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00:00avec Thomas Hill et avec votre invité ce matin Thomas vous recevez Marie Drucker pour son livre
00:05Nos cœurs déracinés qui vient de paraître aux éditions Grasset. Et alors dès quelques fois
00:09où on a pu se voir Marie Drucker, j'ai eu l'impression d'avoir devant moi une personne
00:13joyeuse mais très pudique voire un peu secrète et du coup la première question que je me suis
00:19posée en lisant ce livre qui n'est pas intime et qui est personnel c'est pourquoi avoir voulu
00:24vous plonger dans l'histoire de votre famille et surtout oser la publier ? Alors j'ai du mal
00:29très sincèrement à trouver la réponse à cette question. Ce qui est certain, je me l'ai
00:35supposée, j'en ai discuté avec ma mère par exemple et elle a répondu quelque chose qui me
00:44va. Elle me dit mais ça devait être une nécessité parce qu'effectivement je suis quelqu'un de plutôt
00:47très secret, de plutôt pudique. Je n'ai pas l'impression de l'être moins depuis ce livre.
00:54Il s'est imposé à moi, c'est certain. Il y a eu un mouvement que je n'ai pas cherché,
01:01que je n'ai pas réfléchi. C'est-à-dire qu'autant l'écriture évidemment est quelque chose de très
01:05intellectuel aussi mais la démarche elle-même ne l'a pas été. C'est-à-dire que ça a été simple
01:11à écrire, c'est ça ce que vous nous dites ? C'est toujours bizarre de dire simple à écrire ou c'est
01:16venu rapidement parce qu'on a l'air de dire qu'il y a une facilité. Vous voyez que je trouve que
01:21finalement écrire c'est facile. Non, écrire c'est pas facile et j'ai beaucoup trop d'admiration pour
01:25les auteurs pour même oser dire mais il est venu dans un laps de temps assez court et pas du tout
01:36facilement mais dans un mouvement assez naturel et assez fluide ce qui n'est pas tout à fait la
01:41même chose. Et il y a un paradoxe peut-être qui n'est pas une contradiction mais j'ai eu beaucoup
01:48de joie et de plaisir à l'écrire et finalement j'ai été moi-même percutée par mon texte et sa
01:55teneur après coup. Oui parce que vous racontez tout de même des choses assez tragiques. Alors
02:00vous retracez une partie de l'histoire de votre famille, la famille de votre mère originaire de
02:05l'ex-Union soviétique, celle de votre père d'Europe centrale, deux familles ashkénazes venues de deux
02:09endroits différents mais alors unies toutes les deux par leur amour, leur fascination même pour
02:15la France même si ensuite c'est en France qu'ils ont finalement été persécutés. Oui alors je
02:21précise aussi que ma grand-mère maternelle est à moitié algérienne mais je pense qu'elle a épousé,
02:30en épousant mon grand-père, elle a épousé son histoire aussi. Oui on pourrait inventer un mot,
02:36on pourrait dire son ashkénazie comme si c'était un pays en fait mais d'une certaine façon ça l'est
02:44un peu. On parle du Yiddishkeit, le mode de vie juif qui est très propre aux Juifs d'Europe de l'Est
02:52par exemple. Parenthèse refermée, oui et moi je le vis toujours avec ça, j'ai grandi avec ça. J'en
03:02parlais il n'y a pas longtemps avec ma mère, avec son frère, la France, l'amour de la France, les
03:08valeurs de la République, la laïcité, on a vraiment grandi et la régénération de ma mère et de ses
03:14frères et la mienne avec, et ça ça nous a été transmis par mes grands-parents c'est certain,
03:20cet amour de la France qui fait, si c'est aussi le sens de votre question Thomas, qu'ils étaient
03:27persécutés, on va résumer, ils étaient persécutés au début du 20e siècle dans leur pays d'origine,
03:31ils ont fait le choix de la France pour échapper aux persécutions, par choix aussi, par fascination
03:37pour ce pays d'Europe etc. et pour la sécurité que la France pouvait leur offrir. Ils ont également
03:44dû, étaient persécutés en France pour certains, étaient persécutés et dû se cacher pour d'autres
03:51et finalement, bon voilà, mon grand-père maternel n'a pas eu le même parcours pendant la guerre que
03:56mon grand-père paternel et malgré tout, alors que très très vite, beaucoup de Juifs en France ont
04:05décidé de tourner le dos à l'Europe une fois que cette période sombre, atroce serait terminée,
04:12moi mes grands-parents ont tenu bon et ont conservé leur amour et leur confiance en la France.
04:18Mais alors comme beaucoup, ils ne vous parlaient pas de la guerre, ils avaient chacun leur façon
04:22d'ailleurs d'être taiseux et en même temps quand vous écrivez ce que votre grand-père Abraham a vécu
04:27dans des camps, notamment celui de Drancy, bon on comprend aussi pourquoi il n'en a pas beaucoup
04:32parlé, il a servi comme médecin et il a vu des choses abominables sur place.
04:37Oui alors il faut dire que quand mon grand-père et moi, moi j'avais dix ans, donc je ne me posais pas à l'époque
04:43évidemment les questions que je me pose aujourd'hui, les questions sur l'identité, l'identité profonde
04:49aussi au sens de ce qui est transmis par les racines familiales, par les générations qui m'ont précédées, etc.
04:59Donc il y a eu plusieurs façons d'exprimer ou de ne pas exprimer, il y a ceux qui n'ont pas exprimé
05:05parce qu'on ne les aurait pas cru, d'ailleurs il faut se replacer aussi dans le contexte après-guerre,
05:10il y a encore beaucoup d'antisémitisme en France dans l'immédiate après-guerre, donc je pense qu'il
05:17fallait, c'est ce que je dis aussi sur mon grand-père paternel, il devait se reconstruire, reconstruire
05:22son identité, son identité d'homme, de juif, de père, de mari et tout simplement de vivant.
05:29Donc voilà et puis moi, petite fille, je n'ai pas beaucoup posé de questions non plus à ses grands-parents.
05:35Et puis ça faisait aussi partie de l'identité juive de vos grands-parents, il y avait une
05:40forme de culpabilité d'avoir survécu à l'horreur. Alors ça c'est une question que je pose plus
05:46globalement parce que beaucoup de juifs rescapés de la Shoah en ont beaucoup parlé, c'est quelque
05:53chose qui m'a toujours beaucoup intéressée, que je trouve aussi assez... Bon, de toute façon c'est
05:59une période d'effroi qui a eu des répercussions après, jusqu'à aujourd'hui évidemment,
06:07et je me suis toujours beaucoup interrogée sur ce qu'il y avait dans l'esprit et dans le
06:14cœur de ces hommes et ces femmes qui disaient la culpabilité d'avoir survécu alors que ma sœur,
06:19mon frère, mes parents, etc. n'ont pas survécu. Je trouve ça absolument bouleversant, ça fait
06:24partie de ces sentiments que l'on peut comprendre intellectuellement mais qu'on a du mal à toucher
06:28du doigt quand on ne les a pas vécus intimement. Et j'ai eu aussi envie d'explorer, sous forme
06:36de questions, ces dimensions-là. Et vous les abordez, ces questions, dans nos cœurs déracinés.
06:42Marie Drucker s'est publiée aux éditions Grasset, on va continuer à en parler et
06:46puis on va s'intéresser à une série italienne dans un instant avec Héloïse Gouin. A tout de suite.

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