L'interview d'André Comte-Sponville

  • l’année dernière
Le philosophe André Comte-Sponville, était l’invité de Laurence Ferrari dans #LaMatinale sur CNEWS.

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Transcription
00:00 Bonjour André Componzoil.
00:01 Bonjour.
00:02 Bienvenue dans la matinale de CNews.
00:03 Vous publiez La clé des champs et autres impromptus.
00:05 C'est un recueil de 12 articles qui mêlent littérature et philosophie.
00:09 On va y venir dans un instant.
00:10 Mais d'abord, j'aimerais vous parler un tout petit peu d'actualité.
00:13 Et les thèmes que vous abordez dans ce livre sont vraiment d'actualité.
00:15 La réforme des retraites.
00:17 On est dans la dernière ligne droite cette semaine.
00:19 Le texte sera peut-être voté dans la semaine.
00:21 Comprenez-vous ce pays qui se déchire pour savoir s'il faut partir à la retraite à
00:25 l'âge de 62 ou 64 ans ?
00:26 Je comprends d'abord que les gens préfèrent partir à l'âge de 62 ans, évidemment.
00:31 Et c'est pourquoi, à mon avis, le gouvernement se trompe en fondant sa campagne, si j'ose
00:37 dire, sur le thème de la valeur travail.
00:39 J'ai souvent expliqué que le travail n'est pas une valeur morale, c'est une valeur marchande.
00:43 Ce n'est pas une fin, c'est un moyen.
00:45 Parce que si le travail était une valeur morale, plus on travaillerait, mieux ça vaudrait.
00:49 Par exemple, la générosité est une valeur morale.
00:51 Plus vous êtes généreuse, mieux ça vaut.
00:53 Si le travail était une valeur morale, plus vous travaillez, mieux ça vaut.
00:56 Il faudrait donc regretter, pour des raisons morales, le bon temps où la semaine de travail
01:01 durait 72 heures au 19e siècle.
01:03 C'est évidemment une absurdité.
01:05 La réduction du temps de travail, c'est un progrès historique, c'est le sens de
01:10 l'histoire.
01:11 Et si on pouvait ne travailler que 20 heures par semaine, ça serait encore mieux.
01:13 Pas du tout pour faire l'éloge de l'apparaitre ou de l'oisiveté, mais pour profiter de
01:17 la vie, de ses enfants, pour faire du sport, se cultiver, faire de la politique, que sais-je.
01:22 Donc le travail n'est pas une valeur morale.
01:24 Arrêter de travailler plus tôt, c'est évidemment mieux pour presque tout le monde, sauf ceux
01:28 qui font un métier particulièrement passionnant.
01:30 La vraie question n'est pas une question morale, c'est une question économique.
01:34 Est-ce qu'on a les moyens financièrement de se payer une retraite à 62 ans ou à 60
01:39 ans, comme le veulent certains, ou à 64, comme d'autres le proposent ? Je ne suis
01:44 pas économiste, à la limite, je n'en sais rien.
01:46 Simplement, j'ai envie de dire deux choses.
01:50 La première chose, c'est que le débat politique en France est toujours plus tendu que dans
01:55 la plupart des autres démocraties comparables.
01:57 Ça tient à notre particularité.
01:59 Oui, et souvent, je le regrette.
02:00 Et en même temps, c'est une chance de vivre dans un pays où on peut librement manifester
02:04 contre le gouvernement et dans un pays où le gouvernement doit se battre pour obtenir
02:09 une majorité au Parlement.
02:11 Il y a des dizaines de pays qui adoreraient être dans notre situation.
02:15 Donc, j'ai envie de dire aux gens, écoutez, ce n'est pas si grave.
02:19 La France n'est pas en guerre civile, on n'est pas au bord de je ne sais quelle catastrophe.
02:23 Ou plutôt, les catastrophes qui nous menacent, qui sont plutôt écologiques que sociales,
02:29 relèvent du dérèglement climatique bien davantage que de la question de savoir si
02:33 on prend sa retraite à 62 ans, à 60 ou à 64 ans.
02:37 Quand vous voyez des jeunes manifester dans la rue en disant « on pense à nos retraites
02:41 », qu'est-ce que ça dit de notre société ?
02:43 Ça dit de notre société que les gens vivent quand même beaucoup dans la peur, je le disais
02:49 au moment du Covid.
02:50 Je trouvais que la peur du Covid était exagérée, je le pense toujours.
02:54 Les jeunes se font sur leur retraite des inquiétudes qui me semblent aussi exagérées.
02:59 Ou plutôt, la vraie question du même coup, c'est comment sauver notre système de retraite
03:03 par répartition ?
03:04 Alors là, il y aurait un vrai débat à mener.
03:07 Je trouve qu'il n'est pas bien mené en France parce que les arguments des uns et
03:11 des autres tendent toujours à se replier justement sur des questions morales alors
03:16 que le fond de la question, me semble-t-il, relève plutôt de l'économie.
03:19 La politique, c'est l'article 49.3 qui va peut-être être dégainé en fin de semaine
03:24 par le gouvernement pour faire passer la retraite.
03:26 Ce serait une brutalisation du débat pour la société française ?
03:29 Je préférerais qu'il n'en ait pas besoin, mais au démarrage ça fait partie de la Constitution.
03:34 Ce n'est pas un scandale d'appliquer la Constitution.
03:36 Ce que je voudrais dire c'est qu'il faille réformer les retraites.
03:40 C'est possible qu'on doive travailler plus longtemps.
03:42 À la limite, je n'en sais rien, mais ça me paraît envisageable.
03:46 Ça ne veut pas dire que cette retraite ne soit forcément la bonne parce qu'il y a
03:49 la question de ce qu'il faut réformer les retraites ou pas et d'autre part, est-ce
03:52 que cette réforme est juste ou non ?
03:54 Alors, je ne suis pas convaincu qu'elle soit juste en tout.
03:56 Ce qui m'inquiète le plus, alors il y a la question de ceux qui ont commencé à
03:59 travailler très tôt, il y a, me semble-t-il, plus encore la question des femmes qui ont
04:02 eu des enfants et le fait que les femmes qui ont eu des enfants souffrent davantage de
04:08 cette réforme, ça me paraît tout à fait inquiétant.
04:12 Je trouve que c'est une erreur, une faute politique que je n'arrive pas à concevoir.
04:15 Ma compagne me disait, écoute, déjà que les femmes sont moins payées en moyenne
04:18 depuis des siècles, à la limite, si en plus elles pâtissent davantage de la réforme
04:23 des retraites que les autres, il y a quelque chose qui n'est pas normal.
04:25 Elle avait évidemment raison.
04:27 Sur le spectacle de la politique qui nous a été offert, notamment à l'Assemblée
04:31 nationale, les invectives, les insultes, les bras d'honneur, vous dites quoi ? On a
04:35 les élites qu'on mérite ?
04:36 Oui, je l'ai souvent dit, dans une démocratie, on a en gros les élus qu'on mérite.
04:41 Ça ne veut pas dire qu'on soit toujours fiers.
04:43 Ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale, pour le coup, surtout du côté de la France
04:47 insoumise, m'a paru lamentable.
04:49 Mais qu'un ministre fasse deux bras d'honneur dans la même Assemblée nationale, ça me
04:53 paraît tout aussi lamentable.
04:55 Et donc, que la France ait le goût des polémiques, je le veux bien, mais ce qui m'inquiète,
05:00 c'est que les polémiques virent de plus en plus à la haine, finalement, une forme
05:04 de vulgarité.
05:05 Et donc, là encore, j'ai envie d'appeler à une forme de calme, de sérénité, au
05:11 fond, entre démocrates.
05:12 On peut quand même se respecter, qu'on ne soit pas d'accord sur la réforme des retraites,
05:16 mais ça fait partie du jeu démocratique.
05:18 Qu'est-ce qu'il faut pour autant traiter un ministre d'assassin, ce qui est quand
05:22 même hallucinant, ou faire un bras d'honneur au Parlement, ce qui est tout aussi hallucinant.
05:27 Donc, on a envie d'appeler au calme, à la sérénité, à une forme d'apaisement.
05:31 Et puis, rappelons que dans une démocratie, c'est l'électeur qui aura le dernier mot.
05:35 On va refaire des élections au plus tard dans quatre ans, plutôt peut-être s'il y
05:38 a une dissolution.
05:39 Et si le peuple veut revenir à la retraite à 60 ans ou aller à 65 ans, c'est le peuple
05:44 qui aura le dernier mot.
05:45 Là encore, c'est une formidable chance de vivre dans une démocratie.
05:49 Et je regrette qu'en France, souvent, le ressentiment, la rancœur, la haine, la colère, l'emportent
05:55 sur le sentiment de gratitude que nous devrions avoir.
05:58 Quelle chance c'est de vivre dans une démocratie.
06:01 On parlait des jeunes tout à l'heure.
06:02 On a ces chiffres vraiment qui interpellent du Conseil de l'enfance et de la famille.
06:07 Les moins de 20 ans consomment de plus en plus de psychotropes, plus 62% d'antidépresseurs,
06:12 plus 155% d'hypnotiques entre 2014 et 2021.
06:15 C'est une conséquence du confinement.
06:17 En partie.
06:18 Pour le coup, je l'avais dit, on est en train de sacrifier notre jeunesse à la santé de
06:23 leurs parents ou de leurs grands-parents.
06:25 Plus souvent, je trouvais ça anormal et je continue de le trouver anormal.
06:29 Alors, il faut être prudent sur ces sujets-là.
06:31 C'est vrai que la France a en gros le record mondial de l'usage des psychotropes, mais
06:36 plutôt des anxiolytiques que des antidépresseurs.
06:39 Et en même temps, les médecins nous disent qu'en France, une dépression sur deux n'est
06:43 pas soignée.
06:44 Et quand j'en parle aux psychiatres, ils me disent en gros, il y a un abus très large
06:51 des anxiolytiques et parfois un sous-usage des antidépresseurs.
06:55 Parce que la dépression est une vraie maladie qui se soigne.
06:59 Au fond, c'est tant mieux, bien sûr.
07:00 Et en même temps, se bourrer d'anxiolytiques à longueur de journée pour supporter les
07:05 difficultés de la vie, ce n'est pas une bonne stratégie existentielle.
07:08 Voilà, et donc, oui, soignons les dépressions.
07:11 Et heureusement, nous avons fait d'énormes progrès en matière d'antidépresseurs.
07:14 Mais attention de ne pas se servir de la chimie pour compenser nos difficultés existentielles.
07:21 Avec le recul, vous trouvez que ce confinement, la politique sanitaire qui a été menée
07:25 par la France, a été exagérée ? On est allé trop loin ?
07:27 La peur a été exagérée.
07:29 Alors sur le confinement, moi, je ne l'ai jamais condamné.
07:32 J'ai trouvé qu'en France, il était appliqué avec une rigueur un peu exagérée, l'obligation
07:36 de remplir un papier, ne pas pouvoir aller à plus d'un kilomètre de chez soi.
07:39 Nos amis allemands et suisses qui ont confiné, mais qui faisaient ce qu'ils appelaient un
07:43 semi-confinement, étaient très étonnés que les Français pratiquent cette espèce
07:49 d'extrémisme sanitaire.
07:50 Ça m'a, moi aussi, un petit peu gêné.
07:52 Mais encore une fois, je me suis inquiété pour la santé morale de nos jeunes gens et
07:56 puis pour leur avenir.
07:57 Parce qu'en gros, on a sacrifié l'éducation.
07:59 Les gamins avec des masques, 8 heures par jour, essayaient d'apprendre à lire ou d'apprendre
08:03 l'anglais avec un masque et devant un professeur masqué, comment on dirait, des nouvelles.
08:06 On a sacrifié l'éducation des jeunes à la santé de leurs grands-parents.
08:10 Mais pour quelqu'un qui est attaché aux idéaux des Lumières, je trouve ça invraisemblable.
08:15 Entre l'éducation des jeunes et la santé des vieux.
08:17 Je suis vieux, je peux le dire.
08:18 Qu'est-ce qui est le plus important ? Mais bien sûr, bon sang, l'éducation des jeunes.
08:22 On a choisi le contraire.
08:24 La crise sanitaire semble derrière nous.
08:26 Heureusement, on a des vaccins formidables, tant mieux.
08:29 Profitons des progrès de la médecine, vous voyez.
08:32 Mais je continue, il y a un de mes textes qui porte sur cette pandémie.
08:35 Je continue de trouver que la peur du Covid était exagérée.
08:39 Puis ce qui m'a frappé le plus, c'est qu'il y a la peur du Covid exagérée.
08:43 Par chance ou par bonheur, nos médecins inventent un vaccin.
08:46 J'allais me dire, la peur va reculer.
08:48 Pas du tout.
08:49 La peur du vaccin s'est ajoutée à la peur du virus.
08:52 Alors comme du coup, les gens ne se vaccinaient pas assez, le pauvre Macron invente le pass
08:56 sanitaire.
08:57 Nouvelle peur, la peur de la dictature.
08:59 La peur du virus était exagérée, la peur du vaccin était totalement irrationnelle.
09:04 La peur de la dictature l'était aussi.
09:06 Et bien loin qu'une peur chasse l'autre, une peur s'ajoute à l'autre.
09:10 Et là encore, j'ai envie de dire, mais bon sang, quand cesserons-nous d'avoir peur ?
09:14 Alors c'est cette addition des peurs que vous décrivez aussi dans ce livre, La clé des
09:18 champs.
09:19 Le livre interroge aussi notre rapport à la mort, l'euthanasie, l'aide active à
09:23 mourir.
09:24 C'est d'ailleurs La clé des champs, c'est ça ?
09:25 Oui, le titre est inspiré d'une formule de Montaigne dans les Essais.
09:29 Montaigne écrit "Le plus beau cadeau que nature nous ait fait, c'est de nous avoir
09:34 laissé la clé des champs".
09:36 La clé des champs, c'est-à-dire le droit de s'en aller.
09:39 Autrement dit, je pense, comme Montaigne pensait, que le droit de mourir, y compris volontairement,
09:44 fait partie des droits de l'homme.
09:45 Si je ne suis pas libre de mourir, je ne suis pas libre de vivre non plus, dites-vous.
09:49 Oui, parce que finalement, je n'ai pas choisi de naître.
09:51 Mais si je suis libre de vivre, c'est qu'au fond, je pourrais mourir si je le voulais.
09:54 Et donc, la possibilité du suicide, rétrospectivement, fait de chaque moment de ma vie un choix libre.
10:00 Je n'ai pas choisi de naître, mais je choisis chaque jour de continuer à vivre.
10:04 Et tant mieux, je ne souhaite pas du tout mourir.
10:06 Moi, j'aime la vie, je souhaite que ça dure le plus longtemps possible.
10:09 Mais si un jour, l'extrême vieillesse, une maladie très grave et incurable, de très
10:13 lourd handicap, font que la vie me paraissent ne plus valoir la peine d'être vécue,
10:18 je réclame bien sûr le droit d'en finir.
10:21 Et je m'étonne que l'État m'interdise, si je veux en finir, de demander l'aide de mon médecin.
10:27 Vous vous appuyez sur l'exemple de l'affaire Vincent Lambert, qui a obtenu le droit de
10:30 mourir après être resté 11 ans dans un état quasi-végitatif après un accident.
10:34 Vos opposants vous disent "c'est une exception".
10:36 Vous dites "non, pas du tout".
10:37 En fait, c'est l'immense majorité des gens qui essayent de vous suicider en EHPAD et en hôpital.
10:41 Oui, parce que les gens me disent "si tu veux mourir, t'as qu'à te suicider".
10:43 Mais d'abord, ce n'est pas si facile.
10:45 Moi, je n'ai pas d'armes chez moi, je n'ai pas de poison.
10:47 Souvenez-vous du philosophe Gilles Deleuze, 70 ans, souffrant d'une très grave insuffisance respiratoire,
10:52 qui voulait en finir.
10:53 La seule façon qu'il a trouvé, ça a été de te jeter de la fenêtre du cinquième étage où il habitait.
10:58 Qui a envie d'une mort pareille ?
11:00 Et puis surtout, oui, je peux me suicider tant que je suis à peu près en bonne santé.
11:04 Mais tant que je suis en bonne santé, pourquoi voulez-vous que je me suicide ?
11:07 Il n'en est pas question.
11:08 En revanche, si je suis à l'hôpital, si je suis dans un EHPAD, alors oui,
11:13 essayez de vous suicider dans un EHPAD ou à l'hôpital,
11:16 vous verrez qu'en pratique, c'est impossible.
11:17 Or, c'est justement dans ces moments-là, à la fin de la vie ou devant un très lourd handicap,
11:21 une très grave maladie, qu'on peut avoir envie d'en finir, vous voyez.
11:25 Et donc, il faut que dans ce cas-là, si je ne peux pas tout seul me suicider,
11:30 que les médecins m'aident à le faire.
11:31 Alors, de deux façons, soit le suicide assisté, et c'est le mieux.
11:34 Si je peux prendre moi-même la pilule létale ou appuyer sur la pompe
11:37 qui envoie le produit létal dans la perfusion, c'est mieux.
11:41 Parce que du coup, ce n'est pas le médecin qui a apporté la charge d'un homicide.
11:44 Et donc, privilégions le suicide assisté.
11:46 Mais quand ce n'est pas possible, laissons une place aussi à l'euthanasie.
11:49 Dans le cas du jeune Vincent Imbert, il ne pouvait pas se suicider.
11:53 Je pense que l'euthanasie était légitime.
11:55 Alors, vous dites aussi que les médecins doivent avoir une clause de conscience.
11:58 Bien sûr. Il est hors de question d'obliger un médecin à pratiquer un acte
12:01 qui lui serait contraire à sa morale ou à sa religion.
12:04 On a fait une clause de conscience pour l'IVG.
12:06 Bien loin que ça ait empêché sa légalisation, c'est ce qui l'a rendu possible.
12:10 Je pense qu'une clause de conscience pour ce que j'appelle l'IVV,
12:13 l'interruption volontaire de vie, doit bien sûr aussi rendre possible
12:17 la légalisation de l'euthanasie et du suicide assisté.
12:20 Le président Macron doit s'exprimer, on ne sait pas exactement quand,
12:23 à propos de cette euthanasie, en tout cas cette aide à mourir.
12:27 Il a évoqué "eros et anatos", les grandes pulsions de vie et de mort de l'humanité.
12:31 Il dit c'est une grande bataille entre "eros et anatos". Il a tort ?
12:35 Il a tort, à mon avis, bien sûr, parce que ceux qui veulent mourir,
12:37 c'est pas qu'ils n'aiment pas la vie. Ils n'ont pas choisi la mort.
12:40 On va tous mourir. Ils choisissent d'en finir à un certain moment,
12:44 d'une certaine façon. Autrement dit, ne laissons pas croire qu'il y a ceux
12:46 qui sont pour la vie, qui seraient donc contre l'euthanasie,
12:49 et ceux qui sont pour la mort. Personne n'est pour la mort.
12:52 Il y en a qui sont pour la liberté davantage que d'autres.
12:55 Moi, je suis pour la vie et pour la liberté, c'est parce que j'aime les deux
12:58 que je tiens à ce que ma vie puisse être libre jusqu'au bout.
13:01 Or, pour que ma vie soit libre jusqu'au bout, il faut que j'aie le droit
13:05 d'en finir si, pour de bonnes raisons, je le décide.
13:08 Vous évoquez dans ce livre, "La clé des champs", pour la première fois,
13:11 la vie de votre mère, sa fin aussi, puisqu'elle a mis fin à un séjour
13:14 à l'âge de 64 ans. C'est quelque chose de très personnel
13:18 qui vous a été demandé par vos lectrices.
13:20 Oui, c'est sans doute le texte le plus intime que j'ai jamais écrit
13:24 et sans doute que j'écrirai jamais. Oui, je passais à une émission de télévision.
13:28 Le journaliste m'interrogeait sur mon enfance et donc j'ai parlé
13:30 de mon enfance, de ma mère. Et après quoi, j'ai reçu des dizaines de mails
13:35 de lecteurs et plus encore, en effet, de lectrices que je ne connaissais pas,
13:38 mais qui me demandaient "mais où avez-vous parlé de ce que vous avez dit
13:41 sur votre mère ?" Je répondais "nulle part, je ne l'ai jamais publié".
13:44 Et beaucoup m'ont dit "écrivez-le". Et ça m'a paru une bonne idée
13:48 parce qu'au fond, on fait de la philosophie, bien sûr, mais toujours
13:51 à partir d'une certaine biographie, d'une certaine expérience de la vie.
13:54 Et moi, la personne qui a le plus compté dans ma vie, c'est bien sûr ma mère.
13:58 Et donc, il m'a paru important de m'expliquer là-dessus.
14:02 Moi, au fond, j'ai grandi, j'ai appris à vivre et à aimer
14:05 dans le malheur de ma mère. Et si j'ai eu besoin de beaucoup de philosophie,
14:09 c'est justement pour essayer d'échapper à ce malheur-là.
14:13 Parce qu'au fond, elle était tout à fait aimable, aimante,
14:19 et parfois de bonne humeur, malgré le malheur, la dépression.
14:22 Mais quand elle était heureuse, ça sonnait faux.
14:24 On sentait que c'était du théâtre, du cinéma. Quand elle était malheureuse,
14:27 quand elle me pleurait dans les bras, c'était tragiquement vrai.
14:30 Et donc, j'avais le sentiment, enfant, que la joie était du côté de l'illusion
14:34 et que la vérité était du côté de la tristesse.
14:36 Eh bien, la philosophie m'a appris le contraire, à savoir que c'est l'illusion
14:40 qui rend malheureux parce que toute illusion entraîne une désillusion.
14:43 Toute espérance est déçue et qu'au contraire, c'est la vérité qui libère.
14:47 C'est la vérité qui permet d'aimer la vie telle qu'elle est,
14:50 ce que ma pauvre mère n'a jamais réussi à faire.
14:53 Merci beaucoup, André Comtes-Ponville.
14:54 Je renvoie à votre livre "La clé des jetons" et autres impromptus au PUF.
14:57 Merci d'être venu ce matin.
14:59 Merci à vous. Bonne journée.
15:00 Sous-titrage ST' 501
15:03 [Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org]

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