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00:00 *Tic Tic Tic Tic Tic Tic*
00:02 *Musique*
00:08 France Culture, bienvenue au club !
00:10 *Musique*
00:16 Alors, c'est l'histoire de Maolo, qui provoque une petite révolution dans le monde du Kabuki,
00:21 c'est le théâtre traditionnel japonais, duo de ses 10 ans seulement.
00:25 Il fait sa première entrée sur scène aujourd'hui même à Tokyo dans le rôle principal d'une pièce écrite spécialement pour lui,
00:32 et qui narre les exploits d'un guerrier à travers un Japon du 16ème siècle,
00:36 peuplé de serpents géants et de babouins féroces.
00:39 C'est ce que j'apprends en tout cas dans l'article de Philippe Mesmer, correspondant du journal Le Monde à Tokyo.
00:44 Alors, pourquoi c'est exceptionnel ?
00:46 Pas parce que Maolo n'a que 10 ans, pas non plus parce qu'il a la nationalité française en plus de japonaise,
00:52 mais parce que sa naissance devrait lui interdire d'être là.
00:56 Parce que pour entrer dans la guilde des acteurs de Kabuki, il faut avoir un père qui a été lui-même acteur de Kabuki,
01:03 car dans ce théâtre, ce sont les hommes qui tiennent tous les rôles, même féminin.
01:08 C'est ce qui a empêché la mère de Maolo, actrice de théâtre classique,
01:12 de faire ce que son fils a réussi à faire, et lui vaut aujourd'hui une revanche,
01:17 et peut-être bientôt, une revanche pour toutes les actrices japonaises.
01:21 Maolo est un coup de tonnerre dans le ciel bleu du Kabuki.
01:25 Alors, pourquoi vous racontez tout ça ?
01:27 Car j'ai en face de moi un acteur qui a fait une entrée tout aussi fracassante que Maolo dans le cinéma français,
01:32 et lui non plus, on ne l'attendait pas là.
01:35 [Musique]
02:05 - Bonjour Karim Leclouc. - Bonjour.
02:09 - Merci beaucoup d'avoir accepté l'invitation.
02:11 Je disais donc, avec cette histoire du petit Maolo, on ne vous attendait pas là.
02:16 Est-ce que vous vous attendiez à être là, à avoir cette place-là dans le cinéma français aujourd'hui ?
02:21 - Non, mais je ne me pose pas trop de questions sur ma place,
02:25 et du coup ça m'aide à être là où je suis en fait.
02:28 Je n'ai pas de plan ou de conscience forcément de là où je suis.
02:34 Je n'ai jamais trop maîtrisé la géométrie dans l'espace,
02:37 donc ça me permet d'être juste les pieds sur terre et c'est pas mal.
02:42 - En tout cas, vous êtes dans un triangle, peut-être pas celui des Bermudes,
02:45 mais celui de l'attention de tous,
02:47 puisqu'on a pu vous voir en début d'année dans le film "Pour la France" de Rachid Ami.
02:51 On peut vous voir dans la série "Hippocrate" de Thomas Lilti sur les plateformes de Canal+.
02:55 On pourra vous voir présenter au Festival de Cannes le film "Vincent doit mourir" de Stéphane Castan.
03:00 Et vous êtes donc dès demain à l'affiche de "Temps mort" en salles.
03:04 Rien qu'à le dire, ça fait beaucoup. J'imagine qu'à tourner, ça fait encore plus ?
03:08 - Oui, après il s'avère qu'il y a des films que j'ai faits en 2021 et qui sortent en 2023.
03:14 Et après, c'est surtout des films et des projets qui me passionnent.
03:19 Du coup, je ne trouve pas que le temps est long quand vous faites des choses que vous faites avec...
03:24 En tout cas, pour ma part, avec sincérité, il y a des projets passionnants.
03:27 Et le film "Temps mort" justement de Eve Dusman, je trouvais que c'était un...
03:31 Je trouve que c'est un joli film sur l'univers carcéral,
03:34 puisque c'est un film très original qui se passe en dehors de la prison.
03:38 Et ça, je trouvais ça très joli, surtout que dans la fiction,
03:42 je trouve qu'on parle souvent de la prison comme une boîte à fantasmes
03:47 ou un lieu uniquement criminel,
03:50 où on aborde l'être humain à travers justement juste le regard d'un détenu.
03:55 Et là, je trouve que c'est un film qui parle de l'impact de la prison,
03:59 à la fois sur les détenus, mais aussi sur les vies familiales,
04:03 sur la thématique de la réinsertion, à la fois de réinsertion dans l'intime et sa vie familiale,
04:08 et à la fois dans la vie sociale.
04:10 Et je trouvais que c'était extrêmement joli
04:13 et que bénéficiant du regard d'Eve Dusman, qui vient du documentaire,
04:17 qui a filmé l'institution, c'est-à-dire dans la prison,
04:21 elle a fait des films au niveau des détenus, et à la fois un film merveilleux,
04:24 qui, je crois, est encore accessible sur Arte TV,
04:29 c'est le film "En bataille", qui est fait sur une directrice de prison.
04:34 - Oui, qu'elle a suivi, dont elle a suivi les pas,
04:36 et qui l'a beaucoup inspiré pour ce film, donc "Temps mort",
04:39 qui raconte effectivement 48 heures dans la vie de trois détenus,
04:43 Amouzin, Colin et donc Bonnard, que vous incarnez.
04:47 Si vous me le permettez, j'aimerais qu'on remonte quand même un peu le fil de votre carrière,
04:52 pour voir d'où vous venez.
04:54 Vous êtes né en région parisienne en 1982, vous avez grandi à Saint-Cyr-l'Ecole,
04:58 alors une mère standardiste réceptionniste, qui écoute Gainsbourg et Ferrat,
05:02 et un père magasinier qui préfère Jimi Hendrix et les Rolling Stones.
05:05 Vous avez du coup choisi entre les deux, entre la chanson française et le rock'n'roll.
05:09 - Non, les deux, j'aime mon père et ma mère, de façon égale,
05:12 donc je m'estime chanceux d'avoir grandi dans un univers où la culture était là.
05:17 - Oui, c'est ça, vous dites que ce sont eux qui vous ont dit que la voix culturelle
05:21 était une forme de voix d'émancipation.
05:23 - Complètement, qui m'ont transmis en tout cas l'idée que, dans ce monde,
05:27 c'était une des façons d'exprimer une voix importante, c'était la culture.
05:31 Et du coup, je crois que je leur dois beaucoup dans cette idée aujourd'hui d'être comédien,
05:36 et surtout d'avoir grandi dans un milieu populaire,
05:40 et avec toute la beauté aussi parfois du milieu populaire,
05:44 parce qu'on en parle assez rarement,
05:46 ça m'a beaucoup aidé dans la construction sûrement de mon désir d'être acteur.
05:51 - On en parle, c'est vrai, peu souvent, mais vous l'incarnez, vous, à l'écran.
05:54 J'ai l'impression, cette forme de joie, et cette forme de joie simple,
06:00 et peu importe d'ailleurs le milieu d'où on vient.
06:03 - Oui, en tout cas, j'ai eu la chance de faire un métier qui me passionne,
06:09 et quand on fait un métier qui vous passionne, le temps passe vite.
06:14 J'ai travaillé pendant presque dix ans dans des petits boulots alimentaires,
06:19 et parfois j'ai vu aussi beaucoup autour de moi quelque chose lié à la pénibilité du travail,
06:27 à l'épuisement des corps, et j'estime qu'être acteur, c'est aussi porter d'autres voix,
06:33 et puis c'est aussi avoir la chance d'avoir un temps de vie qui est un temps passionnant,
06:37 et le temps de jeu est un temps passionnant, et d'ailleurs dans "Temps mort",
06:42 ce qui est très joli, parce que, comme je dis, le titre "Temps mort",
06:45 et vous m'excusez, j'aime le sport aussi, c'est que dans "Temps mort",
06:49 il y a un temps très précieux qui est presque le temps de l'arrêt de jeu,
06:52 et parfois dans les arrêts de jeu d'une rencontre sportive,
06:56 il se passe des choses passionnantes, et dans ce film, pendant 48 heures,
07:00 de suivre ses détenus, ça va être quelque chose d'assez passionnant,
07:03 puisque c'est un temps de vie où ils doivent réintégrer une cellule familiale,
07:07 et redevenir pour certains des pères, d'autres des fils,
07:11 et il y a quelque chose de passionnant à suivre ces trois personnages.
07:14 - Vous dites justement que vous aimez le sport, je crois que dans votre chambre d'enfants,
07:18 il y avait des posters de Roberto Baggio, attaquant de l'Italie,
07:20 Diego Maradona, meneur de jeu de l'Argentine,
07:22 mais vous dites "J'aime le foot pour les émotions et les sensations folles qu'il est capable de procurer,
07:27 il offre une dramaturgie avec laquelle même le cinéma a du mal à rivaliser".
07:31 Alors, si justement le football a la dramaturgie en plus, qu'est-ce que le cinéma en plus ?
07:36 - Le cinéma, je trouve que pour moi, c'est l'art d'immortaliser le sentiment,
07:42 il y a quelque chose de joli, de comment immortaliser une époque,
07:46 de comment capturer une époque, de comment réinventer les choses,
07:50 de permettre un regard différent presque à chaque réalisateur, chaque individu,
07:57 et pour moi c'est un art de l'instant, à la fois qui est très vivant
08:02 et qui s'arrêtera de manière définitive dans le temps,
08:06 c'est l'image d'un temps comme ça qu'on capture, et d'un temps précieux.
08:10 Moi par exemple, le temps du plateau, comme je le disais tout à l'heure,
08:14 c'est un temps précieux de vie, c'est des temps très puissants,
08:18 et j'aime regarder ce... je trouve que c'est un art qui immortalise le sentiment,
08:23 et qui immortalise une époque, qui est le temps d'un instant,
08:27 et qui reste le temps d'un instant, comme ça, à la fois fugace,
08:31 et à la fois inscrit dans le temps à jamais.
08:34 - Le temps d'une époque, justement.
08:36 - Dis-moi, ce mec, il est bien ton copain ? Non mais dis-moi, si je me trompe, il est ton pote ?
08:39 - C'est mon pote. - Ok, alors il est pas correct.
08:41 Je vais plus qu'il mette les pieds chez moi.
08:43 - Mais je peux pas lui faire ça, ça... - Surtout pas son frère noir.
08:46 - Mon frère noir ? Je crois seulement que les gens sont libres de faire ce qu'il fasse.
08:50 - Comment ça ? Quoi libre ? Qu'est-ce que ça veut dire, ça, le mot libre ?
08:53 Libre ! Y a personne de libre ici. Même moi, je bosse.
08:56 Aucune liberté, tout le monde bosse.
08:58 Tu veux être libre, tiens, tu es libre de prendre cette commande de la livrée, c'est ça, la liberté.
09:03 Tout le monde en place, allez, allez ! On a du boulot ici !
09:06 Vous restez là, rien faire ! Et toi, t'as peur de te brûler avec ce putain de four ?
09:09 Allez, au boulot ! - C'est l'adresse.
09:11 - Quoi, c'est l'adresse ? C'est l'adresse ? C'est bien ça qu'il vient de me demander ?
09:14 C'est ça, l'adresse ?
09:16 C'était un extrait du film de Spike Lee, "Do the Right Thing", que vous avez évidemment reconnu,
09:21 qui est peut-être le premier moment où vous vous êtes dit "Ok, moi maintenant, je veux faire ça".
09:26 - Pas réellement, mais c'est la première fois en tout cas que j'avais, sans le comprendre,
09:31 un film qui m'avait impacté socialement.
09:34 Je trouvais que c'était un film qui magnifiait les quartiers populaires,
09:37 qui les traitait avec beaucoup de poésie.
09:39 Et puis, on voit à travers l'extrait que vous avez su pris, quand même, une modernité extrême,
09:43 puisqu'on a l'impression qu'il parle de maintenant, en 2023.
09:46 Je crois que le film est daté en 89, ou 88, je ne sais plus, mais en tout cas, c'est fin des années 80.
09:52 Et on a l'impression que ça parle du "Bare It".
09:56 Donc il y a quelque chose où je me suis dit "Waouh, quelle modernité, quelle intemporalité chez Spike Lee".
10:02 - Vous le savez, quand on écrit les biographies, notamment des acteurs,
10:06 il y a un moment donné où il y a marqué "un jour".
10:09 Et vous, dans votre biographie, il y a marqué "un jour", il décide de suivre les cours Florent.
10:14 Est-ce que vous vous souvenez de ce moment-là ? Est-ce que vous vous souvenez de pourquoi,
10:17 après avoir vivoté dans des petits boulots, jusqu'à environ, je crois, l'âge de 27 ans,
10:22 vous êtes décidé d'aller à cet endroit-là ?
10:24 - J'avais juste envie de voir comment c'était, et que j'y connaissais absolument rien,
10:30 au milieu théâtral ou celui du cinéma, et que je vivais, moi, juste le cinéma en tant que spectateur.
10:35 Et j'avais envie juste d'essayer, de voir.
10:39 - Et ça ressemblait à quoi ?
10:41 - Ça ressemblait à des très grosses journées, surtout.
10:45 Ce que je me souviens, c'est de me lever à 6h du matin, de traverser l'île de France,
10:49 de travailler à 8h, jusqu'à 18h, puis après de repartir sur Paris,
10:54 d'aller en cours de 19h30 à 22h30, je crois,
10:59 et puis de rentrer chez moi à 1h du matin.
11:01 Donc je me souviens, comme ça, de très grosses journées,
11:04 et puis j'ai eu la chance, à travers ces années-là, de rencontrer des amis,
11:08 des gens qui me sont chers, et j'en garde surtout des rencontres,
11:12 notamment, je vais parler de Tahal Omeizi, de Lodfi Labidi,
11:16 d'Hélène Marti, Loïc Freinet, Hervé Dubaïoula,
11:20 j'ai envie de les citer, c'est des camarades de classe, ou une prof, qui m'ont marqué.
11:24 - Hélène Marti, qui dit de vous, il a, à la façon d'un Depardieu,
11:28 une manière à lui d'occuper l'espace, et dans le regard, quelque chose qui vous traverse.
11:33 Je suis assez d'accord avec elle, et je voudrais juste avant de vous poser la question,
11:38 de ce rapport au corps et à l'espace, de comment vous l'appropriez,
11:42 qu'on écoute quelques mots, justement, de Gérard Depardieu.
11:44 - Je crois que l'authenticité, c'est la nature, c'est un peu l'enfance, en même temps,
11:49 c'est tous ces appétits d'enfant.
11:52 Il ne faut pas trop s'arrêter aux films qu'on fait, il ne faut pas...
11:55 Il faut les faire, et après les laisser vivre.
11:58 D'ailleurs, parce qu'on change, on vieillit un peu, je me perçois que je m'épaissis.
12:02 Mais quand je tourne, j'ai toujours la même enfance, c'est-à-dire on est toujours surpris.
12:07 On ne soupçonne pas à quel point il y a des mémoires à l'intérieur de nous-mêmes,
12:12 qui font que dès qu'on pousse, ou dès qu'on émotionne un peu ces choses-là,
12:17 comme une espèce de ventilo à l'intérieur pour ouvrir ses portes,
12:20 c'est extraordinaire ce qui peut sortir.
12:23 Aussi dans des choses qui ne font pas tout à fait plaisir,
12:26 qui ne sont pas ce qu'on voudrait, mais ma foi, il faut s'en servir.
12:31 Je dois dire que ce qu'il y a de bien dans ce métier, cette famille,
12:35 c'est d'avoir toujours...
12:37 Pour moi, je ne peux m'exprimer qu'avec des gens que j'aime,
12:41 et avec lesquels on peut travailler l'amour autant que les relations.
12:46 J'aime beaucoup travailler avec des gens qui ne sont pas non plus que des machines,
12:50 mais qui avancent.
12:53 - Des gens qui avancent.
12:55 Est-ce que Gérard Depardieu fait partie des acteurs qui vous ont donné envie de devenir acteur ?
13:00 - Beaucoup d'acteurs m'ont donné envie d'être acteur.
13:03 Ce qui me donne le plus envie d'être acteur, en vrai, ce qui est assez étrange,
13:08 ce n'est pas forcément les acteurs, c'est plus les histoires qui sont racontées,
13:11 les scénarios, les destins de vie qu'on traverse.
13:14 Je n'ai pas quelque chose de la personification de l'acteur,
13:18 mais quelque chose lié plus au sujet, à ce qui est dépeint.
13:23 Je trouve qu'en ça, il y a quelque chose de très grand dans notre métier.
13:27 Mais c'est plus les textes ou les scénarios, dans mon cas, qui me bouleversent et qui m'interrogent.
13:34 - Vous vous interrogez assez peu, finalement, sur la technique de jeu ?
13:37 - Oui, je m'interroge peu.
13:40 Mais de manière générale, j'aime bien ne pas m'interroger.
13:43 Je trouve que l'acteur, c'est interroger les autres, notamment le réalisateur.
13:50 Quand vous êtes réal, là, vous devez apporter des réponses.
13:53 Moi, mon métier, c'est deux fois d'interroger, et de m'interroger.
13:57 - Ça veut dire, vous interrogez ou l'interrogez lorsque vous êtes devant la caméra,
14:02 ou en dehors de la caméra, ou est-ce que même jouer devant lui, c'est aussi l'interroger,
14:06 peut-être le bousculer, aller le chercher, ou aller la chercher,
14:09 puisque Evdushma est une réalisatrice ?
14:11 - Tout, c'est de collaborer ensemble, c'est de travailler.
14:14 Moi, ce que j'aime, c'est collaborer autour de l'écriture,
14:16 collaborer autour d'un rôle, et travailler ensemble.
14:19 D'ailleurs, c'est pas que le langage d'un acteur, d'un réalisateur ou réalisatrice,
14:26 mais de toute une équipe de cinéma.
14:28 Et c'est ce qui est beau, c'est que c'est un métier qui interroge le collectif
14:32 pour une vision d'un réel ou d'une réelle.
14:36 En tout cas, c'est le collectif qui apporte toute sa force à une vision personnelle d'un sujet.
14:42 Et ça, moi, j'aime bien faire partie de ce collectif.
14:45 - Est-ce que ne pas trop s'interroger, c'est comme le disait Gérard Depardieu,
14:48 garder peut-être une part d'enfance d'innocence par rapport au métier qu'on fait,
14:53 aller finalement sur un film vierge, et puis le laisser vivre ensuite, et puis en passer à un autre ?
14:59 - Il y a quelque chose, en tout cas, de fascinant,
15:03 c'est que ça ne vous appartient absolument pas.
15:06 Vous donnez tout sur le moment présent, et puis après, il vit sa vie.
15:09 Il y a quelque chose où on oublie.
15:12 Et le film, lui, continue à exister.
15:15 Je trouve ça assez dément.
15:18 Je trouve ça assez dément d'interroger l'instant,
15:21 et qu'à la fois ça n'existera plus jamais pour vous,
15:24 mais qu'il y aura une trace du temps qui aura été figée à un instant.
15:28 Et effectivement, pour moi, il y a un truc de gros gamin à faire, ce métier.
15:32 Il y a quelque chose d'enfantin.
15:34 On joue, on met en scène le jeu.
15:37 Il y a à la fois quelque chose d'extrêmement important, fort,
15:41 et puis il y a aussi un aspect hyper-enfantin à jouer.
15:44 Et moi, j'aime ça.
15:45 Je trouve que, d'ailleurs, quand vous arrêtez, moi ça m'arrive des fois sur un plateau,
15:49 de regarder tout le monde, comme ça, c'est comme si on était dans une cour de récréation,
15:53 et que tout le monde était très sérieux,
15:55 mais finalement, on revient à l'étape cour de récréation.
15:58 Même si on a beau intellectualiser tout ce qu'on veut,
16:01 à un moment, il y a l'aspect récréatif de la chose,
16:05 et moi, c'est quelque chose qui m'amuse aussi.
16:08 - Il y a un autre lien avec Gérard Depardieu.
16:11 Vous dites "je suis un gros mangeur".
16:13 C'est une appétence qui m'ouvre l'appétit du jeu.
16:16 Il y a un lien pour vous entre manger et croquer un personnage ?
16:20 - Oui, en tout cas, dans le cadre du film de Eve,
16:23 parce que je parlais aussi du film,
16:25 Bonnard, c'est un ogre qui dévore tout, qui se dévore lui-même.
16:29 Du coup, effectivement, je trouve qu'il y a un lien
16:34 entre la nourriture et le jeu, en tout cas moi, que je fais.
16:39 Mais j'aime bien, effectivement, je trouve qu'habiller un personnage,
16:45 ou dans le cadre de Bonnard, d'exploser comme ça,
16:50 parce que c'est un personnage ogresque,
16:52 il y a quelque chose lié à la nourriture.
16:54 D'ailleurs, on le voit quand sa maman lui sert des steaks
16:57 de à peu près 3 kg.
16:59 C'est ce que je trouvais beau dans ce personnage.
17:02 - Oui, c'est ça, parce qu'il y a une scène,
17:04 la scène où il revient chez lui, c'est une scène de déjeuner de famille,
17:07 et on le voit qui engouffre la nourriture.
17:10 - Parce qu'il a le plaisir de regoutter une cuisine qui lui plaît,
17:14 que pour une fois, il a le choix de ce qu'il mange.
17:18 Je trouvais ça assez joli, justement, à travers la nourriture,
17:22 de raconter quelque chose aussi de l'ordre de la prison,
17:25 parce que lui, il redécouvre un goût, la cuisine de sa mère,
17:28 et forcément, il la savoure.
17:31 Je trouvais que, d'ailleurs, dans le film, il y a quelque chose de très fort
17:33 sur tous les personnages, c'est comment, finalement,
17:35 sans aucun pamphlet, dans des choses aussi quotidiennes,
17:38 on redécouvre à quel point l'extérieur à la fois nous manque,
17:42 et à la fois, pour mon personnage, parfois l'effraie, ce rapport à l'extérieur.
17:46 Je trouvais ça très beau, que ce soit par la quotidienneté
17:50 qu'on raconte aussi ce rapport à la prison.
17:53 - Vous incarnez des personnages qui sont souvent liés à des endroits.
17:58 Dans Bac Nord, c'est à Marseille,
18:00 la Goutte d'Or, dans le 18e arrondissement de Paris,
18:03 où c'est parfois une origine, mais elle est à chaque fois différente,
18:06 algérienne, albanaise, belge, etc.
18:09 On a l'impression que vous pouvez endosser toutes les identités,
18:13 sans qu'on ne sache jamais exactement vous rattacher à une seule.
18:17 - Mais je pense que même la question d'identité,
18:19 elle est plus complexe que ça, qui est beau dans la voie culturelle.
18:23 Je trouve que des gros traits bien définis,
18:26 je trouve que la complexité humaine et l'identité humaine
18:29 est quelque chose de plus important que l'identité de papier,
18:32 en tout cas quand on fait ce métier.
18:34 Du coup, c'est ce qui m'intéresse, moi, d'interroger ça.
18:38 Peu m'importe les origines, ce qui m'intéresse,
18:41 c'est les personnages et les traits de caractère,
18:44 et l'humain qu'il y a derrière.
18:46 Je suis dans le cadre de la famille Bonnard,
18:49 j'ai eu de la chance de jouer avec des...
18:51 Vous m'avez parlé de la Belgique, qui est un pays qui m'est cher de cinéma,
18:54 avec des acteurs belges assez extraordinaires,
18:56 et je tiens à rendre un hommage appuyé à Johan Lezen,
19:01 qui joue mon papa dans le film, qui est depuis disparu,
19:05 mais qui est un immense acteur belge,
19:07 et c'est l'occasion de voir un de ses derniers rôles à l'écran,
19:10 et de voir à quel point cet acteur est bouleversant,
19:13 avec si peu, il s'est donné énormément.
19:16 D'ailleurs, dans le film, je veux rendre aussi hommage à mes collègues,
19:20 Isaka Sawadogo, qui est un personnage qu'on suit comme ça...
19:25 - Un personnage d'Amouzin.
19:27 - D'Amouzin, qui est très charismatique et très délicat dans le jeu,
19:30 et Jarod Cousin, qui a une énergie assez folle,
19:34 et qui est un jeune qui incarne vraiment
19:39 toutes les problématiques liées à son personnage,
19:42 et je trouve que oui, le film d'ailleurs de Ev,
19:45 ce qu'il y a de joli, c'est qu'il interroge l'universalité
19:49 du regard qu'on porte, parce qu'il interroge aussi à travers les familles,
19:53 on voit l'impact, vraiment le fait d'être en prison,
19:57 et tout d'un coup l'impact que ça a dans les vies familiales,
20:00 et à quel point aussi, je m'en suis rendu compte en faisant le film,
20:04 à quel point parfois on a tendance à mettre loin,
20:07 comme la question de l'asile,
20:09 alors que ça peut changer en fonction du régime politique,
20:12 de la région dans le monde dans lequel vous êtes,
20:15 et je trouve que la question de la prison est une question qui nous concerne tous,
20:19 et je trouve que le film le rappelle,
20:21 et à quel point justement ce point de vue original
20:24 sur le fait de sortir avec des détenus et d'en revenir avec des êtres humains
20:28 est un joli parcours, et qui a un regard très délicat de la part d'Ev Duchemin.
20:33 - Karim Leclou est dans "Bienvenue au club" sur France Culture,
20:36 pour ce film, un film France Culture.
20:38 - J'adore ce titre, "Bienvenue au club",
20:40 j'ai l'impression que je signe dans un club de foot.
20:42 - Vous êtes le bienvenu, le standard de Liège que vous supportez,
20:45 en tout cas que votre personnage Bonnard supporte dans le film.
20:48 - Et sinon ça va là-bas ?
20:51 Tu te fais pas trop marcher sur les pieds j'espère ?
20:53 - Attention, c'est l'honneur des Bonnards qu'est en jeu !
21:02 - Oui, pardon maman.
21:04 - Allez, terminez maman, on parle plus de la prison, on va aller...
21:07 - Les enfants, on mange.
21:32 - Bon, je voudrais...
21:35 On m'a juste trinqué au bonheur d'être en famille, voilà.
21:40 - Et voilà.
21:43 - Bonne chance.
21:46 - Bonne chance.
21:49 - Bonne chance.
21:52 - Bonne chance.
21:55 - Bonne chance.
21:58 - Bonne chance.
22:01 - Bonne chance.
22:04 - Bonne chance.
22:07 - Bonne chance.
22:10 - Bonne chance.
22:13 - Bonne chance.
22:16 - Bonne chance.
22:19 - Bonne chance.
22:22 - Bonne chance.
22:24 - Bonne chance.
22:26 - Bonne chance.
22:28 - Bonne chance.
22:30 - Bonne chance.
22:32 - Bonne chance.
22:34 - Bonne chance.
22:36 - Bonne chance.
22:38 - Et donc nous sommes avec Karim Leclou pour parler de "Temps mort", ce troisième long métrage de Eve Duchemin,
22:58 mais premier long métrage de fiction, justement d'ailleurs dans ce film qui raconte une permission 48 heures dans la vie de trois détenus, donc Amuzin, Colin et Bonnard que vous incarnez.
23:09 Est-ce que le fait qu'Eve Duchemin ait une expérience de documentaire fait qu'elle vous a dirigé différemment qu'un réalisateur de fiction ?
23:17 - En tout cas, oui, elle m'a apporté beaucoup de choses sur le langage du corps.
23:21 Quand on parlait de la dimension gresque du personnage, moi j'ai pris un peu de poids et quand j'ai découvert le film, j'ai vu à quel point par exemple Amuzin était à un rapport presque mécanique
23:30 et comment à travers le corps on racontait aussi l'impact des longues peines.
23:34 Donc je trouvais qu'il y avait déjà une direction à travers le corps qui était très puissante.
23:39 Je trouvais que l'énergie de Jarod, qu'elle a magnifiquement utilisée pour raconter la jeunesse et que c'est vraiment trois destins de personnages très différents
23:47 et qui sont vraiment déjà dans le corps très très très différents et ça je trouve que c'est une des grandes forces de Eve.
23:52 C'est de faire des belles définitions de personnages à travers le corps et que du corps naît la pensée.
23:58 Et ça c'est quelque chose que j'aime bien, et non pas le processus inverse.
24:02 Et puis elle a un rapport presque animal, elle vous dirige, elle est là avec vous en permanence sur le plateau et vous la sentez à vos côtés.
24:11 Et on a travaillé par exemple tout le hors-champ en improvisation, que ce soit avec mon ex-femme, avec ma famille,
24:18 et de créer des vrais rapports humains, j'ai l'impression que ça a vraiment bonifié notre rapport au jeu.
24:23 - Il y a justement quelque chose d'étonnant, c'est qu'on ne sait jamais pour quel fait les trois personnages ont été emprisonnés.
24:29 Est-ce que c'est quelque chose que vous vous êtes recréé vous-même ? Est-ce que vous en avez parlé avec Eve Duchemin ?
24:34 - On en a discuté avec Eve pour construire, je pense d'ailleurs, les trois personnages qu'on suit.
24:40 Mais effectivement je trouvais ça assez joli justement qu'elle ne se positionne pas en tant que juge,
24:45 ni garante de la morale, et qu'elle ne mette pas non plus le spectateur dans cette position.
24:50 Et que déjà que le spectateur puisse réfléchir et se faire son cheminement personnel sur ses hommes.
24:57 Et je trouvais que c'était à la fois un regard qui n'était pas manichin, elle n'en jélisse pas ses personnages,
25:03 mais elle en fait quelque chose de complexe.
25:05 Et je trouvais par exemple dans le personnage de Bonnard qu'il y avait une humanité troublante,
25:10 qui interrogeait le regard de la logique, puisqu'il pourrait être considéré parfois psychologiquement défaillant.
25:19 Et en même temps il semble très complexe, d'une dualité assez formidable entre son humanité et cette violence qu'il contient,
25:31 qui dans le film à un moment eut rejailli.
25:33 Et je trouvais que cette dualité chez ce personnage était quelque chose de très beau à défendre et qui m'a touché.
25:39 Je trouvais que ce regard sur les prisons, sur la question d'être enfermé dehors,
25:46 était une jolie question qui dépassait largement d'ailleurs la thématique carcérale.
25:51 - Avec plusieurs scènes très puissantes notamment, une scène où le personnage que vous incarnez revient devant la porte de la prison.
25:58 Je me laisserai, les auditeurs qui iront voir ce film "Temps mort" au cinéma, découvrir cette scène très forte.
26:04 Comme vous, au début je me suis dit que "Temps mort" ça voulait dire la pause sportive,
26:08 c'est-à-dire ces 48 heures de permission étaient une pause.
26:11 Et puis au fur et à mesure du film, j'ai fini par me demander si le "Temps mort" n'était pas le temps en prison,
26:16 puisque quand ces personnes sortent, elles reviennent exactement au même endroit de quand elles sont rentrées.
26:22 Rien n'a changé, comme si le passé revenait instantanément.
26:25 - Je pense qu'il y a une dualité entre ce temps mort qui est un grand temps de vie,
26:28 cette permission de 48 heures, et ce temps mort qui est un temps perdu parfois.
26:32 Le temps de la prison pour ces hommes, sur des rapports familiaux, sur des rapports de société qu'on a du mal à récupérer.
26:40 Et du coup je trouve que, pour moi le titre je le vois de deux façons.
26:44 A la fois un grand temps de vie et des choses très puissantes qui se passent en 48 heures,
26:47 et à la fois tout l'impact de ce temps perdu qui est difficile à récupérer.
26:52 - Merci infiniment Karim Leclou. - Merci à vous.
26:55 - Ève Duchemin a réalisé donc ce film "Temps mort" qui est en salle dès mercredi,
26:59 et dans lequel vous incarnez un personnage absolument magnifique. Merci beaucoup. - Merci beaucoup.