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Transcription
00:00 *Tic Tic Tic Tic Tic Tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, Olivia Ghesbert, bienvenue au club.
00:12 *Musique*
00:17 Bonjour à tous. Un club de lecture politique aujourd'hui avec notre invité Marc Duguin,
00:22 l'auteur de "La chambre des officiers" et d'une exécution ordinaire, nous livre aujourd'hui
00:27 "Tsunami, drôle et enlevé" chez Albin Michel, journal de bord d'un président mal élu
00:32 qui écrit comme d'autres se regardent dans le miroir pour retrouver l'homme derrière la fonction.
00:37 Une chronique du pouvoir partant d'incertitudes entre conflits à l'Est, crises climatiques
00:42 et bouleversements de nos vies par le numérique. Alors est-ce une leçon de politique par la littérature ?
00:48 Est-ce une leçon de pragmatisme, voire peut-être aussi de machiavélisme ?
00:52 Avec notre invité, l'écrivain Marc Duguin est aujourd'hui avec nous dans "Bienvenue au club".
00:57 *Musique*
01:02 *Tic*
01:05 Une émission programmée par Laura Dutèche-Pérez avec Corine Amard et Anouk Delphineau,
01:10 réalisé par Félicie Fogère et avec Anthony Thomasson à la technique.
01:13 Moins pamphlétaire qu'un Patrick Rambaud, l'auteur des chroniques du règne de Nicolas 1er,
01:18 et aussi truculant à la manière de la série qu'édorçaient des bédéistes Christophe Blain et Abel Lanzac.
01:24 Notre invité Marc Duguin nous offre aujourd'hui une nouvelle plongée dans les coulisses du pouvoir.
01:29 Bonjour Marc Duguin.
01:30 Bonjour.
01:31 Qu'est-ce qui vous a donné envie d'entrer dans la tête d'un président, surtout que le vôtre il est super actif,
01:36 ou suractif comme la plupart des chefs d'État, insomniaque, et que c'est un président qui doute aussi quand même parfois.
01:43 Ça a dû être assez épuisant aussi pour vous.
01:47 Au départ c'est un phénomène empathique, pas au sens d'aimer, mais de se mettre à la place.
01:55 L'empathie c'est ça, c'est se mettre à la place.
01:57 Moi j'avais déjà fait pour un tueur en série, j'avais passé six mois dans sa tête aux États-Unis, j'avais suivi son parcours.
02:06 Et évidemment dans tout ce que je fais, dans tout mon travail, que ce soit en littérature ou au cinéma,
02:13 la question du pouvoir est toujours là, que ce soit le pouvoir dans l'entreprise, le pouvoir à l'intérieur d'un couple.
02:23 L'homme est essentiellement pouvoir, l'homme avec l'humanité se meut à travers des considérations de pouvoir.
02:33 Et je trouvais que c'était très intéressant de passer, pas de faire des mémoires d'un président sur cinq ans, sur dix ans,
02:41 c'était vraiment passer trois semaines avec lui.
02:43 - Et l'imaginer dans la tempête, en pleine tempête.
02:45 - Et évidemment dans la tempête, il se trouve que ça ressemble beaucoup à la tempête qu'on vit aujourd'hui depuis la réforme des retraites.
02:52 C'était pas prévu comme ça, puisque je l'ai écrit maintenant avec les délais d'impression, tout ça, il y a quasiment un an.
02:59 Mais je trouvais très intéressant ce... Vous savez quand j'étais jeune on faisait des compositions françaises,
03:07 ça c'est un petit traité de décomposition française, c'est-à-dire que j'essaye de voir ce qui se passe dans la tête de quelqu'un
03:14 qui a été élu avec certaines convictions, mais quand même beaucoup de cynisme, beaucoup d'opportunisme,
03:21 et qui prend plaisir et qui prend goût à une fonction pour laquelle il n'était pas vraiment destiné au départ.
03:28 Et c'est intéressant aussi de voir comment une seule personne est le réceptacle des problèmes de 70 millions de personnes.
03:37 Et finalement, est-ce que ça a du sens aujourd'hui qu'on remette nos vies aux mains d'une seule personne,
03:47 qui évidemment est très entourée et puis qui va vous dire qu'il est impuissant parce qu'il y a toute une administration derrière,
03:52 enfin voilà, c'est une réflexion sur ce qu'est la démocratie que moi, personnellement, j'aime beaucoup,
03:58 même dans ces moments difficiles, je trouve que c'est, enfin comme on l'a souvent dit, le pire des systèmes à l'exception de tous les autres.
04:06 Donc c'est intéressant, je trouve, pour un écrivain de rentrer là-dedans, c'est pas faire de la politique, c'est pas tellement la question,
04:15 c'est d'essayer de comprendre ces mécanismes du pouvoir au niveau de quelqu'un qui se centralise, qui est l'élu,
04:22 parce que finalement c'est ça la question. Qu'est-ce que c'est que d'être l'élu ?
04:26 Qu'est-ce que c'est que d'être distingué au milieu de 70 millions de personnes ?
04:31 Et donc c'est un peu une fable voltairienne, je crois que c'est Sylvain Courage, un journaliste qui m'a interviewé,
04:40 de l'Obs, qui m'a dit ça, il me dit "c'est une fable voltairienne écrite par un adepte de Rousseau".
04:47 Et je trouve que ça correspond bien à ce que j'ai voulu faire.
04:52 - Et puis c'est aussi un portrait de président, à la fois à travers les responsabilités qui lui incombent,
04:58 mais aussi l'extrême solitude du pouvoir. Vous parlez de votre empathie à l'instant, l'empathie de l'écrivain envers cette fonction,
05:05 ou envers cette figure archétypale que vous avez imaginée pour votre roman.
05:10 Le président c'est le mâle alpha d'une meute qui le met à mort à la moindre faiblesse.
05:13 Et vous racontez ce système des courtisans qui l'entourent, et Karine n'est pas tout seule dans cette galerie de personnages,
05:19 et pas tout seule à affronter les tempêtes à venir, quoique on finit peut-être toujours tout seul.
05:25 Ce qui est intéressant c'est le retour à la psy, psychologie, psychanalyse.
05:30 Avec vous Marc Duguin, toujours vous essayez de comprendre l'intériorité de vos personnages,
05:33 et lui ça commence par un manque de père. Alors est-ce que l'écrivain est le père de substitution du narrateur dans ce livre ?
05:40 Est-ce que vous prenez cette place là, avec cette empathie que vous projetez sur lui ?
05:44 Peut-être que je suis à l'âge d'être le père d'un président.
05:50 Mais je trouve très intéressant effectivement qu'il y a des choses qui sont communes.
05:57 Vous parlez du père, c'est très intéressant parce que quand on regarde les différents présidents de la République,
06:04 de la Ve République, on voit qu'ils ont probablement beaucoup de choses en commun,
06:08 mais il y en a une qui me frappe beaucoup, c'est le rapport au père.
06:11 En fait le père absent, ou le père où il y a une fracture avec le père,
06:17 il y a un surmoi qui n'est pas très constitué.
06:19 Et très souvent je pense que cette absence du père est à l'origine de cette volonté de puissance de l'enfant,
06:27 qui en même temps n'est parfois pas très loin de la perversité, au sens où du coup l'enfant se dit
06:37 "finalement le père ne pèse pas trop dans mes considérations morales, donc je peux faire un peu ce que je veux".
06:42 Et ce qui explique cette capacité de cynisme qu'on a aussi parfois dans la fonction.
06:50 Et je pense que c'est quelque chose qui est très directeur, c'est cet affranchissement du père.
06:56 Et ceux qui ne l'ont pas eu, comme Michel Rocard par exemple, qui était très très admiratif de son père,
07:03 même si son père considérait qu'il était un peu raté parce qu'il faisait de la politique,
07:06 mais ça explique peut-être qu'il n'a pas été plus loin.
07:10 Donc je pense qu'il y a quelque chose dans le fait d'arriver jusqu'en haut,
07:14 qui est une forme d'énergie qui est liée à ce manquement du père.
07:21 Plusieurs tempêtes menacent son quinquennat, celle des affaires dont il doit se protéger,
07:26 puis celle qu'il déclenche en voulant réformer.
07:28 Réformer le plus loin possible dans l'intérêt général, sans s'interdire de faire descendre les gens dans la rue,
07:34 tout en sachant comment les ramener chez eux, écrivez-vous Marc Duguin.
07:38 Votre président nous donne assez vite en ouverture sa vision de la politique.
07:43 Et puis cette phrase que je viens de citer, il faut bien le dire, elle est assez drôle par les temps qui courent.
07:47 Ce livre, vous l'avez écrit avant, peut-être après la précédente réforme des retraites.
07:51 Dans tous les cas, il y a toujours des tempêtes.
07:53 Et quand il s'agit de réformer, ça pose question.
07:56 Vous ajoutez "les Français sont bouillonnants, mais ils refroidissent plus vite qu'on ne le pense",
08:00 dans la bouche de votre narrateur.
08:02 "La France irréformable", ça c'est un refrain qu'on entend encore souvent, encore beaucoup.
08:07 Il y a cette déconnexion, cette incompréhension que vous percevez.
08:13 Oui, parce que je pense que la fonction isole.
08:19 Et le fait d'être isolé fait que ce qui est aussi assez remarquable dans cette fonction,
08:28 et évidemment ça a été beaucoup souligné avec Emmanuel Macron,
08:31 c'est le manque d'empathie pour les gens qu'on dirige.
08:35 Et l'infantilisation qu'on retrouve dans cette formule.
08:38 Et en même temps, cette infantilisation...
08:39 Ils vont descendre dans la rue, mais on sait comment les ramener chez eux.
08:42 On va les raisonner.
08:43 Si vous voulez, ça vient de ce qu'on disait tout à l'heure à propos du père.
08:46 C'est-à-dire que pour la plupart, ils ont eu un père défaillant,
08:49 mais ils veulent absolument être le père de la nation.
08:52 Et c'est très intéressant d'ailleurs, quand on regarde...
08:55 J'ai regardé les discours d'Emmanuel Macron pendant la pandémie et après,
09:01 et ce ton très paternel, paternaliste.
09:04 On a l'impression que c'est une nécessité de la fonction,
09:07 alors qu'on est quand même des adultes, on dirait, majeurs et vaccinés.
09:12 Donc, il y a quelque chose de très intéressant dans le fait que,
09:19 finalement, cette élite qui gouverne a énormément de mal à prendre la mesure des gens qui gouvernent.
09:26 Alors, chez Emmanuel Macron, c'est vrai que c'est assez flagrant
09:30 parce que c'est un surdoué au niveau des études.
09:35 En plus, on a un système scolaire, nous, qui est très élitiste.
09:40 Et on se rend compte que, finalement, son parcours, comme il est très jeune en plus,
09:44 a été toujours dans des milieux très étroits.
09:47 Et que finalement, moi qui vis à la campagne depuis longtemps,
09:53 je me rends compte à quel point, par exemple, il est loin des populations rurales
09:57 et de leur compréhension de ce qui se passe chez eux, de leurs inquiétudes.
10:01 Il est aussi des gens modestes.
10:05 Et il a eu des phrases évidemment très vexantes.
10:10 Moi, je me souviens d'une phrase, parce que j'étais en train de travailler justement avec des amis
10:14 sur la question de la 5G dans mon petit village.
10:18 Pour savoir ce qu'on fait pour la 5G.
10:21 Et je me souviens de cette déclaration où il dit
10:25 "de toute façon, les gens qui sont contre la 5G, c'est des amish".
10:28 Amish, référence à cette secte américaine qui vit comme on vivait au 19e siècle,
10:35 disant "la France, c'est le pays du progrès, c'est le pays des Lumières".
10:38 Et c'est cette sorte d'idéologie du progrès, très méprisante pour ceux qui questionnent finalement.
10:45 Et c'est là que je me suis rendu compte à quel point il était en rupture avec l'époque,
10:49 où les gens ne veulent plus subir, ils veulent comprendre.
10:53 Ils veulent dire "oui, finalement, on va accepter la 5G".
10:56 Mais on a quand même envie de comprendre les tenants et les aboutissants.
10:59 Bon, puis il y a eu évidemment des phrases très, très vexantes sur les gens qui ne réussissent pas.
11:05 Enfin, tout un discours qui, à mon avis, lui a fait énormément de tort,
11:09 qui aujourd'hui le met un peu dans une impasse.
11:13 - Et vous, quelle est votre vision du pouvoir, en fait, Marc Duguin ?
11:17 On sait que vous ne vous contentez pas dans vos livres d'écrire ou de raconter des histoires.
11:21 Quelle est du coup votre vision, puisque lui a la sienne et nous la donne dans les premières lignes du livre ?
11:28 Quel est le vrai pouvoir aujourd'hui ? Qu'est-ce que le pouvoir pour vous ?
11:33 - Alors là-dessus, j'ai évidemment réfléchi à la question et j'y réfléchis en permanence,
11:41 parce que j'écris aussi des chroniques dans un journal tous les dimanches.
11:45 Je pense que la question du pouvoir est que le pouvoir aujourd'hui est de plus en plus invisible
11:53 et de plus en plus inatteignable.
11:56 Et je pense qu'il est fondamentalement constitué par le pouvoir économique, les grandes entreprises.
12:04 Et évidemment, je dirais d'un côté, je ne veux pas non plus tomber dans le côté complotiste,
12:11 il y a le secteur agricole industriel, de l'autre côté le complexe militario-industriel.
12:22 Et ces gens-là sont extrêmement forts, sachant qu'il y a un nouveau pouvoir économique qui est venu se greffer,
12:28 qui est celui du numérique.
12:30 Et qui est extrêmement important, parce qu'il joue d'une façon très forte.
12:35 D'ailleurs, il y a un des patrons du numérique qui l'a rappelé cette semaine,
12:40 en disant qu'on ne prenait pas la mesure de l'influence politique du numérique
12:47 et de la façon dont le numérique fait circuler l'information et la façon dont il le traite.
12:54 Donc je pense que le pouvoir est là.
12:56 Après, évidemment, toute la question, c'est l'allégeance de nos politiques,
13:01 qui sont là pour le bien commun, à cette constellation d'intérêts privés extrêmement puissants.
13:08 Et c'est pour ça que dans le livre j'ai fait cette petite pirouette,
13:11 qui est que ce président qui a plein de défauts, mais qui n'est pas complètement idiot,
13:16 dit comment on fait pour avancer sur la question de l'environnement.
13:21 Et lui, au lieu de faire ce que font aujourd'hui les politiques,
13:26 c'est-à-dire de s'attaquer à l'offre, c'est-à-dire aux entreprises,
13:31 dont on sait que certaines ont compris la situation et d'autres font du greenwashing,
13:37 d'une façon assez honteuse parfois.
13:40 - Mais lui, il veut responsabiliser le système.
13:43 - Lui, il va vers la demande et il dit finalement, si je responsabilise les individus,
13:48 si je, par un système qui est un peu contraignant, qui est le bilan carbone individuel,
13:53 c'est ces gens-là qui en fait vont changer les modes de consommation
13:59 et les entreprises seront obligées de suivre.
14:01 Alors, on sait que dans la réalité, c'est encore plus compliqué que ça,
14:05 parce qu'évidemment, les entreprises, dans ce cas-là,
14:07 elles ont cette arme de destruction massive qui est le chantage à l'emploi.
14:11 Et on sait que les politiques sont très sensibles à ce chantage,
14:15 puisque finalement, la classe politique en permanence,
14:20 évidemment, a un objectif qu'on peut tout à fait comprendre,
14:23 qui est le plein emploi et le plus d'emplois pour chacun.
14:26 Et donc, là, il commet quelque chose d'intéressant,
14:32 mais qui en même temps est combattu parce qu'il y a quelque part une allégeance au numérique.
14:39 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, sans le numérique, on ne peut pas calculer un bilan carbone.
14:43 Moi, j'ai fait mon bilan carbone qui n'est pas encore des meilleurs, je dois le reconnaître.
14:48 Et on se rend compte de l'impact individuel qu'on a sur l'environnement.
14:56 Et c'est très intéressant.
14:58 Mais il y a ce sentiment aussi que de plus en plus, et ça j'en parle d'une façon, j'irais, dégagée,
15:06 mais de plus en plus, on est soumis à ces instruments de mesure de nos comportements
15:12 qui ensuite, évidemment, peuvent donner lieu à des décisions pour encore plus nous encadrer,
15:17 comme on l'a eu avec le pass sanitaire, finalement.
15:20 C'est-à-dire que le numérique est là pour nous renvoyer ce que nous sommes.
15:26 Alors qu'Emmanuel Macron se rendra en Chine en fin de semaine,
15:29 il faut espérer qu'il ne rapportera pas les outils de contrôle social que votre président entend introduire dans sa loi climat.
15:36 Un bilan carbone individuel, et donc une responsabilité individualisée
15:39 en collectant les données des citoyens grâce à l'algorithme,
15:43 et qu'ils nommeront le pass environnemental individualisé.
15:46 Alors évidemment, cette réforme n'est pas populaire.
15:48 Une prison verte, disent ces détracteurs, mais elle est jugée nécessaire par notre président.
15:54 Le vôtre, il ne va pas en Chine, dans le roman,
15:57 mais il se tourne vers la Russie, avec une rencontre secrète qui doit être organisée avec Vladimir Poutine.
16:03 Pourquoi vous avez choisi de regarder à l'est dans ce roman ?
16:07 Pourquoi il était important que ce conflit, que ce qui se joue aujourd'hui entre l'Ukraine et la Russie,
16:13 mais surtout la Russie et sa place dans cette géopolitique mondiale, de la faire figurer dans le roman ?
16:20 Alors évidemment, sur la Russie, moi je dirais que j'ai un tropisme particulier,
16:25 parce que j'y ai été, j'ai écrit sur la Russie, quand j'ai écrit "Une exécution ordinaire",
16:30 où je parle de Poutine et de ça dans les années 2000,
16:33 quand j'avais fait l'enquête sur le naufrage du Koursk,
16:36 je pense que je suis l'un des seuls écrivains français à ne pas avoir le droit d'aller en Russie,
16:40 donc il y a évidemment, je dirais, un intérêt particulier pour ce pays,
16:46 et surtout j'ai fait partie des premiers, je ne m'en enregaillis pas du tout,
16:53 mais à alerter sur le danger que représentait Poutine,
16:57 parce que finalement on s'est beaucoup trompé sur Poutine,
17:01 on l'a laissé faire selon l'idée qu'il était finalement très actif dans la lutte contre le terrorisme,
17:09 à un moment, parce que quand il arrive au début des années 2000,
17:13 et le début des années 2000, c'est les deux tours,
17:16 c'est l'effondrement des deux tours, c'est l'attentat du 11 septembre,
17:19 et il y a une sorte de paranoïa collectif compréhensible par rapport au terrorisme,
17:25 mais à ce moment-là, Poutine, lui, il emploie les moyens extrêmes vis-à-vis des Tchétchènes,
17:31 et donc on le laisse faire.
17:33 Ensuite, il y a le fait qu'évidemment il y a une économie très intéressante derrière,
17:38 avec du pétrole et du gaz,
17:40 et en particulier les Anglais, qui ont laissé, quand même une bonne quinzaine de personnes se laisser assassiner en Angleterre,
17:48 pour la plupart des opposants à Poutine, sans jamais vraiment réagir,
17:52 donc il y a eu une sorte de facilitation.
17:57 Et on a voulu le prendre pour un chef d'État traditionnel,
18:00 alors que ça n'est jamais que le patron d'une pègre,
18:03 et ça je crois qu'on ne le dira jamais assez,
18:05 d'une mafia qui s'est installée,
18:07 et c'est le premier exemple d'une mafia,
18:10 c'est un petit peu comme si vous voulez,
18:12 Totorina en Italie, le patron de Corleone, avait la bombe atomique.
18:16 Donc là on se trouve devant un...
18:18 Et évidemment j'ai essayé d'élargir ça dans le roman,
18:21 c'est-à-dire de faire comprendre à quel point Poutine est soucieux de déstabiliser l'Europe,
18:27 et qu'il a toujours identifié, dans l'Europe, la France comme étant le maillon faible.
18:32 Parce que c'est la deuxième puissance,
18:35 et qu'elle est soumise à, évidemment, à la fois à des impulsions souvent contradictoires,
18:43 à un risque de déstabilisation qu'on a vu évidemment avec les Gilets jaunes,
18:48 et qu'il a... alors là il s'en sent tomber dans le complotisme,
18:51 je ne sais pas à quel point il a été derrière ce mouvement,
18:55 certains étaient liés à des groupes eux-mêmes, liés à la Russie,
19:00 mais je ne pense pas que ce soit quand même le fin fond de l'histoire.
19:04 Mais il est clair que Poutine a toujours pensé que l'Europe pouvait...
19:09 Le point d'entrée de déstabilisation de l'Europe, c'est la France.
19:13 Et c'est pour ça que je crée évidemment ce rapport entre ce président français de fiction,
19:22 et Poutine, qui est un personnage qui est là, et qui est là malheureusement encore pour un moment.
19:27 - C'est intéressant, ça fait trois fois déjà que vous citez le mot de complotisme pour vous-même,
19:31 dans ce que vous dites, avec la crainte de tomber dedans,
19:35 vous pouvez dire des influences, effectivement, sans...
19:37 Et on se rend compte, pour le romancier qu'on est, et même le passionné d'espionnage que vous pouvez être vous, Marc Dugas,
19:43 il y a des faits, il y a une réalité, et il est compliqué même en investiguant sur ces sujets,
19:50 de savoir exactement où est la vérité.
19:53 Mais est-ce que ce n'est pas la force de la fiction, de pouvoir se laisser pénétrer par le réel,
19:58 sans forcément avoir à poser une vérité, mais simplement celle que vous, vous cherchez à déployer ?
20:05 - Oui, vous savez, la vérité c'est comme Dieu, dès le moment où on la trouve, on l'a perdue.
20:12 C'est une recherche, c'est un travail de...
20:15 Surtout dans le roman, moi je ne viens pas dans le roman, je ne me sers pas du roman pour imposer des vérités.
20:21 C'est vraiment un éclairage, et je pense que ce roman, il est suffisamment complexe.
20:26 Il n'est pas du tout dans une idéologie, il n'est pas porté par un systématisme.
20:30 - Non, il montre les doutes qui vous travaillent, en tout cas les questionnements que vous vous posez.
20:34 - Oui, et puis les inquiétudes, parce que, comme on l'a dit aujourd'hui, moi je vois trois axes,
20:42 qui sont des axes anxiogènes. Il y a évidemment le climat,
20:47 et là je crois qu'on ne se rend pas compte à quelle vitesse on va rentrer dans des problèmes sérieux.
20:54 Il y a évidemment le numérique et son influence sur les opinions, sur notre vie quotidienne,
21:02 et puis évidemment tous les développements de l'intelligence artificielle,
21:07 qui va considérablement faire changer notre société,
21:10 puisque on sait très bien qu'aujourd'hui, un drone peut décider de tuer par lui-même.
21:16 Donc c'est quand même une étape, même si on se l'interdit, c'est déjà quelque chose qui est possible.
21:22 Et la troisième chose, c'est évidemment la montée, non pas des régimes autoritaires, comme on le dit,
21:27 parce que pour moi ce ne sont pas des régimes autoritaires, ce sont des régimes totalitaires.
21:30 C'est-à-dire que le totalitarisme se place très clairement comme une alternative,
21:37 alors qu'avec la chute du mur en 1989, on pensait que c'était terminé.
21:43 Et c'est le contraire qui se passe, c'est-à-dire qu'il est en train de se reformer,
21:47 et d'une façon extrêmement inquiétante, avec ce que ça représente de danger pour la démocratie,
21:53 que ces gens-là méprisent, que ce soit les Chinois ou les Russes, d'une façon très différente.
21:58 Il y a un mépris total de la démocratie.
22:01 Et donc, ces trois questions-là, elles sont centrales et elles sont suffisamment anxiogènes
22:05 pour que quand on est écrivain et qu'on veut témoigner sur son époque,
22:10 on s'en empare, d'une certaine façon.
22:13 Et la question du complotisme, c'est très intéressant, parce que,
22:17 Dieu sait si je suis anti-complotisme, mais je suis aussi contre le fait
22:22 que quand on exerce son esprit critique, on soit très vite accusé de complotisme.
22:28 C'est-à-dire que les pseudo-détracteurs du complotisme, en fait, en ont fait leur allié
22:34 pour empêcher l'esprit critique de se développer.
22:38 Et donc, il faut trouver un équilibre.
22:40 Et ce que j'essaye de trouver, évidemment, dans le roman.
22:43 - C'est ce que vous essayez de trouver.
22:44 On va écouter les mots de John le Carré à propos du réel, de la réalité.
22:50 Sachant que vous êtes, je le rappelais, directeur d'une nouvelle collection
22:52 "Espionnage chez Gallimard" depuis un an, et puis que se tient actuellement à Paris,
22:56 si vous passez par là, une exposition à la Cinémathèque sur les espions.
23:01 L'exposition s'appelle "Top secret" et elle revient sur l'espionnage,
23:05 mais dans tous les genres, que ce soit la littérature, le cinéma,
23:09 ou encore le design et même l'art contemporain.
23:11 Vous ne manquerez pas, Marc Dugan, d'aller la voir.
23:14 On écoute pour l'instant John le Carré.
23:15 - Je pense que le but de mon travail, si tant est qu'il est un but,
23:22 est de rendre cette épouvantable réalité intelligible,
23:29 de la réduire, d'en faire une anecdote,
23:31 pour la rendre plus accessible aux humains.
23:35 Le rôle de la fiction serait, dans ce cas, de rendre la réalité crédible.
23:42 - D'accord avec lui, Marc Dugan, rendre la réalité crédible, c'est le job de la fiction ?
23:47 - Oui, il y a cette autre phrase de Goethe,
23:50 c'est que les gens n'ont pas assez d'imagination pour imaginer le réel.
23:54 Et c'est vrai que très souvent, je suis étonné,
23:59 parce que quand je vois mes lecteurs, ils me disent
24:02 "ah, dans ce roman-là, il y a ce passage incroyable que vous avez inventé".
24:06 Et en fait, ils me parlent du seul passage que je n'ai pas inventé,
24:11 que j'ai pris de la réalité, d'une réalité qu'ils ne connaissent pas,
24:13 mais que j'ai pris de la réalité.
24:15 C'est-à-dire qu'en fait, ce monde parallèle,
24:17 auquel est confronté un président,
24:20 puisqu'il est quand même patron final des armées du renseignement,
24:25 ce monde-là nous échappe, et il y a que lui qui en a connaissance.
24:30 Et c'est intéressant dans le roman, parce que j'ai essayé,
24:34 enfin c'est intéressant de mon point de vue dans l'écriture,
24:38 de faire comprendre ce que c'était aussi que la responsabilité d'un président
24:42 dans les opérations, ce qu'on appelle les opérations homo,
24:45 c'est-à-dire la responsabilité, quand on vous dit "il faut tuer telle personne",
24:49 quand les services de renseignement vous disent "il faut tuer telle personne",
24:53 c'est un meurtre identifié.
24:55 Donc vous êtes celui qui décide, c'est vous qui appliquez finalement
25:00 une forme de peine de mort.
25:03 Je pense que, d'ailleurs là-dessus, il y a eu beaucoup de documentaires,
25:08 beaucoup de choses intéressantes, et ce ne sont pas les présidents
25:11 qu'on pense les plus, je dirais, les moins versés
25:17 dans l'action radicale, qui très souvent,
25:23 c'est eux qui prennent les décisions les plus fortes.
25:26 C'est assez étonnant.
25:28 - Votre président, le narrateur, nous rappelle qu'il doit
25:32 immanquablement faire la promotion, l'apologie même, de la fiction
25:35 qui regroupe toutes ces brebis apeurées.
25:38 Lorsque la fiction est la même pour tous, elle devient réalité.
25:42 Et c'est ce qu'on comprend, ce qu'on ressent à la lecture de ce roman,
25:45 c'est qu'aujourd'hui, tout est récit.
25:47 La politique aussi est récite.
25:49 Et d'ailleurs, Marion, la communicante, le dit,
25:52 la narration, c'est l'apanage du pouvoir.
25:54 Mais ça, je ne suis pas sûre que vous êtes d'accord avec elle.
25:57 Est-ce que l'écrivain n'a pas autant de force en proposant son propre récit ?
26:01 - Alors ça, c'est intéressant.
26:03 C'est une question qui me travaille depuis très longtemps.
26:05 C'est-à-dire que j'ai assez vite compris que le pouvoir avait sa propre narration
26:10 qui est en dehors du réel et que probablement,
26:14 la mission de l'écrivain, c'est de proposer une autre fiction
26:18 qui, elle, est peut-être plus proche du réel
26:21 que celle qui nous est proposée par les gens de pouvoir.
26:23 - Un autre récit réel ?
26:24 - Un autre récit.
26:25 Un autre récit qui vient contrebalancer, pas forcément contredire,
26:30 mais en tout cas, contrebalancer.
26:32 Parce que moi, je suis quand même frappé de...
26:35 Je suis suffisamment vieux pour voir à quel point la communication a pris de l'importance.
26:42 Et c'est vrai que ce qui m'a toujours un petit peu étonné,
26:48 même déçu avec Emmanuel Macron, c'est à quel point le faire-semblant
26:52 a pris le pas sur le réel.
26:56 C'est-à-dire en matière d'écologie, enfin sur les grandes questions
27:03 et qu'aujourd'hui, on a ça avec les entreprises aussi,
27:07 c'est-à-dire le faire-semblant.
27:10 On émet des millions de tonnes de CO2
27:15 et en même temps, on plante trois arbres à l'autre bout de la planète
27:18 et on dit "ne vous inquiétez pas, on est à l'équilibre".
27:21 Donc tout ça, c'est la question de la communication qui aujourd'hui...
27:28 J'ai une amie qui a été nommée pour rendre Écolo une entreprise importante
27:35 et on lui a dit dès le début "il faut faire semblant parce qu'on ne pourra pas vraiment".
27:40 Économiquement, nos actionnaires ne supporteraient pas
27:43 qu'on paie le prix d'un vrai changement écologique.
27:46 Donc c'est tout ça que j'essaye de soulever.
27:48 - Alors on ne sait pas si elle a démissionné, en tout cas elle vous raconte.
27:50 - Elle a démissionné.
27:51 - Elle a démissionné. Merci beaucoup Marc Dugas. Vous ne démissionnez pas de Tsunami.
27:54 Votre nouveau roman vient de paraître chez Albin Michel. Merci.
27:57 Merci beaucoup.

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