La nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil Constitutionnel sera-t-elle empêchée par l'Assemblée nationale ?
Écoutez l'analyse de Benjamin Morel, constitutionnaliste, auteur de "Le nouveau régime ou l'impossible parlementarisme", aux éditions de l'Observatoire.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 19 février 2025.
Écoutez l'analyse de Benjamin Morel, constitutionnaliste, auteur de "Le nouveau régime ou l'impossible parlementarisme", aux éditions de l'Observatoire.
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00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto
00:05Il est 8h16, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07Aujourd'hui encore c'est à l'Assemblée que ça va se passer,
00:09voire que ça va tanguer, avec entre autres
00:11la Commission des lois qui va dire oui ou non
00:13à la nomination de Richard Ferrand à la présidence du Conseil Constitutionnel.
00:16Pour en parler, Amandine, vous avez choisi de recevoir
00:18le constitutionnaliste Benjamin Morel.
00:20Il publie « Le nouveau régime »
00:22ou « L'impossible parlementarisme » aux éditions Passé Composé.
00:25Bonjour et bienvenue à vous.
00:26Bonjour.
00:27Bonjour Benjamin Morel, ce livre qui sort aujourd'hui.
00:29Alors, intéressons-nous effectivement à cette nomination possible,
00:34la nomination de Richard Ferrand au Conseil Constitutionnel.
00:37La gauche a d'ores et déjà dit qu'elle était contre cette nomination.
00:40Les députés LR également.
00:42Ça risque donc d'être très serré.
00:44Au-delà de toute considération politique,
00:46vous aussi, vous êtes contre cette nomination. Pourquoi ?
00:49Je dirais qu'il y a des bons et des mauvais arguments
00:51contre la nomination de Richard Ferrand.
00:53Il y a des mauvais arguments, par exemple,
00:55le fait que ce ne serait pas un prof de droit ou un juge.
00:57Il est vrai que le CV et le bagage de Richard Ferrand en matière juridique est très faible.
01:01Mais, fondamentalement, si vous regardez la Cour suprême américaine,
01:04on a fait des études statistiques.
01:06On sait que le Conseil Constitutionnel est politisé.
01:08Il est faux de dire que les décisions ne sont pas politiques.
01:10On arrive à montrer statistiquement que l'orientation politique des membres
01:13a une influence sur les décisions.
01:15Mais moins que la Cour suprême américaine.
01:17La Cour suprême américaine, paradoxalement composée de juges professionnels,
01:20est beaucoup plus politisée.
01:22Ensuite, on rappelle l'affaire des mutuelles de Bretagne.
01:24Mais, vous savez, l'état de droit, ça tient sur quoi ?
01:27L'état de droit, ça ne tient pas sur le fait qu'on ne puisse pas critiquer les juges.
01:30Bien sûr qu'on peut critiquer les juges.
01:32Regardez, il y a quelques années, on a critiqué la décision de la Cour suprême américaine sur l'IVG.
01:36Et on était bien content de pouvoir dire que là,
01:38le juge américain avait fait quelque chose qui n'était pas bien.
01:40En revanche...
01:41Mais pourquoi alors ? C'est quoi le vrai argument ?
01:43Alors, le respect de l'état de droit, ça repose sur le respect de la chose jugée.
01:48Quand quelque chose a été jugée,
01:50que quelqu'un a été innocenté ou qu'une affaire est prescrite,
01:52on ne lui rappelle pas aduitam aeternam comme une marque d'infamie.
01:55Le vrai argument, pour moi, c'est ce qu'on appelle la théorie des apparences.
01:59En 1970, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que ce qui comptait,
02:04ce n'était pas seulement l'impartialité du juge,
02:06c'était l'apparence de l'impartialité.
02:08Parce que si je ne crois pas que le juge est impartial,
02:10si je crois que le juge est biaisé,
02:12si je crois que le juge a des orientations politiques
02:16et qu'il me juge au nom de considérations politiques,
02:18je cesse de croire dans l'état de droit.
02:20Et l'état de droit, le droit, au fond, c'est quand même une affaire de croyance.
02:24C'est parce que nous croyons que l'état de droit régit notre société,
02:27que nous pensons que le juge est impartial,
02:29que ça tient.
02:30Le jour où nous considérons que le Conseil constitutionnel n'est qu'un organe politique,
02:33que cet organe politique ne juge qu'en politique,
02:35et bien à ce moment-là, c'est l'ensemble du système qui tombe.
02:38Donc Richard Ferrand est trop proche d'Emmanuel Macron ?
02:40C'est ça le problème, le vrai argument ?
02:42Il apparaît comme trop proche dans un contexte,
02:44parce qu'il y a des arguments structuraux et conjoncturaux,
02:47dans un contexte où on n'a jamais eu autant de remise en cause de l'état de droit.
02:51Parce qu'on va vous dire, François Hollande avait choisi Laurent Fabius,
02:54Jacques Chirac avait choisi Jean-Louis Debré,
02:56en fait, ça s'est toujours passé comme ça ?
02:58Alors ça s'est toujours passé comme ça, oui et non.
03:00C'est-à-dire que le CV de Fabius, Fabius était quand même plus distant vis-à-vis de François Hollande,
03:04Ennard, etc.
03:05Jean-Louis Debré, vous avez quelqu'un qui est docteur en droit et qui est magistrat.
03:11Par ailleurs, l'autre aspect, c'est qu'encore une fois, la période a changé.
03:13Aujourd'hui, on est en crise politique.
03:15Et donc, on interprète la constitution.
03:17Le volet constitutionnel de cette crise politique, c'est quoi ?
03:19C'est que, par exemple, en matière de réforme des retraites, la dernière fois,
03:22on a eu une procédure complètement tirée par les cheveux,
03:25dont la constitutionnalité n'était pas évidente.
03:27Ces derniers mois, on a dû apprécier qu'est-ce que pouvait faire un gouvernement démissionnaire.
03:32Bref, le droit constitutionnel n'a jamais été aussi tiraillé et sujet à interprétation.
03:37Demain, on a une QPC qui peut toucher Marine Le Pen.
03:41Question prioritaire de constitutionnalité.
03:43Un tas de constitutionnalité qui peut engager son inéligibilité à titre provisoire ou pas.
03:49Le conseil constitutionnel, on rappelle, risque d'avoir à se prononcer
03:52sur la possible condamnation de Marine Le Pen.
03:56C'est ça.
03:57Et donc, si c'est Richard Ferrand, ça risque d'être différent, c'est ce que vous nous dites ?
04:01Si c'est Richard Ferrand, ça ne sera peut-être pas différent.
04:03Mais que dira Marine Le Pen si jamais le conseil constitutionnel ne vient pas à son secours ?
04:08Cette décision n'est pas prise en droit.
04:10Cette décision est une décision politique.
04:12Vous me réinviterez peut-être et je vous démontrerai le fait que ce n'est pas politique
04:15et que c'est juridiquement fondé, mais une grande partie de l'opinion n'y croira pas.
04:19Souvenez-vous de ce qui s'est passé il y a quelques mois aux Etats-Unis,
04:22quand Trump était face au juge.
04:24On n'a jamais eu autant de fragilité sur l'état de droit.
04:26Si le juge n'apparaît pas totalement impartial, le risque est qu'in fine,
04:30on veuille jeter l'état de droit avec l'eau du bain.
04:32Donc, ce que vous nous dites, Benjamin Morel, finalement,
04:34ce n'est pas tant l'homme qui est en cause, mais vraiment le contexte politique.
04:38Est-ce qu'il faudrait, comme certains le demandent,
04:40revoir le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel ?
04:43Oui, probablement.
04:45Alors déjà, les anciens présidents qui siègent au Conseil constitutionnel,
04:48c'est aujourd'hui un problème.
04:49Il faut bien comprendre le contexte qui était celui de la création du Conseil constitutionnel.
04:53On ne voulait pas en faire un juge, gardien des libertés fondamentales.
04:55On voulait en faire simplement un gardien du Parlement, un garde-enfant.
05:00Les parlementaires sont considérés en 1958 comme des gosses,
05:02et donc on va leur mettre un juge qui va contrôler leurs règlements,
05:06contrôler les lois, pour qu'ils ne jouent pas contre l'exécutif.
05:08C'est pour ça qu'on les appelle les sages.
05:10C'est pour ça qu'on les appelait également les chiens de garde de l'exécutif,
05:13et le propos n'est pas de moi, mais de Michel Debré.
05:15Donc, on a tout de même, là, ici, un juge dont les modes de nomination n'ont pas évolué,
05:22mais dont, en revanche, les compétences ont fondamentalement changé.
05:28Et donc, dans ce cadre-là, il ne faut pas nommer que des juges ou des profs de droit.
05:33Mais, regardez ce qui se passe aujourd'hui pour Richard Ferrand.
05:35On a besoin d'une majorité qualifiée négative des trois cinquièmes des parlementaires,
05:40des deux commissions, pour retoquer une nomination.
05:44En Allemagne, il vous faut une majorité qualifiée pour.
05:48En d'autres termes, en France, il faut vraiment que vous fassiez l'unanimité contre vous pour ne pas être nommé,
05:53ce qui fait qu'on peut nommer des personnalités très discutables.
05:55C'est arrivé deux fois sur une nomination présidentielle,
05:58enfin, une fois, plutôt, avec Boris Ravignon à la tête de l'ADEME, il y a deux ans.
06:02Alors qu'en Allemagne, j'ai besoin d'une personnalité beaucoup plus consensuelle,
06:07qui est l'aval de l'opposition, pour être nommé.
06:10Résultat, je n'ai peut-être pas que des profs de droit qui pourraient rentrer au Conseil constitutionnel,
06:14mais j'aurai des personnalités qui feraient autorité.
06:16Et l'important, encore une fois, c'est l'apparence de l'impartialité,
06:19donc c'est le sentiment d'autorité qu'impose une nomination.
06:22Plus globalement, et c'est d'ailleurs la question que vous posez dans ce nouveau livre,
06:27est-ce que vous pensez qu'il faut modifier notre constitution ?
06:30La question, par exemple, de la proportionnelle.
06:32On sait que François Bayrou en avait reparlé dans son discours de politique générale,
06:36et franchement, quand on voit la crise politique dans laquelle on est englué,
06:40j'allais dire, depuis plusieurs mois, est-ce que c'est vraiment le moment de se relancer là-dedans ?
06:43Alors, d'abord, la proportionnelle, ce n'est pas dans la constitution.
06:47Donc c'est assez facile à modifier, c'est simplement une loi ordinaire.
06:50Et ça pourrait permettre de fondamentalement changer le régime.
06:53Ensuite, il n'y a jamais de bon moment pour faire une révision institutionnelle,
06:56parce qu'il y a toujours d'autres priorités.
06:58Néanmoins, vous n'avez pas une politique qui marche bien
07:02si vous n'avez pas des institutions qui fonctionnent bien.
07:05Et donc, avant de penser à faire une nouvelle loi sur les retraites, sur l'immigration, sur je ne sais quoi,
07:09il faut une stabilité institutionnelle.
07:11La proportionnelle, c'est un mode de scrutin tellement terrible
07:15que toute l'Europe aujourd'hui est à la proportionnelle, sauf nous et les Britanniques.
07:19Mais c'est vraiment un problème d'institution ou c'est un problème, j'allais dire, de classe politique,
07:23de culture de notre classe politique qui ne sait pas faire de compromis,
07:27qui ne sait pas faire de coalition ?
07:29Ce n'est pas un problème de culture politique.
07:31L'argument de la culture politique, c'est un argument qui conduit à ne rien faire.
07:34Quand vous discutez de culture politique, on vous dit
07:36non, mais notre culture politique ne pousse pas au compromis.
07:38Regardez dans les majorités précédentes.
07:40On n'a jamais fait d'alliance, on n'a jamais fait de coalition.
07:43Alors d'abord, c'est fou, il y avait des coalitions de la guerre entre l'UDF et l'URPR,
07:46il y avait des coalitions entre le PS et le PC.
07:48Et il y a quelques années, en 2007 par exemple,
07:51est-ce que vraiment il aurait été opportun pour l'UMP de dire
07:53au PS, on va faire une coalition ?
07:55Non, chacun avait une majorité absolue.
07:57Le problème, si vous voulez, aujourd'hui, il est double.
07:59Avec notre mode de scrutin, on n'a pas forcément des majorités absolues.
08:02On a l'impression que le scrutin majoritaire à deux tours, ça donne forcément des majorités.
08:05Ça n'en a jamais donné dans ce pays avant 1962,
08:07alors que c'est un mode de scrutin qui date de la Troisième République.
08:11En revanche, ça fige votre système électoral.
08:13Regardez actuellement les socialistes.
08:15Les socialistes ont toutes les peines du monde à s'émanciper du nouveau front populaire.
08:19Pourquoi ? Parce qu'en fait, ils ont été élus sur une alliance des gauches
08:24qui fait que la configuration électorale qui les a portés au palais Bourbon,
08:29si elle se modifie, les met tous sur un siège électable.
08:32Donc là, vous voyez que le mode de scrutin empêche de construire des alliances post-électorales,
08:37ce qui permet de faire la proportionnelle.
08:39Le problème, ce n'est pas un problème de culture, c'est un problème de structure.
08:42Et si vous ne changez pas les structures, vous pouvez moraliser la vie politique,
08:45dire non, mais vraiment, ils ne sont pas sérieux, etc.
08:47Vous pouvez tenter de l'essentialiser par la culture,
08:50mais vous ne réglerez pas les problèmes fondamentaux qui sont ceux de l'ingouvernabilité.
08:55Le Nouveau Régime ou l'impossible parlementarisme.
08:58Votre livre Benjamin Morel sera aujourd'hui publié.