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  • il y a 3 jours
TR - Lutte contre la désinformation et enjeu démocratique
Sylvain Louvet - "Lauréat prix Albert londres, Co-fondateur association Fake off Directeur de l'unité documentaire HBO-MAX"
Jean-Marie Charon - "Sociologue, auteur et chercheur CNRS -
EHESS dans le domaine de l'information et des médias"
Eva Morel - Secrétaire générale, QuotaClimat

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Transcription
00:00Merci à tous les trois. J'allais vous dire, chaque jour, en quelques chiffres, et puis je vais vous présenter évidemment dans un instant,
00:11sont plus de 4 milliards de contenus qui sont partagés et échangés sur les réseaux sociaux en mêlant, on va dire, sans distinction, un faux et un toxe.
00:18Alors la diffusion des fausses informations, ça ne date pas d'hier, on va dire, mais c'est vrai qu'avec le développement du net,
00:24on se trouve face à un phénomène de rapidité qui rend de plus en plus complexe l'efficacité des remparts face à ces sujets-là.
00:31Vous faisiez une allusion aussi en disant que ça ne datait pas d'hier, ce sujet de la sobriété.
00:35J'ai trouvé cette phrase du philosophe Erasme au XVIe siècle qui considérait que pour l'homme, le mensonge a 100 fois plus de prise sur lui que la vérité.
00:44Donc autant dire que le sujet est complexe. Merci beaucoup à tous les trois d'être là. Je vais vous présenter dans un premier temps, évidemment.
00:51Jean-Marie Charon, merci d'être avec nous. Sociologue, auteur et chercheur au CNRS, c'est l'école des hautes études et sens social.
00:58Vous suivez depuis longtemps le domaine de l'information et des médias. Vous voulez faire un petit complément à cette présentation ?
01:03Effectivement, c'est mon domaine de recherche depuis, je crois, presque 40 ans.
01:08Parfait. Alors en tout cas, ne soyez pas surpris aussi. Le micro n'a pas nécessairement un retour très fort,
01:12mais on nous entend très bien parce qu'il y a un son magnifique dans cet auditorium qui sert aussi à projeter des films.
01:17Donc autant que ça soit bien efficace. Eva Morel, merci beaucoup d'être avec nous.
01:21Secrétaire générale de Quota Climat. Alors j'allais vous dire, je vous suis de près, je suis ravie que vous soyez là.
01:26Peut-être pour ceux qui ne vous connaissent pas encore, présentez quand même Quota Climat parce que vous êtes d'utilité publique et générale, on peut dire.
01:33Depuis très récemment, oui. Bonjour à toutes et tous.
01:36Quota Climat, en quelques mots, c'est une association qui travaille sur l'amélioration du traitement médiatique des enjeux écologiques.
01:41On a été créé il y a trois ans avec le constat qu'il y avait un lien direct entre la prise de responsabilité des responsables politiques
01:48et la manière dont les médias les incitaient à se positionner sur ces questions.
01:52Et on travaille globalement sur la couverture à la fois quantitative mais aussi qualitative de ces enjeux et notamment sur la hausse de la désinformation.
02:00Et on va en parler évidemment largement. Et enfin, il fallait aussi avoir un journaliste, on va dire, sur ce plateau.
02:04Sylvain Louvet, merci d'être avec nous. Lauréat du prix Albert Londres. Alors vous me disiez en off que pour certains jeunes, le prix Albert Londres, ça ne veut rien dire.
02:13Mais en tout cas, félicitations, on peut le dire. Co-fondateur de FECOF. Vous allez expliquer dans un instant comment ça a été créé justement.
02:21Et vous allez, c'est imminent, devenir directeur de l'unité documentaire de HBO Max. FECOF, alors c'est venu, ça remonte à il y a dix ans.
02:30Charlie Hebdo. Oui, bonjour à toutes et tous. FECOF, c'est une association qui a été créée suite aux attentats de Charlie.
02:36En fait, avec une amie qui est youtubeuse. On était tous les deux, on travaillait dans une agence de presse qui était située sur le même palier que Charlie Hebdo.
02:42On a vécu les attentats de l'intérieur. On a assisté effectivement à ce jour qui était terrible.
02:48Et on a aussi vécu de l'intérieur les rumeurs qui ont suivi l'attentat avec, je pense que vous avez dû tous le voir,
02:54l'histoire des gilets pare-balles qu'on était au courant de l'attaque avant l'attaque, le fait que la vidéo qu'on avait prise sur le toit était falsifiée.
03:03Et quand en fait ces vidéos ont circulé et ces tweets, on s'est dit qu'il fallait que les journalistes prennent à bras le corps ce sujet de la lutte contre la désinformation.
03:10Et aujourd'hui, FECOF est devenue une association qui réunit 80 journalistes et qui forme 19 000 élèves par an en France, notamment dans les quartiers.
03:17Et vous allez évidemment nous détailler tout ça. Alors partir de quelques chiffres, c'est toujours bien. Je vais passer évidemment la parole à Jean-Marie Charon en premier.
03:24Le dernier baromètre via Voice sur l'utilité du journaliste qui a été affiché dans le cadre des assises du journaliste, c'était en mars dernier,
03:31disait quand même que 86% des répondants trouvent que le journalisme est un métier utile. On est plutôt rassuré de ce côté-là.
03:37Ça ne signifie pas une adhésion générale. En fait, il y a une confiance un petit peu partagée.
03:42Alors sur tous les sujets sport et culture, en général, on est autour de 80% de taux de confiance.
03:46Ça va beaucoup plus bas sur tous les sujets de vie politique. On est à 56%, d'économie 43%. Et alors la question climatique, on en est à 41%.
03:55C'est pour ça qu'Eva Morel, vous pourrez commenter. Jean-Marie Charon, alors ce souci, ça ne date pas d'hier, ce souci un peu de confiance.
04:02En quoi est-ce qu'elle est mise à mal ? On a l'impression qu'on est perdu un peu au niveau. On n'a plus de boussole, quoi, en fait. Un peu ça ?
04:08Oui, alors si vous voulez, il y a plusieurs aspects qui émergent. C'est vrai que vous disiez que ce n'est pas d'hier.
04:14Le baromètre qu'on a développé, alors ce n'est pas avec un autre organisme.
04:19À l'époque, c'était la Sofresse, en tant que revue, qui s'appelait Média Pouvoir, en partenariat avec La Croix.
04:25Ça existe toujours, ce fameux baromètre. C'est en 1987.
04:29Et on avait trois éléments qui apparaissaient assez vite.
04:32Le premier, c'est 50%. En gros, une personne sur deux pense que les choses ne se sont pas passées, comme le disent les médias.
04:38Voilà. C'est assez raide. À l'époque, ça nous a un peu soufflés.
04:43Deuxième aspect qui était extrêmement troublant, trois personnes sur quatre nous disent que les journalistes ne sont pas indépendants.
04:51Ils ne peuvent pas faire face aux pressions de l'argent. Ils ne peuvent pas faire face aux pressions du politique.
04:56Et puis le troisième volet, qui est le plus riche, en fait, quand on regarde année après année, c'est la discussion autour de la hiérarchie de l'information.
05:04Ça, on n'en a pas trop parlé. Ça, on l'a oublié, etc.
05:06Alors, on l'a oublié. C'est souvent, on a le réflexe, même en tant que journaliste, de se dire, tiens, on parlait de ça il y a trois jours.
05:12Mais c'est devenu quoi ? Enfin, c'est vrai qu'on est comme un hamster dans sa roue en permanence.
05:18Alors, ce qui est assez intéressant quand on rentre plutôt dans le qualitatif, c'est d'essayer de voir comment tout ça s'argumente.
05:24Le premier élément qu'il faut quand même toujours avoir en tête, c'est les questions de fiabilité.
05:29Les médias se trompent et les médias nous trompent. Souvent, ça s'associe.
05:33Pourquoi fiabilité ? Je pense que c'est aussi un changement de statut de l'information.
05:39On vient d'un monde où on nous dit que l'information, c'était la démocratie, le débat d'idées, etc.
05:44Pour la plupart d'entre nous, maintenant, l'information, c'est une ressource.
05:48Une ressource de la vie quotidienne pour élever ses enfants, pour s'orienter professionnellement, etc.
05:54Donc, quand les médias se trompent, effectivement, ils nous mettent en difficulté.
06:02Il y a un deuxième aspect, évidemment, qu'il faut toujours avoir quand on va dans les séminaires sur ces sujets-là.
06:07C'est qu'on a affaire à un public qui a aussi changé.
06:09Beaucoup plus de gens sont experts de leur domaine.
06:11Ils ne sont pas experts de tout, mais ils sont experts de leur domaine.
06:14Les journalistes sont plutôt des généralistes.
06:16Ils ont de plus en plus en face d'eux des spécialistes d'un domaine.
06:19Et souvent, quand on vous dit « je doute de l'information aujourd'hui », c'est parce qu'on parle de sa propre expertise.
06:25Je suis prof, je suis profession du soin, etc.
06:29Et quand on parle de ce domaine-là, ça ne correspond pas à ce que je voulais.
06:32Deuxième aspect qu'il faut avoir à l'esprit, c'est qu'on ne parle pas bien des gens.
06:37On ne parle pas bien surtout des gens ordinaires.
06:40Et ça, la focalisation, c'est sur l'effet divers.
06:43Et c'est vrai qu'on a vu s'accélérer ce phénomène au fur et à mesure que l'effet divers occupait beaucoup de place.
06:49Vous savez, ça a été la grande transformation des télévisions.
06:52On est bien placés ici pour en parler.
06:54Et on a vu exploser l'effet divers dans les journaux télévisés, etc.
06:58Ensuite, c'est la course à l'audience, la surenchère concurrentielle.
07:05Et là, c'est vrai qu'aujourd'hui, ça prend une tonalité particulière.
07:08Les médias sont obsédés par les réseaux sociaux.
07:12C'est-à-dire qu'il y a le rythme des réseaux sociaux.
07:14Et c'est vrai que moi, quand j'ai fait mon enquête récemment sur les jeunes journalistes,
07:17ils nous disent qu'on a des hiérarchies qui sont obsédées par les réseaux sociaux.
07:22Et puis, il y a un dernier élément qu'il faut toujours avoir en tête.
07:25C'est, mais en plus, quand ils se trompent ou quand ça ne va pas, ils refusent la critique.
07:30Et ça, on y reviendra tout à l'heure sur les questions de transparence.
07:33Parce que ça, c'est quelque chose qui est toujours un domaine de crispation dès qu'on est en réunion autour de ces sujets-là.
07:38Mais pourquoi ne reconnaissent-ils pas leurs erreurs ? Pourquoi n'acceptent-ils pas la critique ?
07:42Et puis, c'est vrai qu'il y a un sujet qui est très omniprésent dans le débat public.
07:46Et là, j'ai du mal à situer ce fameux sujet sur la concentration.
07:50C'est vrai que quand on est dans des milieux très informés, assez politisés, etc., c'est tout de suite ce qui va ressortir.
07:56Les problèmes de concentration, les médias appartiennent à quelques milliardaires.
08:00Mais je ne crois pas que ce soit le moteur de la défiance pour le très grand public qui, en général, n'est pas aussi, je dirais, polarisé sur ces questions de propriété des médias.
08:11Oui, surtout qu'il y a médias et médias.
08:12Là, on parle typiquement d'audiovisuel en particulier.
08:15Il y a aussi de la presse écrite, des médias dédiés.
08:17Enfin, il y a beaucoup de choses aussi encore diverses et variées, même si l'indépendance d'un média est plus complexe.
08:22Sylvain Louvet, comment vous pouvez réagir, vous, en tant que journaliste, à ce qui a été dit par rapport notamment au développement des réseaux sociaux qui changent, par la force des choses, la façon de travailler les journalistes ?
08:33Oui, c'est évident.
08:34Alors, si vous avez, comme moi, plus de 40 ans, vous avez probablement dû connaître cette époque où on avait trois, quatre grandes chaînes de télévision, dont TF1, trois, quatre grands quotidiens de presse qui étaient souvent posés sur la table du salon.
08:45Quand le 20h arrivait, c'était un événement où on discutait de l'information en famille.
08:50Et donc, on avait, je pense, une des dernières générations à avoir une grammaire commune, un même système, un même réseau conceptuel pour comprendre le monde, donc le même système d'information.
09:00Et c'est vrai qu'avec l'arrivée des réseaux sociaux, tout a changé.
09:03Aujourd'hui, vous avez effectivement des milliers, voire des millions de créateurs de contenu qui produisent des lignes éditoriales différentes.
09:10Et ça nous a obligés, nous, les journalistes, à nous reconfigurer parce que finalement, ce qu'on oublie souvent, c'est que dans le terme réseau social, il y a social.
09:18Et social, c'est la sociabilisation, c'est-à-dire qu'aujourd'hui, le téléphone sert à tout sauf à téléphoner.
09:23Il sert à créer des interactions sociales.
09:25Et donc, ce que ça change, c'est que nous, notre métier doit maintenant être tourné vers l'engagement.
09:29C'est d'ailleurs, je travaille pour un média qui s'appelait Brut, que vous devez connaître, qui se revendique être un média conversationnel.
09:35C'est-à-dire que maintenant, quand on produit du contenu, on doit penser au multisupport et on doit en plus penser à l'engagement, au taux d'engagement qui est devenu une obsession pour les médias.
09:43Et puis, dernier changement, on a effectivement maintenant deux lignes qui cohabitent.
09:47C'est-à-dire qu'on a effectivement, d'un côté, les créateurs de contenu et de l'autre, les journalistes qui sont soumis à des règles, un code déontologique et des règles très, très strictes.
09:56Et des créateurs de contenu qui, eux, ont le droit de pouvoir diffuser une information parfois non vérifiée.
10:02Et donc, nous, en tant que journalistes, on essaye de lutter contre cette diffusion de fausses informations.
10:06C'est un peu David contre Goliath avec notre petite épée et puis de faire ce qu'on peut.
10:11Alors, on va voir. Et les solutions aussi que vous proposez, parce que l'idée, c'est de dresser un constat, mais de voir quels sont les leviers possibles pour lutter contre la désinformation.
10:20On en arrive au sujet écologique, évidemment, que vous suivez de près.
10:23Est-ce que vous voyez très nettement, ça ne va pas être une surprise, mais malheureusement, une accélération de la désinformation sur les sujets ?
10:30Oui, alors je pense qu'il faut commencer par dire qu'au-delà de la désinformation, il y a très peu d'informations qui circulent sur les questions environnementales.
10:36Et c'est vraiment le point de départ, puisque si on est confronté à la désinformation, mais qu'on n'a pas de connaissances préalables sur le sujet,
10:43ou qu'on ne s'est pas juste tout simplement positionné sur un sujet en ayant des croyances prédéterminées,
10:48on est beaucoup plus poreux à cette désinformation et vulnérable aux peurs que ça peut instrumentaliser derrière.
10:53Nous, ce qu'on a constaté, c'est d'une part que cette faible quantité d'informations environnementales,
10:58elle est d'une part systémique, mais elle est de plus en plus présente, enfin absente aujourd'hui.
11:03On voit avec l'Observatoire des médias sur l'écologie, qu'on a participé à lancer avec plusieurs associations,
11:09qu'en l'espace de un an, on a une baisse de 30% de la quantité d'informations environnementales,
11:14qui est d'une part concurrencée par des événements géopolitiques, politiques, qui sont très présents dans les médias,
11:19mais aussi parce qu'on voit tout simplement que la question environnementale est une variable d'ajustement
11:22dès qu'on a des sujets qui sont considérés comme plus chauds.
11:25Et le problème, c'est que la crise climatique l'est profondément et qu'on a du mal à la conceptualiser comme telle,
11:32parce que je rejoins ce qui a été dit sur l'incapacité à toucher le public au cœur de leur mode de vie,
11:37de ce qui les touche au plus près.
11:38Et la question environnementale, elle est souvent traitée dans les médias comme une question globalisante, très méta,
11:44alors qu'au final, ce qui compte vraiment, c'est de savoir ce qu'on pourrait faire dans son quotidien pour y remédier.
11:47Et donc, du fait de cette faible présence des questions environnementales dans les médias,
11:53la question de la désinformation, elle est en hausse.
11:55Alors là, on va sortir une étude dans trois jours, donc je ne pourrais pas donner les chiffres précis,
11:59mais vous pourrez suivre ça.
12:01Ce qu'on constate, c'est que tous les médias français, en réalité, ou presque, sont touchés dans l'audiovisuel.
12:06Et ce qui est de plus en plus préoccupant, c'est la question de la porosité politique et médiatique sur les questions environnementales,
12:11c'est-à-dire que, en fait, la désinformation, on pourrait penser qu'elle est de prime abord d'origine d'ingérences étrangères
12:19ou d'acteurs qui sont considérés comme des grands méchants.
12:23En réalité, la désinformation provient d'acteurs domestiques, qui sont des acteurs soit économiques ou politiques,
12:28qui ne sont pas insuffisamment confrontés aux propos fallacieux qui peuvent être tenus en direct.
12:33Et c'est lié, encore une fois, au fait que les journalistes soient peu préparés à traiter ces questions.
12:37C'est bien, c'est aussi l'un des problèmes qu'on va soulever, c'est la question de la formation des journalistes,
12:41puisqu'il n'y a pas, finalement, parfois, de répondants face à des allégations.
12:46C'est ça, c'est une question de formation et je pense que, enfin, je rejoins partiellement ce qu'elle dit sur la question de la concentration des médias.
12:51Je pense que c'est quand même une des grosses problématiques quand on parle de certains sujets qui sont peu traités,
12:56puisqu'il y a forcément des conflits qui se posent entre des grands actionnaires
13:00et puis la manière dont la ligne éditoriale de ces grands médias se positionne sur les questions environnementales.
13:04Mais au-delà de ça, il y a une question de complexité et d'approche scientifique à l'information
13:08qui est difficile à manier avec les questions environnementales
13:11puisqu'on parle à la fois de mode de vie, à la fois de sujets qui sont d'emblée un peu secs
13:16et puis aussi de questions qui sont profondément complexes d'un point de vue scientifique.
13:20Et en fait, on est à la croisée de chemins qui sont tous compliqués pour le journalisme
13:23et dans un moment où les réseaux sociaux concurrencent les médias traditionnels
13:27et nous, l'argument quand on se change avec les médias le plus fréquent,
13:30c'est qu'on ne va pas se tirer une balle supplémentaire dans le pied en parlant d'un sujet qui est compliqué
13:34alors que sur les réseaux sociaux, ce n'est pas du tout un sujet qui porte
13:37et que nous, on est dans une situation où, en fait, économiquement, c'est compliqué.
13:41Donc, en effet, je pense qu'il y a une conjonction de facteurs qui explique que ces questions soient peu traitées
13:45et qui se combinent à une volonté très... à une stratégie, en fait, déployée de manière explicite par certains acteurs
13:52d'effacer la distinction entre le vrai et le faux sur les questions les plus cristallisantes de notre société
13:58dont fait partie le climat.
13:59Alors, on est parti du constat. Heureusement, il y a encore du journalisme de solution,
14:03du journalisme à impact, même si, évidemment, ça a peut-être moins d'impact, c'est le cas de dire,
14:07que sur des médias qui ont plus de visibilité.
14:09On va essayer de voir un petit peu comment on peut lutter contre cette des informations
14:12parce que c'est un enjeu démocratique tel qu'indiqué dans le titre.
14:15Vous parliez de plus de transparence, Jean-Marie Charon, mais est-ce que l'exercice est facile ?
14:20Oui, alors, effectivement, dans la question de la transparence, déjà, on vient d'évoquer, par exemple,
14:26les fausses nouvelles, les erreurs, les complots qui sont véhiculés sur les réseaux sociaux
14:33mais qui, parfois, finissent par rentrer dans les rédactions.
14:37Je crois qu'il y a une erreur qui est en train de se dessiner, c'est autour de ce qu'on appelle le fact-checking.
14:43C'est-à-dire, les médias sont là pour donner des repères, indiquer ce qui serait vrai ou pas vrai.
14:53Et là, je crois qu'on est en train de... J'entendais hier que CMACGM vient d'investir, je crois, 100 millions d'euros sur l'IA
15:01et notamment pour faire du fact-checking.
15:04Pourquoi pas ? Mais je voudrais savoir exactement quel type de fact-checking.
15:08Ce qui est en train de se développer beaucoup dans les médias, c'est vrai, c'est faux.
15:12Ce n'est pas très intéressant.
15:14Le principe du fact-checking, c'est au contraire, de dire, voilà un problème que nous identifions en matière de traitement de l'information,
15:24voilà comment nous, médias, nous le traitons, voilà quelles sont nos sources et nous les mettons à votre disposition.
15:32C'est-à-dire, comment vous pouvez accéder à ces sources, comment vous pouvez enrichir, finalement, votre compréhension du problème
15:38et nous, on est là, effectivement, pour vous aider, c'est notre boulot, etc.
15:41Mais ça prend du temps à expliquer aussi, quand même, quelques temps, quelque part.
15:45Ça demande de l'expertise, ça demande, effectivement, ce n'est pas simplement lâcher un truc dans une information de flux, etc.
15:51Donc ça, je pense que c'est une première chose.
15:53La deuxième chose, c'est qu'effectivement, quand on fait un travail, je dirais, de terrain, sous forme de séminaire avec le grand public, etc.,
16:00on n'imagine pas à quel point les gens ont une vision faussée de la manière de travail d'une rédaction.
16:06Ils n'ont aucune idée, en fait, des contraintes, notamment la contrainte du temps, à quel point elle peut effectivement rendre fragile pendant toute une période ce qui va être annoncé.
16:18Et en même temps, l'impossibilité de retenir.
16:20Parce qu'on va vous dire, pourquoi vous le dites ?
16:22En même temps, sur certains événements, et beaucoup d'événements d'ailleurs, il est impossible de retenir et dire.
16:29Autrement, là, on entre aussi dans le complotisme.
16:31Vous le saviez, vous ne l'aviez pas dit.
16:33Autrement dit, il n'y a pas d'autre moyen de lutter contre ce phénomène que, d'un côté, ce qu'on appelle la transparence, expliquer ce qu'on fait,
16:42ce qu'on appelle parfois le making of, etc., et puis, au-delà, faire un travail d'éducation aux médias.
16:48Alors, l'éducation aux médias, ça ne se résume pas, effectivement, à une mission des médias.
16:53C'est l'éducation nationale, c'est tout un tas de domaines, c'est tout un secteur associatif qui, à mon avis, est un peu à la peine sur ce sujet-là.
17:01Mais c'est aussi le travail des rédactions.
17:03Je pense qu'elles ont aussi à expliquer de manière régulière, davantage, comment sont produits.
17:08Alors, on le fait parfois, mais quand c'est de l'information très sophistiquée, on était en Ukraine, c'était très dangereux, regardez comment on a travaillé, il faut le faire.
17:17Mais quand, effectivement, on est sur des informations qui sont plus techniques, plus scientifiques, etc., voire qui peuvent paraître très proches, comme la consommation, etc.,
17:26là aussi, il faut le faire.
17:27Et ça, ça va être moins, d'autant plus que, comme vous le disiez, les rédactions sont sous cette pression des réseaux sociaux,
17:36qui sont à un autre rythme, qui sont sur un niveau de superficialité qui est très différent.
17:41Alors, Sylvain Louvé, ça ne veut faire que réagir.
17:43Et puisque vous parliez d'éduquer, vous, à travers, justement, l'association FECOF, vous vous tournez aussi vers les plus jeunes.
17:48Vous les mettez en situation, justement, vous leur faites comprendre ce qu'est une rédaction, ce qu'est écrire un article, faire un sujet.
17:54Oui, alors déjà, je suis 100% d'accord avec ce que vous venez de dire.
17:56En fait, nous, au début, quand on a fondé FECOF, on arrivait en faisant du fact-checking, c'est-à-dire en faisant du débunkage pur,
18:02en disant, voilà notre travail, voilà qui on est, on va vous expliquer ce qui est vrai, ce qu'il faut à partir d'une information.
18:08Et en fait, on s'est rendu compte qu'on n'arrivait à convaincre personne.
18:10C'est-à-dire que ce que les gens attendent, les élèves et les adultes, c'est d'essayer de comprendre, ils se posent des questions.
18:15D'ailleurs, souvent, quand on utilise le mot complotiste, ça casse toute possibilité de débat et d'enseignement.
18:23En fait, souvent, les personnes qui souscrivent à des théories du complot sont des personnes qui se posent des vraies questions et ils ont besoin de réponses.
18:28Et donc, nous, ce qu'on fait, c'est effectivement, on fait de la co-construction.
18:31On essaye de leur apprendre comment un journaliste travaille sur le terrain en leur disant, vous avez peut-être la vérité.
18:38On l'a aussi peut-être, nous, de notre côté. En tout cas, on va l'éprouver ensemble sur le terrain.
18:42Et donc, on s'est aperçu qu'on avait les meilleurs résultats.
18:44Donc, par exemple, on a monté une action dans le 93 avec des classes qu'on a accompagnées pendant six mois.
18:50On les a fait travailler, notamment autour d'une rumeur d'enlèvement d'enfants par des Roms, par la communauté Roms, soi-disant dans des camionnettes blanches.
18:57Et on les a fait enquêter pendant six mois. On les a amenés dans des camps de Roms.
18:59On les a amenés à interviewer des historiens sur, justement, l'origine des préjugés communautaristes vis-à-vis de la communauté Roms.
19:06Mais en fait, on s'est aperçu que petit à petit, on arrivait à transformer leur regard et changer finalement leur vision du monde.
19:13Et puis, il y a une troisième voie par rapport à ce que vous disiez, qui est une nouvelle voie qu'on essaie d'expérimenter avec Aude, avec qui on a cofondé l'association.
19:20C'est effectivement, on a créé une rédaction collaborative. On est en train d'ailleurs de développer une application d'enquête collaborative qui va permettre aux journalistes et aux citoyens de travailler ensemble.
19:29C'est-à-dire que quand, par exemple, demain, vous avez un sujet qui vous tient à cœur, vous allez venir le faire avec nous.
19:35On a 1700 personnes qui enquêtent avec nous sur un réseau social qui s'appelle Discord.
19:39Et on va monter des enquêtes ensemble, ce qui a donné lieu à une série documentaire sur Arte qui s'appelle Citizen Fact, qui est accessible.
19:47Et vraiment, je vous invite à venir vous inscrire sur cette rédaction collaborative parce qu'on travaille ensemble et on fait de l'éducation aux médias, vraiment tous ensemble.
19:56C'est de créer, recréer le lien entre les citoyens, justement, et les médias, les journalistes à qui ils ne font pas nécessairement confiance.
20:02Et vous, Eva Morel, comment on peut faire aussi pour lutter contre cette désinformation, plutôt la préserver aussi l'information sur les sujets, peut-être protéger aussi les journalistes qui traitent de ces sujets ?
20:12Oui, je pense qu'il y a une distinction à faire entre les contenus qui sont purement des contenus de fact-checking.
20:17Qui sont, en effet, peut-être pas forcément la meilleure approche pour convaincre ou en tout cas pour toucher des publics différents.
20:23Et puis des contenus qui sont diffusés sur des larges audiences et qui sont des contenus qui sont faux.
20:28Et je prends deux exemples pour ne pas faire des discriminations entre concurrences.
20:32Mais je sais que TF1 diffuse régulièrement des contenus sur la voiture électrique qui sont, en fait, des contenus qui ne prennent pas en considération l'état des connaissances scientifiques.
20:41Ou, par exemple, France Info a récemment diffusé une émission où il y avait un représentant de Trump en France qui a expliqué que le réchauffement climatique n'était pas causé par l'homme.
20:50Quatre fois d'affilé.
20:51Donc, il a eu vraiment une large tribune sur une heure de grande audience.
20:54Il n'y a eu aucun correctif en live.
20:55Mais parfois, il y a des bonnes choses, quand même, sur ces médias-là.
20:59Non, mais je pense que c'est important de dire que ce n'est pas forcément parce qu'il y a des mauvaises choses que ça cache les bonnes pratiques.
21:05Et il y a vraiment, bien sûr, une volonté d'avancer.
21:08Mais en fait, ce type de contenu doit être pris avec une grande sévérité parce que c'est le terreau de la création d'un doute qui est...
21:14En fait, on part d'une démarche, on l'a dit, qui est très vertueuse de se poser des questions en permanence.
21:19Et je pense que c'est ce qu'on essaie de susciter chez le citoyen.
21:21Mais quand les repères de l'information et ces grands médias le sont, persistent à l'être, et je pense que c'est une très bonne chose,
21:27diffusent ce type d'informations fallacieuses, on perd de vue ce qui est un repère.
21:31Et c'est très dangereux pour notre société démocratique.
21:33Donc, ceci étant dit, bien sûr, il y a des très bonnes choses qui sont mises en œuvre dans un certain nombre de grands médias.
21:39Et je pense que le point le plus important, c'est de considérer que ces sujets sont des...
21:45Enfin, ces cas de désinformation sont des points de repère à partir duquel on crée des bonnes pratiques.
21:49Ça crée un sursaut. Et je pense que ces deux médias que je viens de citer l'ont très bien compris.
21:54C'est des pratiques qui sont ensuite retravaillées et qui ne se reproduisent plus.
21:57Il y a même des correctifs qui sont diffusés.
22:00Et ça, c'est des choses qui permettent aussi de créer de la confiance en admettant l'erreur
22:03et en se disant, en fait, cette erreur a eu lieu, elle n'aura plus lieu.
22:06Voici pourquoi. Et voici pourquoi on est sûr que sur certains éléments,
22:10en fait, on a des éléments scientifiques qui permettent de les expliquer de manière sans faille.
22:15Après, il y a la difficulté, mais on pourrait repartir dans le débat.
22:17Et je vois qu'il reste cinq minutes. C'est vrai aussi de dire, j'ai fait une erreur.
22:21C'est compliqué parce qu'après aussi, c'est ce que vous disiez,
22:23ça peut remettre en cause aussi la crédibilité du média en elle-même.
22:26Mais il ne faut pas hésiter à le faire, dans ce que vous dites. Je vous laisse terminer.
22:29Oui, tout à fait. Et donc, pour aussi répondre à l'autre partie de votre question,
22:33sur la question de la protection des journalistes,
22:34là, on a évoqué peut-être la partie critique citoyenne
22:37qui peut s'exercer vis-à-vis de l'information.
22:39Et il y a tout un autre pan. Et là, je reviens du Brésil,
22:41où il y avait un sommet mondial qui était organisé sur l'intégrité de l'information,
22:44sur le changement climatique, avec tous les acteurs qui travaillent
22:47à la protection du journalisme environnemental,
22:49dans un pays où les journalistes sont très menacés.
22:52Il y a vraiment des journalistes environnementaux en Amazonie qui sont tués.
22:55Il y a deux semaines, il y a un qui a été décapité.
22:57C'est tragique. Et donc, en fait, on se rend compte qu'on parle d'un sujet aussi
23:01qui est extrêmement dangereux, qui remet en cause des intérêts politiques et économiques
23:04qui sont très forts. Et je pense qu'il y a vraiment un enjeu aussi
23:08à revaloriser la profession, dans l'opinion, mais aussi sur certaines thématiques
23:12qui sont particulièrement vulnérables. Et dans un contexte français
23:16où, en fait, la profession de journalisme est aussi,
23:20enfin, ne fait pas forcément appel aux mêmes menaces,
23:22mais aussi profondément menacée, et dans un contexte européen
23:25où c'est de plus en plus le cas.
23:27Alors, si on voulait clore, parce que je pense qu'on pourrait en parler
23:29pendant très longtemps de ce sujet, parce qu'on voit qu'il est complexe
23:31et que ce n'est pas si simple que ça.
23:32Si on voulait se projeter un petit peu dans l'avenir des médias.
23:35Vous avez parlé aussi du rôle, quand même, que pouvaient jouer
23:37les jeunes journalistes. Vous les suivez de près aussi, Jean-Marie Charon ?
23:41Oui, j'enquête depuis plusieurs années sur eux.
23:44Et effectivement, la première observation, c'est qu'ils vous raviraient.
23:47Parce que, de fait, quand vous leur demandez
23:49quel est le sujet sur lequel vous avez envie de travailler,
23:53qu'est-ce qui vous a amené parfois, d'ailleurs, au journalisme ?
23:56D'abord, le changement climatique, d'abord les questions d'environnement, etc.
23:59Après, on a aussi des questions de genre, etc.
24:01Mais c'est à quelle... Déjà, première observation,
24:04ils ont une énorme motivation pour cela,
24:06de la même manière qu'ils ont une énorme anxiété
24:08à l'égard, effectivement, de l'avenir dans ce domaine.
24:11L'autre aspect qui est intéressant,
24:13mais qui est souvent, alors, en porte-à-faux
24:15avec la question des réseaux sociaux,
24:16le rythme de l'information, etc.,
24:18c'est qu'ils ont envie de travailler en ayant du temps.
24:21Ils ont envie de travailler en entrant dans la complexité.
24:24Ils ont envie de faire un pas de côté.
24:26Il faut dire que c'est une génération
24:28qui est saturée de réseaux sociaux
24:30et qui n'a aucune valorisation de l'instantanéité.
24:35Vous savez, moi, j'étais prof en journalisme
24:37dans les années 90.
24:39On était fascinés par l'arrivée de l'instantané.
24:41Je vous ai suivi pour tout vous dire.
24:43Aujourd'hui, c'est fini.
24:44Pour eux, c'est banal.
24:46Et au contraire, c'est facteur d'erreur.
24:49Et donc, ils aimeraient
24:50qu'on prenne un rythme plus lent.
24:52Ils aimeraient que les médias
24:53soient un espèce de contre-pied, justement,
24:55à ce rythme fou des réseaux sociaux.
24:58C'est peut-être le point positif
24:59parce que, finalement, c'est un métier, normalement,
25:00où on doit comprendre pour donner à comprendre.
25:03C'est un petit peu ça.
25:03Donc, il faut quand même le temps pour comprendre aussi.
25:05Alors, justement, sur ces perspectives d'avenir,
25:07Sylvain Louvé.
25:07Oui, puis je pense que...
25:09Moi, j'incite tous les jeunes journalistes,
25:10parce qu'il y a beaucoup de journalistes découragés
25:12qui abandonnent le métier,
25:13à prendre la parole.
25:14Parce qu'en fait, les désinformateurs
25:15sont puissants sur les réseaux sociaux
25:16parce que nous sommes silencieux.
25:17C'est-à-dire qu'on a tous,
25:18en domaine de compétence,
25:20quelque chose à raconter.
25:21Et je pense qu'il faut qu'on prenne la parole
25:23sur les sujets, justement,
25:24lutte contre le réchauffement climatique,
25:26la désinformation, même le sport.
25:28On a des domaines de compétence
25:29et il faut qu'on les porte.
25:31Voilà.
25:31Moi, c'est vraiment ce que j'incite.
25:32S'il y a des journalistes dans la salle,
25:34allez-y.
25:35Allez sur les réseaux sociaux
25:36et prenez la parole.
25:37Ou des parents de jeunes
25:38qui veulent être journalistes aussi,
25:39parce qu'il y en a.
25:40Eva Moret, si vous voulez conclure aussi.
25:43Je pense que c'est important
25:44de toujours avoir cette ambivalence.
25:47En fait, il y a une forte exigence
25:48qui se manifeste vis-à-vis de l'information
25:50parce que l'information en démocratie
25:51a un rôle vraiment pionnier.
25:53Et en fait, la liberté d'expression,
25:56la liberté de communication
25:57fait partie des principes fondateurs.
25:58Et c'est vraiment en train d'être détricoté.
26:00Je pense qu'il faut avoir en tête
26:02le moment charnière
26:04dans lequel on se trouve aujourd'hui.
26:05Et donc, en tant que journaliste,
26:06on est vraiment au cœur de ces dynamiques
26:08à la fois politiques et citoyennes
26:10qui se manifestent.
26:11Et je pense que cette critique,
26:12elle doit être considérée
26:13comme quelque chose de très vertueux
26:14parce que c'est une inquiétude
26:15qui se manifeste
26:16par rapport à des acquis
26:17qui sont détricotés.
26:19Merci beaucoup.
26:20Donc, on va suivre votre étude
26:21dans trois jours
26:22qui va démoiler un petit peu
26:23des chiffres supplémentaires.
26:24Et allez regarder cette application
26:26dont vous avez parlé,
26:27l'application d'enquête,
26:28où on peut finalement mener l'enquête.
26:31Citizen Fact.
26:33Voilà, comme ça,
26:33vous l'avez bien noté.
26:34Merci en tout cas à tous les trois
26:36d'avoir participé
26:37à cette première table ronde.
26:38Merci.
26:38Merci.
26:38Merci.
26:38Merci.
26:38Merci.
26:39Merci.
26:39Merci.
26:39Merci.
26:40Merci.
26:40Merci.
26:41Merci.
26:41Merci.
26:42Merci.
26:42Merci.
26:43Merci.
26:43Merci.
26:44Merci.

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