Jeudi 13 avril 2023, SMART BOURSE reçoit Stanislas de Bailliencourt (Gérant, Sycomore Asset Management)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 (Générique)
00:10 - Stanislas de Bayancourt, gérant chez Sicomora, je laissais passer le petit jingle,
00:14 mais je vous laisse réagir bien sûr à cette question.
00:17 Est-ce que la Fed a définitivement vaincu l'inflation ?
00:21 Et comment est-ce qu'on se projette, partant de ce qui s'est passé au mois de mars
00:24 et qui a profondément changé la psychologie du marché ?
00:27 - Je pense qu'il y a deux points importants. Le premier, c'est qu'elle n'a pas du tout
00:31 définitivement gagné la bataille et on le voit bien dans les chiffres d'inflation cœur
00:35 qui restent très élevés. Ça, c'est le premier point.
00:38 Mais vous l'avez cité, les faillites bancaires du mois de mars ont laissé des traces
00:43 parce qu'on ne monte pas les taux sur 12-14 mois aussi violemment
00:48 sans qu'il y ait d'effet secondaire, en particulier quand on a un système bancaire
00:52 pour toutes les banques de rang 2, c'est-à-dire sortie des 4 ou 5 grandes banques américaines
00:56 qui est assez peu régulé, en tout cas beaucoup moins régulé qu'en Europe.
00:59 Et donc ça, mécaniquement, ça calme un peu le jeu pour la Fed et ça limite sa capacité
01:05 à avoir son peak rate à un niveau trop élevé. Peut-être encore une heure hausse
01:09 mais probablement ça devrait s'arrêter là. Mais la vraie question, c'est pas
01:12 où est le niveau à 25 points de basse presse, c'est combien de temps on va y rester
01:16 à ce plateau élevé. Et là, je pense que les marchés, ils font la lecture
01:20 de la politique de la Fed. Jean-Jacques l'a très bien dit, en fait, il y a un choix
01:24 entre arbitrage croissance contre inflation. Et comme depuis 10 ans ou 12 ans, depuis 2008,
01:29 systématiquement, le choix à la fois budgétaire pour les Etats et monétaire
01:33 par les banques centrales a été le choix de la croissance contre celui de l'inflation
01:37 ou de l'orthodoxie classique monétaire, les marchés gardent cette lecture
01:41 avec une mémoire assez courte. Il y a quand même eu là un épisode marquant,
01:45 c'est que l'inflation est partie vraiment hors de contrôle. Et de ce point de vue-là,
01:50 je pense que pour les banquiers centraux, ça va quand même les marquer, en particulier
01:54 en zone euro. Et ils n'auront pas les mêmes comportements dans le cycle à venir
01:58 que dans le cycle passé. Et c'est probablement, à mon avis, l'erreur que font les marchés
02:02 aujourd'hui, c'est d'extrapoler beaucoup trop rapidement des baisses de taux
02:05 au moindre ralentissement. D'ailleurs, ralentissement qui tarde à venir,
02:08 parce que la récession américaine, quand on voit tous les économistes de grandes banques,
02:12 l'attendaient pour la fin du Q1, c'est-à-dire maintenant ou début de Q2.
02:15 - A chaque fois, c'est le trimestre qui y arrive. - On voit qu'il y a un certain point.
02:18 On voit que les premiers signes de ralentissement dans les ISM sont là,
02:21 mais ne sont pas violemment là. On voit que le marché de l'emploi
02:25 commence à s'équilibrer, mais tout en gardant un taux de chômage...
02:28 - Ça reste assez graduel, progressif. - C'est progressif.
02:31 Ça va toucher davantage certains secteurs, l'immobilier avec des taux qui montent très fort,
02:34 l'automobile avec... Quand vous faisiez un leasing avec un crédit à zéro
02:38 et un crédit à 5 ou à 5,5, c'est plus du tout le même coût de voiture sur 3 ou 4 ans.
02:42 Donc ça va commencer à impacter et donc à ralentir. Mais pas de manière,
02:46 pas de cassure violente. Et pour les banquiers centraux, et on le voit bien
02:51 avec ce qu'a dit François Villeroy de Gallo hier à Washington,
02:55 il y a quand même l'inflation qui reste un point important.
02:58 Et en tout cas, en zone euro, on a une courbe qui est très inversée.
03:01 Je pense qu'on va rester plus longtemps que ce qu'on dit ici sur le marché
03:04 sur un plateau assez élevé de taux d'intérêt.
03:07 - Oui. C'est le put, la protection des banques centrales historiques
03:11 qu'on a tous en tête. Elle est beaucoup plus éloignée,
03:13 le niveau est beaucoup plus éloigné que ce qu'on imagine.
03:15 - La barrière activante de l'intervention va être plus loin maintenant.
03:20 - Ils sont tous prêts à accepter un niveau de douleur économique,
03:23 et ça a été très clairement dit par la Fed depuis 6 mois maintenant,
03:26 un niveau de douleur économique avant d'intervenir, plus loin que par le passé,
03:30 où finalement, au moindre sous-bresseau, on intervenait.
03:33 - Comment réfléchir à la question de savoir comment est-ce que l'intensification
03:38 du credit crunch qu'on a tous en tête, sachant que le durcissement
03:41 des conditions de crédit, on l'a évoqué, avait commencé déjà avant le choc SVB,
03:46 et en Europe, et aux Etats-Unis, les conditions se durcissaient déjà.
03:50 - C'est progressif.
03:51 - La question c'est, est-ce que ça peut être un moment, une rupture,
03:54 un espèce de choc un peu soudain où tout s'arrêterait, credit crunch,
03:58 ou est-ce que c'est un resserrement qui va s'intensifier mais qui restera graduel ?
04:02 - Il y a plusieurs composantes dans le financement, les banques en sont une,
04:05 et c'est probablement la composante la plus régulière, notamment en Europe,
04:09 parce que du fait de la régulation, elles ont des réserves suffisantes,
04:11 une capacité à prévenir. En revanche, dans la partie plus volatile du financement,
04:16 que ce soit les marchés obligataires ou tout le shadow banking,
04:19 là on peut avoir des coupures un peu plus franches,
04:22 et donc certains secteurs très liés, dont les valorisations sont très liées au financement,
04:26 par exemple l'immobilier, sont beaucoup plus à risque là-dessus.
04:29 Et aussi entre zones géographiques, la situation n'est pas la même,
04:32 on a probablement un secteur bancaire plus robuste en Europe,
04:36 en tout cas en Europe continentale, en dehors de la Suisse,
04:40 c'est reparté, et sur la partie américaine, on va aller vers beaucoup plus de régulation,
04:46 c'est le sens de l'intervention de Jamie Dimon la semaine dernière.
04:48 Les grandes banques américaines avaient déjà une réglementation,
04:51 une régulation différente des banques régionales,
04:53 clairement ça va converger sur le point des grandes banques,
04:56 et la Fed s'est un peu fait prendre là sur SVB,
04:59 et donc ça va aussi bouger de ce côté-là, et c'est plutôt de nature à freiner.
05:04 - Bien sûr, là il y a une longue séquence de restructuration,
05:06 réglementation du secteur bancaire devant nous aux Etats-Unis.
05:09 - On va restreindre un petit peu l'accès au crédit.
05:11 - Ça veut dire, du point de vue des marchés,
05:16 et c'était le sujet qu'on abordait avec Jean-Jacques,
05:19 est-ce qu'on est encore dans un équilibre qui permet d'être constructif ?
05:24 On le voit sur quand même les actifs risqués.
05:27 La détente post-SVB a non seulement été rapide, mais très forte.
05:31 Le VIX est à moins de 20.
05:34 - L'intervention publique a été rapide, assez bien ciblée,
05:37 je pense que ce qui a été fait était très bien.
05:39 Deuxièmement, on voit que les entreprises ne montrent pour le moment aucun signe de difficulté,
05:44 et au contraire, les marches sont au pic,
05:47 ce qui est assez rare après une période de très forte inflation.
05:50 Donc elles ont fait plus que passer les gros venues.
05:53 - Là c'est même l'inverse, c'est grâce à l'inflation que les marches sont au pic sans doute.
05:56 - Alors je ne sais pas si c'est grâce,
05:57 si c'est parce qu'il y avait déjà un climat de départ assez favorable du fait des stocks,
06:01 notamment chez les consommateurs, fait pendant la période Covid,
06:04 mais en tout cas, ils ont réussi, ce qui est contre-intuitif,
06:07 à passer plus que l'inflation pendant cette période-là.
06:10 Donc ça c'est une chose.
06:11 Donc c'est vrai qu'optiquement, les niveaux de valorisation sont relativement raisonnables aujourd'hui,
06:15 mais il faut faire attention parce que quand on regarde,
06:17 et on voit ça notamment dans les P/E de Shiller,
06:18 quand on lisse les résultats, on est un petit peu à un pic de profitabilité aujourd'hui,
06:23 voire même dans certains secteurs à des profitabilités jamais atteintes,
06:26 comme dans le secteur auto par exemple.
06:28 Donc à la fois ça a sécurisé le secteur, on a beaucoup de cash sur les bilans,
06:31 ce qui fait aussi que même si on rentre dans une période plus difficile,
06:34 on a des entreprises qui rentrent dans une situation relativement saine.
06:37 Néanmoins, en termes de valorisation des marchés,
06:40 c'est aussi pour ça que les multiples ne sont pas trop élevés en agrégé aujourd'hui,
06:43 et en particulier sur les cycliques,
06:45 c'est parce qu'on a des niveaux de marge qui sont supérieurs au niveau normatif.
06:50 Et ce phénomène, ce qu'on appelle la spirale prix-profit,
06:55 effectivement on documentera tout ça,
06:57 tout ça est en train d'être documenté aujourd'hui par des économistes et des banquiers centraux
07:01 qui ont l'œil sur les marges des entreprises,
07:03 c'est un phénomène qui peut encore s'étendre dans le temps,
07:06 là on entre dans la période de publication de résultats,
07:08 ou est-ce que quand même, si l'inflation a été un facteur positif pour les marges des entreprises,
07:13 est-ce que le phénomène des inflationnistes, qu'on peut quand même constater,
07:16 on verra juste ce qu'il nous mène,
07:17 est-ce qu'à l'inverse c'est un phénomène qui va mettre de la pression là,
07:20 sur les marges de certains secteurs peut-être ?
07:22 Je pense que les marges vont refluer dans certains secteurs,
07:24 notamment sous où il y avait des goulots d'étranglement,
07:26 comme l'auto qui finalement ne pouvant pas produire sur la totalité de la demande,
07:30 ils ont produit les véhicules à plus forte marge,
07:32 et donc ça a inflaté un peu les marges.
07:34 Donc je pense qu'aujourd'hui il va y avoir un transvasant,
07:36 peut-être davantage de volume aussi,
07:38 ce qui fait qu'en termes de profitabilité des bits d'ail,
07:40 il va y avoir une sorte d'équilibre un petit peu plus de volume, un petit peu moins de marge,
07:44 et après je pense que dans un deuxième temps,
07:46 de toute façon pour aller chercher les volumes,
07:49 il faudra faire des efforts sur la marge.
07:51 Donc là, tant qu'on était contraint et que la demande était très forte,
07:54 mais probablement la demande, les salaires augmentant globalement moins vite que l'inflation,
07:59 les choses vont se rééquilibrer progressivement.
08:03 - Sur le plan de l'investissement, qu'est-ce qui guide la logique d'une stratégie d'investissement aujourd'hui ?
08:10 Alors peut-être à travers différents horizons de temps,
08:12 mais est-ce qu'on est encore dans un momentum positif ?
08:16 Voilà, je sais que c'est le CAC 40, c'est très chauvin,
08:19 mais la Bourse de Paris est quand même la première place boursière aujourd'hui,
08:22 en Europe, y compris devant le marché britannique.
08:25 - Oui, un précédé marqué du luxe, mais...
08:27 - Oui !
08:28 - Si on prend deux pas de recul, ce qui est très intéressant pour l'investissement aujourd'hui,
08:31 c'est qu'on retrouve de l'intérêt sur plusieurs classes d'actifs.
08:34 Déjà les obligations, qui pendant des années avaient des rendements nuls ou négatifs,
08:38 et des taux réels négatifs, c'est-à-dire qu'elles ne payaient même pas l'inflation,
08:40 elles étaient loin en dessous de l'inflation,
08:42 donc vous étiez structurellement en perdant, parfois même en nominal et encore plus en réel,
08:46 on n'est plus du tout dans cette situation-là aujourd'hui.
08:48 Donc aujourd'hui, quand on investit, on a une palette d'investissements à notre disposition
08:52 avec des rendements attractifs, qui est beaucoup plus large qu'il y a 18 mois.
08:56 Donc ça a diamétralement changé.
08:59 On retrouve sur les obligations d'entreprise, sur des rendements type...
09:02 sur des choses comme le crossover, donc entre l'investment grade et le yield en termes de qualité,
09:06 on est au-delà de 5, entre 5 et 6% de rendement.
09:09 Donc ça, c'est particulièrement attractif.
09:11 Sur la partie action, on voit la résilience, plus que la résilience,
09:14 la capacité d'adaptation et à tenir les marges d'entreprise,
09:17 des niveaux de valorisation intermédiaires, donc par secteur, il y a des choses à travailler.
09:21 On a un très bon début d'année dans la pharmacie, avec un bon pipe-up de produits,
09:24 on l'a vu chez Sanofi, Novartis, AstraZeneca.
09:27 On a les cycliques qui sont assez peu chers.
09:29 Alors, certes, les banques, on voit que le secteur est un peu challengé,
09:32 mais d'autres, comme l'auto, il y a de l'intérêt.
09:34 Et à l'opposé, dans les valeurs de croissance, on voit qu'elles continuent à délivrer
09:37 et qu'avec une courbe de taux inversés et des taux longs bas,
09:39 ça soutient aussi leur niveau de valorisation plus élevé.
09:42 Donc aujourd'hui, on a un panel assez large sur lesquels on peut intervenir.
09:45 Ce n'est plus uniquement un marché qui est uniquement sur les valeurs de croissance.
09:49 On voit certaines cycliques très bien se comporter depuis le début de l'année,
09:52 des secteurs qui rattrapent, on voit qu'il y a quand même de la demande,
09:54 de la réouverture chinoise. Donc on peut avoir des portefeuilles
09:57 beaucoup plus équilibrés en termes de secteur ou de style de valeur.
10:01 Et entre les classes d'actifs aussi, on retrouve un intérêt beaucoup plus large
10:05 avec l'obligataire et en particulier les obligations d'entreprise
10:08 qui retrouvent un vrai intérêt aujourd'hui.
10:10 Géographiquement, est-ce qu'il y a un peu l'idée, tout sauf les États-Unis ?
10:14 On voit d'ailleurs, y compris, beaucoup d'investisseurs anglo-saxons,
10:17 américains qui acquièrent, montent un fonds en Europe à 8 milliards.
10:22 Elliott est au Japon, Warren Buffett est au Japon.
10:25 Non mais, il y a un peu l'idée, même venant d'investisseurs anglo-saxons américains,
10:29 de se dire, tiens, c'est peut-être le moment quand même de se projeter
10:31 un peu en dehors de notre immense marché national américain.
10:35 Il y a eu une immense performance des actions américaines au cours des 10 dernières années.
10:38 Leur poids dans les indices mondiaux est d'ailleurs au plus haut historiquement.
10:40 Ben oui, c'est quoi les deux tiers ?
10:42 Un petit peu moins, avec le Canada, les États-Unis, plus le Canada.
10:45 Mais c'est un peu plus de ça. Donc c'est très important.
10:49 Entre-temps, en 15 ans, le Japon a divisé par deux en termes de poids dans les indices.
10:53 L'Europe, en particulier l'Europe continentale, a fortement réduit.
10:56 Donc, il y a des choses à rebattre.
10:58 C'est vrai que ce qui a probablement manqué à l'Europe,
11:00 c'est une base d'investisseurs locales moins importantes,
11:04 dues à nos systèmes d'épargne, nos systèmes de retraite,
11:06 qu'aux États-Unis pour soutenir les marchés locaux.
11:08 Et finalement, des américains qui drivent les investissements mondiaux,
11:11 qui avaient un marché national largement florissant,
11:14 et surtout avec tous les thèmes d'actualité des années de 2010 à 2020.
11:17 Pas besoin d'aller ailleurs.
11:19 Aujourd'hui, on retrouve cet intérêt.
11:21 Aujourd'hui, il est davantage ciblé sur les grandes valeurs européennes.
11:25 C'est là qu'on voit les flux.
11:27 Probablement dans un deuxième temps, dans une deuxième partie du cycle,
11:30 si la résistance et la résilience des petites et moyennes entreprises européennes se confirment,
11:35 là, on a des niveaux de valorisation beaucoup plus attractifs.
11:38 Et un petit peu en retard, elles redémarreront, un petit peu comme après la crise de 2011.
11:42 On avait d'abord eu les large caps qui avaient rebondi,
11:45 et par la suite, les petites et moyennes capitalisations qui avaient rattrapé le train.
11:50 Donc, ce sera probablement dans un deuxième temps.
11:52 Une séquence d'appétit pour le risque à respecter de ce point de vue-là.
11:55 Merci beaucoup, messieurs.
11:57 Merci à Stanislas de Bayancourt qui était avec nous en plateau,
12:00 gérant chez Sycomore Assets Management.
12:02 Voilà pour cette édition Smart Bourse de la mi-journée.
12:05 On se retrouve ce soir à 17h en direct sur Bismarck.
12:09 [Musique]