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Art et designTranscription
00:00 * Extrait de « Le Book Club » de France Culture *
00:19 Il y avait à l'époque en quatrième de couverture des magazines recensant les programmes télévisés
00:24 des publicités vantant des offres commerciales immanquables.
00:27 Salon tout cuir à -50%, un téléphone sans fil offert pour l'achat d'un ensemble
00:33 de mobilier rustique et… et… une offre de musique à prix imbattable sur abonnement.
00:38 La musique n'était pas encore dématérialisée en 1991 mais on vous proposait l'envoi de
00:44 trois CD chaque mois en échange d'une somme modique et d'un abonnement couplé aux dix
00:49 magazines.
00:50 J'avais réussi à convaincre ma grand-mère d'y souscrire et pour le premier envoi j'avais
00:55 reçu comme attendu le nouvel album de Nirvana, le premier d'Alanis Morissette et une surprise,
01:01 la compilation « Nocturne Jazz » avec à la piste 7 un titre « My Baby Just Cares
01:08 For Me » d'une certaine Nina Simone.
01:10 C'est ma première rencontre avec elle, je devais avoir 10 ou 11 ans et chaque fois
01:15 que je l'ai retrouvée, à différents moments de ma vie, toujours un peu de la même manière,
01:20 elle a correspondu exactement à l'humeur dans laquelle j'étais.
01:23 Assie là, à compter mes doigts, dansant pour amuser la galerie, plus funky que le
01:28 vrombissement d'un moustique ou seule aussi.
01:31 Et j'ai réalisé en me plongeant dans les ouvrages de mes deux invités du jour, Marianne
01:39 Woursch pour le journal intime de Nina Simone et Sophie-Adrienne Sen pour Nina Simone en
01:44 BD, que j'avais découvert la musique de Nina Simone comme elle l'avait créée,
01:49 parfois par hasard, dictée par les humeurs et les engagements qui la traversaient, avec
01:53 grâce et trébuchement.
01:54 Ma dernière rencontre avec elle, « Ne me demandez pas pourquoi » s'intitule « Love
02:00 O'Love ».
02:01 (Musique)
02:03 (Musique)
02:05 (Musique)
02:07 (Musique)
02:10 (Musique)
02:13 (Musique)
02:15 ♪ ♪ ♪
02:25 ♪ ♪ ♪
02:35 ♪ ♪ ♪
02:45 ♪ ♪ ♪
02:55 ♪ ♪ ♪
03:05 ♪ ♪ ♪
03:15 ♪ ♪ ♪
03:25 ♪ ♪ ♪
03:35 - Impossible de commencer cette émission sans écouter "La voix"
03:38 et le piano de Nina Simone à l'occasion des 20 ans de sa mort
03:42 que nous avons célébrée le 21 avril dernier ou plus joyeux,
03:46 les 90 ans de sa naissance.
03:48 Elle aurait eu 90 ans le 21 février dernier.
03:51 Je reçois et ça me fait très plaisir, en voisine d'abord,
03:55 Marianne Woursch, bonjour. - Bonjour.
03:57 - Vous êtes productrice à France Musique.
03:59 Vous avez réalisé un podcast sur le journal intime de Nina Simone,
04:04 lu par Claudia Tagbo et qui est édité aujourd'hui
04:07 aux éditions France Musique et dont nous allons parler.
04:10 Et normalement depuis le morbillant, nous avons avec nous
04:13 Sophie Adriansen, bonjour. - Bonjour Antoine.
04:16 - Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation.
04:18 Nina Simone en BD, c'est votre dernier ouvrage.
04:22 Et voilà, pour moi la rencontre s'est faite comme ça par hasard,
04:25 avec un CD arrivé par la Poste.
04:28 Comment avez-vous rencontré, commençons peut-être par vous,
04:31 Marianne Woursch, la musique de Nina Simone ?
04:34 - J'ai pas d'histoire.
04:36 J'ai pas d'histoire, c'est évident que je l'ai entendue.
04:40 Mais je dois revenir surtout à la source de l'idée
04:46 du journal intime de Nina Simone qui a été une concertation
04:51 avec l'équipe de France Musique puisque la collection
04:55 du journal intime met en avant des personnages,
04:59 des artistes au destin absolument exceptionnel
05:01 et qu'on essaie de transmettre à la jeunesse
05:04 comme des phares de parcours auxquels ils peuvent s'identifier.
05:08 Et nous souhaitions aborder une femme,
05:11 traiter du parcours d'une femme.
05:14 Et quand on est sur France Musique,
05:17 on a des oreilles classiques, mais pas que.
05:20 Et donc le parcours musical d'abord de Nina Simone
05:25 est évidemment fascinant.
05:28 Et donc on s'est dit c'est elle.
05:30 Il y en a plein d'autres, bien sûr.
05:32 Mais c'est comme cela que Nina Simone, en tous les cas,
05:35 s'est précisée dans cette intention.
05:38 Moi, mes oreilles ont forcément été,
05:41 je ne saurais pas les identifier avec une telle narration
05:44 comme la vôtre, en toute humilité.
05:47 Bien sûr, je connaissais les grands airs
05:50 et j'étais comme tout le monde, transpercée, bouleversée,
05:55 en même temps révoltée comme elle.
05:58 Donc elle nous parle à tous.
06:01 - Sophie Adrien-Zen, vous vous souvenez de la découverte
06:04 de la musique de Nina Simone.
06:05 Vous avez beaucoup écrit sur elle.
06:07 Nina Simone en BD, votre dernier ouvrage sur elle.
06:10 - Oui, alors je vais peut-être reprendre votre expression
06:13 de rencontre avec grâce et trébuchement.
06:15 Il y a des standards qui ont toujours été là,
06:18 comme "Don't let me be misunderstood"
06:20 ou "My baby just cares for me".
06:22 J'avais cinq ans quand la publicité Chanel
06:24 a déferlé sur les télés.
06:26 Mais la vraie nouvelle rencontre,
06:28 c'est au début des années 2000,
06:30 quand les DJ ont remixé "Cinnamon".
06:33 C'était un moment très important pour moi.
06:36 C'était un moment très important pour moi.
06:39 C'était un moment très important pour moi.
06:42 C'était un moment très important pour moi.
06:45 C'était un moment très important pour moi.
06:48 C'était un moment très important pour moi.
06:51 C'était un moment très important pour moi.
06:54 C'était un moment très important pour moi.
06:57 C'était un moment très important pour moi.
07:00 C'est une artiste vraiment surprenante,
07:02 qui avait un engagement très fort
07:04 et qui, depuis son enfance, n'a pas eu forcément une vie facile.
07:07 Et le vrai plus de cet album,
07:10 c'est sans aucun doute les parties documentaires
07:13 qui nous apportent vraiment un gros plus.
07:16 Chaque partie de sa vie, chaque scène de sa vie
07:19 est décrite en quelques planches de bande dessinée.
07:22 Mais on apprend réellement dans les parties documentaires
07:26 qui apportent vraiment le vrai plus
07:29 sur la vie de Nina Simone,
07:31 mais aussi sur tout ce qui se passait à son époque,
07:34 sur Martin Luther King, etc.
07:36 C'est vraiment la partie la plus intéressante de cet album.
07:39 ♪ I love you ♪
07:42 ♪ Forget ♪
07:46 ♪ Don't let him take me ♪
07:50 ♪ Honey, don't let him handle me ♪
07:55 ♪ He can drive me mad ♪
08:00 ♪ If you can keep me ♪
08:03 ♪ I wanna stay here ♪
08:07 ♪ With you forever ♪
08:12 ♪ I've got my man ♪
08:21 ♪
08:35 - Et vous commencez toutes les deux vos ouvrages
08:38 au moment où Nina Simone n'était pas encore Nina Simone,
08:40 mais Eunice Waymon, prodige du piano de 6 ans.
08:44 Dans votre journal intime, vous lui faites dire
08:47 "Depuis que je suis toute petite, tous les soirs et les dimanches matins,
08:50 maman m'emmène avec elle à l'église.
08:52 Elle dit que quand je joue avant son serment,
08:54 l'assemblée écoute mieux."
08:56 Son rapport à la musique a commencé à cet endroit-là,
09:00 avec l'aide de sa maman et avec ce piano classique qu'elle étudie.
09:05 - Absolument.
09:07 C'est vraiment une vie très à part qu'elle a au sein de sa communauté,
09:11 déjà parce qu'elle est la fille du pasteur.
09:13 Donc à l'école, elle se doit d'avoir des bonnes notes.
09:16 Et puis elle a ce rapport à la musique,
09:19 à la musique d'église, qui est donc tout amonde,
09:23 mais aussi à la maison,
09:25 où déjà elle reproduit toute petite à l'oreille
09:29 des morceaux qu'elle entend, qu'elle entend chanter par sa mère
09:33 ou qu'elle entend aussi siffler par son père.
09:36 Donc les parents sont très intrigués de cela.
09:39 Donc elle a ce double cheminement dans la musique
09:44 qui va se préciser avec l'apprentissage
09:47 vraiment beaucoup plus rigoureux du répertoire classique,
09:52 dans lequel elle va se jeter littéralement,
09:54 puisqu'elle a beaucoup de moments de solitude.
09:57 Elle aime rejoindre sa maman,
09:59 qui est quand même très prise par son rythme
10:04 auprès de sa communauté ecclésiastique.
10:08 Mais la musique classique va être d'un seul coup
10:11 tout son monde à elle.
10:13 Et elle va cheminer de manière très solitaire,
10:17 mais très intense.
10:19 Donc c'est une formation très particulière
10:22 au sein de sa communauté.
10:24 - Et d'ailleurs, Sophie Adriansen,
10:26 vous racontez ce récital à l'hôtel de ville de Trayn
10:29 en 1945 dans votre bande dessinée.
10:33 Ça a été un moment important ?
10:35 - Un moment très important,
10:37 parce que, bien sûr, dans l'Amérique ségrégée,
10:40 les meilleures places, y compris pour les récitals,
10:42 sont réservées aux spectateurs blancs.
10:45 Et Nina Simone, Eunice Ouémon,
10:47 qui est ravie de voir ses parents s'asseoir au premier rang,
10:51 déchante, c'est le cas de le dire,
10:53 en voyant qu'ils sont priés de céder leur place
10:56 à un couple de blancs.
10:58 Et alors, elle se lève, elle se tourne face à l'assistance
11:02 et elle annonce qu'elle ne jouera pas
11:04 tant qu'on n'aura pas redonné leur place à ses parents.
11:07 Et c'est ce qui se produit pour qu'il n'y ait pas de scandale
11:10 et pour que le concert puisse avoir lieu.
11:12 Et donc, le couple de spectateurs blancs
11:15 est prié d'aller un petit peu plus loin
11:17 et ce sont ses parents qui s'installent devant elle.
11:21 Alors, on peut voir ça comme un premier acte de militantisme.
11:24 On peut aussi se dire qu'une jeune adolescente
11:27 a envie que ses parents soient aux premières loges
11:29 pour la voir jouer.
11:30 En tout cas, ça dit des bonnes choses, déjà,
11:33 de sa personnalité, de sa détermination
11:35 et de son futur engagement.
11:37 - Oui, puisqu'elle a 15 ans à ce moment-là
11:39 et vous lui faites dire "le lendemain de ce récital,
11:41 je me suis sentie comme une écorchée vive
11:43 et le moindre affront, réel ou imaginaire,
11:45 m'entamait l'échelle, mais la peau s'est reformée,
11:48 un peu plus coriace, un peu moins innocente,
11:51 un peu plus noire".
11:52 Marianne Woursch, est-ce que ce n'est pas une partie
11:54 de l'histoire de sa vie,
11:56 se faire comme ça, une peau comme une carapace
11:58 pour résister aux événements ?
12:00 - Certainement.
12:02 Mais les événements, les premiers événements,
12:05 c'est surtout, je crois,
12:07 cette solitude, déjà, à l'égard de cette mère
12:10 qui n'est pas là, le père qui tombe malade.
12:13 Donc, elle a déjà, dans sa propre vie,
12:16 l'obligation de se faire elle-même.
12:20 Il y a sa sœur Lucille qui s'occupe beaucoup d'elle,
12:22 mais ce n'est pas des parents.
12:24 Effectivement, elle sent, elle perçoit, certainement.
12:28 Mais ça n'est pas du tout verbalisé.
12:31 Mais c'est ressenti et c'est ce qu'elle va mettre
12:35 dans sa détermination et progressivement.
12:38 Cet amoureux, ensuite, aide,
12:40 qui ne va pas la suivre,
12:42 puisqu'elle va décider de partir vers New York.
12:45 Seconder, appuyer, fortement encouragée
12:48 par les parents et la communauté
12:50 pour poursuivre cette voie classique.
12:53 Donc, là aussi, à nouveau,
12:55 une sorte de repli sur elle-même,
12:58 mais pour toujours la même raison,
13:01 c'est de devenir pianiste.
13:04 Alors, c'est vrai qu'au début,
13:06 elle n'a pas forcément à l'esprit,
13:08 mais en même temps,
13:09 toute sa vie est organisée autour de son piano.
13:11 Donc, oui, elle franchit des étapes
13:13 qui ne sont pas encore nommées par elle.
13:16 Elles sont ressenties,
13:17 elles sont intégrées dans sa chair,
13:23 qu'elle met évidemment dans son piano,
13:25 puisque c'est Bach qui la réconforte
13:28 lorsqu'elle a compris que Ed allait épouser son ami
13:32 et qu'elle partirait seule.
13:35 Donc, ce sont des événements de vie
13:39 qui vont effectivement progressivement
13:42 prendre des allures de plus en plus précises
13:46 jusqu'à aller à ce combat.
13:49 Mais il y en a plein d'autres avant.
13:51 - C'est donc Bach qui la réconforte,
13:53 intimement en tout cas,
13:55 mais ce n'est pas Bach qu'on lui demande de jouer.
13:58 On est en 1954.
14:00 Denise Waymon, c'est toujours comme ça qu'elle s'appelle,
14:02 a 21 ans et elle entre dans un bar d'Atlantic City.
14:06 Sophie Adriansen, c'est ce soir-là,
14:09 ce jour-là qu'elle va devenir Nina Simone.
14:12 - Oui, c'est le Midtown Bar & Grill d'Atlantic City.
14:16 Je ne sais pas si on y mange vraiment beaucoup de griades.
14:19 En tout cas, il y a des alcooliques notoires irlandais
14:22 qui restent stationnés au bar.
14:25 Et elle se dit qu'avec le réseau Cassa Pasteur de maman,
14:29 il est fort possible que des gens à Atlantic City
14:32 aient connaissance du fait qu'elle joue dans un bar
14:35 et le rapportent à sa mère.
14:37 Et le bar, ça représente un lieu de perdition
14:40 pour la famille Waymon.
14:42 Et la musique, qui n'est pas classique ou religieuse,
14:45 pour la mère de Eunice, c'est la musique du diable.
14:48 Donc, il faut qu'elle se cache derrière un nom de scène.
14:51 Elle va choisir un surnom que lui donnait un ancien amoureux,
14:55 Ninia. Il était latino.
14:57 Il l'a surnommé Maninia.
14:59 Elle fait sauter le tilde et ça devient Nina.
15:02 Et puis, lorsqu'elle était étudiante,
15:05 elle allait au ciné-club voir des films français.
15:08 Elle a notamment vu "Casque d'or"
15:10 et beaucoup aimé "Simone Signore".
15:12 Et elle choisit Simone en hommage à l'actrice française.
15:16 - Et quelques années plus tard, Sid Nathan,
15:19 le producteur de la maison de disques Bethlehem Records,
15:22 lui propose d'enregistrer un album dont est extrait cette chanson.
15:26 (Musique)
15:30 #Love me and leave me and let me be lonely
15:33 #You won't believe me but I love you only
15:36 #I'd rather be lonely than happy with somebody else
15:40 #You might find the night time the right time for kissing
15:44 #Night time is my time for just reminiscing
15:47 #Regretting instead of forgetting with somebody else
15:52 #There'll be no one unless that someone is you
15:59 #I intend to be independently blue
16:03 #I want your love, don't want to borrow
16:08 #I have it today to give back tomorrow
16:11 #Your love is my love, there's no love for nobody else
16:15 - Alors, Marianne, j'aimerais que vous nous racontiez
16:27 comment s'est déroulé l'enregistrement de cet album,
16:29 parce que j'ai l'impression qu'il raconte un peu
16:31 de tout ce que sera la suite de la carrière de Nina Simone,
16:34 où elle se retrouve finalement entraînée dans des endroits
16:37 où elle n'était pas sûre qu'elle avait envie d'aller.
16:40 - Non, effectivement, déjà parce que
16:43 qu'on dise qu'elle était une chanteuse jazz,
16:47 ça passait pas.
16:49 Jazz, c'est une appellation que les Blancs utilisent
16:52 pour parler des musiciens noirs,
16:54 mais elle déjà, un, ne s'associe pas à une couleur,
16:58 mais avant tout à ce qu'elle est, à savoir une artiste.
17:02 Et une artiste classique.
17:05 Alors après, oui, elle est noire, mais bon,
17:08 c'est pas le sujet, le sujet de toute sa vie,
17:11 c'est "je suis une artiste classique,
17:15 c'est ce que je voulais être",
17:17 et c'est ce qu'elle réclamera tout au long de sa carrière,
17:20 c'est-à-dire le respect, l'écoute,
17:23 de sa musique et d'elle-même.
17:25 Donc quand on lui dit "bon, je vais te présenter un guitariste jazz,
17:28 tu vas voir, il est super",
17:30 donc déjà le mot ne lui convient pas,
17:32 parce que pour elle, jazz, c'est d'abord une manière d'être,
17:34 une manière de marcher, une manière de parler, de vivre, etc.
17:37 Et puis, elle est seule jusqu'à présent.
17:40 Donc elle ne sait pas ce que c'est que de faire de la musique avec d'autres.
17:43 Donc elle n'est pas trop pour.
17:45 Finalement, elle accepte,
17:47 mais elle l'ignore littéralement en arrivant sur scène,
17:51 elle se met à son piano comme si de rien n'était.
17:54 Et là, elle commence donc à jouer,
17:57 et finalement, elle sent la guitare,
18:01 c'est physique,
18:03 parce qu'il est tellement génial ce Al Shackman
18:06 qu'il rentre avec une délicatesse,
18:10 il a certainement perçu qui il était,
18:13 en tous les cas, il a vraiment des antennes,
18:15 et il va comme ça,
18:17 la caresser finalement avec sa guitare.
18:19 Et là, elle se dit mais oh oh,
18:21 et c'est le début non seulement d'une vie artistique ensemble,
18:26 mais aussi qu'elle s'aperçoit qu'elle est bien,
18:29 elle est bien comme ça.
18:31 - Sophie Adrian Sen, comment est reçu ce premier album ?
18:34 A quel point il bouleverse la vie de Nina Simone ?
18:37 - Alors, il sort en 1958,
18:41 il a été enregistré,
18:45 ça a été un marathon,
18:47 elle a passé une journée en studio,
18:49 elle a enregistré "My Baby Just Cares For Me"
18:53 sur la suggestion du producteur,
18:55 et à partir de ce moment-là,
18:57 en fait, elle pense qu'elle va arrêter de se produire dans les bars,
19:00 que du jour au lendemain, on va l'inviter partout,
19:02 à la radio, à la télé,
19:04 et c'est pas ce qui se passe dans l'immédiat.
19:07 Elle trouve même qu'il n'y a pas de promotion,
19:11 jusqu'à ce qu'un DJ s'entiche de la chanson
19:15 qu'on a entendue tout à l'heure, "I Love You Porgy",
19:18 qui vient de "Porgy and Bess", l'opéra de Gershwin,
19:21 et décide de la passer à la radio.
19:23 Il s'en entiche tellement qu'il la passe une fois par heure,
19:26 ce qui fait que tous les auditeurs se mettent à la réclamer,
19:29 et puis ses collègues des autres radios la passent aussi.
19:32 Cette chanson-là, ce morceau-là, rentre au billboard,
19:35 et en quelques semaines,
19:37 cette anonyme devient Nina Simone,
19:40 l'interprète et la chanteuse de "I Love You Porgy",
19:44 et c'est le vrai lancement de sa carrière à ce moment-là.
19:48 - Sa carrière prend son envol,
19:50 et ce seront peut-être les plus belles années au niveau de création,
19:53 avec des albums immanquables, "The Amazing Nina Simone",
19:56 "Nina Simone at Town Hall", des enregistrements,
19:58 "Nina Simone at the Village Gate",
20:00 "Nina Simone at Carnegie Hall",
20:02 des moments très importants dans sa carrière,
20:04 et musicalement, des moments très importants.
20:07 Qu'est-ce qu'elle a apporté à la musique "Marianne Wursch Nina Simone" ?
20:10 - Justement, cette patte,
20:13 cette architecture, cette colonne vertébrale du classique,
20:17 sans être sectaire,
20:19 il y a indubitablement dans sa musique
20:23 cette structure,
20:27 cette capacité d'improvisation autour de thèmes,
20:30 cette couleur, ce rythme,
20:33 qu'elle va puiser aussi bien chez Bach
20:36 que chez Beethoven, chez Schubert,
20:38 et d'ailleurs, quand on fait le rapprochement,
20:41 vraiment en prenant les œuvres classiques
20:44 et en écoutant "Nina Simone",
20:47 on retrouve vraiment cette rythmique,
20:50 en fonction des interprétations qu'on peut écouter,
20:54 il y a vraiment des similarités,
20:57 on a littéralement les passerelles,
21:01 j'allais dire visibles,
21:03 mais qu'on découvre,
21:05 donc c'est en cela qu'elle est fascinante
21:08 et qu'elle a toute cette originalité,
21:11 toute cette force et ce pouvoir de convaincre
21:15 et surtout d'emmener très loin,
21:17 parce que ces improvisations qu'elle a,
21:21 elles sont très construites,
21:23 elles sont très construites et du coup
21:25 il y a un très grand respect sur son côté artistique,
21:29 à la fois de compositrice, d'interprète,
21:32 c'est absolument extraordinaire.
21:34 - Alors il y a évidemment la partie de "Lumière",
21:37 tous ces albums qui la placent
21:39 en tant qu'artiste exceptionnel dans le paysage musical de l'époque,
21:42 et puis, puisque c'est un journal intime
21:45 et que c'est Sophie Adriensen, une histoire de Nina Simone,
21:48 en BD, il y a aussi sa vie personnelle
21:51 et votre chapitre 10 s'appelle "En prise",
21:55 puisque vous parlez du partenaire de Nina Simone
21:59 qui s'appelle Andy, est-ce que vous voulez bien nous présenter
22:02 cette personne qui sera très importante
22:05 dans la vie de Nina Simone
22:07 et qui quelque part va lui coûter beaucoup ?
22:10 - Oui, Andy c'est Andrew Strude
22:15 qu'elle rencontre à la fin de l'année 1960.
22:20 D'abord il ne lui dit pas la vérité sur sa profession,
22:24 il lui fait croire qu'il travaille dans une banque,
22:26 il a peur que si il lui dit la vérité, elle fuit.
22:29 En réalité il dirige le commissariat d'Arlem,
22:32 donc il est habitué à traiter avec les bandits.
22:36 Il lui fait la cour, elle tombe amoureuse,
22:40 ils se fiancent et le soir de leur fiançaille
22:43 ils vont fêter ça dans un bar.
22:45 Et là Andy qui ne boit jamais
22:48 et qui n'a pas fait preuve de jalousie jusqu'alors,
22:51 se montre absolument jaloux et sort de ses goûts
22:54 en voyant un fan donner à Nina Simone
22:56 son numéro de téléphone, ce qui lui arrive régulièrement.
22:59 Il l'oblige à quitter le bar, il la frappe dans le taxi,
23:03 il la frappe à l'appartement et il la viole.
23:06 C'est un calvaire qui dure de longues heures.
23:09 Suite auquel elle est quand même défigurée
23:12 à tel point qu'elle n'ose pas sortir de chez elle
23:15 pendant 15 jours.
23:17 Après ces 15 jours, elle recroise Andy
23:20 un petit peu par hasard.
23:22 Andy assure qu'il ne se souvient de rien
23:25 mais qu'il est prêt à la croire.
23:27 Elle prend l'avis de deux psychiatres
23:30 et après avoir consulté ces deux spécialistes,
23:33 elle prend la décision de l'épouser malgré tout
23:36 en tablant sur le fait qu'Andy ne recommencera pas
23:39 à se montrer violent avec elle.
23:41 Il se marie le 4 décembre 1961
23:44 pour le meilleur et pour le pire
23:46 parce qu'évidemment il recommencera à être violent avec elle.
23:50 - Marianne Wosch, la vie personnelle de Nina Simone
23:53 est pour le moins accidentée.
23:55 - Oui.
23:57 - De quoi souffrait-elle vraiment ?
23:59 Parce qu'on a dans ses chansons ce sentiment de solitude.
24:02 On a l'alcool qui est présent.
24:04 Il y a cette mélancolie persistante.
24:07 Est-ce qu'on met un mot sur son état à l'époque ?
24:11 - A l'époque, non.
24:13 On a identifié ce dont elle souffrait
24:17 plus tardivement.
24:19 La grande souffrance de Nina Simone
24:23 c'est son échec à Curtis.
24:27 Curtis Institute à Philadelphie
24:30 qui est ce très prestigieux conservatoire de musique
24:34 pour lequel elle prépare le concours.
24:38 Là on est bien avant son mariage
24:41 mais c'est vraiment une fracture
24:44 qui va rester béante tout au long.
24:47 Je mettrais à partir de là
24:50 une sourde maladie ou un sourd poison
24:55 qui va progressivement se répandre
24:59 pour aller jusqu'au problème que vous citez
25:03 de drogue de boisson.
25:05 Mais cet échec est pour elle un échec fondamental
25:09 et fracassant puisque toute sa communauté
25:12 ses parents attendaient d'elle de le réussir.
25:15 C'était presque une évidence pour tous.
25:17 Et non, elle ne le réussit pas.
25:20 Et ce qui arrive
25:23 de ne pas réussir un concours
25:26 quand on en connaît la difficulté
25:29 c'est pas grave.
25:32 D'ailleurs elle décide de le représenter.
25:36 Bien sûr, je ne sais pas si je peux poursuivre
25:39 sur ce sujet-là
25:42 mais on lui dit que c'est à cause de sa couleur
25:46 qu'elle échoue.
25:48 Elle saisit cette raison.
25:51 Est-elle juste ou pas ?
25:55 Peut-être mais peut-être pas
25:57 puisque d'autres artistes noirs ont intégré Curtis avant elle.
26:01 Et Sokolov, Vladimir Sokolov, son professeur
26:04 dit que ce n'était pas un problème de couleur
26:07 mais simplement qu'elle n'a pas été la meilleure.
26:10 Et ça c'est le lot de tout concours.
26:13 Toujours est-il que cet échec est fracassant
26:15 mais ça lui donne aussi cette énergie pour rebondir
26:17 et c'est là le secret de tous les artistes.
26:19 Quand on voit qu'un échec, il faut rebondir
26:21 on prend n'importe quelle raison pour se refaire
26:24 et on y va.
26:25 Mais c'est vrai que c'est cette fracture-là
26:27 qui fait qu'elle va totalement changer de voie
26:30 et garder cette fracture en elle
26:33 qui donnera toutes ces bosses par la suite.
26:37 Et toutes ces magnifiques chansons aussi.
26:40 Ça va probablement avoir.
26:42 Je voudrais qu'on arrive jusqu'en 1963
26:45 qui est une année importante pour les Etats-Unis
26:48 et pour Nina Simone aussi.
26:49 C'est l'attentat de l'église Baptiste
26:51 de la 16ème rue.
26:52 Un attentat terroriste commis par le Ku Klux Klan
26:55 qui vise une église Baptiste de la 16ème rue
26:57 fréquentée par des Afro-Américains.
26:59 On est le 15 septembre 1963.
27:02 Dans ce journal intime, vous lui faites dire
27:05 "Je veux tuer quelqu'un.
27:07 Des enfants sont morts dans une église.
27:09 Ils ont tué des enfants noirs.
27:10 Quatre jeunes filles qui se préparaient
27:12 à célébrer le culte.
27:13 Des enfants noirs.
27:15 Je ne sais pas tuer
27:17 mais je sais jouer du piano,
27:19 crier vengeance.
27:20 Je peux maintenant dire à maman
27:22 pourquoi je chante."
27:23 C'est cette chanson qu'elle chantera.
27:26 ♪
27:29 The name of this tune is "Mississippi Goddamn."
27:32 (applaudissements)
27:35 ♪
27:39 And I mean every word of it.
27:41 (rires)
27:43 ♪ Alabama's got me so upset
27:46 ♪ Tennessee made me lose my rest
27:49 ♪ And everybody knows
27:51 ♪ About Mississippi goddamn
27:54 ♪ Can't you see it
27:56 ♪ Can't you feel it
27:58 ♪ It's all in the air
28:01 ♪ I can't stand the pressure
28:03 ♪ Much longer
28:05 ♪ Somebody say a prayer
28:08 ♪ Alabama's got me so upset
28:11 ♪ Tennessee made me lose my rest
28:14 ♪ And everybody knows
28:16 ♪ About Mississippi goddamn
28:19 ♪ Can't you see it
28:21 ♪ Can't you feel it
28:23 ♪ Tennessee made me lose my rest
28:26 ♪ And everybody knows
28:28 ♪ About Mississippi goddamn
28:31 ♪
28:33 This is a show tune
28:35 but the show hasn't been written for it yet.
28:38 - Et Sophie-Adrienne Seyne,
28:40 alors il faut évidemment préciser
28:42 les paroles de cette chanson
28:44 qui est un tournant vraiment
28:46 dans la carrière de Nina Simone.
28:48 - Oui, c'est-à-dire que c'est
28:50 sa première chanson protestataire,
28:52 et les gens sont engagés.
28:54 C'est aussi en entendant cette chanson
28:56 que le manager de Philips va lui proposer
28:58 de signer sur son label.
29:00 Et ses chansons, ses paroles, pardon,
29:02 disent à quel point elle n'en peut plus.
29:04 - Et vous le dites avec des mots polissés.
29:06 - Voilà.
29:08 Et en fait, elle les adaptera
29:10 quand elle se produira, par exemple,
29:12 aux marches de Selma.
29:14 Elle modifiera les noms des lieux
29:16 en fonction de là où elle se trouve
29:18 pour dire qu'en fait, ce qui se passe
29:20 est valable en Alabama
29:22 et dans tous les États, particulièrement du sud
29:24 des États-Unis.
29:26 Et c'est sa colère qui passe
29:28 dans une chanson qui est paradoxalement
29:30 plutôt joyeuse, rythmée,
29:32 mais avec pas du tout de mélancolie,
29:34 ce qui la rend, je trouve,
29:36 encore plus poignante.
29:38 Mais le titre contient donc le mot "Goddam",
29:40 qui vaudra aussi aux disques
29:42 d'être censurés
29:44 et à un certain nombre de disquaires
29:46 de retrouver les disques en eux-mêmes cassés.
29:48 Parce que ce mot-là,
29:50 ça ne passe pas bien.
29:52 - Et surtout de la part d'une femme noire,
29:54 Marianne Woursch, ça va marquer
29:56 la suite de sa carrière. C'est un tournant,
29:58 peut-être, cette chanson ?
30:00 - Oui, c'est un tournant, c'est évident.
30:02 C'est à la fois un tournant
30:04 par rapport à sa mère,
30:06 effectivement, puisque,
30:08 comme on l'évoquait tout à l'heure,
30:10 ce qu'elle fait,
30:12 elle le cache.
30:14 Elle ne l'assume pas, en tous les cas,
30:16 ce virage dans
30:18 sa vie artistique.
30:20 Donc, d'un seul coup,
30:22 il y a une raison.
30:24 Elle peut enfin dire à sa mère pourquoi elle chante.
30:26 C'est absolument fondamental et c'est ça
30:28 qui est très touchant.
30:30 Elle a cette culpabilité
30:32 tout au long de
30:34 tout le démarrage de sa vie
30:36 de chanteuse. Donc, enfin,
30:38 elle a une raison pour chanter.
30:40 Et puis, elle a
30:42 définitivement pris
30:44 conscience du rôle
30:46 qu'elle pouvait endosser
30:48 du pouvoir qu'elle avait avec ses mots
30:50 et sa musique. Et là,
30:52 ça y est, la voix est
30:54 tracée pour elle.
30:56 Même si
30:58 elle encourt beaucoup de risques,
31:00 évidemment.
31:02 - La suite de sa carrière sera
31:04 plus ou moins chaotique
31:06 avec des grands moments de disparition
31:08 et puis des moments de réapparition
31:10 réappropriés par la culture populaire.
31:12 Et justement, Marianne Wourge, quelque chose
31:14 m'a étonnée, intriguée.
31:16 Vous terminez votre journal intime
31:18 sur une plage
31:20 d'Israël en 1977.
31:22 Pourquoi ça ?
31:24 - Par pudeur.
31:26 Par pudeur
31:28 et par respect.
31:30 On le sait,
31:32 vous l'avez évoqué,
31:34 le parcours de Nina Simone
31:36 devient de plus
31:38 en plus compliqué.
31:40 Sa carrière s'en trouve évidemment
31:42 très malmenée, très perturbée.
31:44 Cette bipolarité
31:46 entraîne
31:48 tous les malheurs
31:50 sur sa santé,
31:52 sur sa personnalité,
31:54 sur ses relations avec les autres.
31:56 Et
31:58 je n'ai pas voulu enfreindre
32:00 ce dont finalement
32:02 elle ne parlait pas.
32:04 Et à partir du moment
32:06 où quelqu'un ne parle pas
32:08 de sa maladie,
32:10 eh bien, il y a un problème.
32:12 À partir du moment où quelqu'un ne parle pas de sa maladie,
32:14 eh bien, je pense que nous n'avons pas le droit
32:16 d'en parler.
32:18 En tous les cas,
32:20 quand on a le jeu du journal intime,
32:22 c'est très très différent.
32:24 C'est une gageur
32:26 que de prendre ce pronom personnel.
32:28 Donc à partir de là,
32:30 j'ai estimé que
32:32 je ne devais pas aller
32:34 sur une partie sensible
32:36 qui sans doute
32:38 aurait touché
32:40 à sa dignité.
32:42 Par respect, par humilité.
32:44 Et puis,
32:46 je trouvais que cette lumière
32:48 par laquelle elle avait été traversée
32:50 en Israël,
32:52 qui lui redonnait cette force à cet instant-là précisément,
32:54 c'était le message
32:56 le plus beau, le plus fort qu'on pouvait passer
32:58 à qui que ce soit,
33:00 aux jeunes générations,
33:02 aux adultes,
33:04 de toujours se relever.
33:06 Et donc cette lumière, eh bien, je trouvais
33:08 qu'elle était merveilleuse
33:10 de nous arrêter là-dessus.
33:12 Et pour connaître la suite,
33:14 dans Nina Simone en BD,
33:16 vous trouverez
33:18 toutes ces années un peu plus noires
33:20 pour Nina Simone, notamment quand elle se retrouve
33:22 à Paris dans les années 80,
33:24 dans un petit bar parisien pour un cachet de 300 dollars.
33:26 La soirée,
33:28 et puis la redécouverte par la
33:30 culture populaire, au travers notamment
33:32 de cette publicité pour un célèbre parfum,
33:34 et puis les nombreux samples
33:36 des rappeurs, ses chansons dans des nombreux
33:38 films, incalculables même, je vous donne
33:40 juste un seul exemple, la chanson "Sinner Man"
33:42 apparaît dans plus de 20 films
33:44 depuis 1999,
33:46 ce qui est hallucinant. Merci beaucoup
33:48 Marianne Woursch, merci infiniment. Le journal intime
33:50 de Nina Simone est publié aux éditions
33:52 Villanelle. Et merci beaucoup
33:54 Sophie-André Hansen.
33:56 Profitez bien de l'ère
33:58 d'humour billant. Nina Simone
34:00 en BD, et ce sont
34:02 deux livres qu'on vous conseille si vous voulez redécouvrir
34:04 cette grande dame de la chanson. Merci beaucoup.
34:07 Et c'est l'heure de votre rendez-vous
34:09 avec Charles Dantigues.
34:11 Plus la société est conservatrice,
34:13 plus elle engendre une contestation
34:15 ou bien ironique ou bien grossière.
34:17 Dans l'Angleterre du début du 20ème
34:19 siècle, les écrivains de Bloomsbury
34:21 ont sapé les fondations du
34:23 conservatisme par l'ironie.
34:25 Dans le dernier tiers du même siècle,
34:27 les Anglais l'ont fait par le punk.
34:29 L'Argentine et le Chili,
34:31 pays demeuré très conservateur,
34:33 ont été les plus éloignés de la
34:35 société. Les deux livres de Charles
34:37 Dantigues, les plus conservateurs,
34:39 ont engendré une opposition littéraire
34:41 grossière, punk, criarde et baroque.
34:43 Deux écrivains le montrent bien,
34:45 Joshua et Pedro Lemebel.
34:47 Joshua est né en 1977
34:49 dans une banlieue pauvre de Buenos
34:51 Aires. Il a toujours parlé
34:53 des marginaux, mots vagues
34:55 et trop moralement connotés,
34:57 mais ici tout à fait exact,
34:59 puisqu'il s'agissait de ceux qui
35:01 vivaient dans la périphérie de ce
35:03 textuel. Il a écrit dans des fanzines,
35:05 puis effectué des performances avant
35:07 de publier son premier livre de poèmes
35:09 en 2005. Il est mort en
35:11 2015 des suites du sida.
35:13 Les éditions Terraz ont publié un volume
35:15 de lui intitulé Los Putos,
35:17 qui contient des articles,
35:19 des dessins, quelques fictions
35:21 et essentiellement des poèmes. Ce n'est pas
35:23 un livre propre, c'est un livre brut.
35:25 Il dit crûment les choses
35:27 sans chercher d'art.
35:29 On devrait parler plutôt que d'oeuvres,
35:31 de cris. Il a lancé
35:33 Debeau, par exemple, Mon couteau
35:35 crie ton nom sur les murs suintants
35:37 des toilettes publiques.
35:39 Un bon poème intitulé Je suis en paix
35:41 pourrait être celui de la sortie
35:43 des placards. Je suis en paix,
35:45 les esprits m'ont montré le chemin.
35:47 Je suis en paix, les lumières
35:49 l'ont illuminé. J'ai été nourri
35:51 par une meute de loup et je suis en paix
35:53 maintenant. Tout deviendra sombre.
35:55 J'ai arrêté d'être
35:57 celui que j'ai été.
35:59 Pedro Lemébel est mort la même année
36:01 2015 que Joshua, mais il était
36:03 d'une autre génération puisqu'il était
36:05 né en 1952.
36:07 La collection L'imaginaire, chez Galimar,
36:09 vient de rééditer son
36:11 roman Je tremble, oh Matador.
36:13 C'était l'époque où l'homosexualité
36:15 était une contestation
36:17 en soi. Le titre vient
36:19 d'une chanson que fredonne une folle au moment
36:21 de la dictature chilienne en 1986.
36:23 Lui,
36:25 aussi né dans les marges, un barrio
36:27 de Santiago, Lemébel avait
36:29 été proche du parti communiste
36:31 chilien, mais pas tendance nérouda.
36:33 Il a un jour assisté à une
36:35 réunion de partis de gauche,
36:37 maquillé et en talons aiguilles.
36:39 Le stalinisme, qui était un machisme,
36:41 n'était pas son affaire.
36:43 Son excellent roman est
36:45 un roman de folle. Il n'y en a pas
36:47 en France, à l'exception de ceux de Copie,
36:49 mais Copie était sud-américain.
36:51 La folle est la conséquence
36:53 du machisme, par réaction
36:55 et parce que c'est une apparence
36:57 de faiblesse que le macho peut mépriser.
36:59 La folle du roman
37:01 fait semblant d'être une idiote pour garder
37:03 près d'elle un jeune étudiant
37:05 d'opposition. L'histoire
37:07 d'une poésie sarcastique, déchirante
37:09 et cocasse est croisée
37:11 avec celle du dictateur,
37:13 harcelé par le babillage de sa femme,
37:15 qui le presse de suivre les
37:17 recommandations d'un conseiller qu'il déteste
37:19 parce qu'il est, dit-il, une tantouse.
37:21 Si le monde était gouverné
37:23 par elle, il serait moins violent.
37:25 - Et merci à toute l'équipe du Book Club.
37:27 Merci également à Charles Dantzig, Oriane Delacroix,
37:29 Zora Vinet, Jeanne Agrappardi
37:31 et Philippe Pineau. Alexandra Lachbegovich,
37:33 Thomas Beau réalise cette émission.
37:35 Elle a pris de sang, c'est Olivier Arnet.
37:37 Maintenant, c'est l'heure de l'épilogue de cette émission
37:39 consacrée à Nina Simone.
37:41 (musique)
37:43 (musique)
37:58 (musique)
38:18 (musique)
38:28 [Musique]