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00:00 *Générique*
00:13 Naples, le sacré champion d'Italie, pour la première fois depuis 1990, est l'air Maradona.
00:20 Cette fois c'est fait, 4 jours après avoir repoussé la fête à domicile face à Salernitana,
00:26 le SCC Napoli n'a pas laissé passer sa chance une deuxième fois.
00:30 C'est la première phrase de l'article que le journal Le Monde consacre à cette actualité footballistique,
00:36 car il s'agit évidemment de football.
00:38 Mais il s'agit peut-être en fait de bien plus que ça.
00:41 Parce que les supporters de Naples, les typhosis du Napoli, sont aussi volcaniques que le Vésuve
00:46 qui domine la baie de cette ville du sud de l'Italie.
00:49 Et que là-bas, le football n'est pas seulement un sport.
00:53 Un précédent article du journal sur le même sujet.
00:56 "Ici, dans cette ville dont les strates historiques se superposent et se mêlent partout,
01:00 dans un paysage où l'antique et le trivial voisinent en permanence,
01:04 Maradona n'est pas une icône mais un martyr, un saint, un prophète, voire un dieu."
01:11 Et toute cette semaine, et probablement dans les semaines à venir,
01:14 les Napolitains et les touristes feront la queue dans une petite rue du quartier espagnol de la ville
01:18 pour toucher la fresque représentant celui qui est mort à 60 ans après une vie de victoire et d'excès.
01:25 Ils étaient plus de 54 000 dans le stade Diego Maradona pour assister à cette grande messe,
01:30 comme disent les journalistes sportifs.
01:31 Et toute la nuit, la ville a chanté.
01:34 En chœur.
01:35 Comme si la voix était la seule manière d'exprimer une telle joie.
01:39 Comme si le chant était la seule manière d'honorer ce que cette ville considère comme sacré.
01:45 La voix et le sacré, voilà donc le sujet de mon invité Lionel Saut,
01:49 qui dirige le chœur de Radio France et que nous recevons pour une série de concerts
01:53 donnés les 12, 13 et 14 mai prochains en l'honneur du compositeur de musique de film Howard Shore.
01:58 *Musique*
02:08 - Bonjour Lionel Saut. - Bonjour.
02:09 - Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
02:12 Et j'en parlais en parlant de ces chants, de ces cris de supporters.
02:17 Est-ce que vous savez, vous qui travaillez tous les jours de votre vie avec la voix,
02:21 pourquoi est-ce que c'est le seul véhicule pour une telle émotion ?
02:26 Pourquoi est-ce que ça passe forcément par la voix, une telle émotion, une telle joie ?
02:31 - Je pense que... Alors c'est une question très complexe, sans doute,
02:36 mais la voix c'est quelque chose qui est directement relié à l'émotion.
02:41 C'est ce qu'on essaie finalement de retrouver dans le chant en permanence,
02:46 c'est cette connexion, c'est-à-dire que la vibration, elle est l'impulsion, la première, c'est l'émotion.
02:54 Ça doit être l'émotion, on va dire, sinon c'est vide de sens.
02:58 Donc... Et aussi probablement le fait que tout le monde ait une voix est une chose importante,
03:06 c'est-à-dire que par miroir on réagit en fait corporellement à ce que la voix de quelqu'un d'autre nous propose,
03:12 et donc probablement qu'on absorbe une part de cette émotion de manière directe, de manière vibratoire.
03:18 - Parce que c'est ça la voix, une dimension physique ?
03:21 On la ressent dans le corps, la voix ? On la reçoit par le corps ?
03:26 - On la ressent, on la reçoit par le corps, elle est évidemment initiée par le souffle,
03:32 ce qui est aussi une dimension très importante, je pense, de la voix.
03:38 On peut se dire par exemple que quand on chante, il y a un effet direct sur l'état corporel du fait du ralentissement du souffle,
03:44 finalement on impose au corps un rythme de respiration qui n'est pas naturel et une expiration extrêmement lente.
03:54 Et c'est une chose qui a un impact direct sur l'état corporel.
03:59 - Je parlais de ces chants de supporters, ça vous arrive, vous, de vous inspirer, de vous nourrir de ces voix que vous pouvez entendre dans la rue ?
04:06 Quelqu'un qui fredonne, ou alors un stade qui chante, une foule qui crie des slogans,
04:11 est-ce que ce sont des moments que votre oreille identifie particulièrement ?
04:17 - Alors, identifie oui, par moments de manière négative d'ailleurs, parce que ce n'est pas toujours heureux,
04:23 enfin, en tout cas, de ma perception.
04:26 Ce qui est, je pense, inspirant, c'est la spontanéité.
04:31 Parce que finalement, quand on pratique le chant comme artiste, il y a une dimension fabriquée,
04:38 il y a une dimension technique, il y a une dimension où on a éduqué quelque chose qui est naturel.
04:44 Et ensuite on passe toute sa vie à essayer de retrouver la spontanéité du chant au travers de cette voix, on va dire, modifiée.
04:53 - Vous aimez que vous-même chantez ?
04:56 - Alors, j'ai un rapport un peu complexe au chant, pour l'avoir pratiqué beaucoup,
05:02 pour en avoir expérimenté la difficulté aussi,
05:08 et puis finalement l'immense discipline que ça nécessite.
05:14 Et donc j'ai beaucoup d'admiration pour les chanteurs qui pratiquent ça professionnellement et qui s'imposent cette forme de discipline.
05:20 - Quand vous dites complexe, ça veut dire qu'il y a quand même une part d'attraction pour vous, sur le fait de chanter ?
05:25 - Oui, oui, c'est assez fascinant, mais c'est aussi une manière de se livrer sans pudeur, d'une certaine manière.
05:34 Il n'y a pas de pudeur dans le chant, il y a quelque chose de direct, on livre quelque chose de soi de manière très ouverte.
05:42 Alors c'est tout à fait excitant d'un côté, et puis d'un autre côté, oui, ça pose des questions aussi.
05:51 - Vous êtes avec nous pour une série de concerts, en tant que directeur du Chœur de Radio France.
05:56 On va mettre à l'honneur, très bientôt, ce n'est pas ce week-end mais le week-end suivant,
06:00 le compositeur mute de musique de film Howard Shore, qui a travaillé avec David Cronenberg,
06:06 avec Martin Scorsese, avec Sidney Lumet, Chris Columbus, Joel Schumacher, James Mangold,
06:11 la liste des réalisateurs avec qui il a travaillé est absolument immense.
06:14 Et si je vous cite quelques films, ça vous dira forcément quelque chose.
06:18 Le Silence des Agneaux, Vidéodrome de Cronenberg, After Hours de Scorsese, Copland, Existence,
06:25 High Fidelity et évidemment Le Seigneur des Anneaux.
06:29 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
06:33 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
06:58 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
07:28 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
07:52 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
08:20 * Extrait de Le Seigneur des Anneaux de Howard Shore *
08:44 On écoutait quelques secondes de cette musique du Seigneur des Anneaux.
08:48 D'ailleurs on les entend derrière nous, ces voix.
08:52 Il y a une manière de parler de la voix, quand je vous écoutais dans des interviews,
08:56 comme certains experts du vin parlent du vin. Il y a des termes très particuliers.
09:00 Par exemple, ces voix-là qu'on entend, ces voix de cette musique du Seigneur des Anneaux,
09:06 comment est-ce que vous nous les raconteriez ? Comment est-ce que vous nous les feriez déguster ?
09:10 - Ce qui me frappe, c'est l'utilisation de la voix pour créer une sorte d'univers mythique.
09:22 C'est-à-dire qu'on entend ces bribes de mélodies qui nous renvoient dans notre imaginaire à une musique du Moyen-Âge,
09:34 à une musique par l'utilisation de peu de notes, par l'utilisation de la mélodie qu'on a entendue.
09:40 Là, elle tient sur trois notes. C'est quelque chose de vraiment très simple.
09:44 Et ce type de tournure mélodique, on le trouve évidemment dans la musique médiévale,
09:49 mais on le trouve dans plein de traditions du monde.
09:52 Elle nous renvoie finalement à quelque chose, à une sorte de passé fantasmé, on va dire,
09:59 et en quelques notes, recrée une nouvelle mythologie. Je pense que c'est l'objectif de cette musique.
10:06 - Et c'est le talent de Warcher. Est-ce que vous parliez de passé, non pas fantasmé, mais bien réel ?
10:12 Est-ce que vous vous souvenez de votre premier contact avec le chant, avec la voix ?
10:17 Peut-être pas nécessairement le premier contact formellement, mais le premier moment où ça vous a profondément touché ?
10:22 - J'ai des souvenirs lointains, notamment de Bob Marley.
10:32 C'était une époque fin des années 70, on s'asseyait devant un tourne-disque et on écoutait ce qu'on avait sous la main.
10:41 Et Bob Marley était un objet de fascination pour mon frère et moi.
10:45 Est-ce que c'est le premier contact ? Certainement pas, mais c'est un dont je me souviens fortement.
10:50 - Et c'était lié à sa voix, justement ? C'est ça qui vous a touché ? C'était un ensemble ou c'était vraiment la voix ?
10:55 - C'était lié à la voix, c'était lié à la texture musicale.
11:01 On pouvait réécouter les mêmes choses en boucle, parce qu'on était fascinés par des sonorités, à la fois vocales mais instrumentales, tout ça mêlée.
11:12 - Pour ce qui concerne la musique, comme celle que vous dirigez aujourd'hui, c'est votre père qui vous a pris la main pour vous la faire découvrir ?
11:23 - Mes parents, qui ont toujours chanté.
11:28 C'est une chose qui était présente, ne serait-ce que dans la bibliothèque de partitions que nous avions à la maison.
11:38 C'est quelque chose qui a toujours été présent dans la famille.
11:43 Il y a sans doute quelque chose de très naturel au fait de prendre part des activités chorales dès le plus jeune âge, quand c'est une forme de transmission familiale.
11:54 - Votre père était sacristain, je crois ? C'est-à-dire qu'il préparait les objets nécessaires à la tenue de la messe, sans être lui-même prêtre ?
12:03 - Oui, il a été sacristain plutôt dans une deuxième période de sa vie. Il était architecte dans une première période.
12:13 Et c'est plus par souhait personnel de contribuer. C'est une forme de bénévolat.
12:19 - Mais il vous a transmis quand même ce lien avec le sacré ? Les deux se mêlent, la voix, le chant et le sacré pour vous ?
12:27 - Oui, oui, complètement. Parce que c'est... Voilà, l'endroit où on entend de la musique de manière très régulière, de manière très gratuite, on va dire, c'est la liturgie.
12:40 Donc ensuite, avec plus ou moins de bonheur, parce qu'il faut être honnête, la qualité musicale dans la liturgie est une chose complexe à l'heure actuelle.
12:48 Mais c'est un endroit où la musique est offerte et gratuite dans le sens noble du terme. Et donc c'est un contact important pour la musique.
13:01 - Très vite, vous avez su que vous dirigeriez d'autres chanteurs. Parce que quand on regarde votre parcours, votre biographie, vous êtes un très jeune, finalement, directeur de chœur.
13:11 On a le sentiment que, non seulement vous êtes à votre place aujourd'hui, tant mieux, mais que vous avez toujours su, quelque part, que ce serait ça.
13:20 Est-ce que ça c'est une erreur ? Est-ce que c'est simplement une vision extérieure ? Ou est-ce que profondément vous saviez déjà ?
13:26 - La vie s'est organisée aussi pour faire en sorte que ce soit évident. Mais c'est vrai que j'ai commencé très très tôt, parce que j'ai commencé à chanter très tôt
13:36 et parce que j'ai commencé à diriger finalement, de loin en loin, vers 15-16 ans. Et que les choses se sont mises en place pour que j'en sois toujours à faire la même chose 30 ans plus tard.
13:50 Mais c'est aussi beaucoup de conjonctions dans l'existence qui ont fait que ce métier s'est développé pour moi de manière toujours plus intéressante.
14:01 Donc c'est ce qui m'a aussi maintenu dans cette voie, je dirais.
14:04 - Je voudrais justement qu'on s'arrête sur un moment de votre vie qui a été un long moment, puisque de 2006, je crois, à 2014, vous assurez la direction artistique de la maîtrise de Notre-Dame de Paris.
14:14 Ça n'est évidemment pas un lieu anodin. Je voudrais que vous me parlez du sentiment qu'on a à diriger un chœur dans un endroit comme ça.
14:25 A quoi ça ressemblait pour vous ? A quoi ça ressemble ?
14:29 - C'est quelque chose de très fort, parce que c'est un contexte où on peut vraiment porter toute la polyphonie.
14:43 C'est très personnel, mais moi j'ai un rapport à la polyphonie, notamment de la Renaissance, à ses sources de la polyphonie, très fort.
14:51 C'est un endroit où vraiment on a l'impression qu'il y a le plus grand naturel à faire résonner toute cette musique.
14:58 Quoi qu'on fasse dans ce lieu, on s'adresse au monde entier sans pouvoir le percevoir ni le définir.
15:06 C'est-à-dire que, que ce soit une répétition en pleine journée, on a 3000 personnes qui sont dans le lieu en train de circuler et qui écoutent ou n'écoutent pas,
15:16 mais qui finalement sont susceptibles d'être touchées par ce qu'on fait.
15:19 Donc c'est un rapport au public extrêmement spécial. Et ensuite, dans la liturgie ou dans les concerts, on sait qu'on va toucher vraiment...
15:29 Enfin, que des gens... Et on en a des témoignages ensuite, mais sur le moment on ne sait pas qui est-ce qu'on touche,
15:34 on ne sait pas l'expérience que les gens sont en train de vivre, donc on essaie de produire la plus belle musique possible.
15:42 Et finalement, on peut être sûr que certains vivront des expériences très fortes. Enfin, moi ça a été mon cas quand j'étais adolescent à Notre-Dame.
15:51 Donc vivre des expériences esthétiques très fortes.
15:54 - Est-ce que le poids du lieu pèse sur vos épaules à ce moment-là ?
15:57 - Je pense qu'on a conscience quand même de l'importance de la mission.
16:03 Heureusement, on l'oublie. Enfin, voilà, on sait que ce qu'on fait est important, mais on ne peut pas être en permanence...
16:14 Enfin, voilà, quand on va tous les jours à Notre-Dame, eh bien on y va avec bonheur.
16:20 C'est aussi une expérience sensorielle, parce que c'est une expérience d'un espace, d'un lieu, d'un type d'acoustique,
16:26 mais d'odeur aussi particulière, de couleurs. Donc c'est une expérience sensorielle.
16:33 Et ça, on le vit, mais on ne passe pas ses journées à se dire "Ouh là là, quelle responsabilité !"
16:38 - Vous vous souvenez ce que vous faisiez le 15 avril 2019 ?
16:42 - Le 15 avril 2019 ?
16:45 - C'est le jour où de la fumée est apparue...
16:48 - Ah oui, alors j'ai un souvenir très très précis, parce qu'on était en train de répéter à la Philharmonie le "Work Requiem",
16:54 et c'est une conjonction très particulière, puisque ce "Work Requiem" a été composé par Britten pour l'inauguration de la reconstruction de la cathédrale de Coventry.
17:05 Donc c'était une sorte de lien de moment très spécial. Bon, j'ai un petit peu écourté la répétition.
17:11 - Merci Lionel Sow, vous êtes notre invité. Merci d'être... puisque vous parliez de pudeur, merci d'aller un peu au-delà de cette pudeur-là avec nous aujourd'hui.
17:20 Vous êtes avec nous pour une série de concerts qui sera donnée les 12, 13 et 14 mai prochains.
17:25 Et je voudrais qu'on vous écoute quelques secondes quand même.
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