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Art et designTranscription
00:00 *Ti ti ti ti ti ti*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Gesper, bienvenue au club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous, bienvenue dans notre dance club du jour avec Rachid Ouramdan.
00:22 Le directeur du Théâtre National de Chaillot rencontre Angelin Pretsch-Locage, directeur artistique du Pavillon Noir.
00:27 A Aix-en-Provence pour Overdance, une double création où les deux chorégraphes nous prouvent une fois encore,
00:34 après Pina Bausch, que la danse n'a pas d'âge.
00:37 "Il n'y a pas de danse sans corps et il n'y a pas de corps qui ne vieillissent", dit-il à ce sujet.
00:42 Il, c'est notre invité, qui multiplie les initiatives depuis sa prise de fonction à Paris,
00:46 après ses années à la tête du Centre Chorégraphique National de Grenoble.
00:50 Rachid Ouramdan est aujourd'hui l'invité de l'entretien de Bienvenue au Club.
00:55 * Extrait de Bienvenue au Club *
01:05 Une émission programmée par Henri Leblanc, préparée par Laura Dutèche-Pérez, avec Félicie Fauger à la réalisation et Anthony Tomasson.
01:12 Bonjour Rachid Ouramdan.
01:15 Bonjour à vous. Quel âge a votre corps ?
01:18 Mon âge biologique aujourd'hui, c'est 51 ans.
01:25 Et votre esprit ?
01:28 L'âge change en fonction de la fatigue. Il y a des matins où je me sens plus vieux que d'autres, et d'autres plus jeunes.
01:38 Et ce matin ? Ce midi ?
01:40 Ce midi, ravi de vous rencontrer, ravi de tout ce qui est en train de se passer avec ce beau projet qui célèbre le vieillissement des corps,
01:49 avec tous ces danseurs, danseuses qu'on a eu la chance de croiser, Angelin et moi, en ce moment au théâtre.
01:54 Donc vous avez 20 ans aujourd'hui, là, en ce moment, à la minute.
01:57 C'est ça, en tout cas à côté d'eux, je suis leur Benjamin.
02:00 "Over", "Over then", c'est le titre de ce projet, de cette double création que vous avez pensée ensemble avec Angelin Préjlocage.
02:08 "Over what", qu'est-ce qui est "over" aujourd'hui ?
02:11 C'est vrai qu'en fait c'était une proposition de Hatter Balletow,
02:16 et puis en jouant sur le glissement de sens en anglais, parce que "over" ça peut vouloir dire "fini", et "over" ça peut aussi dire "le dépassement".
02:24 Donc je crois que ça nous interpelle tous aujourd'hui sur la façon qu'on a de travailler, de regarder des corps qui vieillissent,
02:35 de s'appuyer sur leur expression, et c'est cette dimension-là que je crois Angelin et moi, on a voulu explorer, ce "over"-là,
02:43 de se dire, dans une culture chorégraphique où souvent il est peu fait place à la vieillesse,
02:50 vis-à-vis d'autres arts où on vit, on est plus habitué à voir des musiciens âgés, on est plus habitué à voir des comédiens âgés,
02:57 mais c'est comme si la danse n'avait pas su toujours bien accompagner ce vieillissement.
03:02 Il y a des figures historiques de la danse, vous avez cité Pina Bosch pour tout ce qu'elle a pu faire avec sa compagnie,
03:07 mais il y a aussi des danseurs, ce formidable danseur japonais de Butoh, Kazuhono, qui a dansé jusqu'à la fin de sa vie,
03:15 Caroline Carlson encore aujourd'hui, c'est toujours une expérience de la voir sur scène alors qu'elle a plus de 70 ans,
03:23 la liste pourrait être longue, mais c'était toujours considéré comme quelque chose de l'ordre de l'exceptionnel,
03:28 ou ramené à une personnalité, un solo, comme si on ne pouvait pas écrire pour des ensembles.
03:33 Et puis je crois qu'à un moment où peut-être aussi le monde chorégraphique, la danse, qui est extrêmement présente dans la société,
03:44 on voit dans la jeunesse au travers des échanges sur les réseaux sociaux, dans les productions cinématographiques,
03:50 dans les défilés de mode, il y a un fort retour de la danse, dans plein de secteurs.
03:54 Je crois que naturellement, cette façon d'aller chercher dans différents milieux, différents types de corps,
04:02 les personnes d'un certain âge se sont naturellement réimposées, je dirais.
04:08 Et puis Angelin et moi, on est allé voir un peu ce qui se passait de ce côté-là.
04:13 - Ça fait qu'il y a toujours ce moment où on veut mettre les danseurs à la retraite.
04:17 C'est encore une question que je posais à Anne-Theresa de Kersmaker récemment, en lui demandant si c'était son dernier solo.
04:23 Elle me disait "mais pourquoi ce serait mon dernier ?".
04:26 Tant qu'on n'a pas envie de s'arrêter, tant que le corps nous porte, tant que l'esprit est là, pourquoi s'arrêter ?
04:32 Et il faut au contraire, j'imagine, toujours continuer, parce que c'est une manière de dire et une manière de faire.
04:38 - Vous avez, vous, conçu avec Angelin, préjocage, ce véritable pas de deux autour de ce thème du corps vieillissant.
04:45 Comment il est né ce projet de redonner aussi de la visibilité à ceux qu'on ne voit plus sur scène ?
04:50 Parce que c'était ça l'objectif.
04:52 - Oui, ça s'est fait en échange avec Gigi Cristoferi, qui est donc le directeur de la compagnie Ater Baletto.
05:01 - Grande compagnie, la plus grande de danse contemporaine italienne.
05:05 - Et c'est pas pour rien que c'est peut-être partie aussi de cette compagnie, cette initiative-là.
05:11 Parce que l'idée de ce projet est apparue après les premiers déconfinements.
05:18 Et on le sait, l'Italie du Nord a payé un lourd tribut.
05:24 Je ne sais pas si vous vous rappelez à l'époque, combien l'Italie du Nord était impactée par la crise sanitaire, le nombre de décès.
05:31 C'est une question qu'on s'est posée de partout, mais on va dire qu'elle a été accélérée.
05:36 Comment on prend soin des personnes les plus fragiles autour de nous, les personnes vieillissantes ?
05:40 Et Gigi a voulu nous poser cette question, nous interpeller sur ce sujet-là.
05:46 Donc il est venu me voir en me disant comment on pourrait témoigner du corps vieillissant dans le monde de la danse
05:54 et comment on l'accepte, comment on l'accompagne dans ces "fragilités".
05:58 Parce que je trouve que ce sont des mots qu'il faut employer avec précaution.
06:02 En tout cas, ne pas entendre ces fragilités comme une renonciation ou un amoindrissement,
06:07 mais juste le cours naturel d'une chose sur lequel il faut savoir s'appuyer par la suite quand on se met à danser.
06:13 Donc il est venu me voir, on a un peu échangé.
06:17 À l'époque, Angelin Préjlocage donnait sa création "Le Lac" au théâtre à Chaillot.
06:24 Et tout de suite j'ai pensé à Angelin parce qu'on connaît Angelin beaucoup pour son travail, pour des grands ensembles,
06:28 pour des compagnies de renom, la sienne.
06:31 Mais je savais aussi tout le projet qu'il avait fait avec ces personnes incarcérées en milieu carcéral.
06:39 Et je trouvais qu'il avait su faire jaillir de l'inattendu.
06:43 C'était aussi quelque chose qui moi me surprenait de la part de cet artiste qui est Angelin.
06:47 Je me suis dit je suis sûr que c'est quelqu'un qui aura des choses à faire.
06:50 J'ai proposé à Gigi Angelin, on a dit bingo.
06:57 À l'époque, ça y est, commande est passée, Angelin accepte.
07:01 Et en cours de route, Angelin annonce qu'il pense qu'il va faire une pièce qui ne fera pas la durée d'une soirée.
07:08 Donc là un peu panique à bord, on se demande tous comment construire cette soirée.
07:13 Et puis Gigi de la Terre Baléto m'a demandé si je voulais participer à la soirée.
07:18 J'ai dit oui avec grand plaisir.
07:20 Et voilà, ça s'est construit comme ça.
07:23 Après on a souhaité rencontrer des personnes.
07:25 Angelin a organisé des auditions, il voulait des danseurs mais aussi des non-danseurs.
07:30 Moi ça faisait un moment que j'avais cette intuition, j'avais envie de travailler avec des personnes d'un certain âge bien sûr,
07:37 mais aussi une discipline de danse qui avait une longue histoire.
07:39 C'est là que j'ai pensé au Music Hall.
07:43 J'ai essayé de tirer un parallèle entre le vieillissement d'une discipline et le vieillissement des corps.
07:49 - Effectivement, c'est une création en deux temps.
07:52 La vôtre, "Un jour nouveau", c'est son titre.
07:54 Et la sienne, celle d'Angelin Préjelocage, "Birth" des parties avec huit danseurs de plus de 60 ans,
08:00 dont l'inoubliable Elie Méderos, inoubliable chanteuse des Sticking Toys,
08:04 et le pop-punk français avec Jacques Naud dans les années 70.
08:08 C'est vous qui avez pensé à lui, au chorégraphe de mythologie, notamment sa dernière création qui tourne en ce moment,
08:14 à voir prochainement, en juin, à la Criée à Marseille.
08:17 "Danser son âge", disait-il à 52 ans, Angelin Préjelocage, autour du spectacle du Funambule.
08:23 L'erreur serait de vouloir danser autre chose que ce que l'on est.
08:27 Et vous, qu'est-ce que vous auriez dansé vous aujourd'hui, Rachid Ouramdan, si vous étiez monté sur scène ?
08:34 Et pourquoi, d'ailleurs, n'avez-vous pas fait le choix d'être danseur pour cette création ?
08:40 Trop jeune ?
08:42 - Oui, voilà, je pense qu'on est dans la tranche, ou pas encore assez mûre, peut-être, je ne sais pas.
08:50 - Est-ce que vous dansez encore ?
08:52 - En répétition, oui. J'ai beaucoup dansé, j'ai eu une longue carrière,
08:58 et puis c'est vrai que j'ai dû arrêter de danser malgré moi.
09:02 J'ai appris que mon corps m'a échappé, j'ai appris que je développais un cancer généralisé du système sanguin, le SEMI,
09:11 et ça a été un coup de frein, à l'âge de 38 ans, d'apprendre ça.
09:16 Et en même temps, j'ai beaucoup repensé, voire je me suis appuyé sur cette expérience,
09:21 parce que bon, voilà, aujourd'hui les choses sont stabilisées, on apprend à vivre avec,
09:24 mais cette expérience de voir cette chose se précipiter,
09:30 c'est-à-dire cette chose qui normalement se fait très progressivement, perdre certains moyens,
09:36 c'est un peu arrivé du jour au lendemain, et puis ça m'a un peu obligé à travailler autrement,
09:42 à me redécouvrir, à voir ce que je pouvais encore faire.
09:48 Alors dans un premier temps, vu que je ne pouvais vraiment plus faire grand-chose physiquement,
09:52 c'est d'abord passé par regarder le corps des autres.
09:55 Ça a continué de creuser mon expérience de chorégraphe,
10:00 parce que déjà à l'époque où je chorégraphais, j'ai toujours été interprète et chorégraphe,
10:04 mais là j'ai envie de dire que c'était la seule façon de pouvoir travailler,
10:08 c'est-à-dire au travers du corps des autres, donc non plus en amenant moi,
10:12 mais une certaine façon de danser, de bouger, de gestuer le propre.
10:17 Et j'y ai souvent repensé, quand je travaillais avec Daryl Wood et Erma Voss.
10:24 - Vos deux danseurs pour cette création.
10:26 - C'est ça que j'ai eu la chance de rencontrer pour ce projet,
10:29 parce que même si, attention, je ne suis pas en train de dire que le vieillissement est une maladie,
10:33 mais je me suis autorisé ce parallèle-là.
10:35 Par contre, je vois bien qu'à plein d'endroits, souvent notre danse, nos gestes se nourrissent,
10:43 prennent de la maturité, parce qu'on a une certaine histoire,
10:47 on a été confronté à certaines situations, à certaines émotions,
10:50 des choses qu'on sait retraduire sur scène.
10:53 Et puis aussi, on se découvre nouvellement tous les jours.
10:58 - C'est exactement ce que vous dites.
11:00 Voir ce corps m'échapper, disiez-vous à l'instant, Rachid Ouramdan,
11:04 peut-être dans ces moments-là, on imagine qu'il ne faut pas tant chercher à lui courir après,
11:09 à essayer de le rattraper, mais plutôt à essayer de le regarder, de le comprendre et l'accepter tel qu'il est.
11:16 C'est ce que semblent nous dire l'ensemble des danseurs de votre création,
11:21 de celle d'Angelin Préjlocage.
11:25 Cette phrase, "l'erreur serait de vouloir danser autre chose que ce que l'on est",
11:30 il y a une merveilleuse danseuse qui pourrait la faire sienne,
11:32 qui a bientôt 80 bougies, qui a longtemps pratiqué le tai-chi,
11:35 et qu'on retrouve dans cette création d'Angelin Préjlocage,
11:38 elle est là, comme une sorte de maître Yoda de cette pièce, de ce ballet.
11:44 Une sagesse incarnée, une force tranquille,
11:46 elle témoigne, elle, de la difficulté à enregistrer les pas.
11:50 C'est sûr, une chorégraphie à retenir, surtout qu'elle est complexe et extrêmement belle,
11:54 celle qu'a imaginée Angelin Préjlocage à votre demande,
11:58 quand d'autres des danseurs de cette création évoquent, eux, plutôt leur peur, leur crainte de se blesser.
12:05 C'est l'esprit, comme le corps, la mémoire, comme les pas qui peuvent s'échapper et nous faire défaut.
12:12 Oui, il faut savoir... Souvent, c'est ce qu'on cherche, en fait.
12:17 C'est exprimer qui on est, savoir s'appuyer sur ses ressources, ne pas courir après des modèles.
12:25 Et souvent, dans une recherche artistique, on tente de mettre en place le cadre pour que les choses nous échappent,
12:33 ou en tout cas, qu'elles nous surprennent.
12:36 Après, on le fait avec ces choses qui nous apparaissent différemment tous les jours, quand on a un corps qui vieillit.
12:44 Mais c'est vrai qu'on est quand même confrontés, on ne va pas se mentir.
12:48 Il y a des choses qui relèvent de la biologie, c'est-à-dire qu'à un moment donné, on mémorise plus difficilement.
12:52 Le corps nous rappelle par une douleur, mais ça raconte aussi de qui on est.
13:02 Il nous faut essayer de faire place à toutes ces choses-là, mais avec sérénité.
13:09 Et je crois que c'est ce qu'on peut voir particulièrement dans la pièce d'Angelin,
13:15 où il y a des structures chorégraphiques un peu complexes, du nisson, d'enchevêtrement, etc.
13:22 Mais en même temps, je trouve que pour faire jaillir des choses qui sont profondément humaines,
13:26 c'est baiser entre ces corps, c'est l'érotisme qui jaillit de ces corps-là, la fatigue, la tendresse.
13:37 Puis aussi, je trouve quelque chose que des danseurs qui ont une certaine expérience de plateau arrivent toujours à partager,
13:45 c'est de transformer l'espace qui les entoure.
13:50 Ça paraît toujours un peu ésotérique quand les gens de la scène parlent de ça,
13:53 cette expérience de la scène, on a souvent du mal à mettre des mots là-dessus.
13:58 Mais je pense que quand on a la fouille et la puissance de la jeunesse, on s'appuie beaucoup sur son corps.
14:04 Et plus tout ça s'éloigne, plus on est attentif à l'espace qui nous entoure et on donne une couleur à tout ce qui nous entoure.
14:12 Ce qu'il y a entre des corps, on parle souvent d'aura, de charisme,
14:17 mais cette façon d'inscrire son corps dans l'espace et de plus se traiter l'espace que son corps,
14:22 c'est aussi ce que souvent les danseurs qui ont une certaine expérience apportent.
14:26 En fait, qu'est-ce qui différencie un corps jeune d'un corps vieillissant ?
14:31 La question a été posée au danseur Jean Babilet en 1995. Réponse ?
14:36 En fait, qu'est-ce qui différencie vraiment un homme âgé d'un homme jeune ?
14:43 C'est que le jeune homme est plus serré sur lui-même.
14:47 Je veux dire, chacun vit avec un capital d'air en lui, qui ne souffle pas complètement, vous voyez.
14:58 Il reste, on respire ça, disons qu'on est sans respiration.
15:07 On en garde toujours 45 en expirant. Jamais on ne va plus loin.
15:15 Le corps se déforme à force de se gonfler, de se gonfler, de se gonfler.
15:19 On a trop d'air en soi. Et si on a trop d'air en soi, on est plus rigide.
15:28 Et la jeunesse est serrée sur ses poumons, contre les collines vertébrales,
15:33 et le corps est complètement libre. Ça, c'est la jeunesse.
15:37 À quoi ça tient, la jeunesse, Rachid Oramdan ?
15:43 Je ne la connaissais pas, cette archive, mais effectivement, on est peut-être assez doux.
15:50 Parce que cette jeunesse, hier encore, je rencontrais des jeunes danseurs de voguing.
15:54 Quand je vois tout ce que leur corps exprime, c'est formidable.
15:57 Donc on ne va pas non plus trop parler d'immaturité.
16:01 Mais c'est intéressant que pour lui, ça passe par ce grand souffle de vie,
16:04 que ça passe par le poumon, en fait, comme étant cet organe vital.
16:08 Non, mais c'est vrai que ça peut être enfermant, la jeunesse.
16:11 En fait, dans mes débuts, je faisais plein de choses,
16:15 on va dire avec confiance, avec assurance, dans plusieurs registres.
16:19 Je me rappelle d'une remarque d'une personne qui est spécialiste de l'analyse du mouvement,
16:25 une personne qui fait référence souvent dans notre champ, qui s'appelle Hubert Godard,
16:29 et qui m'avait, avec toute attention, beaucoup de bienveillance, dit
16:33 "C'est dommage de voir autant de névroses corporelles se répéter."
16:39 Et alors là, je le regarde, je ne comprenais pas.
16:42 Et en fait, c'est-à-dire que vous vous enfermez dans ce que vous pensez être une forme de dextérité, de liberté.
16:48 Et il y a une forme de virtuosité, alors elle vous satisfait.
16:53 Et en fait, elle vous empêche de voir des choses qui sont ailleurs.
16:57 Et c'est... Donc voilà, la jeunesse en danse, il faut...
17:03 Je ne sais pas s'il faut s'en méfier, mais en tout cas,
17:06 il faut être conscient que le corps est tout le temps en mouvement,
17:10 et qu'à chaque moment, on doit quand même toujours se demander à côté de quoi on est en train de passer.
17:16 Mais c'est exactement cette maturité qu'affichent les deux danseurs de Music Hall que vous mettez en scène aujourd'hui, Rachid Ouramdan.
17:24 Deux interprètes à la retraite qui se lancent dans un "cha-cha-cha" qu'aucun moins de 20 ans ne saurait égaler.
17:31 [Rachid Ouramdan - Cha-cha-cha]
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19:47 - Merci Sam Coop, un couple de danseurs,
19:50 Daryl Woods et Erma Voss.
19:53 Quel duo forment-ils ?
19:56 Pas simplement un duo entre deux corps,
19:59 mais aussi un duo entre eux, la musique et la lumière.
20:02 Il y a tout ça dans cette courte création,
20:05 cette courte pièce de 15 minutes que vous avez imaginée avec eux.
20:08 C'est vrai que quand on les voit danser,
20:11 on ne se demande pas quel effet l'âge a pu avoir sur leur corps,
20:14 on ne se demande pas qu'est-ce qu'un corps ralentit,
20:17 on ne se demande plus est-ce qu'ils sont fatigués,
20:20 ils ne sont pas fatigués, ils sont rattrapés par les douleurs du passé,
20:23 par des blessures refoulées, ils donnent le change,
20:26 ils sont là, ils sont entièrement présents, ils sont dans la danse.
20:29 - Oui, je me suis beaucoup appuyé sur leur histoire, sur leur parcours,
20:37 pour justement être complètement en présence.
20:41 Ils sont dans une sorte de bain de mémoire,
20:44 beaucoup des gestes qu'ils font renvoient à des séquences qu'ils ont dansées,
20:49 comme Herma Voss par exemple,
20:51 ces descentes d'escalier qu'elle faisait au Lido.
20:53 Je lui disais "oui, alors là tu comprends,
20:55 tu sais qu'une fois il y avait Alain Delon,
20:57 et puis ensuite j'ai échangé avec Sylvester Stallone,
20:59 et toutes ces petites anecdotes,
21:01 tu te rappelles le geste que tu as fait à ce moment-là ?
21:04 Voilà, c'est comment on remet en jeu des choses qui sont chargées d'histoire,
21:08 des fois des histoires agréables, légères,
21:11 puis des choses plus lourdes.
21:13 On a voulu s'appuyer aussi sur ce musical,
21:15 "Little Night Music", qu'il chante à la fin.
21:19 Comme souvent dans les musicals,
21:21 ça repose sur une romance, un couple,
21:24 et dans "L'Amour Impossible" là.
21:27 C'était le premier musical que Daryl E. Woods a pu voir dans les états du sud de l'Amérique,
21:33 à un moment où on va dire que Daryl est black,
21:36 c'est une personne de couleur,
21:38 et à un moment dans des états où ce n'était pas courant
21:42 pour les personnes de couleur d'aller voir ces choses-là.
21:45 Et tous ces sous-textes qui chargent leur geste,
21:48 qui chargent leur choix,
21:50 parce que c'est le moment où il s'est dit "j'ai envie de monter sur scène",
21:54 alors qu'il était dans un environnement socialement où il y avait une forme de tension,
21:58 de discrimination, même si ce n'était plus la ségrégation, etc.
22:02 à ce moment-là, mais on sait qu'il y en avait encore des traces.
22:04 En fait, quand ils viennent sur scène,
22:06 je pense que c'est tout ça qui jaillit de ces personnes.
22:09 On sent les vexations, on sent le plaisir, on sent la lourdeur.
22:13 Et même dans comment on s'est rencontrés.
22:16 Par exemple, Irma Voss, elle est venue à Chaillot, on a échangé.
22:20 Je lui ai dit "bon, très bien, Daryl, je le connaissais de scène,
22:23 je savais que je voulais travailler avec lui,
22:25 et puis on a organisé des rencontres à Chaillot pour d'autres".
22:28 C'était le cas d'Irma Voss que je rencontrais dans une sorte d'audition-rencontre.
22:32 Et elle m'a parlé, et puis à la fin, j'ai dit "bon, merci, à bientôt, je vous refais ci".
22:36 Elle m'a dit "mais vous ne voulez pas que je vous montre des choses ?
22:39 Je danse, je chante, je dis "ah si, bonne idée, allons-y".
22:42 Et en fait, je pense que c'est ça que je tente après dans le travail,
22:45 c'est-à-dire la passion de ces personnes.
22:48 C'est-à-dire ce pour quoi ils dansent, pas comment ils dansent,
22:51 mais ce qui charge.
22:52 Et ça y est, en fait, c'était plié pour moi,
22:54 je savais que je voulais travailler avec cette femme,
22:56 au regard de tout ce qu'elle m'avait raconté avant même de l'avoir en mouvement.
22:59 - Alors il y a des chorégraphes comme Thierry Thion-Nguyen ou comme Jérôme Bell
23:02 qui ont travaillé avec le grand grand âge.
23:05 Ce n'est pas le cas de cette double création, je tiens à le préciser.
23:08 Ils ont entre 65 et 80 ans, vos danseurs, à tous les deux pour cette création.
23:16 Et c'est une bulle de bonheur en fait.
23:19 Ce sont deux créations, une double création extrêmement pétillante.
23:23 C'est très très beau aussi la manière dont ils dansent
23:26 et c'est un plaisir pour les yeux avant tout.
23:28 On l'évoquait avec Pina Bausch, avec sa pièce "Contact off" notamment.
23:32 Vous avez peut-être tous été aussi à bonne école.
23:36 Il faut se rappeler que cette pièce, elle l'avait créée en 78
23:39 et elle l'avait reprise notamment à 60 ans, au début des années 2000,
23:43 avec des danseurs amateurs de plus de 65 ans.
23:46 Elle y questionnait la question du couple, de la solitude.
23:49 Elle questionnait aussi notre besoin d'être encore regardé,
23:51 notre besoin d'être aimé finalement, un peu comme toutes vos créations à vous, Rachid ou Ramdan.
23:56 C'est toujours la question de notre place à tous dans cette société que vous soulevez.
24:01 Oui, c'est vrai que souvent je mets en…
24:06 Il m'arrive de travailler avec des artistes professionnels, bien sûr, des compagnies
24:10 et aussi des gens qui sont extérieurs au monde de l'art.
24:13 Je pense que dans le corps de tous, de toutes, il y a une sensibilité,
24:18 il y a quelque chose qui peut se partager.
24:20 Je pense que c'est le travail d'un chorégraphe que de saisir l'existant.
24:25 Parfois, je peux avoir une approche de la danse
24:28 où j'arrive avec une écriture, avec un sujet.
24:31 Et puis, parfois, c'est un peu en chercheur d'or.
24:35 C'est-à-dire, vous essayez de repérer quelque chose d'inattendu
24:39 parce que je pense qu'il y a du chorégraphique au-delà de la danse.
24:42 Et c'est ce qui m'a amené dans le passé, oui, à travailler avec des sportifs de haut niveau,
24:48 avec des mineurs isolés, à un moment où il y avait une grande tension
24:52 sur comment considérer cette enfance.
24:54 Je trouvais que ces jeunes, ces enfants, ces corps-là, avaient à nous dire des choses.
24:58 Donc, oui, je pense qu'on parle toujours un peu de soi quand on danse.
25:06 Il y a toujours un bout de récit de soi.
25:08 Soit on le valorise, soit on s'appuie dessus.
25:11 Ce que je fais, j'aime qu'on sente, comme je le disais tout à l'heure,
25:15 ce qui fait que ces gens bougent, comme ça.
25:18 Et pas uniquement une approche peut-être plus formelle de la danse ou de la chorégraphie.
25:24 En arrivant à la tête du Théâtre National de Chaillot,
25:27 vous aviez fait la promesse d'ouvrir toujours plus ce théâtre
25:31 et de faire de la danse comme vous l'aviez toujours fait auparavant,
25:37 une pratique de moins en moins, en tout cas qui ne soit pas perçue comme élitiste.
25:41 Vous continuez dans cette démarche-là avec plusieurs projets,
25:44 avec Chaillot-Colos notamment, avec Chaillot Olympique qui est dédiée aux scolaires.
25:47 Cette démarche d'ouverture.
25:49 Oui, je crois que c'est important de permettre à des jeunes
25:54 à découvrir des choses physiquement,
25:57 de mettre dans des parcours d'éducation, dans des parcours de vie,
26:00 dans des parcours d'éducation, des expériences qui font qu'on peut se découvrir,
26:08 on peut découvrir le contact que l'on a avec d'autres de façon nuancée, accompagnée d'artistes.
26:12 Et les Chaillot-Colos, par exemple, c'est un programme qu'on avait pensé au début,
26:17 plutôt à l'époque quand j'étais à la tête du Centre Chorégraphique de Grenoble.
26:21 C'est des immersions pour des jeunes qui ne pouvaient pas toujours partir en vacances.
26:24 Et ils passent des journées entières en vacances, en activités artistiques.
26:29 Et c'est une façon de voir comment on peut faire plus de place au corps qui nous entoure
26:34 et découvrir le sien.
26:35 Voilà, à tous les âges, avec vous Rachid Ouramdan et Angelin Préjlocaz,
26:39 en ce moment au Théâtre National de Chaillot, « Overdance ».
26:42 C'est le titre de cette double création qui ne plaide pas du tout en plein débat sur la retraite des danseurs
26:48 pour préserver, pour la survie de ces derniers régimes spéciaux.
26:53 On peut danser à tout âge et vous le prouvez.
26:55 Merci mille fois à vous.
26:56 Merci à vous.