répartition du pouvoir.
07:02En 1958, il était prévu que le président soit un arbitre
07:06qui soit au-dessus du jeu des partis.
07:08Et le premier ministre et le gouvernement, c'est l'article 20 de la Constitution,
07:12le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation.
07:16S'il veut redonner au gouvernement cette capacité,
07:18vous permettez au président de la République
07:20de revenir à son rôle d'arbitre, de surplomb si vous voulez,
07:24qui le protège d'ailleurs au passage des critiques de cette idée,
07:28de cette impression qu'il est le responsable de tout.
07:31Et à partir de là, vous lui redonnez une popularité,
07:34vous redonnez de l'espace au premier ministre
07:37et, partant de là, de l'espace à l'Assemblée nationale,
07:41où là peut se produire justement un système de négociation.
07:44Et on voit bien qu'aujourd'hui, ce qui empêche les compromis entre les partis,
07:48c'est l'obsession de la présidence de la République,
07:50puisqu'on a des deux côtés de l'échiquier politique,
07:54du côté de la France insoumise et du Rassemblement national,
07:56une stratégie qui ne repose que sur l'élection présidentielle de 2027.
08:00Enlever précisément du pouvoir au président de la République,
08:05vous enlevez précisément cette forme d'obsession de l'élection présidentielle
08:09et vous redonnez, me semble-t-il, plus de souffle à la démocratie.
08:13Il faut rééquilibrer le système avec davantage de pouvoir au Parlement,
08:17davantage de pouvoir au gouvernement et au premier ministre
08:19et aussi à la société civile et au peuple,
08:22qui sont quand même les grands absents des débats politiques actuels.
08:24On peut interroger par exemple la question du champ du référendum.
08:28Le champ du référendum aujourd'hui est très restreint.
08:30On peut multiplier les référendums d'initiatives citoyennes.
08:33Il y a des modifications constitutionnelles qu'on peut essayer de poser,
08:36mais aucune n'est miracle.

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