Manon Garcia a suivi, jour après jour, les audiences du procès de Dominique Pelicot et de ses 50 co-accusés. Elle partage le fruit de sa réflexion dans un livre passionnant, "Vivre avec les hommes", aux éditions Flammarion. Entretien.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00Le grand entretien ce dimanche avec Marion Lourds, une invitée exceptionnelle.
00:04Ce matin, elle est philosophe, spécialiste des questions féministes, des concepts de
00:10soumission, de consentement notamment.
00:12Elle a suivi de très près, jour après jour, le procès des viols de Mazan et elle partage
00:19ses réflexions dans un livre.
00:21Le titre, « Vivre avec les hommes », c'est un livre passionnant, puissant, qui est aussi
00:27un livre personnel et un livre de combat sur un procès qu'on a qualifié d'historique.
00:33On lui demandera pourquoi, puisque paradoxalement, un procès ne suffira peut-être jamais.
00:39Ce sont les mots qu'elle emploie.
00:40Vos questions, chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application Radio France.
00:47Bonjour Manon Garcia.
00:48Bonjour.
00:49Et bienvenue.
00:50« Vivre avec les hommes », ça vient de paraître aux éditions Climat.
00:53C'est un livre qui nous parle à nous tous.
00:56J'aimerais qu'on parle de cette expérience que vous avez faite, des concepts que vous
01:02avez pu mettre à l'épreuve du réel et de ce qui se passait dans cette cour de justice.
01:08Mais d'abord, le titre « Peut-on vivre avec les hommes ? », c'est une question qui nous
01:12a été posée à tous, qui s'est posée à la société, que vous vous êtes posée
01:17à vous-même au moment des procès des viols de Mazan.
01:20Vous la posez et vous ajoutez à quel prix ? Pourquoi ?
01:24C'est intéressant parce qu'au final, je me pose cette question, peut-on vivre avec
01:31les hommes ? Parce que quand je vais au procès de Mazan, je me mets à avoir ce moment un
01:36peu paranoïaque au fond, de me dire, à chaque fois que je croise des types, de me dire est-ce
01:42que lui, il viole sa femme dans son sommeil ? J'ai une espèce de lucidité comme ça
01:47très grande sur les violences sexuelles.
01:49De lucidité ou de suspicion ?
01:52Justement, en fait, sur le moment, je pense que c'est de la suspicion et au final, je
01:56me dis, en fait, je suis assez lucide parce que c'était très tentant au moment du procès
02:02et moi-même, j'ai eu ce sentiment-là de se dire, bon, c'est un peu exceptionnel.
02:06C'est exceptionnel par son ampleur, 51 accusés, des centaines de viols, c'est exceptionnel.
02:15Et en même temps, la dernière semaine du procès, il y a des journalistes allemands,
02:22des journalistes d'investigation qui sont rentrés dans une boucle Telegram de 70 000
02:27hommes qui s'échangent des recettes de soumissions chimiques et qui postent des photos de comment
02:32ils violent leur compagne, etc.
02:34Et donc, tout d'un coup, il y a eu vraiment un effet d'explosion de se dire, en fait,
02:38Dominique Pellicot, il y en a partout.
02:40Simplement, tout le monde n'est pas aussi voyeur et pervers que Dominique Pellicot,
02:43on ne catalogue pas tous les trucs comme ça et donc, peut-être, on ne le sait jamais.
02:47Il y a peut-être des Dominique Pellicot partout, il y a en tout cas une Gisèle Pellicot et
02:53vous lui rendez hommage et vous rendez hommage à son courage absolument exceptionnel.
02:57On a dit, et ça a été quasiment un lieu commun, que ce procès était historique.
03:02Vous reprenez le mot, mais j'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi ce procès montre
03:06que les procès ne suffiront jamais.
03:09Il y a ce que vous disiez à l'instant, combien y a-t-il d'hommes en France prêts à violer
03:13une femme inconsciente si l'occasion se présente ? Mais pourquoi est-ce que ce procès, il est
03:18historique au sens où il laisse quelque chose d'insatisfaisant ?
03:23Alors, ce qui est intéressant, c'est que le procès pénal doit être individuel.
03:29Et donc, on doit s'intéresser à cet homme-là ou à ces hommes-là, regarder leur vie, tout
03:34ce qui pourrait expliquer qu'ils en soient arrivés là, est-ce qu'ils vont être dangereux,
03:38comment il faut choisir la peine, etc.
03:40Et nous, ce qu'on veut, au fond, ce que tout le monde espérait dans ce procès, c'est
03:45qu'on fasse le procès, je ne sais pas, de ce qu'on a pu appeler la culture du viol,
03:49ou du patriarcat, ou de la domination masculine, je ne sais pas.
03:53Mais ce n'est pas possible, ce n'est pas à ça que sert un procès pénal.
03:57Et moi, je trouve que c'est très bien que le procès pénal ne serve pas à ça, mais
04:01du coup, ça veut dire que ce n'est pas par le procès pénal qu'on va s'en sortir.
04:05Et par ailleurs, comme je le disais, avec cet effet d'échelle, si Dominique Pellicot
04:11trouve 70 hommes dans un rayon de 25 kilomètres de chez lui qui sont prêts à venir le jour
04:15même, ça veut dire qu'il y a plein plein de types qui sont prêts à y aller.
04:19Donc faire un procès à chaque fois, c'est essayer de vider l'océan avec une petite cuillère.
04:24Il vous a marqué ce procès, vous écrivez d'ailleurs « j'ai du mal à vivre normalement
04:28» et vous a tellement marqué que vous ne pouvez plus écouter certaines chansons que
04:32vous aimiez.
04:33Vous avez cette phrase assez incroyable qui vous obsède après le procès, c'est « il
04:37faut absolument que je me débrouille pour ne pas être violée ». Pour vous, il y a
04:41vraiment un avant et un après, même si c'est le procès de 51 hommes et pas le procès de
04:46la culture du viol ?
04:47Oui, pour moi, personnellement, il y a un avant et un après parce qu'il y a une différence
04:52entre lire des textes dans des bibliothèques, ce que je fais beaucoup et en écrire, et
04:57se retrouver confrontée à une salle d'audience, à ce que c'est que ce qu'on a appelé la
05:02victimation secondaire, c'est-à-dire ce que les victimes traversent pendant un procès
05:06pénal.
05:07Je veux dire, Gisèle Pellicot, comme je dis dans le livre, c'est la victime idéale.
05:13Elle est parfaite, elle est gentille, elle ne boit pas, elle ne fait pas d'excès, elle
05:18a eu très peu d'hommes dans sa vie, elle est blanche, elle est vieille, donc les gens
05:22se disent qu'elle ne peut pas l'avoir cherchée, etc.
05:26Et pour autant, elle se fait rouler dessus dans le procès, et elle a des vidéos.
05:31C'est-à-dire qu'on met en cause le fait que peut-être qu'elle était consentante,
05:34qu'elle jouait à un jeu, etc.
05:35Qu'elle était exhibitionniste.
05:36Je veux dire, le nombre de gens avec qui vous pouvez parler du procès qui disent « Enfin
05:40quand même, elle devait bien savoir ». Moi, je les ai vues, les vidéos, elles ne savaient
05:44pas.
05:45Il n'y a aucun doute là-dessus.
05:46Je veux dire, quand vous voyez une vidéo, ce soupçon-là, il disparaît.
05:51Et justement, vous racontez quand vous avez vu votre première vidéo, des larmes.
05:54Vous avez pleuré.
05:56J'ai pleuré.
05:57Et comme je raconte, c'était intéressant, parce que le photojournaliste à côté de
06:01moi, qui était très sympa, il me dit « Oh, mais c'est ta première ! ». Et en fait,
06:06je voyais qu'ils sont tous passés par là.
06:08Tous les journalistes, hommes, femmes, etc.
06:10La première vidéo, ça les a choqués, détruits, c'est vraiment… Et puis en fait, c'est
06:20tellement triste.
06:21Parce que c'est ça qui est intéressant aussi, c'est tellement toujours la même
06:24chose.
06:26C'est tellement sordide qu'on finit par s'y habituer un peu dans la noirceur.
06:32Avant d'aborder les concepts et les réflexions, il y a cette approche des vidéos qui concerne
06:39deux chapitres absolument bouleversants dans le livre.
06:42Je vous cite « Depuis que je suis arrivé, j'ai l'impression qu'on ne parle que
06:46de ça.
06:47Les vidéos.
06:48On s'inquiète que des gens viennent assister aux débats uniquement pour les voir.
06:52Un jour, vous allez à l'audience et on vous prévient « Ah, il n'y a pas grand
06:56monde aujourd'hui, mais parce qu'il n'y aura pas de vidéos ». Et comment décrire
07:00les vidéos justement avec des mots qui en traduisent l'horreur ? Au fond, la question
07:04des vidéos, elle vous a conduit à poser cette question terrible.
07:08Comment écrire Mazan ? Comment tout simplement raconter Mazan sans tomber rapidement dans
07:15la pornographie, sans tomber dans des choses laides, trop laides et qui ne rendent pas
07:23justice justement à Gisèle Pellicot ?
07:25Oui, effectivement.
07:26Et ma question, c'est de comment faire en sorte que ce ne soit pas excitant, en fait.
07:33Parce qu'on se rend compte, et moi, c'était mon travail…
07:36Retranscrire l'horreur sans faire envie, c'est votre phrase.
07:39C'est-à-dire de comment construire un vocabulaire qui ne soit ni un vocabulaire médical ni
07:45un vocabulaire érotique.
07:47Et c'est vraiment une question dans le procès.
07:51Le juge, au début, il parlait de caresse et puis on lui dit « ben non, mais on ne
07:55peut pas dire caresse ». Alors il dit « quand avez-vous posé les mains sur Gisèle Pellicot
07:59? ». Il y a toute une question.
08:01Est-ce qu'on peut parler de fellation ou est-ce que c'est des pénétrations de la
08:04bouche ? Enfin, tous ces trucs-là, c'est extrêmement intéressant de se dire comment
08:09on décrit des actes sexuels en rendant compte du fait qu'ils sont sexuels, mais sans les
08:15rendre excitants.
08:16Et hier, on recevait Neige Sinaud, justement, qui est citée dans votre livre et qui se
08:22demande comment nommer, comment qualifier ceux qui ont commis le viol, comment raconter
08:26justement ces vidéos.
08:28Elle se demande, c'est quoi exactement un monstre si ce n'est pas un être totalement
08:31hors norme, qu'on ne peut pas le comprendre, qu'il ne peut pas se comprendre lui-même.
08:35Et vous, vous vous affrontez à cette impossibilité de comprendre.
08:40Vous voulez comprendre, Manon Garcia ?
08:42Ah oui, moi je veux vraiment comprendre et je trouve que ce n'est pas du tout satisfaisant
08:47pour le coup, l'explication qu'on obtient dans le procès pénal.
08:50C'est-à-dire que les experts psychiatres, au mieux ils nous disent, alors sur les complices
08:55de Dominique Pellicot, ils n'ont en fait rien à nous dire, ils nous disent que c'est
08:59des types normaux.
09:00Alors c'est un peu inquiétant, parce qu'on se dit, si vous n'avez rien à dire, ils
09:04nous disent non, non, il n'a pas un profil d'agresseur sexuel, c'est pas pathologique,
09:09il n'est pas malade, très bien, bon, très bien, mais à un moment, bon, premièrement
09:14on sait que si ça avait été des femmes accusées, on aurait trouvé plein de choses
09:17qui n'allaient pas chez elles, mais surtout, on a envie de dire, bon, il faudrait quand
09:22même que des gens qui aiment à ce point-là le viol, on trouve un problème chez eux,
09:27que ce soit un problème.
09:28Est-ce que ça ne veut pas dire que la psychiatrie considère qu'au fond, ça fait partie du
09:32fait d'être un homme que d'aimer, comme dit Dominique Pellicot, le mode viol ? Mais
09:36même sur Dominique Pellicot, au fond… Ou l'explication par la testostérone que
09:40vous mettez en pièce, par exemple, la testostérone chez les hommes influe sur leur psychologie.
09:46Ça me fait rire cette histoire de la testostérone, parce que je trouve que les gens ne vont pas
09:50au bout de leur raisonnement.
09:52Si on pense vraiment… Et là, c'est pas un lieu commun, c'est une scientifique d'Harvard
09:56que vous citez en plus.
09:57Oui, oui, bien sûr, mais il y a vraiment plein de gens qui disent, bon, ben voilà,
10:00au fond, si les hommes commettent des crimes, surtout entre 15 et 35 ans, c'est parce
10:04que c'est leur pic de testostérone.
10:06Mais alors moi, je dis, si c'est aussi simple que ça, je veux dire, les femmes prennent
10:11la pilule, pourquoi les hommes ne prennent pas des inhibiteurs de testostérone ? Jusqu'à
10:15ce qu'ils puissent nous dire, non, mais en fait, maintenant, je me contrôle bien,
10:18on peut arrêter les inhibiteurs de testostérone.
10:20Ça coûte beaucoup moins cher que des tribunaux, que des commissariats, si c'était aussi
10:25simple que ça.
10:26Mais en fait, personne ne croit, personne ne croit sérieusement qu'il suffirait de
10:29donner des petites pilules à tous les hommes de France pour qu'il n'y ait plus de crimes.
10:34Donc, en clair, c'est construit par la société.
10:36D'ailleurs, si on schématise, en fait, il y a deux analyses sur ce procès.
10:39Il y a celle qui évoque, effectivement, vous le disiez, la monstruosité de Dominique
10:42Pellicot, la situation hors normes, etc., qui est défendue par Sylvia Nagazinsky, par
10:46Elisabeth Roudinesco, etc.
10:48Et celle qui met en cause le système patriarcal dans son ensemble, ça, c'est plutôt votre
10:53analyse.
10:54Et reflète ça, ce procès, c'est-à-dire la construction sociale d'une femme soumise
10:59et d'un homme dominant ?
11:00Oui, absolument.
11:01Et en même temps, je pense quand même que Dominique Pellicot est un monstre.
11:05Mais je pense que c'est, et là-dessus, c'est pour ça que je trouve Nechtino extrêmement
11:10fine, c'est qu'il faut pouvoir dire ensemble que c'est un monstre, mais pas une exception.
11:18C'est-à-dire qu'un monstre, c'est quand même quelqu'un qui fait des trucs, des choses
11:21monstrueuses.
11:22C'est un monstre ou un homme, Manon Garcia ? Parce que ça, c'est une question qui est
11:25un paradoxe dans votre livre « Vous ne tranchez pas ». Vous parlez de la banalité, du mal
11:30M A, accent circonflexe, L E, et vous dites « j'ai honte de faire un jeu de mots alors
11:36que je parle d'un sujet aussi grave et en référence à Anna Arendt ». Mais il faut
11:39choisir, est-ce que c'est un monstre ou un homme ?
11:43Je pense que Dominique Pellicot, il est quand même particulier et qu'on commence à penser
11:47qu'il était aussi serial killer et tout ça, c'est quand même, c'est au moins un monstre
11:52et un homme.
11:53Après, les 50 autres, c'est sûr que c'est pas des monstres, c'est sûr que c'est des
11:58types normaux.
11:59Et d'ailleurs, je raconte ça dans le début du livre, quand j'arrive au procès, nous
12:04on attend pendant des heures à l'entrée pour pouvoir rentrer dans la salle du public
12:08et tout.
12:09Et puis je vois des types qui arrivent, qui ont l'air tout à fait normaux et qui coupent
12:12la file.
12:13Et je me dis, ils ne sont pas gênés quand même.
12:15Oui, ils exagèrent.
12:16Et finalement, je comprends que ce sont les violeurs de Gisèle Pellicot, ça tue.
12:21Alors justement, il y a ces hommes qui ont violé Gisèle Pellicot et puis il y a les
12:26avocats qui les ont défendus et cette relation très intime, très forte et parfois qui vous
12:32a révoltés.
12:33C'est une question qui est posée par de nombreux auditeurs.
12:37Bonjour Philippe.
12:38Oui, bonjour.
12:39Et bienvenue dans le Grand Entretien de France Inter avec Manon Garcia.
12:42Je vous remercie beaucoup.
12:44Je voulais lui poser une question toute simple, c'est quel est son regard sur ces femmes
12:53avocates qui ont pris la défense des hommes inculpés avec parfois des arguments assez limites ?
13:01Merci Philippe pour votre question.
13:03Oui, alors je suis d'accord, il y a des femmes avocates qui ont...
13:08Et je peux élargir aux hommes avocats également.
13:10Mais justement, j'ai trouvé que ce procès était très intéressant parce qu'il a montré
13:15que l'on pouvait défendre des « salauds » sans s'essuyer les pieds sur le dos des victimes.
13:23Comme Maître Zavarro.
13:24Voilà, Maître Zavarro et d'autres, notamment avocates de ce procès, ont essayé de défendre
13:31leurs clients de manière honnête, de vraiment mouiller le maillot pour les défendre mais
13:37sans tenir des propos absolument atroces, etc.
13:41A l'inverse, il y a des hommes avocats et certaines femmes avocates qui ont défendu
13:46leurs clients en plus en disant des choses, d'une part en disant des choses abjectes et
13:51en plus en disant des choses que vraiment il ou elle ne pensait pas.
13:54Je pense à une avocate en particulier que moi j'ai entendu plaider et que j'ai entendu
13:58cinq minutes après dire aux policiers « Oh là là, il est vraiment, mon client il est
14:03hyper dangereux, j'espère qu'il ne sortira jamais ».
14:06Alors qu'elle le décrivait comme normal devant, à la barre.
14:10Vous citez aussi un avocat qui décrit son client, alors pour minimiser peut-être ou
14:14expliquer son comportement de violeur, il a le QI d'un vibromasseur vendu chez Lidl
14:21par exemple.
14:22Oui, d'un vibromasseur ou du nandive vendu chez Lidl.
14:25Oui, alors ça, ça a été un des axes de défense qui consistait à humilier les clients
14:31pour dire « c'est vraiment des gros débiles ». Et il y a eu un effet de classe comme
14:35ça dans le procès, de dire en particulier les avocats et avocates des plus défavorisés,
14:45des accusés, de les faire passer pour des gros débiles et de dire « c'est parce
14:48que c'est des gros débiles qu'ils n'ont pas très bien compris », etc.
14:51Alors que vous montrez justement qu'il n'y a absolument pas de frontière de classe
14:57ni de frontière en termes d'éducation et que quoi de commun entre tous ces hommes
15:02malgré tout très différents ? C'est le fait que ce sont des hommes.
15:06Alors il y a les viols et puis il y a cette question qui nous avait peut-être un peu
15:09échappée au moment du procès et qui ressurgit avec la plainte de Caroline Darrian, la fille
15:14de Gisèle Pellicot, contre son père, c'est l'aspect de l'inceste qui est évoqué
15:18notamment par Catherine sur l'application France Inter qui dénonce cette société
15:22qui fait si peu de cas de la violence subie par les plus vulnérables, nos enfants.
15:26En fait, vous dites, l'inceste il est partout, il est présent dans la famille Pellicot,
15:30il est subi par certains accusés, il y a un continuum de violence.
15:34Oui, et ça en effet, je pense que c'est un des aspects très importants de ce procès
15:39et qui résonne très fort avec le procès Le Squarnec qu'on voit maintenant, où en
15:43fait on comprend que dans la famille Le Squarnec, il y avait aussi de l'inceste absolument
15:47partout et qu'au fond, encore une fois, le procès pénal a du mal, le procès pénal
15:57a du mal à dire quelque chose de l'inceste à cause de son caractère systémique.
16:01Question à la philosophe, petite abécédaire en deux phrases.
16:06Manon Garcia, le boulot est difficile, mais ce sont des expressions qui se sont imposées
16:09dans l'espace public avec l'occasion du procédé viol de Mazan.
16:13Culture du viol, vous dites que c'est une expression que vous n'aimez pas, vous en préférez
16:17une autre.
16:18Échafaudage culturel du viol, pourquoi ?
16:20Parce que je trouve que c'est plus précis, mais ça c'est mon côté universitaire.
16:24Ce que j'aime dans l'idée de Nicolas Gaivy d'échafaudage culturel du viol, c'est qu'elle
16:29nous montre que le viol est permis par des mythes de la société et qu'il nourrit ces
16:37mythes.
16:38Cette idée d'échafaudage, ça montre vraiment comment c'est co-construit et elle dit qu'il
16:42y a trois mythes.
16:43Il y a le mythe que les hommes veulent du sexe, les femmes ne veulent pas de sexe et
16:46le sexe, c'est du sexe hétérosexuel.
16:48C'est des scripts sexuels, c'est comme ça que vous appelez ça ?
16:50Patriarcat.
16:51Patriarcat, c'est l'organisation de la société autour d'une hiérarchie entre les hommes
16:58et les femmes et de l'idée que les hommes sont faits pour être au-dessus des femmes.
17:03Vous reprenez des mots, on a parlé des monstres, mais il y a la question de la pathologie,
17:10le normal et le pathologique.
17:12Oui, parce qu'évidemment c'est une question qu'on pose aux experts psychologues et aux
17:16experts psychiatres, est-ce qu'ils sont normaux ces types-là ? Mais qu'il y a aussi toute
17:20une question dans le procès de « qu'est-ce qu'une sexualité normale ? » que moi je
17:23trouve fascinante.
17:24C'est-à-dire qu'au fond, le juge, qui est quelqu'un d'assez conservateur, on le voit,
17:33et par ailleurs un très bon juge, il pense un peu que regarder des films pornos c'est
17:39déjà pathologique, qu'aller sur des apps de rencontre c'est déjà pathologique et
17:43qu'il a l'air de trouver qu'au fond, entre Hinge ou Tinder et Coco, c'est à peu près
17:49la même chose.
17:50Donc le site sur lequel allait Dominique Pellicot pour recruter ces violeurs.
17:53Il y a aussi une incapacité, à mon avis, à poser la bonne frontière entre le normal
17:59et le pathologique.
18:00Vous dites que le livre c'est un point de départ pour penser le changement, vous l'avez
18:05dit dans un entretien récemment, vous parlez de ces scripts sexuels, en clair les normes
18:09qui régissent, non-dites, non-écrites, qui régissent notre sexualité.
18:12Il faut les changer, si on vous comprend bien ces normes.
18:17Par quoi ça peut passer ? Vous ne le dites pas dans le livre, est-ce que ça peut être
18:21par exemple cette éducation à la vie affective et sexuelle qui va être proposée aux enfants
18:24à partir de la rentrée 2025 ? Ça passe par l'éducation, ça passe par quoi ?
18:27Ah oui, c'est sûr que ça passe par l'éducation.
18:30Je pense que je ne comprends pas du tout cette résistance à ces nouvelles…
18:37Ça fait polémique.
18:38Oui, cette polémique parce que c'est la meilleure façon quand même de lutter et
18:43contre l'inceste et contre ces scripts sexuels trop conservateurs, trop sexistes, etc.
18:51Mais en fait, c'est beaucoup plus large que ça.
18:53Déjà parce que, moi je suis désolée, mais je n'ai pas envie de me dire que c'est
18:56que les garçons qui ont 5 ans aujourd'hui qui vont devenir des types sympas, que c'est
19:01foutu pour nous.
19:02Moi j'aimerais bien que ce ne soit pas foutu pour nous.
19:04Et donc, il y a quelque chose de l'ordre de l'éducation, de la société dans son ensemble.
19:09Oui, mais à vous lire, on a l'impression qu'on ne peut plus pratiquer la sexualité
19:12comme avant, comme avant ce procès-là, qu'il marque une rupture en ce sens-là, qu'il
19:16y a en tout cas des gestes, des pratiques sexuelles, qui sont quasiment à bannir.
19:24Je le dis bien, je ne sais pas si je vais trop loin.
19:26Je ne sais pas si c'est des gestes qui sont à bannir, mais je pense que c'est le fait
19:31de ne pas les interroger.
19:32Moi, je ne suis pas du tout là pour dire aux gens comment il faut qu'ils aient des
19:36rapports sexuels les uns avec les autres.
19:37Non, mais vous vous interrogez en l'occurrence sur l'appellation, sur des BDSM.
19:42Parce qu'on voit des choses dans le procès, on comprend qu'il y a des mécanismes d'inégalité
19:50et de sexualité qui fonctionnent ensemble.
19:52Mais encore une fois, je pense que c'est très important de se souvenir que nos désirs
19:56sexuels, c'est la dernière chose à changer.
19:58C'est la dernière chose qui change.
20:00C'est beaucoup plus facile de changer l'égalité salariale, l'égalité de droit, même l'égalité
20:06des tâches domestiques, etc. avant de réussir à, ce que j'appelle de mes vœux moi, érotiser
20:11l'égalité.
20:12C'est le truc le plus dur d'érotiser l'égalité.
20:14Et parce que vous dites, votre livre s'appelle « Vivre avec les hommes ». Hier, on avait
20:17donc Neige Sinaud, l'écrivaine, qui parlait dans La Réalidade d'une communauté de femmes
20:23qui organisait un événement où elles vivaient sans les hommes.
20:25Ce n'est pas ça l'issue ?
20:26Alors moi, je pense qu'en tout cas, on ne va pas pouvoir vivre complètement sans
20:31les hommes.
20:32Ne serait-ce que parce que, comme je dis, on les aime, nous, les hommes.
20:35La non-mixité, ce n'est pas la solution ?
20:37Alors, je pense que la non-mixité est une solution pour certaines personnes, mais je
20:42veux dire, il ne s'agit pas de tuer les hommes et moi, j'aime beaucoup d'hommes,
20:47pas tous les hommes.
20:48Il faut beaucoup aimer les hommes, beaucoup, beaucoup, beaucoup les aimer pour les aimer.
20:53Sans cela, ce n'est pas possible, on ne peut pas les supporter.
20:57C'est une phrase géniale de Marguerite Duras que vous discutez et que vous remettez
21:01en cause au fil du livre.
21:03Mais Alain Souchon, « Regarder sous les jupes des filles », vous avez du mal à écouter
21:08la chanson aujourd'hui ?
21:09Oui, mais c'est compliqué pour moi.
21:11J'ai grandi avec cette chanson que j'aime tellement et tout ça.
21:14Et en même temps, au fond, Dominique Frélico…
21:16Pareil pour Rare Kelly, pareil pour Rubens…
21:18C'est comme ça qu'il a été pris.
21:19C'est comme ça qu'il a été pris.
21:21C'est en regardant « Sous les jupes des filles » et à un moment, comment c'est
21:23possible qu'on ait trouvé que, voilà, cette chanson qui nous dit au fond, tout ce
21:27que les types, ils veulent, c'est pouvoir regarder « Sous les jupes des filles »,
21:30« Ah ah, c'est une vérité absolue ». Pardon, mais c'est vrai, c'est vraiment ça qui intéresse
21:35les hommes dans la vie, juste regarder « Sous les jupes des filles ». Moi, j'aimerais
21:38bien que ça les intéresse plus de discuter avec nous, de vivre avec nous, de nous aimer,
21:43que de regarder « Sous nos jupes ».
21:44Que reste-t-il de nos amours ? C'est l'un des chapitres de fin.
21:47C'est absolument passionnant en tout cas.
21:49Et je recommande chaleureusement la lecture de « Vivre avec les hommes » Manon Garcia.
21:53Vos réflexions sur le procès Pellicot, elles nous concernent tous, absolument tous,
21:58c'est publié aux éditions Climat et je signale que tout à l'heure, après la matinale,
22:03il y aura un magazine Interception consacré à une notion sur laquelle vous avez écrit
22:08et que vous connaissez particulièrement bien, celle de consentement.
22:11Merci et très bonne journée Manon Garcia.