L'invité du 13h - Jean Garrigues

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L'Invité du 13h (13h - 21 Mars 2023 - Jean Garrigues)

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00:00 notre édifice institutionnel qui est discrédité. Dans une tribune au journal Le Monde, l'un de nos
00:05 meilleurs connaisseurs de la vie parlementaire et politique dresse le bilan de ces dernières
00:09 heures, ces derniers jours, ces dernières semaines de l'Elysée à l'Assemblée. Il en appelle à de
00:13 nouvelles pratiques politiques. "L'exigence de participation citoyenne est irréversible",
00:19 écrit Jean Garrigue, historien, président du comité d'histoire parlementaire et politique.
00:23 Alors comment nos institutions, nos élus et dirigeants peuvent-ils retrouver de la légitimité ?
00:28 Est-ce un changement complet des institutions ? Un retour aux sources de la Ve République ? Un lien
00:34 plus étroit avec la population ? Mais comment le nouer ? 01 45 24 7000 est l'appli France Inter
00:40 pour vos questions et réflexions. Bonjour Jean Garrigue. Bonjour Bruno Dulic. Merci d'être venu
00:44 dans le studio de France Inter. Je voudrais commencer avec les propos d'une manifestante
00:46 hier soir Place Vauban, près des Invalides à Paris, au micro de Faustine Calmel de France Inter.
00:50 Elle commente le parcours parlementaire de la réforme des retraites et l'adoption au 49-3.
00:55 C'est vraiment antidémocratique total et clairement je pense que si à ce moment-là on
01:02 descend pas dans la rue, on laisse tout passer et là franchement il n'y a plus de vote en fait.
01:07 On élit des représentants et ensuite ils sont censés voter les lois et il n'y a pas de vote.
01:12 Enfin c'est clairement ils passent les lois sans nous demander notre avis même si c'est indirect.
01:17 Et donc je ne considère pas du tout que c'est une démocratie. Jean Garrigue, vous n'êtes pas du
01:21 genre à appeler à brûler tout dans la rue mais a-t-elle raison cette manifestante ?
01:26 On est obligé de dire qu'elle a raison. En tout cas il y a une légitimité institutionnelle et il y a eu
01:31 un parcours démocratique, c'est-à-dire qui correspond à nos institutions démocratiques.
01:36 On a utilisé tout l'arsenal de ce qu'on appelle le parlementarisme rationalisé qui est une
01:41 contrainte que l'exécutif fait poser sur le législatif mais ça a été légal, institutionnel.
01:47 Sauf que dans l'esprit des Français, et c'est très important, il y a une autre légitimité qui est
01:53 la légitimité démocratique ou populaire qui est historique, qui remonte à la
02:00 révolution française, cette surveillance du peuple par rapport à ses élus, par rapport à la démocratie
02:07 représentative et que pour eux ce qui s'est passé, la manière dont on a raccourci les débats, dont on
02:12 a fait recours au vote bloqué et à ce fameux 49-3, tout ça ne correspond pas à cette démocratie
02:19 populaire ou participative qui est de plus en plus une demande sociale.
02:24 Le 49-3, on le répète depuis le début, quelqu'un comme Michel Rocart, démocrate entre tous, l'a utilisé des dizaines de fois, c'est passé.
02:32 Pourquoi aujourd'hui ce 49-3 ne passe plus ?
02:36 Il y a deux raisons fondamentales, ce que j'appellerais la présidence jupitérienne, c'est-à-dire des signaux
02:42 qui ont été donnés depuis le début, d'ailleurs depuis le début de son premier quinquennat par Emmanuel Macron,
02:47 d'une présidence qui se coupait de la réalité de la demande sociale, justement, on a eu les Gilets jaunes
02:54 qui ont exprimé ce mouvement-là. Et puis deuxièmement, l'aboutissement de tout un processus, d'une rupture,
03:03 je dirais presque culturelle, entre les citoyens et leurs institutions, c'est-à-dire que ce qui pouvait
03:10 passer dans les années 80, aujourd'hui ne passe plus. Parce qu'on a d'autres exemples de fonctionnement démocratique
03:18 dans les pays scandinaves par exemple, parce qu'on a aussi une exigence de participation justement qui est montée,
03:24 il y a eu les conventions citoyennes, il y a eu les nuits debout, on voit que tout ça monte de la société française
03:29 et donc ça ne passe plus, c'est-à-dire que l'exercice initial, la manière dont on pratiquait les institutions de la Ve République, ça ne passe plus.
03:38 Vous dites qu'on a négligé la souveraineté populaire, alors vous avez donné des éléments de réponse,
03:43 mais ça veut dire quoi, on a négligé la souveraineté populaire ?
03:46 Ça veut dire qu'on a d'abord négligé le dialogue avec les corps intermédiaires, en l'occurrence les syndicats,
03:52 qui sont aussi une émanation justement d'une démocratie vivante, d'une démocratie participative, active,
03:59 je ne parle pas forcément de démocratie directe, mais on a négligé l'opinion publique, on a négligé, je dirais même,
04:05 l'opinion des médias, qui très majoritairement étaient assez hostiles à cette réforme.
04:10 Donc tout ça fait partie d'un paysage du politique au sens le plus large possible
04:16 et dans lequel les institutions, la légitimité institutionnelle n'est plus suffisante.
04:21 C'est un fait, c'est que aujourd'hui, même s'il y a une véritable légalité, une véritable légitimité de ce fonctionnement institutionnel,
04:30 ça ne passe plus dans la population française, ce qui veut dire que cette schizophénie française
04:37 entre d'un côté un pouvoir d'autorité qu'incarne le président de la République et l'horizontalité,
04:43 le besoin de participer à la démocratie, c'est quelque chose dont il faut tenir compte
04:48 et dont on n'a pas tenu assez compte, notamment depuis la révision de 2000 qui a renforcé les pouvoirs du président.
04:54 Alors, quel changement possible ? On va voir ça avec nos auditeurs au standard. Bonjour Marc.
04:59 Bonjour Bruno Duvic, bonjour M. Garry. Une réforme des institutions me semble absolument urgente
05:09 car M. Macron, par sa présidence que vous venez de décrire, est en train de dérouler le tapis rouge à Marine Le Pen pour 2027.
05:18 L'abolition du quinquennat et le retour au septennat non renouvelable me semble un minimum.
05:24 Je pense qu'il faut surtout réduire fortement les pouvoirs du président de la République pour un plus juste équilibre entre les pouvoirs.
05:34 Et je n'oublie pas le pouvoir judiciaire qui doit être complètement indépendant de l'exécutif,
05:40 ce que ne prépare pas la réforme d'Armagnan de la police judiciaire.
05:44 Et enfin, je suis persuadé qu'il faut arrêter l'élection présidentielle au suffrage universel
05:53 car il me semble que cette élection rend la classe politique complètement folle et fausse complètement le jeu des partis.
06:01 Les partis ne réfléchissent plus, ils ne sont plus que des élections présidentielles.
06:06 Merci Marc pour ces éléments de réflexion.
06:11 Le président a-t-il trop de pouvoir Jean Garrigue ? Vous dites qu'il faut en finir avec la présidence jupitérienne.
06:17 C'est incontestable. Je souscris quasiment mot pour mot à l'analyse de ce monsieur.
06:23 Si ce n'est sur le dernier point concernant l'élection présidentielle,
06:28 on est obligé aussi de tenir compte de notre histoire et de notre histoire récente,
06:33 c'est-à-dire de l'acculturation de cette élection présidentielle comme un point central de notre vie politique.
06:39 Je pense qu'une majorité des Français y sont encore attachés.
06:43 Évidemment, cette élection présidentielle, elle a beaucoup de défauts.
06:46 Elle surpersonnalise nos élections, elle les bipolarise, elle a énormément de défauts.
06:55 Elle est quasiment unique en Europe puisque la plupart des démocraties européennes ont un régime parlementaire.
07:00 En revanche, je crois que tout le défi maintenant de l'adaptation de nos institutions,
07:05 sans forcément passer par un changement de constitution,
07:08 l'adaptation de nos institutions, ça va être de mieux ménager l'équilibre entre d'un côté ce président
07:15 dont l'image, et c'est très important l'image dans notre société de communication,
07:20 l'image est une image de monarque.
07:22 Donc il faut démonarchiser cette présidence et lui opposer des contre-pouvoirs qui sont d'abord le Premier ministre,
07:30 car il faut rappeler qu'au début de la Ve République, l'esprit initial, c'est d'avoir un Premier ministre qui gouverne véritablement.
07:36 Il faut lui opposer le Parlement, donner plus de pouvoir au Parlement, peut-être plus de représentativité.
07:42 Il faut lui opposer les corps intermédiaires, c'est-à-dire il faut essayer de corseter cette influence du président
07:49 parce qu'il est lui l'incarnation précisément de cette monarchie dont on ne veut plus.
07:54 Alors on continue avec les institutions. Michel, bonjour Michel.
07:57 Bonjour.
07:58 Question sur le Premier, la Première Ministre en l'occurrence.
08:02 Voilà, ne voulons-nous pas dans un système où les dés sont pipés puisque tout se décide à l'Élysée,
08:07 mais que le président n'est responsable de rien.
08:09 On sait que c'est le président qui a voulu le 49-3, alors que la Constitution dit que c'est le Premier ministre
08:14 qui peut décider d'engager la responsabilité de son gouvernement.
08:17 À quoi sert le Premier ministre, la Première Ministre aujourd'hui, Jean Garrigue ?
08:30 Il ne faut pas se voiler la face. Le Premier ministre aujourd'hui est une forme de collaborateur important.
08:37 On l'a vu avec le rôle d'Elisabeth Borne dans la concertation, qui n'en était pas vraiment une malheureusement, avec les syndicats.
08:44 En tout cas, concertation avec certains partenaires politiques.
08:48 Mais de manière effective, c'est le président qui décide de tout en réalité.
08:54 Et la Première Ministre est un fusible, on parle souvent de cette expression-là, et une collaboratrice.
09:00 Elle a un pouvoir théorique, mais en fait, celui qui dirige véritablement, qui conduit la politique du gouvernement,
09:08 c'est le président de la République.
09:09 Ce n'était pas tout à fait comme ça que Michel Dobré, en 1958, avait conçu les institutions.
09:15 Alors, il peut y avoir des débats parce que le général de Gaulle, lui, incontestablement, avait envie de cette suprématie.
09:22 Mais de Gaulle, par exemple, du temps de sa présidence, laissait quand même une très forte marge de manœuvre à ses premiers ministres
09:29 pour tout ce qui était les questions antérieures, et notamment la question des retraites.
09:33 Il aurait vraisemblablement laissé beaucoup plus la bride sur le cou à sa première ministre.
09:39 Donc, moi, je pense véritablement que ne serait-ce que ça, revenir montrer surtout aux Français
09:45 que le président de la République n'est pas omnipotent, qu'il a face à lui quelqu'un qui dirige le gouvernement,
09:50 ce serait déjà une bonne chose.
09:52 C'est intéressant parce qu'au fond, on voit sortir dans la presse, Gilles Le Gendre, par exemple, ce matin dans Libération,
09:58 ou Patrick Vignal, des députés ou anciens députés qui étaient des premières heures du macronisme
10:03 et qui ont appelé à un retour aux sources.
10:05 Et dans votre tribune, vous rappelez que le livre de campagne d'Emmanuel Macron s'appelait « Révolution »
10:10 et vous dites « on a abouti à une réformette libérale et comptable ».
10:14 Comment, en cinq, six ans, on est passé de l'un à l'autre ? Qu'est-ce qui s'est passé, au fond ?
10:18 Il s'est passé qu'Emmanuel Macron, pour des raisons diverses et variées, et j'ignore certainement une partie d'entre elles,
10:27 mais confronté à l'exercice du pouvoir, s'est totalement replié sur une conception qu'il pensait gaulliste ou gaullienne de cette présidence,
10:39 qu'on a appelée « jupitérienne », et qui est une conception finalement très archaïque,
10:45 qui ne tient pas compte de l'évolution de la société, qui, justement, génère, qui appelle des contre-pouvoirs.
10:52 Et c'est ça le gros problème, ça aboutit à cette réforme qui est en réalité coupée de la demande sociale,
11:00 et qui est une sorte de négociation politicienne, on va dire, avec les Républicains.
11:07 Et en 2017, je me souviens, les électeurs sociodémocrates, les électeurs de droite classique, déçus par le résultat,
11:13 disaient « vous allez voir, dans quelques années, on aura Macron et les extrêmes, voire les extrêmes face à face ».
11:20 C'est ça le danger qui se rapproche un peu plus, c'est-à-dire, au fond, un pouvoir qui est en train de perdre de sa légitimité,
11:25 et de chaque côté, il y a des extrêmes qui se renforcent.
11:28 C'est une évidence, quand un pouvoir légitime, institutionnellement et politiquement, se recroqueville,
11:35 ce sont les extrêmes, ceux qui portent une forme de protestation radicale, qui prospèrent.
11:41 Et en l'occurrence, il y a vraisemblablement, et c'est ce que montrent les sondages,
11:46 il y a effectivement une formation et une personnalité, qui est Marine Le Pen,
11:51 qui manifestement profite de cette situation, parce qu'elle porte cette protestation collective,
11:58 ce désarroi collectif, c'est plus un désarroi d'ailleurs qu'une protestation,
12:04 et elle la porte en ayant pour elle la traite de la nouveauté, c'est-à-dire qu'elle n'a jamais été véritablement au pouvoir.
12:10 Et donc, il y a là, en tout cas pour ceux qui ne partagent pas les idées de Marine Le Pen,
12:15 il y a un danger politique très fort.
12:17 Il y a une particularité française des Gaulois réfractaires, qui seraient hostiles à toute réforme,
12:22 ou il y a un phénomène plus global de difficulté de réformer pour des partis classiques aujourd'hui en Europe ?
12:30 Je crois qu'il y a un peu les deux phénomènes, mais évidemment, la crise de la démocratie,
12:34 la crise de la légitimité institutionnelle ne se cantonne pas à la France.
12:38 D'ailleurs, en Italie, ce qui se passe actuellement, c'est un débat pour aller vers des institutions à la française,
12:44 ce qui nous montre à quel point il y a une forme de schizophrénie dans tout ça.
12:47 Mais incontestablement, il y a aussi cette sensibilité française révolutionnaire et démocratique,
12:55 profondément démocratique et horizontale. Les deux ensemble.
12:59 Merci Jean Garrigue, je rappelle les références de votre dernier livre,
13:02 « Élisée contre Matignon, le couple infernal ».
13:05 C'était aux éditions Talandier et puis cette tribune qu'on peut lire dans Le Monde.

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