Les 4 vérités - François Villeroy de Galhau

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Chroniqueur : Thomas Sotto


Thomas Sotto reçoit François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, dans Les 4 vérités. 

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Transcript
00:00 [Musique]
00:03 Bonjour et bienvenue dans les 4V, François Villeroy de Gallo.
00:05 Votre intervention est particulièrement attendue car les Français ont besoin de savoir comment va leur économie,
00:10 pour savoir aussi si certaines de leurs difficultés vont pouvoir s'arranger un peu dans les semaines ou dans les mois qui viennent.
00:15 Première préoccupation pour nombre de nos concitoyens c'est évidemment l'inflation, le coût de la vie,
00:20 cette inflation qui était encore de 6% au mois de janvier.
00:23 Quand est-ce qu'elle va refluer pour de bon ? Est-ce que vous le savez ?
00:27 Alors effectivement l'inflation c'est la première préoccupation des Français.
00:30 On parlera après de l'activité, de l'enquête que nous venons de publier.
00:34 Sur l'inflation, vous l'avez dit, 6% c'est trop.
00:37 C'est moins que la moyenne européenne qui est entre 8 et 9.
00:41 Mais évidemment il faut combattre cette inflation.
00:44 Alors par rapport à cela, nous devrions connaître le pic de cette inflation là dans le semestre.
00:51 Et l'inflation va commencer à décroître en France à partir de la mi-année même je pense.
00:56 À partir de la mi-année.
00:58 Il y a une deuxième chose que je veux dire qui est très importante pour ceux et celles qui nous regardent.
01:02 C'est que nous allons ramener l'inflation vers 2% d'ici la fin de l'année prochaine ou début 2025.
01:10 Ça c'est pas seulement la prévision de la Banque de France et de la Banque Centrale Européenne.
01:15 Mais c'est aussi notre engagement parce que nous sommes responsables par ce qu'on appelle la politique monétaire.
01:20 2% c'est la stabilité des prix.
01:23 Voilà c'est la définition que nous donnons de la stabilité des prix.
01:26 Et si vous voulez l'inflation c'est un peu la température de l'économie.
01:30 37°C c'est la température du corps.
01:32 2% c'est la bonne température de l'économie.
01:34 Donc le pic en juin après ça décroît.
01:37 Le pic d'ici juin ça sera peut-être même avant.
01:39 Et ensuite décroissance.
01:40 Mais il y aura peut-être un effet d'optique parce que l'inflation on la compare sur un an.
01:44 Ça veut dire que quand on va donner l'inflation au mois d'avril, de mai, de juin, de juillet.
01:48 On va comparer avec des mois où elle était déjà très élevée.
01:51 Ça veut dire que les prix vont baisser ou qu'ils vont augmenter moins vite ?
01:54 Non ça veut dire que les prix vont augmenter moins vite.
01:56 Parce qu'effectivement l'inflation c'est un pourcentage d'évolution.
02:00 Alors certains prix vont sans doute baisser.
02:03 On voit le prix de l'énergie par exemple.
02:05 Certaines composantes de l'énergie qui a commencé à baisser par rapport aux plus hauts.
02:09 Le pétrole, le gaz, vous pensez à quoi ?
02:11 Quand on mesure l'inflation, on mesure à travers l'ensemble de l'économie.
02:14 Et il y a eu, c'est vrai, d'abord un choc énergie et ensuite une généralisation.
02:18 C'est pour ça d'ailleurs que nous, avec la politique monétaire, nous devons agir.
02:22 Sur les prix de l'alimentation en particulier, est-ce que vous avez des projections ?
02:26 L'inflation là, elle est à 13,2%.
02:28 Oui sur les prix de l'alimentation, il y a eu d'abord un choc sur les prix de l'énergie.
02:33 Et ensuite sur les prix de l'alimentation, et c'est évidemment très sensible pour les Français,
02:37 pour nous tous comme consommateurs.
02:39 Alors ils vont rester relativement élevés sur les prochains mois.
02:42 Et ensuite ils devraient baisser progressivement.
02:44 À partir de quand ?
02:45 Là aussi, je pense à partir de l'été.
02:49 Bon maintenant il y a des incertitudes dans la phase où nous sommes.
02:52 Donc je ne vais pas vous faire de pronostics précis.
02:55 Je redis cet engagement sur l'ensemble des prix des biens et services,
03:00 retour vers 2% d'ici fin 2024-2025.
03:03 Ça c'est une perspective très importante.
03:05 On a appris cette semaine que la France avait connu l'an dernier, en 2022,
03:07 le pire déficit commercial de son histoire.
03:09 Une balance négative de 164 milliards.
03:11 Il y a ça, il y a l'inflation, il y a tout le reste.
03:14 Dans ce contexte, quelles sont vos prévisions de croissance pour cette année, M. le Gouverneur ?
03:17 Alors on va commencer par la photographie, Thomas Sotho.
03:20 C'est-à-dire que les hommes et les femmes de la Banque de France,
03:22 qui sont sur le terrain dans l'ensemble des départements,
03:25 interrogent chaque mois 8500 entrepreneurs,
03:28 y compris des PME et TPE,
03:30 pour vraiment savoir où en est l'économie française.
03:32 Et nous venons de publier cette photographie,
03:35 qui est je crois le meilleur thermomètre depuis trois ans d'incertitudes.
03:39 Le Covid, l'Ukraine, le choc énergétique.
03:42 C'est le meilleur thermomètre de l'économie française.
03:44 Ce que nous voyons aujourd'hui,
03:46 c'est que l'économie ralentit, comme prévu, mais qu'elle résiste.
03:50 Il y a même un phénomène assez frappant,
03:52 c'est que mois après mois, quand on interroge les entrepreneurs,
03:56 quand ils regardent devant,
03:58 ils restent marqués par les incertitudes, et même certains les inquiétudes.
04:02 Par contre, quand on regarde le mois qui vient de se passer,
04:04 ça se passe mieux que prévu.
04:05 Ça se passe pas si mal.
04:06 Et donc, si je prenais une image,
04:08 je crois que notre santé physique,
04:11 c'est-à-dire ce qu'on constate,
04:12 est meilleure que notre morale.
04:14 Alors, je reviens à ma question.
04:15 Est-ce que vous envisagez une croissance ?
04:17 Et si oui, quelle croissance pour cette année ?
04:18 Alors, tout à fait.
04:20 Vous vous souvenez qu'à l'automne dernier,
04:22 on craignait beaucoup la récession.
04:24 Est-ce que vous l'excluez, la récession ?
04:26 Sur l'année 2023, ce matin, je crois que je peux l'exclure,
04:29 sauf évidemment, nouvel événement mondial majeur.
04:33 Mais dans ce que nous voyons aujourd'hui,
04:35 vous vous souvenez peut-être que pour décrire l'économie et la croissance en 2023,
04:39 on hésitait entre deux R au fond,
04:41 le ralentissement ou la récession.
04:44 Alors, ce matin, je veux dire, c'est le ralentissement.
04:47 Nous prévoyons une croissance faiblement positive,
04:50 en moyenne +0,3%,
04:53 mais il y a évidemment de l'incertitude.
04:54 +0,3% pour le moyen, donc quand même bien inférieur à celle de 2022.
04:57 Ah oui, il y a un ralentissement, mais pour une raison simple,
05:00 c'est que la montée des prix de l'énergie,
05:01 c'est comme une taxe extérieure sur l'économie française
05:05 qui pèse sur les revenus des entreprises et sur l'économie.
05:08 Ça, c'est la croissance de 2022 qu'on voit.
05:10 Alors 2022, il y avait eu vraiment une bonne résilience à 2,6%
05:15 qui correspondait d'ailleurs exactement à notre prévision.
05:17 Donc ça crédibilise peut-être notre prévision 2023.
05:20 Tant mieux, on espère.
05:21 Vous avez été un des dirigeants importants d'une grande banque française
05:23 qui s'appelle la BNP Paribas.
05:24 BNP qui a annoncé quasi simultanément hier 10 milliards de bénéfices
05:28 et la suppression de 921 postes en France.
05:30 Est-ce que vous comprenez que ça puisse choquer ?
05:33 D'abord, il y a très longtemps que je ne suis plus dirigeant de BNP Paribas.
05:36 Vous avez été il y a longtemps un des dirigeants.
05:38 Et j'ai coupé tous les liens.
05:40 C'est juste pour signaler que vous connaissez bien.
05:42 Non, mais je n'ai pas de commentaire à faire sur les résultats de telle ou telle banque.
05:45 Peut-être deux commentaires généraux.
05:47 La première, c'est que je crois que c'est plutôt une bonne chose d'avoir des banques solides en France.
05:51 Il se trouve qu'il y en a une qui a des résultats records.
05:53 Quand je vois les résultats des autres banques, je dirais que globalement c'est solide.
05:56 Ce n'est pas partout un record.
05:58 Les banques françaises vont bien et c'est plutôt une bonne nouvelle.
06:00 Souvenez-vous, il y a 10 ans, on a eu une crise économique qui tenait aux banques
06:05 qui étaient d'ailleurs moins fortes en France qu'en Italie ou aux Etats-Unis.
06:08 Mais c'est quand même mieux d'avoir des banques solides et ça permet de bien financer l'économie.
06:13 Notre économie est aujourd'hui bien financée.
06:15 Le second commentaire, c'est qu'après chaque banque, on décide comment elle est gérée.
06:18 S'il doit y avoir des ajustements de postes, etc.,
06:21 je souhaite évidemment que ça se passe dans le dialogue social et en veillant aux droits des salariés.
06:26 Il y a aussi le bénéfice record de Total qui fait beaucoup parler, 20,5 milliards de dollars.
06:31 Vous n'avez jamais dirigé Total, on est bien d'accord.
06:33 Est-ce qu'il faut s'en réjouir pour l'économie ? Est-ce qu'il faut s'en inquiéter ?
06:37 On se dit quand même qu'avec cet argent, on sait que l'énergie fait beaucoup monter l'inflation,
06:42 dont on parlait au début de cet entretien.
06:43 Les pétroliers auraient pu faire baisser la facture des Français.
06:46 Est-ce que c'est une vue de l'esprit, ça ?
06:47 Oui, alors là, je n'ai vraiment pas à commenter les résultats de Total.
06:50 Il me semble qu'il y a eu une ristourne pendant un certain temps,
06:53 mise en place par Total, mais la Banque de France n'est pas du tout en charge de ce sujet.
07:00 Sauf que, par exemple, la Banque de France dit que l'État doit faire attention avec les boucliers.
07:03 Oui, c'est là-dessus que je voulais en venir.
07:06 Quand il y a eu cette poussée des prix de l'énergie, souvenez-vous, début 2022,
07:11 il a fallu mettre en place le fameux bouclier tarifaire pour amortir le choc.
07:15 Je crois qu'au fur et à mesure que les prix de l'énergie décroissent,
07:19 il va falloir réduire progressivement ce bouclier tarifaire
07:23 et surtout le concentrer sur ceux et celles qui en ont le plus besoin,
07:27 c'est-à-dire les plus défavorisés de nos concitoyens.
07:29 Pourquoi ? Parce que sinon on a des déficits trop forts ?
07:32 Les déficits, ça veut dire une chose très simple, Thomas Sotho,
07:36 ça veut dire qu'on accumule la dette que nous allons devoir repayer,
07:39 surtout que nos enfants ou nos petits-enfants vont devoir repayer.
07:42 Donc ce n'est pas la peine qu'on charge l'avenir,
07:45 il faut concentrer le bouclier tarifaire sur ceux et celles qui en ont le plus besoin,
07:49 c'est le moment en profitant de la baisse des prix de l'énergie.
07:52 Si je vous demande si le banquier et acteur de la vie économique que vous êtes
07:54 verrait d'un bon oeil la mise en place d'une taxe sur les super-profits,
07:57 vous votez en touche ?
07:59 D'abord je corrise la Banque de France, c'est le banquier central,
08:03 et en fait la Banque centrale est une grande institution publique
08:07 qui est en charge de l'intérêt général,
08:09 elle ne fait pas du tout un métier de banque,
08:11 elle n'est pas en charge de la fiscalité.
08:13 C'est simplifié, mais on a compris.
08:15 Elle n'est pas en charge de la fiscalité.
08:17 Maintenant je vais dire une chose en conviction personnelle et citoyenne,
08:21 je suis, je vais aller un peu au-delà de ma condition de banquier central,
08:25 je crois beaucoup au modèle social européen,
08:27 je pense d'ailleurs que l'Europe a quelque chose à dire au reste du monde aujourd'hui,
08:31 à un modèle social et environnemental,
08:33 là-dedans il y a la solidarité et l'équité, la fiscalité doit aussi traduire ça.
08:38 Je ne fais pas du tout partie de ceux qui disent que un bon impôt c'est un impôt supprimé,
08:43 l'impôt ça fait partie du financement des services publics et ça fait partie de la solidarité.
08:47 Arrêtons peut-être un peu la course à la baisse d'impôt dans ce pays,
08:51 surtout avec les déficits que nous avons.
08:53 Est-ce que le maintien de la paix sociale, dans le contexte qu'on connaît,
08:56 les grèves, les manifestations, la protestation sur la réforme des retraites,
08:59 est-ce que le maintien de cette paix sociale est un facteur important
09:02 pour la bonne santé de l'économie française ? Est-ce que vous faites un lien ?
09:05 Je crois que la paix sociale, ça dépend de ce qu'on met sous la paix sociale,
09:09 c'est pas l'absence de discussion, de négociation, etc.
09:12 On voit les choses clairement, est-ce que le conflit autour de la réforme des retraites
09:15 peut pénaliser l'économie française ?
09:17 Je ne vais pas commenter, là aussi je vais émettre un souhait citoyen,
09:20 c'est que ça se passe dans le dialogue plutôt que dans la confrontation ou l'invective.
09:24 Après, sur les effets économiques, c'est très difficile à dire.
09:30 Je crois que nous avons une économie résiliente.
09:34 Au fond, le premier ennemi de la croissance, c'est l'incertitude,
09:38 dans la phase où nous sommes.
09:40 Donc je crois que si on peut donner des capes de confiance,
09:43 et garder, Thomas Soto, des repères de long terme,
09:46 la chose dont je me méfie le plus aujourd'hui pour l'économie française,
09:49 c'est peut-être pas un dialogue social un peu tonique,
09:52 qui doit avoir lieu dans une démocratie, c'est le court-termisme.
09:56 C'est-à-dire qu'on se concentre sur la polémique de la semaine,
09:59 et on oublie de se tracer des capes.
10:01 J'ai donné un cap de réduction de l'inflation,
10:03 je crois qu'il faut qu'on ait un cap de réduction de la dette publique.
10:06 Et à partir de ce moment-là, il faut le dire très clairement,
10:09 nous, Français, nous avons beaucoup d'atouts pour résister au choc ukrainien, à la crise.
10:14 Ayons peut-être un peu plus confiance en nous-mêmes.
10:17 – Rapidement, vous avez un régime spécial de retraite, vous, la Banque de France,
10:20 il est prévu d'être supprimé par la réforme des retraites,
10:22 vous y êtes favorable à cette suppression ou pas ?
10:24 – J'ai dit que non, et je l'ai dit pour une raison très simple,
10:27 et je suis heureux de pouvoir le souligner ce matin,
10:30 c'est que ce régime ne correspond à aucun privilège des hommes et des femmes de la Banque de France,
10:36 ils partent en retraite à 62 ans comme tout le monde,
10:38 ils ont la même durée de cotisation,
10:40 c'est simplement qu'il est provisionné à l'avance dans nos comptes.
10:43 Donc en fait c'est un régime autonome et plutôt vertueux,
10:46 après nous sommes en démocratie, c'est au Parlement d'en décider,
10:49 et nous appliquerons évidemment la loi de la République.
10:52 – Un mot pour finir sur l'immobilier,
10:54 on sait que désormais le taux d'usure qui est le taux maximal,
10:56 pour faire simple, auquel les banques et les assurances peuvent prêter de l'argent,
10:59 est désormais révisé chaque mois et plus chaque trimestre,
11:01 ce qui fait monter les taux et ce qui permet normalement de débloquer quelques crédits,
11:04 est-ce que ça a déjà des effets sur le marché,
11:06 est-ce que vous êtes inquiet sur le marché de l'immobilier en quelques mots ?
11:09 – Sur le marché de l'immobilier je crois qu'il faut un peu comparer,
11:11 là aussi élargissons la perspective pour voir un peu plus loin,
11:16 il faut comparer à ce qui se passe en Europe, il y a une remontée des taux partout,
11:19 donc les années exceptionnelles où il y avait d'énormes volumes sur le crédit immobilier,
11:23 des taux comme on n'en avait jamais vu, ça c'est fini.
11:26 Mais le crédit immobilier en France c'est aujourd'hui le plus abondant d'Europe,
11:32 si vous regardez les crédits nouveaux là de 2022,
11:35 nous avons produit plus qu'en Allemagne,
11:37 alors qu'ils sont nettement plus nombreux que nous,
11:39 et quatre fois plus qu'en Italie ou en Espagne,
11:42 le plus abondant, le moins cher,
11:44 les taux sont plus bas en France qu'en Allemagne et ailleurs dans la zone Europe.
11:48 – Donc il n'y a pas de crise de l'immobilier en vue ?
11:49 – Grâce à ce mécanisme de taux de l'usure que vous citiez,
11:52 sur lequel j'ai entendu beaucoup de commentaires, nous l'avons appliqué,
11:55 on a juste fait cet ajustement technique de pouvoir faire trois petites marches mensuelles
11:58 au lieu d'une grande marche pour l'investissement.
12:00 – Pas de crise de l'immobilier en vue ?
12:01 – Je ne crois pas qu'il y ait de crise de l'immobilier,
12:02 encore une fois nous sommes sortis d'années exceptionnelles,
12:04 et pas de crise non plus pour une troisième raison,
12:07 c'est que c'est le crédit le plus sûr d'Europe.
12:09 Il y a une chose très importante pour les emprunteurs,
12:12 c'est que l'immense majorité, 97% des crédits sont à taux fixe.
12:16 Ça veut dire une chose très simple,
12:17 si vous avez emprunté, votre mensualité n'est pas modifiée par la remontée du taux.
12:21 – Merci beaucoup.
12:22 – Chez beaucoup de nos voisins, c'est différent, tant mieux en France.
12:24 – Merci Monsieur le Gouverneur de la Banque de France d'être venu dans les 4V, merci à vous.