Denise Toros-Marter, rescapée d’Auschwitz, a témoigné sur CNEWS. «C'est de plus en plus difficile parce que j'ai dépassé l'âge de mes parents quand ils ont été assassinés», a-t-elle notamment confié.
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00:00Un témoignage très important, cet après-midi.
00:02On est vraiment ravis de l'avoir parmi nous,
00:04parce que je pense que c'était important de la faire parler.
00:08Denise Toro-Marterre est avec nous en direct de Marseille.
00:11Bonjour, madame. Vous nous entendez bien ?
00:14Ça va ?
00:16Alors là, le micro, peut-être le rapprocher de madame Toro-Marterre,
00:20parce qu'on n'entend pas très bien sa réponse.
00:22Vous entendez ?
00:23Très bien. Ça y est, je vous entends.
00:24Merci d'être avec nous. Je le disais, vous avez...
00:26Madame Toros-Marterre.
00:29Vous avez 96 ans aujourd'hui.
00:31Vous vous êtes ressortie vivante du camp à l'âge de 16 ans.
00:35Vous y êtes restée neuf mois.
00:38Ce que j'ai compris, parce que j'ai lu l'interview
00:39que vous avez accordée à nos confrères de la Provence,
00:42à votre libération, vous disiez
00:44que les dommages physiques et moraux étaient considérables.
00:48Et depuis, vous n'avez cessé de transmettre, de raconter,
00:51d'expliquer inlassablement.
00:52Mais ça aussi, ça a un coût.
00:54Et moi, il y a cette phrase qui m'a marquée.
00:55Vous allez peut-être pouvoir nous raconter, à nous aussi, sur le plateau.
00:59Plus ça va, plus ça fait mal.
01:02Pourquoi, avec le temps, vous estimez que ça fait encore plus mal ?
01:08Parce que je vieillis,
01:10que j'ai atteint et dépassé l'âge de mes parents
01:16qui ont été assassinés à Auschwitz.
01:19Et qu'en parler,
01:23bon, ça devient difficile.
01:25Au début, c'était presque un dédoublement de personnalité.
01:29Quand je parlais, c'était quelqu'un d'autre.
01:32Et maintenant que je me suis rapprochée
01:35de l'âge où mes parents ont été assassinés,
01:39eh bien, je ressens ça davantage.
01:43Est-ce que vous faites partie de ceux qui ont passé leur vie
01:46en continu à raconter ce qu'ils ont subi
01:50et ce que d'autres aussi ont subi ?
01:52Ou il y a eu des moments dans votre vie
01:54où vous avez estimé qu'il fallait faire une pause
01:57pour votre propre survie à vous ?
01:59Comment vous avez géré votre vie d'adulte derrière ?
02:04Eh bien, ma vie d'adulte, après,
02:07ça a été la rencontre et les retrouvées à Vaille
02:12avec des camarades de mon convoi.
02:16Et on avait décidé, à ce moment-là,
02:19de créer, comme il y avait
02:23sur l'Amicale nationale des déportés d'Auschwitz,
02:27de créer à Marseille l'Amicale des déportés d'Auschwitz et Familles,
02:32et l'Amicale des déportés des Familles,
02:37donc Marseille-Provence.
02:40Excusez-moi. Voilà.
02:42Mme Toros-Marterre,
02:43est-ce que vous avez des enfants, des petits-enfants ?
02:46Si oui, comment réagit votre descendance ?
02:48Est-ce qu'elle est demandeuse de tous ces récits
02:51parce qu'elle veut se les approprier
02:53et pouvoir aussi les faire perdurer dans le temps
02:56ou vous n'avez pas du tout instillé ça avec votre propre famille ?
03:03Je n'ai pas eu d'enfants.
03:04Je me suis mariée avec un monsieur
03:09qui était mon mari, qui était d'origine grecque,
03:12qui avait perdu 23 membres de sa famille en Grèce
03:17du côté de Salonique, à Kaval,
03:21et qui était revenu par Israël
03:26parce qu'il n'avait plus personne de la famille en Grèce.
03:31Et donc, en Israël,
03:33il a rencontré des gens qui connaissaient,
03:37qui étaient apparentés au reste de sa famille, à sa belle-sœur,
03:42et qui lui ont proposé de venir en France.
03:44C'est donc en France, à Marseille, que j'ai connu mon mari.
03:48Et évidemment, disons que la similité de notre existence
03:56nous a rapprochés tous les deux. Voilà.
03:59Et nous n'avons pas eu d'enfants,
04:01mais nous avons des neveux et des nièces
04:05qui sont très actifs avec nous
04:09et qui ont rejoint, disons, les transmetteurs de mémoire.
04:15Est-ce qu'avec les événements récents en Israël,
04:19avec le massacre du 7 octobre,
04:22vous avez vu ressurgir des craintes ?
04:25Est-ce que vous avez peur pour l'avenir ?
04:28Est-ce que vous avez encore confiance en l'humanité ?
04:34Oui, donc, j'ai encore confiance en l'humanité
04:37parce que je ne suis pas, comment dirais-je, croyante,
04:43parce qu'à Auschwitz...
04:46Où était Dieu, à Auschwitz, comme disait notre ami écrivain ?
04:56Je ne me rappelle plus son nom, ça y est.
05:00Mais...
05:03Je veux dire, quand tout à l'heure votre collègue a parlé
05:08que nous n'avons pas de haine, c'est exact,
05:13parce que moi, je suis en relation...
05:16Vous m'entendez, là, je suppose.
05:18Je suis en relation avec un journaliste allemand
05:23qui est venu me visiter à Marseille
05:26et qui essaye de comprendre ce qu'a été le régime hitlérien
05:33et ce qu'ont subi notamment les Juifs, les Ziganes, les homosexuels.
05:40Et il a fait paraître un article dans le journal
05:44qui est annexe au Der Spiegel, qui s'appelle Marre.
05:49Il m'a envoyé la traduction sur la rencontre avec moi.
05:56Et je trouve que c'est très, très important
05:59qu'on fasse paraître sur des magazines allemands
06:03des articles de ce genre parce que c'est vrai
06:07que ce n'est pas parce que votre arrière-grand-père a été un criminel
06:13que vous devez bannir toute la famille.
06:16Voilà, alors donc, l'Allemagne a changé
06:20et nous, les anciens déportés, nous avons de la haine
06:26pour ceux qui nous ont trahis, qui nous ont vendus,
06:30qui nous ont mis dans cet état-là, dans les camps de la mort,
06:36où on a été enfermés et où mes parents ont été assassinés.
06:41Mais je crois que, bon, de la haine, il ne faut pas en avoir.
06:47Et comme vous le dites, bon,
06:50c'est l'humanisme qui prime le premier, voilà.
06:55Merci beaucoup, Denise Toros-Marterre, d'avoir été avec nous.
06:58Je crois que votre message est merveilleux, magnifique.
07:01Merci pour vos mots.
07:03Je crois que c'est ça qu'on retiendra cet après-midi.