Déploiement d'armes nucléaires tactiques russes en Biélorussie : "On est dans un engrenage extrêmement dangereux", prévient le général Jérôme Pellistrandi
Le général Jérôme Pellistrandi, expert militaire, rédacteur en chef de la revue Défense nationale, était invité sur franceinfo le 27 mars 2023.
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00:00 L'Ukraine parle de prise d'otages nucléaires et demande une réunion d'urgence du conseil de sécurité de l'ONU.
00:05 Après cette annonce de la Russie, samedi le président russe Vladimir Poutine,
00:09 qui affirme vouloir déployer des armes nucléaires tactiques sur le territoire de son allié biélorusse.
00:14 Bonjour Général Jérôme Pellistrandy.
00:16 Bonjour.
00:16 Rédacteur en chef de la revue spécialisée Défense Nationale,
00:19 cette annonce de Vladimir Poutine a suscité une forte réaction de Kiev.
00:23 Condamnation également de la France via un communiqué hier du Quai d'Orsay.
00:27 Faut-il réellement s'inquiéter de cette annonce de Vladimir Poutine ?
00:31 Oui, on peut s'en inquiéter, même si pour le moment,
00:35 on n'a pas sur le terrain la mise en place de ces armes nucléaires.
00:40 Vladimir Poutine a annoncé que ce serait peut-être à partir du 1er avril.
00:44 Donc il est clair qu'on va observer de très près ce qui concerne,
00:48 qui pourrait concerner le déplacement de ces armes nucléaires tactiques
00:51 donc du territoire russe vers le territoire biélorusse.
00:55 On va rappeler que les armes nucléaires se partagent en deux types,
00:57 il y a les armes stratégiques et les armes tactiques.
01:00 Les armes stratégiques, c'est vraiment pour la dissuasion.
01:04 Les armes tactiques, ce sont des armes qui là sont quand même conçues,
01:06 en tout cas pour pouvoir éventuellement être utilisées sur un champ de bataille.
01:10 Oui, c'est bien ça la problématique.
01:12 Mais il faut souligner que cette rhétorique nucléaire,
01:15 c'est depuis le 24 février 2022 que Vladimir Poutine l'utilise.
01:19 Et en particulier lorsque sur le plan militaire,
01:21 ses forces armées sont en difficulté.
01:24 Il en demeure pas moins que cette annonce est extrêmement grave
01:26 parce qu'on est totalement replongé dans une guerre froide à la Staline,
01:30 comme dans les années 1950.
01:31 Qu'est-ce que ça change tactiquement ?
01:33 Est-ce que ça change la donne si des armes russes nucléaires tactiques
01:37 donc sont déployées en Biélorussie ?
01:39 Alors, ça ne change pas grand-chose pour l'Ukraine, hélas,
01:42 puisque depuis le début, on peut dire que l'Ukraine
01:44 est sous la menace de frappes nucléaires tactiques.
01:46 Par contre, ça veut dire quoi ?
01:47 Ça veut dire qu'il y aura des armes nucléaires tactiques
01:50 déployées en Biélorussie, c'est-à-dire de l'autre côté
01:53 de la frontière, il y a quoi ? La Pologne, les États baltes,
01:56 qui sont des États membres de l'OTAN et de l'Union européenne.
01:59 Donc c'est quelque chose qui est extrêmement grave
02:01 parce que ça veut dire que ces États-là pourraient se retrouver
02:04 sous le chantage nucléaire russe en quasi permanence.
02:08 Les déployer en Biélorussie, est-ce que ça renforce le risque aussi d'un dérapage ?
02:12 On a vu plusieurs fois des armes, des missiles retomber, par exemple,
02:16 là où ça n'était pas prévu, notamment en Pologne.
02:18 Bien entendu, et donc c'est quelque chose, c'est une aggravation
02:21 de cette tension, de cette stratégie de la tension
02:24 pour la partie est de l'Europe.
02:26 La difficulté, c'est que même si l'Ukraine demande une réunion
02:30 du Conseil de sécurité de l'ONU, il ne faut pas oublier
02:33 que la Russie est membre permanente.
02:35 - Il y a le droit de veto. - Il y a le droit de veto.
02:37 Donc on est dans un engrenage extrêmement dangereux
02:40 et d'autre part, cela souligne que la Biélorussie
02:43 est un État totalement soumis.
02:44 En quelque sorte, on retombe dans ce qu'on appelait la doctrine Brejnev
02:47 dans les années 70, où les États qui étaient membres du pacte de Varsovie,
02:51 leur souveraineté était limitée.
02:53 Donc on a la vassalisation de la Biélorussie
02:55 et une situation extrêmement inquiétante pour le reste de l'Europe.
02:57 - Quelles pourraient être les cibles de Vladimir Poutine ?
03:00 Les cibles militaires avec ces armes-là ?
03:03 - Alors, principalement, elles sont tournées certes vers l'Ukraine,
03:06 c'est-à-dire que, mais on le sait depuis le début.
03:09 Alors, stratégie contre des villes, par exemple, je détruis une ville majeure
03:13 comme Kharkiv, Soumis, Dnipro, ou une cible militaire, une grande usine.
03:19 Il n'en demeure pas moins que, agiter en permanence le chiffon rouge nucléaire
03:23 constitue une variable extrêmement inquiétante
03:26 et qui oblige notamment les Occidentaux à poursuivre le soutien à l'Ukraine,
03:32 parce qu'il n'est pas question pour le moment de laisser tomber l'Ukraine.
03:35 Il faut lui donner les moyens de se défendre,
03:37 mais ça veut dire qu'il faut être extrêmement vigilant
03:39 par rapport à l'attitude de Moscou.
03:41 - On a beaucoup parlé depuis des semaines de la bataille de Barmout
03:43 où les Russes sont enlisés depuis un moment.
03:47 Ils n'arrivent pas à prendre totalement le contrôle de cette ville.
03:50 Est-ce que c'est aussi, de la part de Vladimir Poutine,
03:52 le fait de déployer ses armes en Biélorussie,
03:53 un moyen de prévenir quelque part une éventuelle contre-offensive ukrainienne,
03:58 dont on parle aussi beaucoup, qui se déroulerait,
04:00 cette fois avec des armements occidentaux qu'on peut penser plus efficaces ?
04:04 - C'est possible. En tout état de cause, on voit bien qu'il y a un mois,
04:08 tout le monde pensait que Barmout allait tomber.
04:11 Et la résistance ukrainienne est farouche en quelque sorte.
04:13 Et les Russes sont dans une situation militaire extrêmement inconfortable.
04:17 Ils n'arrivent pas à prendre Barmout.
04:19 Et donc, il y a, alors non pas ce risque,
04:22 mais le fait que les Ukrainiens commencent à recevoir les armements lourds
04:26 qu'ils attendaient, c'est-à-dire des chars,
04:28 les fameux Léopard ou les AMX 10 RC français,
04:30 et qui pourraient leur permettre de lancer des contre-offensives.
04:33 Mais on voit que le front est figé.
04:35 Et donc, Vladimir Poutine cherche par tous les moyens, en quelque sorte,
04:38 à contourner cette difficulté militaire
04:40 qui se transforme en difficulté politique pour lui.
04:42 – Cette menace nucléaire, c'est un signe de faiblesse pour vous de la Russie,
04:46 alors que la venue, la semaine dernière à Moscou, du président chinois Xi Jinping
04:50 n'a donné lieu ni à des annonces fracassantes,
04:53 ni au déploiement d'une aide militaire chinoise particulière.
04:56 – C'est une forme d'aveu de faiblesse, mais c'est là d'autant plus dangereux justement,
05:00 parce qu'on voit bien que la Russie n'arrive pas à se sortir du piège
05:04 dans lequel Vladimir Poutine l'a enfermé.
05:06 Et à partir de ce moment-là, tous les scénaristes ont possible,
05:09 en particulier, la volonté de rechercher une escalade,
05:13 et bien entendu de faire pression sur les pays occidentaux
05:16 qui sont le premier soutien militaire de l'Ukraine.
05:18 – Merci Général Jérôme Pellistrand,
05:20 l'irédacteur en chef de la revue spécialisée Défense Nationale,
05:23 invitée du 5/7 de France Info.
05:24 Et je renvoie à notre podcast France Info,
05:27 "Guerre en Ukraine" pour tout comprendre à ce conflit.
05:29 C'est à retrouver sur l'application Radio France.
05:32 Un nouvel épisode sera disponible tout à l'heure à 18h.
05:34 – France Info, il est 6h40.