Anny Duperey : "Au théâtre, le partenaire c’est le public”

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Transcription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis de culture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:09 Aujourd'hui, on l'a entendu, notre invitée est formidable.
00:13 Actrice bien connue des françaises et des français, mais aussi photographe, écrivaine et trapéziste.
00:19 Si, si, vous nous en parlerez.
00:21 Elle remonte en cette rentrée sur les planches pour un seul en scène, mes chers enfants.
00:25 Bonjour, chère Annie Dupéré.
00:26 Bonjour.
00:27 Et bienvenue dans les midis de culture.
00:29 Alors j'ai une première question, Annie Dupéré.
00:31 Est-ce que vous êtes heureuse ?
00:33 Oui, ça va, ça va.
00:34 C'est vrai ?
00:35 Ça va, oui, oui.
00:36 Heureuse, vous savez, c'est un grand mot.
00:39 Colette disait, bon, on parle du bonheur, du bonheur.
00:43 Il vaut mieux me mettre au pluriel, les bonheurs.
00:46 Je pose la question parce que le rôle que vous interprétez sur scène, dans cette pièce,
00:50 mes chers enfants, est une mère veuve.
00:53 Les enfants sont grands, ils sont partis, ils font leur vie et elle fait face à la solitude.
00:57 Et c'est une pièce qui, au départ, semble très nostalgique.
01:01 On voit cette femme qui a l'air quand même traversée par la tristesse.
01:04 Oui, c'est vrai.
01:05 Au début, elle est comme...
01:08 Je pense que c'est un sujet qui peut intéresser beaucoup de monde, puisqu'on vit de plus
01:13 en plus longtemps maintenant.
01:16 Et même si la retraite...
01:19 Est retardée.
01:20 On va pas attaquer le sujet.
01:21 Retardée.
01:22 Mais c'est vrai qu'à partir de 65 ans, qu'est-ce qu'on fait de sa vie quand il vous reste 20
01:30 ans, peut-être 25 ans à vivre ? Qu'est-ce qu'on en fait ?
01:33 Et cette femme-là, elle a consacré sa vie à ses enfants.
01:36 Et là, elle a perdu son mari qui était un grand amour.
01:39 Et ça va très vite.
01:41 Vous avez vu, ça va très vite dans la pièce.
01:43 Au début, il y a une lettre où elle est très, très heureuse.
01:46 Ils viennent tous les dimanches déjeuners.
01:48 Et la deuxième lettre, ils ne viennent pas parce qu'ils ont des copains ou ils sont fatigués, etc.
01:53 Et la troisième lettre, elle se rend compte qu'elle est un poids, qu'elle reste là dans
01:58 son canapé à regarder la télé en attendant que ses enfants viennent la faire vivre.
02:02 Et elle s'en va.
02:04 Elle décide de partir.
02:05 Elle décide de partir, de réinventer autre chose.
02:08 Donc c'est vrai que c'est un sujet qui touche pas mal de gens.
02:12 Et justement, vous, Annie Dupérer, vous vous êtes posé ces questions dans votre vie personnelle.
02:16 Est-ce que vous vous êtes sentie seule à un moment donné ?
02:18 Est-ce qu'il y a eu cette rupture dans votre vie comme celle de votre personnage ?
02:23 Non, non, parce que nous, c'est spécial quand même.
02:27 J'ai la chance, je dis bien la chance, parce que j'ai beaucoup de camarades comédiennes
02:32 de mon âge qui pleurent en espérant un rôle.
02:35 J'ai de la chance de beaucoup travailler encore.
02:38 Voilà.
02:39 Et donc ça, c'est inouï.
02:42 Mais nous, les artistes, quand on peut continuer, la question ne se pose pas.
02:45 Il n'y a pas vraiment de retraite quand il y a encore des rôles pour des gens un peu âgés.
02:52 Il y a-t-il autant que ça des rôles, en fait ?
02:55 Non, pas tant.
02:56 Il y en a pas tant que ça.
02:59 Enfin, il y a quand même dans les rôles souvent des grands-mères ou des mères d'adultes.
03:09 Donc ça n'est pas un texte autobiographique ?
03:11 Pas du tout, du tout.
03:12 Quand vous le jouez sur scène...
03:13 Les gens ne me connaissaient pas du tout.
03:15 Jean Marbeuf, qui a écrit ça, qui s'est mis dans la peau d'une mère.
03:23 C'est très curieux, intéressant qu'un homme ait écrit ça.
03:27 Vous étriez ça juste d'ailleurs ? Vous n'êtes pas dit que c'est écrit par un homme ?
03:31 Pas du tout.
03:32 Non, non, pas du tout.
03:35 Il n'y a ni écriture féminine ni masculine.
03:39 C'est simplement une femme qui a décidé de vivre sa dernière ligne droite le plus honnêtement possible.
03:48 Et le plus franchement possible.
03:50 Et donc, elle a une correspondance avec ses enfants qui pourrait effectivement les choquer.
03:57 Elle a décidé de tout dire.
04:00 Alors, effectivement, vous procédez par lettres.
04:02 Ça s'appelle "Mes chers enfants".
04:03 C'est l'entame de chaque lettre que vous leur écrivez, mais que vous ne leur envoyez pas.
04:08 Il ne faut pas le dire.
04:10 Vous le dites dès le début.
04:12 Non, vous le dites dès le début.
04:14 Non, j'avais envie de les relire.
04:15 Non, non, je ne dis pas ça.
04:17 Alors, pardon, oubliez tout ce que je viens de dire.
04:19 En tout cas, vous écrivez ces lettres-là, vous leur adressez des lettres.
04:22 J'ai envie de leur parler, c'est plus facile en écrivant.
04:25 Justement, c'est cette idée d'écrire.
04:27 On leur dit plus de choses quand on les a pas en face de nous.
04:32 Elle se laisse aller comme ça.
04:35 Sur la teneur de cette correspondance-là, c'est vrai qu'au départ, j'ai dit qu'il y a plutôt de la tristesse, de la nostalgie.
04:42 Qu'est-ce que je vais faire ?
04:43 Et puis, vous décidez de partir.
04:45 Et là, c'est presque un journal intime que vous leur livrez.
04:49 Oui, oui.
04:50 Alors, au début, effectivement, quand elle est partie, elle a décidé, puisqu'elle voulait avec son mari aller au bord de la mer.
04:56 Et malheureusement, il est mort.
04:57 Donc, elle va au bord de la mer.
04:59 Mais seule.
05:00 Et au début, elle est grisée par une impression de vacances, de liberté.
05:05 Elle attend plus ses enfants.
05:07 Elle est là.
05:09 Et puis, voilà.
05:10 Et puis, à Ouistreham, elle découvre les migrants.
05:14 Elle découvre tout à coup qu'il y a une vie de privilégiée légère, insouciante, d'eau grand terre comme ça.
05:21 Et des ombres dans les buissons qui se cachent le soir.
05:26 Et elle est complètement retournée.
05:29 Et tout à coup, elle découvre cette femme qui a certainement vécu pour sa maison, pour ses enfants, pour tout ça, consacrée à sa famille, pour que les enfants aillent le plus loin possible.
05:39 Ces gens qui poussent les enfants vers leur carrière et tout.
05:43 Elle a consacré sa vie à ça.
05:45 Et là, tout à coup, le monde lui saute à la figure.
05:49 L'état du monde lui saute à la figure.
05:52 Et elle se dit, je ne peux pas ne rien faire.
05:56 Ça la change, justement.
05:58 Elle sort de ce huis clos pendant toutes ces années.
06:01 De femme qui se sentait obligée d'être dans ce rôle-là.
06:06 Oui, obligée.
06:07 Elle dit à la fin, j'ai bien fait de me consacrer à vous.
06:12 Même mal.
06:14 Parce qu'elle fait son mea culpa, effectivement.
06:16 Mais effectivement, l'état du monde, et comme elle dit, la misère.
06:22 Vous en parliez aux infos.
06:24 La misère qui se propage, le fait de ne pas avoir à manger, d'être un migrant, de ne plus avoir de pays.
06:33 Parce qu'on veut une liberté, on veut une vie meilleure.
06:35 Ça lui saute à la figure.
06:37 Parce qu'elle y est confrontée.
06:39 Elle y est confrontée, voilà.
06:41 Il y a aussi autre chose qui lui saute à la figure, si je puis dire.
06:44 C'est aussi elle.
06:45 C'est-à-dire pas que le monde, mais elle.
06:47 Qu'est-ce qu'elle veut, ses désirs, son corps.
06:50 Il y a les thèmes de la politique, du monde autour, de l'écologie, des migrants.
06:55 Et puis il y a aussi le désir.
06:57 Qu'est-ce que c'est le désir ?
06:59 C'est là où c'est plus une forme de journal.
07:02 Il y a quand même la question de la sexualité, qu'on aborde rarement avec ses enfants.
07:06 Je ne sais pas comment je vivrais que ma mère m'écrive de telles lettres.
07:11 Je ne vais pas dévoiler parce que j'ai déjà trop dit tout à l'heure.
07:15 Mais je me suis mise à la place de vos enfants fictifs.
07:20 Je me suis dit que si ma mère m'écrivait ça, je me dirais "mais qu'est-ce qu'elle a ?"
07:23 Qu'elle aille en parler avec quelqu'un, ses amis.
07:26 - Donc il y a des tabous quand même.
07:29 - Oui.
07:30 - Donc c'est intéressant.
07:31 Je trouve que c'est vraiment intéressant de jouer ça.
07:34 Et d'avoir quelquefois des jeunes adultes, des quarantenaires dans la salle.
07:42 - Comme nous.
07:43 - Effectivement.
07:45 J'y ai quelquefois, quand je jouais dans un autre théâtre, cette pièce à Passy.
07:52 J'avais fait une rencontre extraordinairement émouvante sur le trottoir d'un monsieur d'une cinquantaine d'années,
07:59 45-50 ans, qui était en larmes sur le trottoir.
08:02 Et qui m'a dit "voilà, écoutez, moi je ne culpabilise pas du tout vis-à-vis de ma mère
08:07 puisque je l'ai accompagnée jusqu'au bout.
08:09 Mais pendant toute son agonie, sa fin de vie, elle me disait "mon Dieu, mon Dieu, j'aurais eu tellement de choses à te dire".
08:16 Elle n'osait pas le dire.
08:18 Et je me disais "qu'est-ce que j'aimerais te parler ?" et elle ne le faisait pas.
08:22 Et il m'a dit en pleurant "j'ai entendu dans votre bouche tout ce qu'elle aurait eu à me dire".
08:27 Et ça c'était... je me suis dit "ouh, ça c'est quand même fort".
08:31 - Donc sur la nécessité quand même de prendre la parole et de dire des choses à ses enfants, même tard.
08:37 Je vous propose d'écouter justement un extrait de "Mes chers enfants".
08:41 Ça donnera une idée aux auditeurs et auditrices de la manière dont vous livrez sur scène.
08:46 - Mes chers enfants...
08:49 Oh !
08:51 C'est pas à vous que je parle ?
08:55 Quoique certains d'entre vous aient l'âge d'être mes enfants.
09:00 Vous par exemple.
09:02 Et puis...
09:04 Ah ben non, non, quand même pas.
09:07 Ah, les enfants.
09:09 J'en ai deux.
09:11 Des grands, adultes, presque vieux.
09:14 On ne leur dit pas toujours ce qu'on a sur la patate.
09:18 On devrait, on ne devrait pas.
09:21 Toujours est-il que moi j'ai eu envie de leur parler, à mes chers enfants.
09:25 Alors je leur ai écrit.
09:27 C'est pratique l'écriture.
09:29 Personne ne vous interrompt.
09:31 On laisse sa plume courir sur le papier, ses pensées vagabonder.
09:35 Mais parfois, pas toujours, ça dérape.
09:41 Les bêtises vous échappent.
09:43 Les trucs enfouis, oubliés.
09:46 Et alors la correspondance peut devenir impudique, impitoyable, injuste aussi.
09:53 Mais toujours aimante.
09:56 Enfin, du moins c'est ce qu'on croit.
09:58 - Mes chers enfants, deux, émise en scène par Jean Marbeuf avec vous, Annie Dupé-Roux.
10:04 Annie Dupé-Roux qui est notre invitée ce midi.
10:07 Merci à vous.
10:09 Vous êtes seule en scène dans ce spectacle.
10:11 Vous avez peur ?
10:13 - Non, non, non.
10:15 C'est vrai que je ne sais pas si je l'ai dit ce soir-là,
10:19 mais le partenaire c'est eux.
10:21 Le partenaire c'est le public.
10:23 Ils changent tous les soirs.
10:25 Je leur dis parce que c'est vrai.
10:29 - Ça fait plaisir d'ailleurs.
10:31 - Le frémissement comme ça est une marche sur laquelle on peut monter.
10:36 Il prend des forces avec les réactions, même minimes.
10:41 Moi j'aime bien.
10:45 C'est un texte à habiter plus qu'à jouer.
10:51 - Quelle distinction vous faites ?
10:53 - Il faut être dedans.
10:54 Je ne sais pas, il faut l'incarner.
10:56 Vous me direz des personnages aussi.
10:58 Là c'est un personnage qui est...
11:01 C'est comme les poupées.
11:03 C'est moi qui incarne une autre femme qui dit ce qu'elle a écrit.
11:08 Il y a quelque chose comme ça qui est de la poupée gigogne
11:12 qui fait que malgré tout,
11:15 ce n'est pas un texte d'un rôle fictif.
11:19 Je leur parle.
11:22 C'est cette femme, mais c'est moi aussi.
11:26 - Vous l'avez travaillé différemment qu'une pièce de théâtre ?
11:29 Dans les répétitions de ce texte, dans l'apprentissage du texte,
11:34 vous l'avez appris par cœur ?
11:36 Ou vous laissez cette écoute attentive du public pour réagir ?
11:42 - Bien sûr que je l'ai appris.
11:45 Même au début, mon auteur metteur en scène, Jean Marbeuf,
11:49 dans les premières répétitions, c'était vraiment drôle,
11:53 il m'a dit "Annie, je suis désolée, tu le sais trop".
11:56 J'ai dit "Comment ça, je le sais trop ?
11:58 Tu veux dire que j'aurais travaillé tout l'été pour rien ?"
12:01 Et il me dit "Non, non, mais il faut que tu lises un peu
12:04 parce qu'on a la curieuse impression que ce n'est plus une pièce,
12:07 que c'est toi qui nous parles".
12:09 Il dit "Alors, il faut quand même revenir au personnage et au sujet,
12:12 donc de temps en temps, je reviens au texte sciemment
12:16 pour bien indiquer que ce sont des lettres
12:18 et que ce n'est pas moi, Annie, qui parle aux gens".
12:21 - C'est vrai qu'il y a ce trouble-là.
12:23 Comme vous dites, les spectateurs sont des partenaires,
12:26 vous vous dites "Mes chers enfants, moi j'avais l'impression presque
12:30 que j'allais revenir à ma mère, mais que vous étiez comme ma mère,
12:33 que vous me disiez "En plus, je vous ai suivi très longtemps
12:35 dans une famille formidable".
12:37 Il y a un rôle comme ça qui revient sur une sorte de confusion
12:41 entre le jeu, l'interprétation et mettre de soi sur le rôle de mère.
12:45 - Oui, oui. Mais c'est vrai qu'il y avait...
12:48 Au niveau de l'interprétation, ce que j'ai voulu apporter,
12:53 c'est qu'il y a des choses dures dans le texte, quand même.
12:56 Il y a des choses dans le côté de l'engagement,
12:59 et même ce qu'elle dit aux enfants, "Vous êtes absents, amorphes,
13:02 vendus au système, vous n'avez aucune réaction".
13:05 Elle porte des jugements quand même sur eux,
13:08 sur ces jeunes adultes qui pensent qu'à leur réussite,
13:11 à leur boulot, tout ça est assez dur.
13:16 Je me suis dit, puisqu'il paraît que j'aurais un côté solaire,
13:21 je vais essayer de le jouer légèrement.
13:24 Parce que ça n'empêche pas que ce soit dit,
13:27 mais que ça prenne un côté quand même chaleureux
13:32 pour balancer un peu les duretés qu'il y a dans le texte, je crois.
13:36 - C'est vrai que moi, je me suis posée la question,
13:38 est-ce qu'on peut en vouloir à ces enfants ?
13:40 Est-ce qu'on peut être déçus par eux ?
13:42 Presque de vous voir dire ce texte-là donne la possibilité de l'être.
13:47 Alors qu'on peut s'interdire en tant que mère de se dire,
13:49 "Mon enfant n'est pas décevant, il est merveilleux, il a eu..."
13:52 Mais on ne se rend pas autorisée à le faire.
13:54 - C'est-à-dire que prenant conscience du monde comme ça,
13:58 elle leur reproche d'être complètement aliénée au système,
14:02 doigt sur la couture du pantalon,
14:05 ne se peut pas remettre en cause rien du tout.
14:08 - Le système est insigne.
14:10 - Voilà. Et puis par contre, elle fait son mea culpa aussi.
14:13 Elle dit, nous les 68ards, voilà, qu'est-ce qu'on a fait ?
14:18 Mais qu'est-ce qu'on a fait ?
14:20 On ne vous a pas transmis l'idée de solidarité,
14:24 on ne vous a pas transmis ça,
14:26 on a pensé qu'à vous élever comme des égoïstes
14:28 pour que vous alliez le plus loin possible,
14:30 avec les plus belles études, la plus belle vie et tout.
14:33 Et puis maintenant, on a des foutues égoïstes.
14:35 Et elle dit, mais c'est de notre faute.
14:37 C'est de notre faute, finalement.
14:39 Et j'ai pensé qu'il y aurait une voisine.
14:42 Elle m'a dit ça, c'est très curieux.
14:44 - Donc pas la voisine dans le...
14:46 - Non, pas la voisine dans la vie.
14:48 Une de mes voisines m'a arrêtée un matin
14:51 alors que je sortais de chez moi.
14:53 Elle m'a dit, oh là là, je suis catastrophée par mes enfants.
14:56 Ils se foutent de tout, de la misère des gens dans les R.E.
15:00 Ils s'en foutent, ils pensent qu'à leur carrière et tout ça.
15:02 Et très gravement, elle m'a regardée et elle m'a dit,
15:04 qu'est-ce qu'on a fait ?
15:06 Et je trouve ça formidable.
15:08 Et c'est ce qu'effectivement, elle m'a presque dit le texte que je dis.
15:11 Mais qu'est-ce qu'on a fait ?
15:13 - C'est pour ça que le texte est si juste.
15:15 - Oui, c'est très juste.
15:17 - Vous lui avez répondu quoi ?
15:19 - Je lui ai dit, écoute, je sais pas.
15:21 On a cherché à ce qu'ils aillent le plus loin possible,
15:23 à tout leur épargner,
15:25 à ce qu'ils aient le plus de confort possible.
15:27 On a effacé toute aspérité
15:29 pour que ce soit facile, leur chemin soit le plus confortable.
15:32 Et puis voilà, ben voilà.
15:34 - Ce sont aussi des questions qu'on se pose dans la vraie vie,
15:37 vous venez de le dire, notamment sur la représentation
15:39 des mères, des filles, des femmes,
15:42 durant ces dernières années,
15:45 sur l'idée du renoncement.
15:47 On renonçait, on se sacrifiait
15:49 en tant que mère pour ses enfants,
15:51 en tant que sœur,
15:53 pour que ses frères aillent faire leurs études.
15:57 Et on ne prenait pas, en tout cas les femmes,
15:59 ne prenaient pas la place qu'elles devaient avoir.
16:01 - Oui, oui.
16:03 - C'est une réflexion qui vous revient
16:05 quand vous êtes sur cette scène ?
16:07 - Oui, oui.
16:09 Oui et non, mais elle ne me revient pas
16:11 à titre personnel.
16:13 Si, peut-être, si je songe à la personne
16:15 qui m'a élevée, à ma tante, effectivement,
16:17 qui voulait faire des études,
16:20 qui voulait être professeure,
16:22 et qui a été sortie de l'école à 11 ans
16:24 pour servir au bistrot avec ma grand-mère,
16:26 pour que les frères fassent des études.
16:28 Effectivement, il y a ça derrière,
16:30 mais ça c'était la génération d'avant.
16:32 La pièce, là, c'est vraiment les 68 arts.
16:34 Qu'est-ce qu'ils ont fait
16:36 de ces enfants
16:38 qui sont maintenant dans des beaux appartements,
16:40 avoir des belles carrières,
16:42 parce qu'on a voulu qu'ils fassent le plus d'études possibles
16:44 pour se défendre dans ce monde,
16:46 et on les a épargnés de tout.
16:48 Et voilà, quoi.
16:50 - Et puis c'est aussi une pièce sur
16:52 qu'est-ce qu'on fait maintenant, qu'est-ce qu'on peut encore faire.
16:54 - Oui, oui.
16:56 - Sur quel sens donner, on l'entend dans l'extrait,
16:58 il y a la question aussi de dire des choses à ses enfants,
17:00 et puis le fait de vieillir,
17:02 on en a parlé, qu'est-ce qu'on fait
17:04 quand on peut,
17:06 qu'il nous reste 20 ans à tenir encore.
17:08 - Oui, c'est une question.
17:10 Elle est posée dans cette pièce-là, je trouve, très bien.
17:16 L'idée de la lettre,
17:18 aujourd'hui, on écrit de moins en moins de lettres,
17:20 donc on essaie de se projeter aussi
17:22 dans le monde aujourd'hui.
17:24 Vous, quand vous écrivez, encore aujourd'hui,
17:26 à quel endroit,
17:28 qu'est-ce que vous écrivez ?
17:30 Vous écrivez depuis toujours, mais qu'est-ce qui vient
17:32 sous votre plume aujourd'hui ?
17:34 - Alors, les lettres, pour moi,
17:36 c'est drôle, je n'avais pas fait le rapport,
17:38 voyez-vous, c'est marrant, je découvre quelque chose.
17:40 Les lettres, pour moi,
17:42 c'est fondateur.
17:44 C'est-à-dire que
17:46 quand j'étais... je suis devenue comédienne
17:48 parce que j'écrivais.
17:50 J'étais au Beaux-Arts,
17:52 c'était le plus évident, être peintre,
17:54 pour moi.
17:56 Et là, comme j'écrivais et que je lisais beaucoup,
17:58 on m'a envoyée au conservatoire d'art dramatique pour continuer
18:00 d'étudier des textes.
18:02 Et en fait, les lettres,
18:04 quand je suis partie très jeune,
18:06 16 ans et demi, 17 ans, à Paris,
18:08 au conservatoire,
18:10 ma tante qui m'a élevée, justement,
18:12 je lui écrivais 10 pages par semaine.
18:14 Et comme je savais qu'elle adorait
18:16 comme j'écrivais, j'essayais de la faire rire,
18:18 de lui décrire les gens que je rencontrais
18:20 et tout ça, donc j'avais mon lecteur.
18:22 Et ça a duré jusqu'à
18:24 ce que j'ai, 22, 23 ans,
18:26 âge où elle a eu le téléphone !
18:28 Et en fait,
18:30 j'ai raconté tout à coup,
18:34 en 5 minutes, ce que je m'étais dit, pages à écrire
18:36 à ma tante, j'avais perdu mon lecteur.
18:38 Je suis restée avec mon envie d'écrire
18:40 sur les bras,
18:42 et donc j'ai écrit mon premier roman.
18:44 - Le Voile Noir. Non, c'est pas Le Voile Noir.
18:46 - Non, c'est L'Admiroir, c'était le premier.
18:48 J'ai écrit deux romans avant Le Voile Noir.
18:50 Et en fait, je me suis
18:52 rendue compte qu'aujourd'hui, si ma tante
18:54 n'avait pas eu le téléphone,
18:56 j'aurais peut-être tout simplement
18:58 continué à écrire des lettres,
19:00 parce que mon besoin d'écriture
19:02 était assez satisfait comme ça.
19:04 Et puis voilà, comme elle a eu ce téléphone,
19:06 j'ai inventé
19:08 une histoire, et puis je me suis mis
19:10 à écrire un livre. - Vous avez un téléphone portable ?
19:12 - Oui. - Ça veut dire que vous arrêtez
19:14 complètement d'écrire aujourd'hui ?
19:16 - Ah non, j'ai écrit un roman,
19:18 j'en ai publié il y a quelques mois.
19:20 Alors, les lettres, j'ai
19:22 un livre de lettres,
19:24 parce que j'ai eu
19:26 une correspondance de 20 ans
19:28 avec une amie peintre,
19:30 qui a été aussi 10-15
19:32 pages par semaine.
19:34 Et c'est encombrant,
19:36 une correspondance papier
19:38 comme ça.
19:40 Et puis j'en ai fait,
19:42 on en a fait un livre, des 10 premières années.
19:44 On en a fait un livre,
19:46 parce que
19:48 j'ai reçu un jour, j'avais beaucoup joué
19:50 avec Jean-Louis Barraud et Madeleine Renaud,
19:52 quand ils ont été morts tous les deux,
19:54 le fils de Madeleine a mis aux enchères
19:56 toute la succession Renaud-Barraud.
19:58 Et j'ai regardé
20:00 ça avec un peu de tristesse, en me disant
20:02 comme un règlement de compte, comme ça.
20:04 Et tout à coup, je vois
20:06 mises aux enchères
20:08 de lots de lettres manuscrites.
20:10 Alors, dans les paquets,
20:12 il y avait
20:14 lettres d'Urras,
20:16 Lansdal, Dupéré,
20:18 et puis d'autres.
20:20 Et je me suis d'un coup envant
20:22 une de mes lettres aux enchères.
20:24 - Et vous n'étiez pas prévenu ? - Mais non !
20:26 Mais qu'est-ce que j'ai écrit à Jean-Louis ?
20:28 J'avais jamais été sa maîtresse,
20:30 il avait un rapport
20:32 paternel avec moi.
20:34 Mais j'ai dit
20:36 "mais qu'est-ce que c'est que ça ?" Et un ami avocat
20:38 m'a dit "ah mais oui, une lettre
20:40 envoyée à quelqu'un, c'est un don
20:42 qui lui appartient à lui
20:44 et à ses héritiers, il faut le savoir."
20:46 Et donc, j'ai
20:50 téléphoné à mon ami Ninin,
20:52 lui disant "écoute, nous on se dit tout
20:54 dans ces lettres, si t'arrives quelque chose au Hamoua,
20:56 on peut retrouver nos lettres
20:58 en paquets, vendues au puce, ou je sais pas où,
21:00 réutilisées,
21:02 si on en faisait quelque chose."
21:04 Et donc,
21:06 on a fait un écrémage un peu
21:08 de ce qu'on s'était écrit, ce qui était livrable
21:10 au monde, mais quand même avec des choses
21:12 personnelles dedans.
21:14 Donc elle m'a dit "mais c'est quand même,
21:16 on laisse des choses très personnelles."
21:18 J'ai dit "t'inquiète pas, j'ai trouvé un titre qui va pas attirer
21:20 les concierges." - C'était quoi ton titre alors ?
21:22 - J'ai pris la dernière réplique
21:24 de Louis Jouvet dans "Entrée des
21:26 Artistes", "De la vie dans son art,
21:28 de l'art dans sa vie."
21:30 Bon, c'est sûr qu'on va pas faire "closer" avec ça !
21:32 - Puisqu'on parle de liens familiaux,
21:36 est-ce qu'il y a un endroit,
21:38 et je pense, en fait, à votre maison
21:40 de famille ? Comment vous la décrivez,
21:42 cette maison dans la Creuse ? C'est l'endroit où...
21:44 - L'eau il fait très chaud aussi cette semaine !
21:46 - Là où vous êtes bien pour vous livrer justement,
21:48 peut-être intimement par écrit.
21:50 - Longtemps, cette maison
21:52 de famille qu'on avait faite avec Bernard Giraudot
21:54 pourrait être vraiment une maison de famille, puisque nous n'en avions pas.
21:56 Elle l'est toujours,
21:58 d'ailleurs. Ça a été mon endroit
22:00 sacré d'écriture.
22:02 Je pouvais écrire
22:04 que là. Et puis ça s'est
22:06 assoupli. Sur les deux, trois derniers livres,
22:08 voilà,
22:10 j'ai trouvé le moyen
22:12 de travailler ailleurs. Ça s'est
22:14 un petit peu estompé, cette sacralité
22:16 du lieu pour écrire.
22:18 - Comment vous expliquez ça,
22:20 de devoir écrire dans un certain lieu ?
22:22 - Parce que pour moi,
22:24 c'est comme les roues d'un moulin
22:26 qui tournent dans un sens ou dans l'autre.
22:28 Il y avait Paris, je fais un geste,
22:30 le lieu de l'extériorisation.
22:32 Et la Creuse, c'était le lieu de l'intériorisation.
22:34 Et je n'arrivais pas à mélanger les deux.
22:36 C'est comme si on voulait
22:38 faire tourner les roues d'un moulin dans le même sens,
22:40 en même temps. C'est la cata.
22:42 D'ailleurs, j'ai essayé.
22:44 Ce n'était pas "Le voile noir",
22:46 c'était un autre livre,
22:48 un roman,
22:50 un roman après.
22:52 J'étais bien partie dans un chapitre
22:54 et j'ai dû tourner.
22:56 Donc je me suis dit, je vais quand même continuer.
22:58 J'ai pris trois points de tension.
23:00 J'avais essayé de faire tourner
23:02 les roues du moulin dans les deux sens,
23:04 ça coinçait complètement.
23:06 Et je me suis dit,
23:08 je vais arrêter d'écrire parce que les deux ensemble,
23:10 ça ne va pas. C'est très curieux.
23:12 Maintenant, ça s'est assoupli aussi.
23:14 - Cette maison dans la Creuse, ça reste aussi
23:16 un lieu d'apaisement, de retrouvailles
23:18 aussi, où vous retrouvez toute votre famille.
23:20 - Absolument, oui. On se retrouve
23:22 avec les enfants et les amis des enfants
23:24 qui sont aussi souvent mes amis.
23:26 Oui, oui.
23:28 (musique)
23:30 - Jusqu'à 13h30,
23:32 les midis de culture.
23:34 Nicolas Herbeau,
23:36 Géraldine Mossna Savoie.
23:38 - J'ai refait le même rêve.
23:42 - Dis donc, t'as revu les Dupérez ?
23:44 Les enfants, ça va ?
23:46 - J'entendais ta voix dans mon oreille.
23:48 - Vous avez quel âge ? 40 ans ?
23:50 - J'ai plein de regrets.
23:52 Par contre, tu vois, ça me fait drôle à moi aussi.
23:54 - Les enfants, ça va ?
23:56 - J'ai comme l'impression qu'on m'a amputé une partie de ma vie.
23:58 - Ta voix dans mon oreille.
24:00 - J'arrive !
24:02 - Allô ?
24:04 Allô ?
24:06 - J'ai envie de vous.
24:08 Comme jamais je n'ai désiré personne.
24:10 - Allô ?
24:12 - Retirez ça.
24:14 - Mais ça là, oui. - Mais qu'est-ce que vous faites ?
24:16 - Bien sûr que je sens vos reproches
24:18 qui font appel à la morale. - Ah !
24:20 - Non, ça, ça, quand même pas. - Tu sais, j'aime mieux ça que l'usine.
24:22 - Ça, non.
24:24 - Je ne suis pas vertueuse. - Pas encore.
24:26 - Et je ne respecte pas le sacrement du mariage.
24:28 - Vous me troublez.
24:30 - Je fais ça pas mal, hein ?
24:32 - Annie Dupéry, ça vous fait quoi de réentendre tout ça ?
24:38 Vous avez récité par cœur la réplique
24:40 de "Un éléphant, ça trompe énormément"
24:42 de Robert. - Oui, oui, quand même, c'est quand même mythique.
24:44 Ça, c'est extraordinaire.
24:46 Mais, non, un éléphant, surtout,
24:48 j'appelle ça maintenant
24:50 le "doudou" des français. - Ah, c'est vrai ?
24:52 - Parce que quand on a une saloperie
24:54 à leur apprendre, par exemple un confinement,
24:56 boum, on balance "Un éléphant, ça trompe"
24:58 et dans la foulée, le deuxième doudou,
25:00 c'est les tontons-flingueurs.
25:02 On se dit, allez, ça va les anesthésier
25:04 un peu, ça va faire passer la pilule.
25:06 - Ils vivront mieux ça.
25:08 - Ça veut dire que vous êtes un peu un médicament ?
25:10 - Ce film-là, oui.
25:12 Ce film-là, oui. - Mais pareil, aussi, pour
25:14 "Une famille formidable", on a entendu aussi un extrait,
25:16 la série, quand même, qui a commencé
25:18 au début des années 90, en 92,
25:20 qui s'est finie en 2018.
25:22 Il y a eu un moment, quand même, d'arrêt.
25:24 - C'est-à-dire qu'on n'a jamais...
25:26 "La famille formidable", c'était...
25:28 On a eu de la chance,
25:30 c'était un peu comme on voulait.
25:32 C'est-à-dire...
25:34 On écrivait beaucoup
25:36 ensemble, on trouvait les thèmes
25:38 ensemble, et...
25:40 Et c'était bien de laisser
25:42 passer un an
25:44 pour pouvoir retrouver
25:46 de nouveaux sujets
25:48 et tout ça, voilà. - Ce qui est intéressant, c'est
25:50 aussi de grandir avec une famille.
25:52 - Oui. - De vieillir avec une famille,
25:54 de les voir évoluer.
25:56 Vous avez quand même, oui, ce côté
25:58 presque doudou, aussi, avec
26:00 "Une famille formidable". - Oui, oui.
26:02 Mais c'était... Je l'ai beaucoup raconté, mais c'est un miracle,
26:04 "Les familles formidables", c'est...
26:06 Elles me sont... Elles me sont
26:08 tombées dessus
26:10 tout de suite, à la fin de l'écriture
26:12 du "Voile noir" à propos de la mort de mes parents.
26:14 Et je souhaitais faire une comédie
26:16 et mon agent m'a dit "Tu en veux une ?
26:18 Il y en a trois, trois fois une heure et demie."
26:20 Et j'étais dans un
26:22 état un peu lamentable, moralement,
26:24 après avoir écrit tout ça.
26:26 Et j'ai dit "Il faudra bien ça."
26:28 Et c'était
26:30 juste le lendemain du jour où je
26:32 rendais mon livre.
26:34 Et on a découvert
26:36 très très vite avec Joël Santoni, en quatre-cinq phrases,
26:38 qu'on était orphelin de père Edmer au même âge.
26:40 Et là,
26:42 le hasard m'a semblé
26:44 absolument impossible. - Entre la date et...
26:46 - Oui. Moi qui suis pas croyante, je me suis
26:48 dit là... Il y aurait même, vous savez,
26:50 je crois qu'il y a eu un scénario qui s'est fait
26:52 comme ça sur... Je sais plus comment ça s'appelait.
26:54 Sur tous les hasards
26:56 qui ont dû s'accumuler
26:58 pour que des anges, peut-être,
27:00 arrivent à leur fin. C'est-à-dire à nous
27:02 réunir pour créer une famille
27:04 fantasmée, comme on aurait aimé en avoir une.
27:06 - C'est vrai. - C'était...
27:08 Je me suis
27:10 ardiment demandé
27:12 des années après si les gens,
27:14 en plus, n'avaient pas
27:16 senti que pour deux des créateurs,
27:18 il y avait une nécessité, en plus.
27:20 Donc c'était pas une télé ordinaire du tout.
27:22 C'était autre chose.
27:24 - On a entendu dans
27:26 les archives des extraits
27:28 de Stavisky, de Alain Resnais,
27:30 deux ou trois choses que je sais d'elles, de Jean-Luc Godard
27:32 et d'Henna Loës de Costa-Gavras.
27:34 On en a parlé, une famille formidable et un éléphant, ça tombe
27:36 énormément. Vous avez dit, au moment
27:38 où on diffusait ça, "Ah ça c'est incroyable".
27:40 Vous disiez ça à propos de...
27:42 de quel film ?
27:44 - Ah non, ça c'était
27:46 très curieux. C'était
27:48 Godard, quand j'ai
27:50 dit en improvisation, parce que moi
27:52 il me laissait improviser.
27:54 Il enquêtait énormément, énormément
27:56 ma partenaire
27:58 Marina Vladi, qui devait répéter.
28:00 Elle avait une oreillette, elle devait répéter ce qu'il
28:02 disait. Elle était complètement
28:04 liée, pieds poing liés.
28:06 Et moi il me laissait faire. Il m'a laissé dire
28:08 "Vous avez rencontré les Dupérés". Enfin bon...
28:10 Parce que ça m'est venu comme ça.
28:12 Je me suis dit "C'est marrant". Il l'a laissé dans le film.
28:14 C'est drôle.
28:16 - La famille formidable, on en parlait
28:18 il y a quelques instants,
28:20 elle a touché de les français
28:22 aussi. Ils vous ont accompagnés
28:24 durant toutes ces années. Et puis à un moment donné
28:26 tous les projets
28:28 ainsi s'achèvent.
28:30 Mais vous, comment vous voyez
28:32 votre image d'actrice,
28:34 de comédienne, avec tout ce que vous avez pu faire ?
28:36 Des films, du théâtre ?
28:38 - De l'écriture.
28:40 - Est-ce que vous n'avez pas eu peur
28:42 à un moment donné qu'on vous colle une étiquette ?
28:44 On aime bien mettre les artistes dans des cases.
28:46 J'ai l'impression que vous n'êtes dans aucune case.
28:48 - J'en suis bien contente.
28:50 Parce que moi j'ai été élevée
28:52 avec des professeurs d'andramatique qui m'ont dit
28:54 "Il faut pouvoir tout jouer". Effectivement.
28:56 Et...
28:58 J'ai craint, quand les familles
29:00 formidables se sont arrêtées,
29:02 qu'on ne me propose
29:04 que des grandes sympas. Voilà.
29:06 Et puis ça a commencé
29:08 très très bien avec la proposition
29:10 de faire la mère du tueur
29:12 dans un truc qui s'appelait "Le Tueur du lac"
29:14 qui était un rôle tellement effrayant
29:16 que je me suis fait peur à moi-même.
29:18 C'était terrible.
29:20 Et puis là,
29:22 je ne peux pas vraiment l'annoncer parce qu'ils sont très secrets
29:24 sur la télévision, mais j'ai fait
29:26 un film qui devrait passer bientôt
29:28 qui s'appelle "Petit ange" pour la 3
29:30 ou la 2, je ne sais plus.
29:32 Enfin, sur une chaîne publique.
29:34 Dans lequel je fais une psychopathe épouvantable.
29:36 - Ça, ça vous plaît ?
29:38 - Ah oui ! C'est très intéressant.
29:40 - Vous n'en aviez pas marre à force de jouer
29:42 la mère sympa
29:44 du famille formidable ?
29:46 - Non, on ne pensait pas à ça. On ne pensait pas "je joue la mère sympa".
29:48 - La grande sympa, vous avez dit.
29:50 - Oui, on jouait des situations.
29:52 On jouait des choses comme ça. Mais bon,
29:54 il en ressortait effectivement, ça donnait cette image-là.
29:56 Non, avec...
30:00 On a fait beaucoup de choses dans "Les Familles".
30:02 On a fait des...
30:04 On a mis mes scènes les plus émouvantes
30:06 et les plus...
30:08 - Vous avez le souvenir d'une scène en particulier ?
30:10 - Ah oui, oui. Il a fait très fort, Joël.
30:12 Il a fait très très fort.
30:14 Le jour où il m'a dit...
30:16 On avait attaqué le sujet des secrets
30:20 de famille et j'apprenais que
30:22 j'avais une mère
30:24 qui était enterrée quelque part
30:26 là, que j'avais jamais
30:28 connue.
30:30 Et il m'a
30:32 mené dans un plan
30:34 sur la tombe de ma mère alors que je ne suis
30:36 jamais retournée sur la tombe de mes parents.
30:38 Là, on savait qu'on flirtait
30:40 avec
30:42 une réalité intime
30:44 qui colle à
30:46 un rôle, à une scène où
30:48 là, on ne sait pas. On se dit "ça peut bloquer
30:50 complètement". C'est-à-dire bloquer complètement
30:52 ou
30:54 vraiment trop...
30:56 Et je suis très fière.
30:58 On a été sur le fil comme ça
31:00 et elle est magnifique cette scène, je trouve.
31:02 Il y a juste l'émotion qu'il faut et tout
31:06 mais on l'a fait en plan séquence.
31:08 Une fois, une fois en plan séquence.
31:10 On s'amusait à faire ces choses-là avec Joël.
31:12 On répétait, on répétait le parcours,
31:14 on répétait bien techniquement et on essayait de faire
31:16 "one shot", une prise.
31:18 Comme au théâtre.
31:20 Et donc, on pouvait se concentrer
31:22 comme ça. Parce qu'on avait
31:24 découvert quelque chose à ces...
31:26 les orphelins quand nous étions.
31:28 On avait
31:30 une qualité qui n'est pas
31:32 donnée à tout le monde. C'est-à-dire
31:34 qu'on peut passer très vite du tragique
31:36 au net clown.
31:38 Parce qu'on a fait ça tout le temps, en fait.
31:40 On a le tragique au fond et puis on donne
31:42 le change. Et donc, on pouvait
31:44 assez aisément naviguer
31:46 comme ça. Ce que
31:48 les gens ne font pas dans les films, généralement.
31:50 On n'a pas des scènes
31:52 hyper dramatiques en traitant des sujets
31:54 très dramatiques et hop, la comédie tout de suite
31:56 après, c'est...
31:58 C'était spécial
32:00 dans cette série, effectivement. - Vous avez hésité
32:02 quand vous avez lu le scénario, pour cette
32:04 scène-là, à la faire ?
32:06 - Non, non, mais je savais.
32:08 On en avait parlé avant et on savait que c'était
32:10 sur le fil du rasoir, quoi. C'était...
32:12 Voilà.
32:14 - Je vous propose, Annie Dupéré, d'écouter
32:16 un extrait.
32:18 Vous nous direz si vous reconnaissez
32:20 la voix.
32:22 - Ah, c'était vous ! - Oui, c'était moi.
32:24 - Mais oui, je retrouve ce regard
32:26 insistant. - Vous avez exaspéré, madame.
32:28 Excusez-moi, mais ce soir-là, s'il m'était difficile
32:30 de vous regarder plus, il m'était
32:32 impossible de vous regarder moins.
32:34 C'était mon droit, d'ailleurs. - Oui, mais vous en
32:36 abusiez. - Comme vous abusiez du droit de me
32:38 séduire. - Moi, je vous séduisais ? - Non, mais
32:40 oui, par exemple. - Oh ! Mais est-ce que c'était
32:42 ma faute ? - Est-ce que c'était la mienne ? - Il y a regard, regard.
32:44 Je trouvais le vôtre indécent, l'autre soir, monsieur.
32:46 - Indécent ? Si vous m'aviez regardé moins
32:48 souvent, vous l'auriez oublié déjà. - C'était
32:50 pour vous faire baisser les yeux. - Oh, madame !
32:52 On peut faire baisser les yeux de quelqu'un
32:54 qui vous aime, mais pas de quelqu'un qui vous
32:56 désire. D'ailleurs, écoutez, restons-en là, parce que
32:58 je sens que ça va recommencer. Mais mon
33:00 Dieu, mon Dieu ! Que vous devez déplaire
33:02 à certaines personnes pour plaire
33:04 à d'autres tellement. - Oh, mon
33:06 Dieu, mon Dieu !
33:08 Est-ce que vous devez plaire à certaines
33:10 personnes pour pouvoir déplaire à d'autres
33:12 tellement ? - Est-ce que vous avez
33:14 reconnu... - C'est pas Popesco, quand même ?
33:16 - Si. - Ah, si, mais Popesco, très jeune,
33:18 effectivement. - C'était en 1939,
33:20 dans "Ils étaient neufs célibataires"
33:22 de Sacha Guitry. Alors,
33:24 Elvire Popesco,
33:26 c'est une des premières comédiennes, une des premières
33:28 actrices que vous avez rencontrée ? - Oui, oui,
33:30 oui, tout à fait. On a joué un an.
33:32 On a joué un an ensemble et j'ai
33:34 beaucoup appris d'Elvire Popesco.
33:36 Beaucoup, beaucoup. - Quoi, par exemple ?
33:38 - Bien, cette...
33:40 Cette...
33:42 Cette alliance de...
33:44 Du côté
33:46 sacerdotale d'amour de ce
33:48 métier du public et du
33:50 respect du public.
33:52 Par exemple, elle était déjà extrêmement
33:54 infirme des hanches et
33:56 elle lâchait ses cannes avant d'entrer en scène.
33:58 Et puis elle sucéait des petits bonbons rouges
34:00 parce qu'elle prenait énormément de calmant pour
34:02 pouvoir arriver à marcher.
34:04 Et pour qu'elle ait la bouche
34:06 rouge, parce que tu comprends, la langue
34:08 blanche, c'est pas joli pour le public.
34:10 Et donc, elle faisait ça.
34:12 Et en même
34:14 temps que cette...
34:16 Ce sacerdoce comme ça,
34:18 la rourie...
34:20 La rourie
34:22 du jeu.
34:24 Par exemple, quand sa
34:26 fille lui a dit un jour devant moi
34:28 "Maman, maman, mais tu pleures
34:30 dans telle scène, mais c'est...
34:32 C'est affreux, c'est dégueulasse,
34:34 t'as le rimel qui coule sur les joues."
34:36 Et Popesco lui répondait "Et si j'ai
34:38 pas le rimel qui coule, comment il voit que je pleure
34:40 au deuxième balcon ?" Et ça,
34:42 c'est formidable. Parce que
34:44 c'est en
34:46 même temps la...
34:48 Le sacerdoce et la trécherie
34:50 de l'efficacité
34:52 comme ça. - Ça vous a servi ?
34:54 Ce conseil ou pas ? - Oh oui, oui,
34:56 mais tout m'a servi chez elle.
34:58 Ça, effectivement, c'était...
35:00 - C'est un modèle ? C'était
35:02 quelqu'un que vous respectiez, j'imagine ?
35:04 Elle a été aussi un modèle
35:06 dans votre métier ? - Elle était
35:08 pas forcément un modèle,
35:10 parce qu'il n'y avait pas de modèle à avoir.
35:12 Elle était tout à fait extraordinaire
35:14 en scène. C'était...
35:16 C'était une sorte de Rému femelle.
35:18 C'est-à-dire que c'est des gens
35:20 qui sont, qui ont
35:22 une évidence comme ça
35:24 naturelle,
35:26 de contact avec le public
35:28 formidable. On entend Rému,
35:30 on se dit "Il joue pas".
35:32 Et Popesco, c'était un peu pareil.
35:34 Elle jouait, mais elle avait cette
35:36 espèce de force de conviction
35:38 comme ça.
35:40 Et puis, je lui dois
35:42 mon premier énorme compliment.
35:44 Où...
35:46 On était sur un canapé
35:48 avant que l'oreille de l'eau s'ouvre.
35:50 Après, elle entraque toutes les deux,
35:52 comme ça. Et puis,
35:54 elle m'a dit tout à coup...
35:56 "Petite, ça fait six mois que je te regarde,
35:58 je t'observe. Et je vais te dire..."
36:00 Alors, j'ai attendu un petit peu
36:02 en tremblant, quand même, qu'est-ce qu'elle avait à me dire.
36:04 Et elle m'a dit simplement
36:06 "Tu es une comédienne".
36:08 Sans adjectif.
36:10 C'est-à-dire que j'étais...
36:12 Je faisais partie de "Tu es une comédienne".
36:14 Et sur ce, j'étais tellement
36:16 émue qu'elle m'a piqué
36:18 deux répliques.
36:20 - Est-ce que vous avez joué ce rôle-là
36:22 pour un autre
36:24 ou une autre comédienne ?
36:26 De transmission, de génération ?
36:28 - Je...
36:30 Je...
36:32 Non, je sais pas.
36:34 Non, je crois pas.
36:36 Non, non.
36:38 Non, non.
36:40 Valérie Lemercier
36:42 m'a dit une chose très mignonne
36:44 que je connais pas bien, d'ailleurs.
36:46 Et elle m'a dit
36:48 "Tu te rappelles pas ? J'étais allée voir
36:50 une pièce que je jouais à l'époque
36:52 qui était épatante avec
36:54 Jean-Pierre Cassel, "La fille sur la banquette arrière".
36:56 Elle m'a dit "J'étais allée voir
36:58 la pièce deux fois, et puis
37:00 je suis venue te voir en disant
37:02 "Je veux devenir comédienne.
37:04 Où est-ce que je peux
37:08 aller apprendre ?
37:10 J'arrive de Rouen." Et je lui aurais dit
37:12 "Ah, tu arrives de Rouen ?
37:14 Mais t'as qu'à y retourner, y a le meilleur prof là-bas."
37:16 - Parce que vous veniez du Rouen aussi ?
37:18 - Et elle a effectivement été
37:20 chez Jean Chevrin
37:22 qui était un professeur.
37:24 Y a eu une pépinière
37:26 comme ça à Rouen, entre Carine Viard,
37:28 Franck Dubosc,
37:30 Valérie Demercier,
37:32 Patrice Chenet.
37:34 Y a tout un petit...
37:36 - Un petit groupe ?
37:38 - En tout cas, y a un esprit.
37:40 Y a un esprit, justement, vous en parliez,
37:42 de ne rien s'interdire.
37:44 D'écrire, de mettre en scène.
37:46 C'est très Jean Chevrin.
37:48 Devait avoir cette
37:50 possibilité comme ça de nous
37:52 ouvrir à se dire "Vous avez
37:54 des talents, vous êtes des artistes.
37:56 Vous pouvez avoir
37:58 des dons cousins."
38:00 - Eh bien, merci
38:02 beaucoup Annie Dupérez. On peut
38:04 vous voir au théâtre du Lyserner,
38:06 c'est à Paris, c'est jusqu'au
38:08 22 octobre. On peut aussi
38:10 voir votre photographie jusqu'au 30 septembre
38:12 dans le jardin de l'hôtel du département
38:14 Aguerre dans la Creuse,
38:16 même s'il fait chaud. - Oh là là, vous savez ça !
38:18 - Oui, c'est l'exposition "Les photos d'Annie".
38:20 D'ailleurs, on n'a pas assez parlé
38:22 de vos photos.
38:24 Merci beaucoup et je remercie aussi
38:26 l'équipe des Midis de culture qui sont préparées par
38:28 Aïssa Touhendoy, Anaïs Hisbert, Cyril Marchand,
38:30 Zora Vigné, Laura Dutèche-Pérez
38:32 et Manon de la salle réalisation
38:34 Nicolas Berger, prise de son
38:36 d'Alia. Pour réécouter cette émission,
38:38 rendez-vous sur le site de France Culture
38:40 à la page de l'émission. Merci
38:42 Nicolas Herbeau. A demain. - A demain
38:44 Géraldine. - Merci à vous.
38:46 France Culture, l'esprit d'ouverture.

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