Aujourd'hui dans le grand entretien, Ali Baddou et Marion L'Hour reçoivent Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, biologiste spécialisé en mycologie, auteur de “Nature et préjugés. Convier l’humanité dans l’histoire naturelle” (Actes Sud)
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
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00:00 Et un grand entretien ce matin avec Marion Lourds, nous avons le bonheur de recevoir Ulysse !
00:05 Vous allez comprendre pourquoi, un scientifique biologiste spécialiste mondialement reconnu des seuls professeurs
00:13 au muséum d'histoire naturelle, à l'université de Gdansk en Pologne, à Kunming en Chine,
00:18 et il publie un livre qui est une odyssée au cœur de la nature, un livre qui est celui de nos retrouvailles avec la nature
00:26 pour retisser des relations rompues. Ces mots sont entre guillemets et ils sont signés par l'académicien Éric Orsenna dans sa préface.
00:36 Si vous voulez intervenir, vous posez vos questions sur la nature et les préjugés, chers auditeurs.
00:42 Le 01 45 24 7000, vous connaissez le numéro du Standard ou l'application France Inter.
00:49 Le sous-titre de ce livre "Nature et préjugés" "Convier l'humanité dans l'histoire naturelle".
00:55 C'est un essai passionnant, on va essayer de le suivre et de comprendre.
01:00 S'il faut revoir nos idées reçues, nous inviter à regarder le vivant et la nature autrement.
01:07 Ça vient de paraître aux éditions Actes Sud. Bonjour Marc-André Selos.
01:11 Bonjour.
01:12 Et bienvenue. Ça fait maintenant des années que vous consacrez des cours, des conférences contre les idées reçues.
01:19 Vous pratiquez la biologie à coups de marteau, j'allais le dire un peu rapidement, mais contre des idées reçues.
01:28 Exemple, la nature est bien faite. Exemple, les plantes sont intelligentes.
01:32 Exemple, l'humain est le seul animal qui produit des déchets.
01:37 D'où viennent nos préjugés ? Est-ce que c'est parce qu'on a déconnecté nos vies de la nature ?
01:42 Il y a juste un chiffre frappant que vous donnez.
01:45 En 2022, pour la plupart des citadins, les humains vivaient en moyenne à 9 km d'une zone naturelle.
01:52 Et cette distance, elle ne cesse de croître. 9 km d'une zone naturelle.
01:57 Et la distance, elle augmente de 640 mètres par an. Que dit cette information ?
02:04 Alors c'est 16 km pour la France. Et ça dit qu'effectivement, on est découplé géographiquement.
02:10 Et puis en plus, en termes de formation, on croit souvent que les fondamentaux...
02:12 On avait écrit avec Eric Orsenat d'ailleurs là-dessus, c'est lire et créer et compter,
02:15 mais en réalité il y a des jours où vous ne faites pas ça, ces jours-là vous vivez,
02:19 vous avez une vie sexuelle, vous respirez, vous mangez, vous faites des déchets,
02:23 vous consommez, ce qui implique des choses dans les écosystèmes où sont produites les choses que vous consommez.
02:28 En réalité, le fait essentiel c'est que nous vivons, mais ça s'est construit.
02:32 Notre vie est construite sur des vagues d'idées reçues,
02:35 des choses qui nous viennent de l'histoire, plus que les choses que nous insistons en termes de temps d'enseignement
02:41 et qui emploient la science que nous avons payée, qui emploient la biologie ou l'écologie
02:46 et les connaissances les plus modernes.
02:48 - Alors prenons un exemple justement, un exemple qui est...
02:51 Où l'un de ceux qui ouvrent le livre, c'est le printemps, on y est,
02:56 les insectes bruisent autour des fleurs, on y est parfois avec la disparition des insectes,
03:01 c'est un peu compliqué mais disons que... - Ils bruisent un peu moins en ce moment, oui.
03:03 - Oui, les abeilles butinent le nectar d'une fleur et vont y déposer leur pollen en retour,
03:10 mais vous répondez qu'il suffit de prendre une fleur de sauge pour voir que ce n'est pas toujours le cas,
03:15 son nectar est dérobé sans pollinisation.
03:19 L'idée que la nature est bien faite, c'est vraiment une idée reçue et une idée fausse.
03:24 - Ecoutez, si vous pensez que la nature est bien faite alors que vous allez perdre vos parents,
03:27 ou que pire, ils risquent de perdre leurs enfants avant la fin de leur vie, là, ça paraît bizarre.
03:32 Non, en fait, on est victime du syndrome de Stockholm, on n'a que cette nature, on n'a que cette vie.
03:37 Le syndrome de Stockholm, c'est quand les otages commencent à aimer les preneurs d'otages, à s'attacher à eux.
03:42 On n'a que cette vie, donc on trouve qu'elle est bien faite, mais en fait, non, la nature est faite de ceux qui survient,
03:48 c'est la loi de l'évolution. Et dans ceux qui survivent, il y a des choses prodigieuses, évidemment.
03:52 C'est vrai qu'une fleur, c'est une sorte de structure d'accueil des insectes, ça marche prodigieusement.
03:57 En plus, chez la sauge, quand l'insecte rentre pour butiner, les étamines viennent délicatement lui tâtonner l'abdomen
04:03 pour lui déposer du pollen dessus, c'est super bien fait !
04:06 - Les dessins d'Arnaud Raffelian d'ailleurs sont magnifiques et on comprend mieux ce que vous dites lorsqu'on a le livre sous les yeux.
04:13 Donc, il faut préférer une autre formule que le meilleur gagne.
04:16 - Et bien voilà, en fait, ce qui se passe, c'est qu'il se dit que ce qui est adapté,
04:19 et ce fameux super dispositif où le pollen est déposé sur l'abdomen de l'insecte,
04:24 c'est juste qu'en fait, l'insecte, il n'est pas là pour déplacer du pollen, il est là pour manger.
04:29 Et donc, il y en a par exemple qui rentrent par le côté, qui déchirent le tube de la fleur
04:35 dans lequel est le nectar, ils déchirent ça de côté, ils ne prennent pas de pollen et ils laissent la fleur complètement inutilisable par les suivants.
04:41 En réalité, dans l'évolution, il survit ce qui fait des descendants, fusso-pris, pensez au coronavirus,
04:48 fusso-pris d'abîmer ce qu'il y a autour. Et donc nous, on doit piloter là-dedans, sans naïveté.
04:54 Ça ne veut pas dire que la nature n'est pas belle, ça c'est dans notre oeil.
04:57 Et il s'échappe de montrer plein de fois où elle est belle, mais ce qui est surtout important,
05:02 c'est de la piloter dans sa réalité pour ne pas la prendre dans la gueule à un moment parce qu'on n'a pas vu venir des chocs.
05:08 Et puisque vous nous parlez du Covid, Marc-André Solos, il y a une autre idée reçue que vous battez en brèche,
05:13 c'est vivre et être autonome. Notre santé dépend aussi de celle des autres êtres vivants, de la nature autour de nous,
05:19 c'est ce qu'on comprend très bien en lisant votre livre. Et donc, on pense à cette pandémie de Covid,
05:23 à l'hypothèse, une des hypothèses privilégiées encore sur son origine, qui est la transmission de l'animal à l'homme.
05:29 Et vous écrivez aussi à un autre moment du livre « à tout moment peut apparaître, je vous cite,
05:34 une ch'touille microbienne capable de décimer 9/10 de l'humanité, on peut avoir un nouveau Covid demain ».
05:39 Oui, on est entouré d'un monde qui évolue biologiquement. On a une arme qui est notre évolution culturelle.
05:45 On peut faire des vaccins, faire des masques, bon, on n'est pas désarmé face à ça.
05:49 Mais il faut bien voir que de fait, la nature peut être annonciatrice de mauvaises nouvelles.
05:55 On voit quand même que par rapport aux années 50, on a 10 fois plus d'émergences par unité de temps par année, par exemple.
06:02 On a 10 fois plus d'émergences de maladies nouvelles pour l'homme.
06:05 Pourquoi ?
06:06 Parce qu'en fait, d'abord, nous avons des contacts plus appuyés avec des écosystèmes où nous n'étions pas forcément présents.
06:11 Deuxièmement, les maladies, elles font comme nous, elles prennent l'avion, elles prennent le bateau.
06:15 On a une explosion d'un facteur 1000 par rapport aux années 70.
06:18 Des échanges de fret, par exemple, ça, c'est des avenues pour les maladies.
06:23 Alors, il ne faut pas se ruiner non plus.
06:26 Ce livre n'est pas qu'une mauvaise nouvelle.
06:28 Si on reprend la pâte dont est fait le monde vivant, si on comprend un peu cette notice du monde vivant qui a émergé des connaissances scientifiques et qu'on n'avait pas au départ.
06:38 Cette notice nous promet aussi que ce monde vivant est un outil extraordinairement puissant pour résoudre des problèmes de santé, des problèmes de confort au quotidien, des problèmes alimentaires, des problèmes agricoles, par exemple.
06:48 Il y a un moment où j'explique à quoi ça sert une haie. Une haie, ça sert à utiliser moins de pesticides.
06:53 Voilà, ça fait 88% de bioagresseurs en moins dans les cultures.
06:57 Donc, à un moment, il y a aussi une boîte à outils positive à trouver dans les sciences du vivant et les liens de l'homme à la nature.
07:05 Et d'ailleurs, vous parlez même du réfrigérateur. On va y revenir dans un instant, mais on va filer au standard.
07:09 Retrouvez Jean-Philippe. Jean-Philippe qui est dans un endroit merveilleux. Bonjour et bienvenue sur Inter.
07:14 Oui, bonjour France Inter. Bonjour M. Celos. Effectivement, je suis dans un lieu merveilleux dans la baie du Mont-Saint-Michel.
07:20 Je regarde les échasses blanches qui viennent d'arriver à Cheruet.
07:24 Quelle chance !
07:25 Oui, effectivement. M. Celos, j'avais une question pour vous concernant le glyphosate.
07:30 On entend tout et son contraire sur ses effets.
07:34 Je voulais savoir, vous qui êtes un spécialiste de la vie des sols, si le glyphosate est un danger pour la vie des sols.
07:40 Les vers de terre, les bactéries, les champignons, tout ça.
07:43 Merci Jean-Philippe et bonne balade. Réponse ?
07:46 Bonne balade en Bretagne, puisque le Mont-Saint-Michel est en Bretagne.
07:50 C'est un breton qui vous le dit. Plus sérieusement.
07:53 Une bretonne qui rit d'ailleurs.
07:54 Alors on est deux à le croire.
07:55 Oui, mais il faut le croire.
07:57 Pour être plus sérieux, le glyphosate, c'est une question aiguë.
08:02 C'est pas bon du tout pour les vers de terre.
08:04 C'est pas bon du tout pour les champignons sur lesquels travaillent mes équipes de recherche
08:07 qui sont des auxiliaires de la nutrition des plantes, qui aident les plantes à extraire des nutriments du sol.
08:12 Bon, il n'y a pas photo.
08:15 Et puis pour l'homme, on a quand même cancer hygiène probable d'après l'Inserm,
08:18 cancer hygiène probable d'après l'Agence Européenne sur le Cancer.
08:21 Et l'EFSA qui a dit que ce n'était pas très grave pour l'homme, dit quand même,
08:25 et qui en gros n'étudie que les avis des industriels,
08:28 elle étudie les tests industriels, pas les résultats scientifiques.
08:30 Donc elle se passe de 95% des données.
08:32 Mais elle dit quand même, certains usages à long terme ne sont pas bons,
08:35 ne sont pas compatibles avec les mammifères.
08:39 Heureusement qu'on n'est pas les mammifères.
08:41 Bon, donc ce que je veux dire c'est qu'il n'y a pas de doute, le glyphosate va falloir en sortir.
08:44 Mais aujourd'hui en France, on a des agriculteurs qui ont inventé une agriculture non labourée,
08:48 où du coup pour détruire la végétation au moment de faire les semis,
08:52 comme ils ne labourent plus, ils ont besoin du glyphosate.
08:55 Et comme le labour est pire que le glyphosate, c'est dur à entendre,
08:58 mais l'action mécanique de l'achat est pire que le glyphosate,
09:01 et bien finalement cette forme d'agriculture n'est pas parfaite.
09:04 Mais en utilisant du glyphosate, elle permet de redresser la vie du sol de 25% en biomasse.
09:09 Demain, il faudra que cette agriculture-là...
09:11 - Traduction ?
09:12 - Bah ça veut dire qu'il y a 25% en gros d'êtres vivants en plus,
09:14 bactéries, champignons et verres de terre, parce que le labour c'est pire.
09:18 Donc il faut sortir du glyphosate, mais il faut avant tout maintenir ces formes d'agriculture
09:22 qu'on appelle l'agriculture de conservation,
09:24 qui permettent de stopper l'érosion du sol,
09:27 et de redresser déjà un peu la vie du sol, en ne labourant plus, au prix du glyphosate.
09:32 Mais une fois de plus, il faudra sortir du glyphosate, mais pas en vrac,
09:36 c'est-à-dire en maintenant ces formes qui respectent la vie des sols,
09:40 parce que la vie des sols, cette question est vraiment intéressante.
09:42 Bah c'est nous !
09:43 C'est une de nos dépendances au monde extérieur.
09:45 "Excusez-moi, mais votre phosphore, votre calcium, votre potassium, mon azote, ils viennent d'où ?"
09:51 Ils viennent du sol !
09:52 C'est-à-dire que quand on met des saloperies dans le sol, on se les prend dans la tête.
09:56 C'est-à-dire qu'on finit par avoir des pesticides ou des métaux lourds dans notre assiette
09:59 si on a mis n'importe quoi dans les sols.
10:00 Les sols, c'est nous !
10:01 Et leur maintien est une question vitale.
10:04 "Nous produisons des déchets, mais nous ne sommes pas les seuls."
10:06 Pourquoi est-ce que cette question est fondamentale ?
10:08 Respirez un instant là !
10:10 Je ne vous conseille pas de le faire si près de la bonnette, vous risqueriez d'attraper pas mal de bactéries.
10:16 Bon, je le dis en souriant.
10:18 Pour l'instant, ça va.
10:20 Cet air que vous respirez, cet oxygène dont vous avez vitalement besoin, c'est un déchet de plantes.
10:26 C'est une forme d'urine gazeuse des plantes.
10:28 C'est un déchet que les plantes font pendant la photosynthèse,
10:30 et elles les mettent sous forme gazeuse parce que du coup, ça passe dans l'air,
10:33 et les problèmes s'échappent tout de suite.
10:35 En fait, tous les organismes font des déchets.
10:37 Vivre, c'est faire des déchets.
10:39 En commençant par son cadavre, le nid qu'un oiseau abandonne, de l'urine.
10:44 Alors, il y a deux sortes de déchets.
10:46 Il y a les déchets canal historique, qui peuvent être réutilisés.
10:49 Par exemple, quand je fais de l'urine, cette urine contient 4 grammes d'azote par litre, 0,7 grammes de phosphore par litre.
10:55 C'est de l'engrais !
10:57 Et ça, c'est une de nos reconnections au monde qu'il faut qu'on retrouve.
10:59 C'est où est-ce qu'on fait pipi ?
11:01 Comment on peut soulager l'agriculture de ses besoins d'engrais avec les restes humains ?
11:06 Donc, les déchets et canals historiques, ils ont trouvé utilisateurs parce qu'au cours de l'évolution, ils ont été utilisés.
11:13 L'oxygène, au début, n'était pas utilisé, c'était une catastrophe biologique.
11:16 Maintenant, il y a des gens comme nous qui l'utilisent, des êtres comme nous qui l'utilisent.
11:20 Par contre, les nouveaux déchets, ils n'ont pas encore d'utilisateurs.
11:22 Ils ne se décomposent pas, ils ne sont pas recyclés.
11:24 C'est par exemple les plastiques, ou les polements éternels.
11:27 Ils restent dans l'environnement et ils finissent par pénétrer en nous,
11:32 puisque nous sommes intriqués à l'environnement, parce que nous mangeons, parce que nous respirons.
11:36 C'est ainsi que vous mangez chaque semaine l'équivalent d'une carte bleue de microplastique,
11:40 de petits morceaux invisibles de plastique.
11:42 C'est ainsi que les polements éternels, les fameux fluoroalkylés, polluent la moitié des eaux.
11:47 Les pyphases, on va en parler justement.
11:49 Ils polluent la moitié des eaux de France et donc vous en avez en vous.
11:52 C'est ainsi que des polements comme le lindane.
11:54 Le lindane c'est un insecticide interdit en 1998.
11:57 La moitié d'entre nous, donc vous avez une chance sur deux en gros, en contiennent encore.
12:02 Et ça ce n'est pas bon, pourquoi ?
12:04 Un, parce que ça joue un perturbateur endocrinien.
12:06 Certaines de ces molécules imitent nos hormones et font fonctionner notre corps de travers.
12:11 Deuxièmement, certains sont cancérigènes.
12:13 Les cancers infantiles, c'est ceux des 0-20 ans,
12:18 les cancers pédiatriques comme on les appelle, ont augmenté de 40% dans ce pays en 50 ans.
12:22 Et ces cancers-là, ils signent la toxicité du milieu,
12:26 parce que ce n'est pas les cancers de l'âge qui sont ceux de vieillissement.
12:29 Voilà, la réalité c'est qu'on est en train de faire un monde
12:31 où nous avons moins de chances de vivre en bonne santé.
12:34 Et donc quand on parle de pollution de l'environnement,
12:36 quand on parle de ces déchets trop récents pour être recyclés,
12:40 on parle en fait non pas de l'environnement, c'est faux.
12:43 On parle de la santé des générations futures,
12:46 on parle de l'homme car il n'existe pas de différence entre l'homme et son environnement.
12:51 C'est ce que je claironne dans le livre.
12:53 Nature et société, c'est la même chose.
12:55 Humains, animaux, bactéries, tout ça c'est relié.
12:58 On se tient par la barbichette et nous on n'en est pas conscient,
13:01 donc on ne prend que des claques.
13:02 Et on parlait tout à l'heure du glyphosate,
13:04 là vous mentionnez l'épiphase dont vous parlez également dans votre livre.
13:08 A chaque fois on retrouve une espèce de tension entre le social et l'environnemental.
13:13 C'est-à-dire que si on supprime les glyphosates, le malaise agricole va être augmenté.
13:17 Si on supprime l'épiphase, les ouvriers de chez Tefal vont finir à la rue ou sur le carreau.
13:24 On a voté cette semaine à l'Assemblée une loi pour supprimer l'épiphase en France,
13:30 sauf dans les poêles Tefal.
13:31 Vous le voyez de quel œil ça ?
13:33 Je trouve que c'est dommage qu'on n'ait pas supprimé de l'endroit où ça rentre le plus facilement,
13:37 dans le tube digestif et de là dans notre organisme.
13:39 J'hallucine un petit peu des fois parce que, à l'échelle européenne,
13:44 l'ensemble des produits chimiques qui sont produits et toxiques pour nous
13:48 et qui auraient dû d'ailleurs être un peu réglementés par le règlement RICH,
13:52 qui devait être examiné par le Parlement européen, mais ça a été reporté.
13:56 En gros, c'est un marché de 20 à 3 milliards d'euros par an.
14:00 Les coûts de santé induits, ça c'est l'EFSA, cette fameuse agence qui a dit que le glyphosate n'était pas si grave.
14:05 C'est quand même pas une agence qui est susceptible d'être trop anti-chimique.
14:09 L'EFSA nous dit que les coûts de santé induits par ce marché qui est de 23 milliards d'euros par an
14:13 sont de 10 à 30 milliards d'euros par an.
14:15 Les coûts de santé, ça veut dire qu'il y a du fric sur la table potentiellement
14:19 pour aider à la conversion de ces industries et de ces emplois
14:23 vers les autres industries dont on aura besoin pour utiliser des leviers,
14:27 non pas chimiques, mais biologiques.
14:30 En 1962, Rachel Carson écrit "Le printemps silencieux",
14:33 un livre où elle dénonce les pesticides et où elle montre déjà qu'il y a des solutions alternatives.
14:37 Depuis, ce qu'on appelle l'agroécologie a multiplié des pratiques potentielles,
14:41 des connaissances qui permettent aujourd'hui de gérer les écosystèmes.
14:44 Non pas sans pesticides, mais avec moins de pesticides.
14:47 Mais on n'arrive pas à faire cette transition, parce que c'est vrai qu'au moment de la transition,
14:51 il faut mettre de l'argent sur la table, mais à terme, c'est moins coûteux,
14:54 parce que vous économisez les coûts de santé.
14:57 Et la misère humaine de la santé qui ne va pas, c'est encore une chose qui n'est pas quantifiable,
15:02 mais que moi, j'ai assez d'empathie pour l'homme pour ne pas souhaiter.
15:05 - Alors il y a évidemment des réactions à propos de ce que vous dites, notamment celle de Joseph,
15:11 qui est agriculteur, qui vous dit que le labour était, vous aviez dit que le labour était plus dangereux que le glyphosate.
15:17 Or, on utilise le labour depuis des milliers d'années, si c'était le cas, les sols seraient morts depuis longtemps.
15:22 - Eh bien, je vous prends au mot, en région méditerranéenne, quand vous visitez ces grandes cités antiques,
15:28 vous voyez autour des sols qui sont un peu caillouteux, vous vous dites "ah oui, les sols méditerranéens sont..."
15:33 On a vraiment construit ces villes ailleurs qu'au milieu de plaines aux sols gras et fertiles,
15:38 simplement 5 000 ans de labours, ça donne ça.
15:40 On sait très bien que sur quelques milliers d'années, les sols disparaissent.
15:44 Et si vous êtes agriculteur dans les Hauts-de-France, moi j'en rencontre très fréquemment,
15:48 en fait le labour aujourd'hui a provoqué une déstructuration des sols et une perte de matière organique
15:53 en dopant la respiration des bactéries qui elles survivent au labour,
15:56 eh bien vous avez des coulées de boue parce que les sols ne se tiennent plus,
16:00 la décomposition maintenant c'est par kilo, c'est par litre.
16:03 Non, il n'y a pas photo.
16:05 Et il y a, contrairement à ce que l'on dit, des agriculteurs qui ne labourent pas.
16:09 L'agriculture amérindienne par exemple, il n'y avait pas d'almonimaux de trait,
16:12 il n'y avait pas de fer donc il n'y avait pas de charrues,
16:14 ils ont bâti des cités entières sans jamais labourer.
16:19 L'agriculture c'est une des voies possibles et c'est une voie qui est rentable à court terme,
16:24 mais qui fait disparaître les sols à long terme.
16:26 Et une fois de plus, moi je suis à la disposition de cet auditeur pour en reparler,
16:30 parce qu'il y a des alternatives.
16:32 Aujourd'hui l'agriculture de conservation c'est 4% du territoire,
16:36 enfin de la surface agricole française,
16:38 ces sols-là ne s'érodent plus, la matière organique se reconstitue dedans.
16:42 Et vous savez quoi ?
16:43 Et bien comme il y a plus de vie, il y a plus de trous,
16:45 comme il y a plus de matière organique, il y a plus de rétention d'eau.
16:47 Entre ces trous et la rétention d'eau par la matière organique,
16:49 ces sols-là sont plus productifs dans nos étés secs,
16:52 parce qu'ils retiennent plus l'eau.
16:54 En fait, il y a des endroits où dorment de pures solutions,
16:57 et l'agriculture non labourée en est une,
16:59 notamment face aux changements climatiques.
17:01 Marc-André Solos, on entend dans vos propos l'utilité directe de la recherche,
17:06 et pourtant sur 10 milliards d'euros d'économie annoncés par le gouvernement,
17:10 c'est presque un milliard qui va être trouvé dans le secteur de la recherche.
17:14 Qu'est-ce que vous en pensez en tant que chercheur justement ?
17:17 Déjà l'utilité, juste une petite parenthèse,
17:20 dans mon livre il y a aussi des choses sur l'alimentation, le microbiote,
17:23 c'est quotidien les résultats de la recherche.
17:26 C'est un pas de nos vies.
17:27 Sur ce qui est à l'intérieur de nos organismes, vous y revenez au moins.
17:30 Oui, tous ces microbes qui… Bon, ça a des conséquences.
17:32 La recherche, surtout sur le vivant, elle nous touche parce qu'on est vivant.
17:37 Alors, la réduction des crédits de recherche,
17:40 ben, on n'a jamais été très riches,
17:43 et la France avait signé, dans un accord de Lisbonne je crois,
17:46 3% du PIB dans la recherche.
17:48 On est à moins de 2.
17:49 Alors, on est à un peu plus de 2 en comptant ce qu'on appelle le crédit impôt recherche,
17:52 qui est une remise d'impôts aux entreprises,
17:54 mais pour une recherche qui est assez peu disponible universellement.
17:57 Et moins de 200 du coup.
17:59 Donc, on est entre 2.4 et 2.7 selon les années.
18:02 Moi, je suis aussi professeur dans une université chinoise.
18:04 Vous allez me dire, mais qu'est-ce qu'il y a à foutre là-bas ?
18:06 Là-bas, c'est Robinet ouverts.
18:09 Là-bas, le pari de la Chine pour devenir un grand pays,
18:11 et en 20 ans, elle a fait des progrès que moi, je trouve absolument spectaculaires.
18:15 Je ne suis pas complètement admiratif du modèle chinois,
18:17 mais c'est de dire, recherche et formation, c'est ce qui fait un grand pays.
18:22 C'est ce qu'avait fait l'Allemagne au 19e siècle,
18:25 quand elle a unifié plein de tout petits pays qui étaient minables,
18:28 et qu'elle a voulu se hisser à la hauteur de la France et de l'Angleterre.
18:32 Et elle s'est tellement hissée à la hauteur de la France et de l'Angleterre
18:34 qu'elle a pu les affronter en 14-18.
18:36 Mais là, vous vous dites, notre pays négocie avec l'avenir un billet en 3e classe.
18:39 C'est fort quand même.
18:40 En fait, votre recherche, c'est votre industrie, votre innovation,
18:43 les choses que vous savez faire et que savent pas faire les autres à 30 ans.
18:45 Et donc, en fait, va vous acheter votre billet pour l'avenir avec la recherche.
18:49 Alors, on peut ne pas aimer ses enfants et s'en foutre complètement,
18:51 mais c'est vrai que nous, quand on voit ce qu'on investit,
18:53 et le fait que nos cerveaux fuient là-bas,
18:55 pourquoi moi je vais en Chine ?
18:57 C'est parce que je peux faire ce que je n'arrive pas à faire en France.
18:59 Eh bien, on est en train d'acheter effectivement un billet de 3e classe pour l'avenir.
19:02 Je sais qu'on manque d'argent,
19:04 mais est-ce qu'il faut sacrifier le long terme au court terme ?
19:08 Je pense que l'équilibre n'y est pas.
19:10 Quand on parle d'écosystème, on a souvent l'idée, bon, confuse,
19:15 d'une forêt par exemple, d'un étang ou d'un espace.
19:19 Et vous dites qu'il y a des écosystèmes internes.
19:22 Notre corps est un zoo peuplé d'infimes, de tout petits organismes d'amour.
19:28 Pourquoi est-ce que c'est si important de savoir étudier les microbiotes,
19:31 qui est l'un de vos sujets de prédilection ?
19:34 Écoutez, vous avez peut-être l'impression qu'on est trois dans le studio,
19:36 mais en fait, il y a probablement une dizaine de milliers d'espèces de bactéries
19:40 entre les vôtres et les miennes, qui peuplent notre peau,
19:43 nos boyaux, notre nez, nos oreilles.
19:45 Et ces microbes embarqués, qui sont aussi nombreux que nos cellules,
19:48 ils contribuent, pour eux, notre organisme, c'est là où ils mangent,
19:52 des restes de peau, des parties de notre alimentation.
19:55 Ils contribuent à régler ça.
19:57 Aujourd'hui, nos habitudes occidentales de vie,
20:01 qui sont très hygiénistes, ont réduit cette diversité d'un facteur 1,5 à 3.
20:05 Autant de cellules, de microbes, mais moins d'espèces.
20:07 Et c'est un des facteurs qui créent toutes ces maladies de la modernité.
20:10 Diabète, obésité, maladie de Crohn, burn-out, Alzheimer, syndrome autistique.
20:17 Parce qu'en fait, on finit par manquer des espèces qui contribuent
20:20 à régler finement notre fonctionnement.
20:23 Il y a d'autres causes à ces maladies.
20:25 Mais on rentre dans la zone où l'écroulement de biodiversité de ces organismes
20:29 commence à nous nuire, parce que nous sommes construits
20:33 sur ce que ces organismes font en nous.
20:35 Et nous sommes nous-mêmes un écosystème.
20:37 Il y en a à toutes les échelles.
20:39 Oui, et vous expliquez bien ce que c'est que le microbiote humain.
20:41 Je renvoie donc nos auditeurs à la lecture de "Nature est préjugée,
20:44 convier l'humanité dans l'histoire naturelle".
20:47 Marc-André Selos, merci infiniment d'avoir été l'invité d'affaire ce matin.
20:51 C'est publié chez Actesud.