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  • il y a 3 jours
Xerfi Canal a reçu Jean-Philippe Timsit, professeur associé à l’emlyon business school, pour parler de la transformation digitale.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Jean-Philippe Timsit. Bonjour Jean-Philippe. Jean-Philippe Timsit, vous êtes professeur de
00:12stratégie, je devrais même dire stratégie digitale, à EEM Lyon Business School. Auteur de trois
00:19ouvrages, stratégie digitale édition Viber, du Silex au pixel, du Silex au pixel et là votre
00:26dernier ouvrage, Déplateformiser. Alors on va faire un grand tour d'horizon ensemble un peu sur la
00:33question de la stratégie. Moi je me souviens, fin des années 90, dans les entreprises, les grandes
00:38entreprises, on disait c'est l'heure de la stratégie digitale, il faut se transformer, c'est l'heure de
00:42la transformation digitale. 25 ans après, est-ce qu'elle est aboutie cette transformation ? Alors
00:48tout d'abord merci de me recevoir. Oui tout à fait, il y a une vraie question sur de quoi est-ce qu'on
00:54parle quand on parle de transformation digitale, on en parle un peu moins, on utilise un peu moins
00:57le terme aujourd'hui, mais elle est encore là. Je vais prendre une image hyper hyper simple. Si
01:02vous faites une randonnée que vous voulez monter sur une colline ou aller sur une montagne, vous
01:08savez quand vous êtes arrivés, vous avez pris votre chemin, c'est balisé, vous avez pris un GR par
01:13exemple, un sentier de grande randonnée, vous arrivez en haut de la montagne, vous savez que vous êtes
01:16arrivé en haut de la montagne parce que vous êtes en haut de la montagne. Physiquement vous le voyez,
01:20vous avez un paysage, vous pouvez pas aller plus loin, le chemin s'arrête, vous êtes en haut de la montagne.
01:24Quand vous lancez une transformation digitale, à quel moment est-ce qu'elle est achevée ? Quand
01:28est-ce que vous savez que vous avez terminé votre transformation digitale ? Vous avez commencé,
01:32vous avez donné des tablettes à vos commerciaux, vous avez lancé un CRM, Customer Relationship
01:37Management, qui est le logiciel qui est utilisé en marketing et par les équipes commerciales. Vous
01:40avez un ERP qui est un logiciel qui va gérer tout le flux d'informations dans votre entreprise.
01:44Vous avez fait des choses, mais à quel moment votre transformation digitale est achevée ? Parce
01:48qu'en fait, elle n'est jamais achevée. Ce qu'on entendait dans les années 90 qui était on va
01:52faire notre transformation digitale. Dans les faits, ça ne voulait pas dire qu'il y avait une
01:58arrivée. Ça voulait plutôt dire qu'on allait lancer un processus, mais que ce processus, il allait
02:03devoir changer avec le temps parce que notre monde change. Les consommateurs d'aujourd'hui ne sont
02:09plus les consommateurs d'il y a une quinzaine d'années. Donc, des décisions qu'on a prises pour
02:12moderniser l'entreprise il y a 15 ans ne sont plus les mêmes. Aujourd'hui, ça n'a pas vraiment de sens de
02:17penser qu'il y a un moment où ça s'arrête. Ça n'a même pas vraiment de sens de penser que ça a un
02:22périmètre très, très précis. Le digital, il irrigue toute l'entreprise. Il est présent partout, de la
02:27force de vente à la finance, à la comptabilité, aux achats, à la prise de décision du dirigeant à
02:32travers les informations. Le digital irrigue tout. Et comme il irrigue tout, oui, on peut transformer nos
02:38processus. Il y a un moment où on va commencer à le faire. Mais est-ce qu'il y a vraiment un moment où on
02:43s'arrête ? Il n'y a pas vraiment un moment où on s'arrête. Nous, on va s'arrêter un petit peu.
02:48On va s'arrêter un petit peu parce que ce que vous venez de dire quand même, j'ai envie de vous dire
02:53plutôt, on a toute une littérature de stratégie. On a des grands auteurs en stratégie. On pense
03:00notamment à Michael Porter, les années 80, etc. Est-ce qu'on a mis à jour notre schéma mental
03:06pour penser la stratégie digitale et la façon dont elle diffère peut-être de la
03:12façon dont on faisait de la stratégie il y a plus de 40 ans, peut-être même 50 ans ?
03:18Alors, les fondements de la stratégie tels qu'on l'enseigne en école ou à l'université,
03:26les fondements de la stratégie sont des fondements économiques qui datent pour les plus anciens des
03:32années 30 à 50 avec Bain et Mason, qui sont les deux auteurs les plus connus de l'époque,
03:36qui sont des économistes qui ont commencé ce qu'on appelle aujourd'hui modernement, avec
03:41modernité, les analyses du champ concurrentiel, mais ça, ça date des années 50. Dans la réalité,
03:47tout ce qu'on utilise en stratégie aujourd'hui est construit sur un modèle qui s'appelle SCP,
03:52Structure, Comportement, Performance, qui a été publié pour la première fois par Bain à la toute fin
03:56des années 50. Le modèle de Porter, tout ce qu'on appelle le modèle Porterien, qui est la stratégie
04:04qui est employé aujourd'hui en 99% des entreprises. Tout ce modèle Porterien date du travail de
04:10Michael Porter à la fin des années 70 et de l'écriture de cette thèse qui a été publiée à Harvard à la
04:15toute fin des années 70 et de son premier livre publié à toute fin des années 70 qui s'appelle
04:19globalement Analyse, Analyse concurrentielle. Le deuxième livre, c'est Competitive Advantage,
04:24Comment construire un avantage concurrentiel. Tous ces raisonnements sont construits sur SCP,
04:29Structure, Comportement, Performance. Je vais prendre un exemple qui est extrêmement simple
04:34pour que vous compreniez pourquoi est-ce que j'utilise le terme d'anachronisme quand je décris
04:38cette stratégie. Le mot client n'apparaît pas dans Competitive Strategy, le livre de Michael
04:44Porter. Le mot pouvoir de négociation, le terme pouvoir de négociation des clients apparaît.
04:49Parce que pour Porter, ce qui compte, c'est les relations de pouvoir entre une entreprise,
04:55ses clients et ses fournisseurs. Si une entreprise a plus de relations de pouvoir,
05:00donc de pouvoir de négociation vis-à-vis de ses fournisseurs, elle va pouvoir exiger
05:04un prix plus bas et inversement avec les clients. Ce raisonnement stratégique-là, c'est le
05:09raisonnement stratégique qui est enseigné dans la plupart des écoles, la plupart des
05:11universités depuis la fin des années 70, le début des années 80.
05:14Pour être très clair, ça veut dire une stratégie d'offre.
05:16Pour raisonner de manière extrêmement simple, tout le raisonnement stratégique qui est
05:19enseigné aujourd'hui en école et en université, c'est ce qu'on appelle la stratégie
05:23par l'offre, qui est une stratégie qui consiste à faire quelque chose d'extrêmement simple.
05:27On construit une offre et on la pousse sur le marché. C'est ça, c'est le modèle
05:31porterien de base avec tous ces avatars qui sont matrice BCG, matrice McKinsey.
05:37Prenez une matrice McKinsey, à aucun moment vous ne parlez du comportement du client.
05:40Vous parlez du client, mais vous ne parlez pas de son comportement.
05:42Qu'est-ce qui compte dans la réalité quand on construit une stratégie ?
05:45Quand on construit une stratégie, ce qui compte, c'est de faire des ventes.
05:49Il y a un mot qui a disparu de la stratégie, c'est le mot vente.
05:52Quand on parle de stratégie, vous prenez les livres, on n'en parle jamais.
05:55La vente, c'est vraiment le grand disparu de la stratégie.
06:01Alors, on dit quoi ? Quand on fait la stratégie, on va créer de la valeur.
06:04Quand on fait la stratégie, on va créer du chiffre d'affaires.
06:06Quand on va créer de la croissance, ça veut dire quoi créer de la croissance ?
06:10Ça veut dire créer des variations de valeurs produites, de flux net de liquidités,
06:14FNL, produites par l'entreprise, donc des ventes.
06:17Le but final d'une entreprise, c'est de créer une offre et de la commercialiser,
06:22donc de faire des ventes.
06:23À partir du moment où on fait des ventes, on ne peut pas vendre la même chose à Alain et à Michel.
06:28Les comportements des gens sont différents.
06:30À partir du moment où les comportements des gens sont différents,
06:32avant de procéder à une vente, il faut comprendre à qui on va offrir cette offre,
06:38à qui on va proposer cette offre.
06:40Donc, à qui on va la proposer, par quel canal on va la proposer,
06:43comment on va se faire connaître, les gens ont besoin de confiance,
06:46est-ce que ces personnes qu'on va cibler vont connaître notre marque ou pas ?
06:50Donc, on a tout un processus dont l'acte final va être la vente.
06:54Puis, il y a d'autres éléments ensuite où on va continuer avec la fidélisation,
06:57la création de la marque, ce genre de choses.
06:58Mais on va avoir un moment où la valeur va être cristallisée, ça va être la vente.
07:03C'est-à-dire que quelqu'un va acheter quelque chose que vous commercialisez.
07:07Ça, ça n'existe pas dans les livres de stratégie et ça n'existe pas dans le travail de porteur.
07:11Et comme ça n'existe pas dans le travail de porteur, mais que porteur nous a proposé quelque chose qui était nouveau à l'époque.
07:16Après la Seconde Guerre mondiale, on se retrouve dans les Trente Glorieuses.
07:20Les Trente Glorieuses, c'est une période de croissance absolument fantastique aux États-Unis et elle déborde en Europe.
07:25Les Trente Glorieuses, c'est quoi ?
07:26Il y a une demande de la part des consommateurs qui est monstrueuse et il y a une offre qui n'arrive pas à se mettre au niveau.
07:32Les entreprises qui fabriquent des frigos, elles ne peuvent pas en produire suffisamment.
07:35Donc, les entreprises qui vendent des voitures, des radios, elles ne produisent pas assez.
07:39Et les familles peuvent s'endetter.
07:41Et comme on est dans une phase de très grande croissance aux États-Unis, les familles s'endettent et les banques prêtent.
07:46Les familles achètent de grandes maisons, les familles achètent les premières radios qui arrivent, les premières télévisions.
07:51Puis, il y a une croissance qui est très forte.
07:53Cette croissance qui est très forte fait que les entreprises n'ont pas besoin de stratégie.
07:56Elles ont juste besoin de vendre tout ce qu'elles fabriquent.
07:58Donc, elles sont organisées pour produire massivement.
08:02Produire massivement et vendre le plus possible.
08:04Et ça, c'est cool parce que l'offre est inférieure à la demande.
08:09Les entreprises produisent moins que ce que les gens demandent.
08:12Donc, comme les entreprises produisent moins que ce que les gens demandent, une entreprise fabrique 2000 radios par jour, elle en vend 2000.
08:17Il suffit de vendre le bon produit et voilà.
08:19Ce sont les 30 glorieuses.
08:20Puis, on a un problème en 73, première crise pétrolière.
08:23Puis, on a un problème en 78, deuxième crise pétrolière.
08:26Qu'est-ce qui se passe ?
08:27Le coût de l'énergie augmente.
08:28Les foyers se retrouvent avec 30%, 40%, 50% de leurs revenus disponibles qui se retrouvent pris, dépensés dans l'énergie.
08:36Donc, au lieu que l'offre continue à être très inférieure à la demande, on se trouve avec une inversion.
08:42Au lieu de changer ma voiture ou de changer mon frigo tout de suite, je vais attendre 2 ans, 3 ans, 5 ans.
08:47Et puis, si ça se trouve, je vais attendre 10 ans.
08:48Donc, les entreprises étaient organisées pour produire en masse et elles se retrouvent, elles ne peuvent plus vendre.
08:54C'est-à-dire que la demande devient trop élevée, la demande devient trop basse par rapport à l'offre.
08:59Donc, les entreprises sont obligées de changer leur mode de fonctionnement et de trouver des clients.
09:04Et ce n'est pas un hasard si le journal de stratégie, le stratégique management journal,
09:07qui est le journal leader en stratégie, en recherche en stratégie, a été créé le 1er janvier 1980.
09:12Parce qu'en fait, on se retrouve, on a des besoins qui sont différents.
09:14Et c'est là que Michael Porter arrive.
09:16Parce qu'à l'époque, on n'a que SWOT qui a été créé en 68.
09:19Et on a quelques autres outils.
09:20Mais Michael Porter arrive avec un outil qui est très simple, qui est,
09:24vous ne savez pas si un marché est attractif, si vous utilisez mon outil, vous le déterminez.
09:30Industry attractiveness.
09:32Donc, cet outil permettait de déterminer si un marché était attractif.
09:35Donc, il répondait à un besoin des analystes et des dirigeants,
09:41mais ce besoin n'était pas en face d'une réalité.
09:43Il ne permettait pas de fabriquer une vraie stratégie, mais il répondait à des questions.
09:48Donc, c'était un peu court.
09:50Mais à l'époque, comme on n'avait rien, on a considéré que c'était suffisant.
09:52Donc, on a commencé à utiliser les cinq forces de Porter,
09:54où on a le pouvoir de négociation des clients et le pouvoir de négociation des fournisseurs.
09:57On n'avait rien.
09:58On se retrouve à ça.
09:59Ce n'est pas génial, mais c'est déjà ça.
10:01Dès 82, publiant les cinq forces de Porter, dès 82, cet outil est très décrié.
10:06Parce qu'en fait, il ne parle pas de client.
10:07Mais ce n'est pas grave.
10:09Le raz-de-marée Porter était déjà là.
10:12Et donc, en fait, on a continué à utiliser.
10:14Et on a continué à utiliser cet outil-là et tous les autres avatars de SCP.
10:18Je vais être brutal, mais au fond, Porter, effectivement, s'adresse aux dirigeants,
10:22aux commerciaux de se démerder pour placer l'offre.
10:25C'est exactement ça.
10:26Les dirigeants conçoivent la stratégie sur un point de cadre.
10:28Le dirigeant ne le vit pas comme son problème.
10:29Exactement.
10:30Et ensuite, les commerciaux doivent faire les ventes.
10:32Parce que la question de la vente ne se pose pas pour Porter.
10:35Pour une raison très simple, la stratégie, c'est le métier du dirigeant.
10:38C'est-à-dire qu'il ne voit pas l'entreprise comme un processus.
10:41Alors oui, il a publié ensuite, trois ans plus tard, la chaîne de valeur.
10:47Et la chaîne de valeur, en fait, est une réponse à une auteure qui vous est chère,
10:53qui est Edith Penrose, qui a publié en 59 la théorie de la croissance de la firme.
10:58Et en fait, la principale critique qu'on faisait à Michael Porter en 80, c'était de dire
11:01« Ouais, mais ton raisonnement, Michael, il est super statique, en fait. »
11:05Et les cinq forces de Porter, il y a plein de cas où ça ne marche pas.
11:08Et donc, lui, il a sorti un outil qu'il pensait dynamique, qui était la chaîne de valeur.
11:11Mais la chaîne de valeur, elle ne répond pas au problème.
11:13Oui, il y a le terme de vente dans la chaîne de valeur.
11:15Oui, le client est là, mais on ne sait toujours pas comment il se comporte, le client.
11:18Et c'est un très gros problème.
11:20Et ça, c'est l'essence même de la stratégie traditionnelle.
11:22Dans la stratégie traditionnelle, on a énormément de matrices.
11:25On a BCG, McKinsey, ADL, on a les matrices Antsoff.
11:28Moi, j'aime bien Antsoff, mais ces matrices de planification, aujourd'hui, elles n'ont plus aucun sens.
11:32C'est une matrice de 1968, ça n'a aucun sens aujourd'hui.
11:35Mais tous ces outils-là, qu'est-ce qui se passe ?
11:38Ils répondent à un besoin à une époque qui est, on a un problème d'offre.
11:44Depuis 90-92, le web est arrivé.
11:47Le web, c'est quoi ?
11:48C'est Tim Berners-Lee qui construit un dispositif technologique à l'origine qui a changé les comportements.
11:55Le web, c'est une sorte de tiers-lieu.
11:56C'est un endroit où on se retrouve tous à un autre lieu que chez nous, en fait.
12:01C'est une maison commune, d'une certaine manière.
12:03Et ça, ça a changé les comportements.
12:05En 2004, on a Facebook qui arrive.
12:07Facebook affecte les comportements de tout le monde.
12:10Qu'est-ce qui se passe ?
12:11Avant, avec Michael Porter et les outils de l'époque,
12:14quand on veut savoir comment quelqu'un se comporte, on fait un quanti.
12:16Donc, on fait des études quantitatives, on les envoie avec des questionnaires.
12:21Le problème, c'est qu'on ne collecte comme informations que ce que les gens veulent bien nous dire.
12:24Et on ne collecte comme informations que ce qu'on anticipe comme étant les informations intéressantes.
12:29Avec l'arrivée de Facebook et des réseaux sociaux qui ont suivi,
12:32on commence à collecter des informations quantitatives et qualitatives.
12:35C'est le comportement réel.
12:36On a un comportement réel.
12:38On n'a plus l'impression qu'on a du comportement.
12:40On n'a plus ce que les gens nous disent de leur comportement.
12:43Qu'est-ce que vous regardez à la télévision le soir ?
12:45Quand vous demandez à quelqu'un ce qu'il regarde à la télévision le soir,
12:47il va vous donner une réponse qui introduit des biais.
12:50Sa réponse, elle va être liée à l'estime qu'il veut avoir de lui-même,
12:54l'estime qu'il veut voir dans vos yeux sur son comportement,
12:58ce qu'il considère comme étant un comportement inacceptable dont il n'a pas envie de parler.
13:01Parce qu'il y a une règle d'or, c'est que tout le monde ment.
13:03Dr. House a tout à fait raison.
13:05Tout le monde ment tout le temps.
13:07Donc, quand vous demandez leur avis aux gens,
13:09vous avez une information qui est complètement biaisée en fait.
13:12Avec Facebook, depuis 2004, et les réseaux sociaux, on arrive à autre chose.
13:15Quand quelqu'un réagit à une image, il réagit à une image.
13:18C'est l'information réelle.
13:19Quand il commente, les mots qu'il utilise sont les siens.
13:22Quand il regarde une vidéo, il regarde la vidéo.
13:23Quand il regarde une vidéo qu'il regarde les 10 secondes ou toute la vidéo et qu'on a le watch time,
13:27on a un élément réel sur son comportement.
13:30Donc, quand on a commencé à avoir des informations réelles sur le comportement des gens,
13:34on a pu commencer à construire des analyses comportementales sur les gens.
13:38On a pu commencer à faire ce qu'on appelle les personas,
13:40qui sont des profils psychologiques d'individus.
13:42Ça veut donc dire qu'on bascule d'un monde où Michael Porter est le roi de la stratégie par l'offre,
13:48on bascule de ce monde à un monde où on commence à comprendre comment la demande se comporte.
13:53On commence à comprendre comment les gens prennent des décisions.
13:55Alors, on ne sait pas bien, mais ce qu'on sait, c'est que quand certaines personnes
14:00qui appartiennent à des groupes reçoivent certains types de stimuli,
14:03ils ont certains types de comportements.
14:05On ne sait pas exactement ce qui se passe, mais on sait qu'un stimulus génère un comportement.
14:11Donc, peut-être qu'on peut commencer à se demander,
14:13si je commence à contrôler la nature des stimuli que j'envoie,
14:16sur des groupes d'individus homogènes,
14:19donc qui se ressemblent par rapport à ce type d'offre ou par rapport à ce type de stimulus,
14:23je peux espérer avoir le même type de comportement.
14:27C'est le début de la publicité en ligne, sur Facebook,
14:29et c'est ce qui a fait la fortune de Google.
14:30On crée des groupes d'individus qui sont homogènes
14:32et qui vont avoir des réactions similaires à des stimuli similaires.
14:36Pour tous les autres sujets, ils seront différents.
14:39Ils n'ont pas le même plat préféré,
14:41ce n'est pas le même type de famille, ils ne vivent pas au même endroit.
14:42Mais sur ce stimulus, par exemple, une vidéo,
14:46ils auront une réaction qui sera similaire.
14:48Ils aimeront cette vidéo.
14:49Et c'est ça qui fait le basculement entre la stratégie traditionnelle et la stratégie moderne.
14:56La stratégie traditionnelle est une stratégie par l'offre parce qu'on ne connaît pas les gens.
14:59Comme on ne connaît pas les gens, on se concentre sur ce qu'on contrôle.
15:02Ce qu'on contrôle, c'est notre offre, on l'a conçue, on la pousse.
15:05La stratégie par la demande est beaucoup plus exigeante
15:07parce qu'elle nécessite de faire un travail très approfondi
15:10de compréhension des gens qui seront potentiellement intéressés par votre offre.
15:14Sauf que si on arrive à faire ça, on va proposer à des gens ce dont ils ont envie.
15:20Pour résumer, en fait, notre but en stratégie moderne,
15:24c'est d'identifier le problème des gens.
15:26Je parle des gens de manière générale, c'est du B2C ou du B2B.
15:28On va identifier leurs problèmes et on va essayer de proposer la meilleure solution possible à ce problème.
15:33Et un avantage concurrentiel, c'est quoi en stratégie moderne ?
15:36Un avantage concurrentiel, c'est que la solution qu'on va apporter à ce problème
15:40sera meilleure pour notre audience, donc le client,
15:44que la solution apportée par les concurrents à ce même problème.
15:47Et c'est ça qu'on essaie de faire.
15:49Ça veut donc dire que globalement, on a basculé d'une période où on construisait une offre
15:53et on investissait tout pour pousser cette offre
15:55à une période où on va construire une offre sur la base d'une compréhension très fine de la demande.
16:02Et le but, c'est de faire de la vente.
16:03C'est qu'on règle réellement le problème de la demande.
16:08C'est le problème de la demande qui est au cœur de la stratégie moderne.
16:12C'est la différence entre stratégie par l'offre et stratégie par la demande.
16:15Notre gros problème, c'est que partout, on continue à enseigner des modèles qui sont vieux de plus de 40 ans.
16:21Partout, on continue à enseigner les cinq forces, on continue à enseigner les modèles de McKinsey.
16:26Partout, on continue à les enseigner.
16:27Et le problème qu'on retrouve en faisant ça, c'est que chez les apprenants,
16:31donc chez nos étudiants en formation initiale et chez les dirigeants qu'on forme,
16:35pour eux, au fur et à mesure où on les forme à ces outils, ils font une analogie entre l'outil et la stratégie.
16:41La stratégie, c'est l'art de collecter des ressources pour exécuter des décisions et réaliser un objectif.
16:47Ce n'est pas de faire des matrices.
16:48Et donc, c'est un vrai problème parce que nos étudiants, quand ils arrivent en première année
16:52et qu'on leur demande si je veux lancer un produit, qu'est-ce que je dois faire en premier ?
16:56Tous, ils nous disent qu'il faut aller voir les gens.
16:58Tous, tous, les débutants, les super débutants des gens qui n'ont jamais fait de strat,
17:02qui n'ont jamais lu un livre, qui n'ont jamais découvert la stratégie de leur vie, jamais.
17:07On leur demande ce qu'il faut faire.
17:08Le premier truc qu'ils nous disent, c'est qu'il faut aller voir les gens.
17:11Au bout de deux ou trois ans, on les a gavés de matrice.
17:13Le premier truc qu'ils font quand on leur demande de faire une stratégie, c'est qu'ils font une matrice.
17:16En fait, on les gâche.
17:17Au lieu d'encourager un comportement naturel qui est d'aller discuter avec l'audience
17:22et d'aller découvrir les ressorts intimes de la prise de décision des gens
17:26qui sont réellement au cœur de la stratégie.
17:29Mais j'invente rien.
17:30On a des papiers de Vec qui parlent de ça, qui ont 50 ans.
17:33Edith Penrose parlait de ça.
17:35Il y a des papiers dans l'Academy of Management Review qui ont plus de 30 ans
17:38qui parlent du management par l'émotion.
17:40Ça n'a pas pris du tout.
17:42C'est un courant qui n'a pas pris.
17:43Pourquoi ?
17:43Parce que cette facilité à enseigner les matrices a fait la fortune des boîtes de conseil.
17:50Et pourquoi aller contre quelque chose qui fonctionne théoriquement
17:54lorsqu'on forme les jeunes ou quand on fait du conseil ?
17:57Dans la réalité, c'est beaucoup plus facile d'aller voir un dirigeant qui a un problème
18:00et de lui dire, écoute, on va prendre deux jours
18:04et on va faire les matrices de cinq forces et je vais te donner une solution.
18:07C'est beaucoup plus facile de lui vendre cette prestation plutôt que de lui dire,
18:10ce qu'on va faire, c'est une série d'entretiens qualitatifs longitudinaux.
18:14Ça va nous prendre deux semaines.
18:15On va rencontrer 50 personnes, mais on saura exactement vous dire
18:19quel est le problème que vous rencontrez.
18:20Vendre une matrice, c'est beaucoup plus facile que de faire du quali.
18:24Pourtant, la puissance de l'entretien qualitatif face à ce genre d'enjeux
18:29est absolument remarquable.
18:30Elle n'est plus à démontrer.
18:31Je reviens à la grande dit theory de 1968.
18:36Ça fait 50 ans, 60 ans, 70 ans qu'on sait qu'il y a une puissance
18:40dans l'analyse du propos des individus et on ne le fait pas.
18:45On préfère faire les cinq forces.
18:47C'est la triste réalité de ce qu'est la stratégie aujourd'hui.
18:50La stratégie réelle, c'est le client d'abord.
18:52C'est ça, la grande bascule.
18:54Ce n'est pas l'entreprise d'abord, ce n'est pas l'offre d'abord.
18:57C'est le client d'abord et c'est ça, la grande transformation qui est en jeu.
19:00Elle est tout à fait là, la véritable transformation.
19:05Tout raisonnement stratégique puissant doit être initié par une compréhension fine
19:11des mécanismes de prise de décision de l'audience.
19:14Il n'y a pas de raccourci.
19:17C'est difficile, mais il n'y a pas de raccourci.
19:20C'est comme ça qu'il faut faire.
19:22Il faut essayer de comprendre comment les gens pensent,
19:24comment ils prennent une décision.
19:25Une fois qu'on a compris comment ils prennent une décision
19:27et quel est leur problème,
19:28c'est à ce moment-là qu'on va construire l'offre.
19:31L'offre, elle va être construite,
19:33elle va être bâtie, elle va être tailored,
19:35comme on dit dans les livres qui traitent de stratégie digitale,
19:39sur la compréhension fine du comportement.
19:42Et l'essence même de l'avantage concurrentiel
19:45tient dans cette mécanique de compréhension du comportement.
19:51Le mieux vous comprenez le comportement de votre audience,
19:54plus vous serez, cette phrase est mal tournée,
19:57mais si votre compréhension est très puissante,
20:00vous arriverez beaucoup mieux à comprendre
20:02la nature de la solution que vous pourrez apporter.
20:04Et si vous comprenez vraiment la solution
20:07que vous pouvez apporter au problème,
20:08vous pourrez construire une offre
20:10qui correspondra vraiment à la demande.
20:12Et vous n'aurez pas à lutter pour la vendre
20:14et trouver des clients,
20:14parce que vos clients,
20:15ils seront déjà à l'origine de votre raisonnement.
20:18Et c'est ça la stratégie moderne.
20:20Oui, tout à fait.
20:20Et ça, ça change tout.
20:21Ça change tout.
20:22Stratégie digitale édition Viber,
20:24du Silex au pixel,
20:26puis des plateformes.
20:27Des plateformes misées.
20:28Ça, on en reparlera.
20:30Avec plaisir.
20:30Merci beaucoup, Jean-Philippe Timsit,
20:32pour ce grand angle,
20:33cet éclairage extrêmement intéressant.
20:36Merci à vous.
20:36Merci infiniment, Jean-Philippe.
20:37Sous-titrage Société Radio-Canada
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