L'Heure des Livres : Sonia Mabrouk

  • l’année dernière
Anne Fulda reçoit Sonia Mabrouk pour son livre «Reconquérir le sacré» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 -Bienvenue à l'heure des livres, Sonia Mabrouk.
00:02 Nul besoin de vous présenter sur cette chaîne,
00:04 vous êtes aussi journaliste sur Europe 1,
00:06 vous avez déjà écrit plusieurs essais,
00:09 dont "Insoumission française", "Douce France",
00:11 "Où est passé ton bon sens ?"
00:13 Et là, vous venez de publier "Reconquérir le sacré",
00:16 et c'est aux éditions de l'Observatoire.
00:18 Quelle ambition, reconquérir le sacré !
00:21 -N'est-ce pas ? Bonjour à vous, Anne.
00:23 -C'est un petit livre qui enrichit beaucoup de références,
00:27 on ne va pas les citer toutes,
00:29 "Bataille", "L'Hérisse", "Saint-Augustin",
00:31 Michel Serres ou Régis Debré,
00:33 qui donne une définition du sacré
00:35 comme tout ce qui légitime le sacrifice
00:38 et interdit le sacrilège.
00:39 Est-ce que c'est une définition qui vous convient ?
00:42 -Oui, parce qu'il dit beaucoup par cette définition, Régis Debré,
00:45 "C'est interdit, le sacrilège", c'est-à-dire qu'il y a des barrières,
00:49 des frontières, donc le sacré n'est pas une chose facile,
00:52 c'est pas un chemin de rose,
00:53 c'est peut-être la première chose qui m'a intéressée
00:56 parce qu'on a l'impression que le sacré peut se décréter,
00:59 se convoquer, ce n'est pas le cas,
01:01 ça peut être source de conflits et de violences,
01:04 c'est ce que veut dire Régis Debré,
01:06 mais il y a l'autre pendance, ça peut être aussi rassembleur,
01:09 on n'y pense pas forcément,
01:11 c'est un peu un appel à ce sacré de concorde, moi,
01:13 que j'ai voulu évoquer dans ce livre.
01:16 -Parce que ce que vous précisez, c'est que le sacré et le religieux
01:19 ne se confondent pas obligatoirement,
01:21 que le sacré peut évidemment être religieux,
01:24 mais aussi être laïque, athée,
01:26 comment peut-il s'exprimer dans ces cas-là
01:28 et permettre d'aller vers plus de concorde ?
01:31 -C'est le gros malentendu.
01:32 Vous avez raison, il y a une histoire
01:35 entremêlée entre le sacré et les religieux,
01:37 mais je préfère insister sur le fait qu'il peut y avoir
01:40 un sacré autre que le clérical,
01:42 qu'il ne soit pas la sacristie, la foi,
01:45 et qu'il ne soit surtout pas l'idolâtrie.
01:47 Le sacré civil, le sacré républicain,
01:49 pour moi, il s'incarne à travers trois éléments.
01:52 D'abord, il y a les lieux qui sont sacrés
01:54 et qui font un petit peu, j'allais dire,
01:57 le lien de notre République,
01:58 qui sont les hauts lieux de mémoire en France
02:01 et dans tous les pays du monde.
02:03 Il n'y a pas un pays sans lieux de mémoire.
02:05 Ca me paraît important qu'ils restent sacralisés
02:08 au sens qu'on ne peut pas tout faire.
02:10 Il y a aussi un sacré dans la nature.
02:12 On n'en parle pas assez souvent.
02:14 Ca peut paraître simple de dire,
02:16 mais c'est le végétal qui pousse,
02:18 c'est l'eau qui bénit, c'est le feu qui réchauffe
02:21 aussi les corps par rapport aux cadavres.
02:23 C'est une grande signification,
02:25 sans pour autant déifier la nature.
02:27 Et puis, je crois qu'il y a un sacré personnel
02:30 qui nous appartient à chacun.
02:31 -Vous l'évoquez, votre sacré personnel.
02:34 Vous dites que le sacré s'est présenté à vous en 94,
02:38 lorsque vous étiez en Tunisie,
02:41 dans un lieu qui est une église,
02:43 mais qui n'était plus consacré au culte.
02:45 -Vous voyez le lien très proche entre sacré et religion.
02:48 Je pense que ce monument s'imposait à moi.
02:51 J'habitais juste en face, à quelques mètres,
02:53 et je voyais depuis ma fenêtre d'enfant
02:56 cette cathédrale Saint-Louis.
02:58 Ca m'a toujours interpellée.
02:59 C'était un souvenir d'enfance,
03:01 mais c'est quand même un lieu sacré pour moi.
03:04 C'est une église en terre d'islam.
03:06 J'avais l'impression que je regardais
03:08 comme si c'était de la neige au soleil.
03:10 Quelque chose de magique, de fragile,
03:13 que vous avez envie de prendre entre les mains.
03:16 Je pense que toucher du doigt sans le savoir,
03:18 le sacré, et petit à petit,
03:19 les pierres de cette église,
03:21 c'est comme s'ils reflétaient les chapitres de ma vie.
03:24 C'est peut-être moi qui faisais une projection,
03:27 mais à partir de là, j'ai considéré ce lieu,
03:29 ce monument, comme étant sacré, intouchable, à respecter.
03:33 -Vous déplorez que l'Occident soit plus particulièrement frappé
03:36 par une forme de désacralisation, bien plus que l'Orient.
03:40 Vous relevez que ça s'est vu en ce qui concerne
03:42 tout ce qui entoure la mort,
03:44 notamment au moment du Covid.
03:46 -Oui. Je n'ai pas été la seule à le souligner,
03:49 mais c'est vrai que ça m'a plus que heurtée.
03:51 Ça a été pour moi un vrai bouleversement.
03:54 C'est une rupture anthropologique.
03:56 Pendant la période du Covid et de la crise,
03:58 beaucoup n'ont pas pu accompagner les êtres chers
04:01 jusqu'à leur dernière mort.
04:03 Je ne vois pas ce qu'il peut y avoir de plus terrible.
04:06 On a enlevé à l'homme ce qui lui reste,
04:08 les rites, le cérémonial, tout ce qui le maintient,
04:12 qui est au ciel, mais connecté à lui-même.
04:14 J'ai trouvé qu'il y avait une forme...
04:16 C'est peut-être pas propre qu'à l'Occident,
04:19 mais en Orient, pas forcément l'Orient musulman,
04:22 il y a encore cet attachement à ces rites,
04:24 à ce cérémonial, qui n'est pas que du décorum.
04:28 C'est essentiel.
04:30 C'est ce qui correspond, finalement,
04:34 à la part immanquable de l'homme.
04:36 -Pour rester en Orient,
04:37 vous évoquez le choix qu'a fait Erdogan
04:41 de refaire de Sainte-Sophie une mosquée.
04:46 C'est un bon choix de son point de vue.
04:49 Ca en heurte certains.
04:50 -Ca fait un peu la polémique.
04:52 Il faut toujours se placer,
04:54 non pas du point de vue de l'adversaire,
04:56 même s'il l'est,
04:58 mais qu'il a dit sur la France.
05:00 Il faut comprendre la logique pour pouvoir la combattre,
05:03 sinon y opposer un projet.
05:05 Il a raison.
05:06 Erdogan ne parle pas seulement de religion,
05:09 il ne veut pas être le chef des musulmans, de l'ouma.
05:12 Il veut s'approprier quelque chose
05:14 qui me semble être la question stratégique,
05:17 qui n'a rien d'anachronique.
05:19 Il a compris qu'à travers ce monument,
05:21 il y a de sacralités qui peuvent rassembler.
05:24 Alors oui, lui, il le fait.
05:26 La question, c'est, nous, en face,
05:28 quels projets, quelles idées, quelles valeurs on oppose ?
05:31 -Une dernière question.
05:33 Des femmes se battent en Iran
05:35 pour protester contre des contraintes
05:38 finalement au nom d'un sacré, du sacré religieux.
05:41 Qu'est-ce que vous faites face à de tels événements ?
05:44 -Face à un sacré religieux,
05:46 qui est là, en l'occurrence, un fondamentalisme
05:49 le plus obscur et le plus noir possible,
05:51 je me suis permis d'écrire une tribune dans Le Figaro
05:55 pour dire qu'elles sont contre cet obscurantisme religieux,
05:58 mais pas pour une désacralisation.
06:00 Je pense que malgré tout, ces femmes,
06:03 je ne peux pas parler à leur place,
06:05 je pense qu'il y a un attachement à ce qui est sacré,
06:08 à des interdits, sans pour autant jeter le bébé et l'eau du bain.
06:12 On s'attache à des rituels,
06:14 à ce qui peut, non pas connecter ce que je vous ai dit au ciel,
06:17 mais l'homme à lui-même.
06:19 Je pense, Anne, que la grande question n'est plus
06:22 est-ce que Dieu existe, mais est-ce que l'homme se prend
06:25 encore pour Dieu et pour combien de temps ?
06:27 -On en discuterait encore longtemps,
06:30 mais je suis obligée de vous remercier
06:32 pour "Le Sacré", un livre qui oblige à penser,
06:35 ce qui est important aussi,
06:37 et c'est paru aux éditions de l'Observatoire.
06:39 Merci, Sonia Mabrouk.
06:41 [Musique]

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