SMART SPACE - SPACE TALK du vendredi 21 avril 2023

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Vendredi 21 avril 2023, SMART SPACE reçoit Charles Beigbeder (PDG, Audacia)
Transcript
00:00 L'investissement, la science et l'espace sont en point commun. C'est Charles Beigbeder, notre invité aujourd'hui.
00:10 Nous allons faire toute une grande interview avec lui pour faire le tour du sujet de l'investissement spatial, porté notamment avec le Fonds d'investissement Expansion.
00:21 Bonjour Charles Beigbeder. Bonjour Cécilia, merci de m'inviter.
00:23 Bienvenue sur le plateau de Smart Space. Alors vous êtes passionné de science et d'espace, vous avez un diplôme d'ingénieur et vous avez même travaillé dans le secteur spatial un temps avant de finalement, je vous cite,
00:34 "trahir vos idéaux de jeunesse pour devenir banquier d'affaires et entrepreneur", comme vous l'avez dit à nos confrères du magazine Entreprendre.
00:42 Finalement ce parcours d'entrepreneur, il vous a quand même ramené à vos amours de jeunesse.
00:46 Heureusement. En effet, j'ai toujours été passionné de haute technologie, je voulais être astronaute, puis astrophysicien.
00:53 Et puis, voilà, la vie professionnelle a fait que j'ai été dans d'autres voies, j'ai pu épanouir ma soif de curiosité quand même.
01:02 J'ai créé plusieurs entreprises, dans la finance, dans l'énergie, et là maintenant c'est l'investissement, mais c'est l'investissement dans la deep tech.
01:11 Et Audacia est devenu progressivement une sorte de spécialiste du financement de la deep tech, en France, en Europe, dans le monde même.
01:20 Donc il y a les technologies quantiques, avec les fonds Cantonation, et il y a le New Space, le spatial avec Expansion.
01:27 Alors, l'idée pour vous c'est quoi ? C'est d'être un trait d'union entre la science, le start-up, les investisseurs ?
01:34 On parle aussi de vulgarisation, vous avez annoncé récemment le prix Baurien, qui est le premier prix de littérature de vulgarisation scientifique.
01:44 Donc il y a une vraie nécessité peut-être pour vous d'être un trait d'union entre tous ces univers ?
01:49 Le fonds de capital risque, les fonds de capital risque, le Venture Capital, a un rôle absolument clé dans l'écosystème.
01:55 Parce que, bon, d'abord, en Europe, on est bon au niveau académique, on a des grands centres de recherche qui sont parmi les plus pointus au monde, dans toute une série de disciplines.
02:06 On a aussi des grands groupes industriels qui sont des champions mondiaux.
02:10 Mais lorsqu'il y a des mutations, des révolutions technologiques, il y a un acteur qui est très important, c'est l'entrepreneur, le scientifique qui part de son labo et qui crée une entreprise.
02:21 Et donc ça, c'est un vrai phénomène de société. D'ailleurs, l'entreprenariat, il y a 30 ans, les jeunes voulaient être fonctionnaires, maintenant ils veulent être entrepreneurs.
02:29 Très bien, mais il ne faut pas que les entreprises qu'ils créent restent toutes petites.
02:34 Il faut leur donner les moyens de devenir des leaders technologiques de demain.
02:38 Dans la guerre mondiale, je dis souvent ça, dans la guerre mondiale des hautes technologies, l'Europe n'a pas gagné toutes les premières batailles, mais on n'est pas condamné à toutes les pertes.
02:47 Et pour ça, il y a besoin justement de grandes sociétés de capital risque pour accompagner les entrepreneurs au-delà de l'amorçage, dans la phase de décollage et dans la phase de conquête de marché pour devenir les grands leaders mondiaux de demain.
03:00 Alors c'est ce que vous proposez avec le fonds Expansion qui est un fonds qui a été dévoilé l'année dernière, d'ailleurs sur le plateau de Smart Space, un petit peu par inadvertance, il faut bien le rejoindre.
03:11 Avec François Chopat.
03:12 Avec François Chopat qui est le fondateur et le dirigeant de Starburst.
03:16 Alors quand vous avez dévoilé ce fonds, la promesse était 300 millions.
03:20 Oui, alors on est sur le chemin vers les 300 millions, rassurez-vous.
03:26 Là, on est aux alentours de 100 millions, donc c'est très bien.
03:30 On a déjà commencé à déployer une partie de ces capitaux, on est dans un portefeuille de 11 entreprises déjà, donc 9 dans le New Space et 2 en New Aero.
03:39 Et elles grandissent vite et c'est la raison pour laquelle on est heureux que ces 100 millions soient presque là.
03:45 On est en train de finaliser les négociations avec les grands institutionnels privés et publics, mais ils sont déjà, certains sont déjà là et les autres sont en train de finaliser ces accords.
03:55 Et donc le fonds sera doté de beaucoup plus de capitaux que l'année dernière désormais.
04:02 Et on va pouvoir donc continuer à accompagner nos très belles startups, par exemple, Latitude ou Hyperspace dans le lancement de fusées.
04:11 On a tous vu évidemment le lancement de la fusée d'Elon Musk hier.
04:16 On l'a vu.
04:18 La fuséologie, Elon il dit "rocketry", mais la fuséologie en français c'est la science des fusées, c'est une science qui progresse chaque jour.
04:29 Il y a parfois des difficultés, il y a des étapes qu'il faut franchir, mais nous avons en Europe, bien sûr Ariane,
04:38 mais nous avons aussi toute une série d'entrepreneurs privés qui se lancent dans la bataille et qui sont très bons, dont Latitude par exemple, je le recite, et donc on les accompagne avec plaisir.
04:49 On va revenir sur ce choix des marchés à acquérir dans le cadre du fonds Expansion et à porter dans le New Space.
04:57 Un an du fonds Expansion, quelle leçon on retient, quel bilan on fait de cette expérience de financement dans le spatial qui a quand même énormément de difficultés ?
05:09 C'est toute la tech qui a un peu souffert de la hausse des taux d'intérêt et des troubles sur les marchés financiers bien sûr,
05:18 mais la deep tech ça n'a jamais été facile. Même en 2021 qui était une année absolument incroyable pour la tech, la low tech, la deep tech on avait toujours du mal à convaincre les investisseurs,
05:29 ça prend du temps, mais je crois qu'ils prennent de plus en plus conscience qu'il y a donc des énormes défis qui se posent à la planète, bien sûr le défi climatique, les défis des inégalités,
05:39 tous les défis énergétiques et qu'il y a des révolutions technologiques qui permettent d'adresser ces défis et aller chercher de la valeur plus profondément en allant dénicher dans nos meilleurs labos de recherche fondamentale
05:55 des découvertes qui ont été faites par des scientifiques et qui méritent maintenant de passer au stade applicatif, au stade industriel.
06:01 Et ça, ça permet de créer des valeurs surtout quand on est au tout début parce que nous notre stratégie c'est d'investir en pré-amorçage et amorçage juste après que la boîte a été créée par les entrepreneurs.
06:12 On ne se substitue pas aux fondateurs mais on va les accompagner sur toute la phase de création de valeur importante des premiers jours, des premières années et puis après jusqu'à ce qu'on appelle dans notre jargon la série A, série B et au-delà.
06:25 Mais alors comment on pallie ce grand obstacle dans le secteur spatial qui est le temps ? C'est-à-dire que la question de la rentabilité du retour sur investissement dans ce secteur peut-être plus qu'ailleurs,
06:37 elle est difficile à appréhender pour les investisseurs qui ont besoin quand même de ce projet ?
06:43 Non, c'est comme dans tous les secteurs. Quand on a un entrepreneur qui nous propose quelque chose, d'abord on analyse le marché.
06:52 Comme on est dans la deep tech et qu'il y a des risques élevés, il faut qu'il y ait un marché très important.
06:58 Donc ça c'est la première chose. Si évidemment l'entrepreneur nous propose un marché qui est un peu riquiqui, une niche, on va dire non, on ne pourra jamais atteindre la rentabilité qui permet de compenser cette prise de risque.
07:11 En revanche, déjà, des grands marchés. Et là c'est le cas. Dans le New Space, on parle en centaines de milliards de dollars, voire au-delà, sur un horizon de 10 ans.
07:21 Donc le marché il est en général là. Après bien sûr, la qualité des entrepreneurs, la technologie et puis ensuite les discussions de valorisation évidemment.
07:31 D'ailleurs le contexte s'est amélioré côté investisseurs, c'est ce que nous sommes. Mais ce n'était pas non plus un vrai sujet.
07:38 Donc on trouve toujours un accord lorsqu'il y a volonté de faire entre les fondateurs et le capital risque.
07:45 Alors les marchés les plus prometteurs, vous avez cité par exemple les lanceurs qui sont coûteux quand même à financer.
07:52 Ah oui, un lanceur c'est plusieurs centaines de millions minimum. Mais il y a aussi toutes les nouvelles technologies ont tellement progressé que ça abaisse les coûts.
08:04 Et puis il y a aussi une espèce de progrès dans la connaissance de la fuséologie. Et donc on peut faire maintenant des lanceurs pour 100 millions, 200 millions.
08:16 Donc qui s'étalent sur 5-7 ans et faire un micro lanceur par exemple. Alors on parle même de nano lanceur, micro lanceur, mini lanceur et puis les grands lanceurs.
08:26 Bon par exemple l'Attitude, Hyper Space dans lequel on a investi se positionne sur le micro lanceur.
08:33 Propulsion hybride aussi, on est dans la disruption technologique.
08:36 Et l'impression 3D des moteurs, incroyable avec la société luxembourgeoise Saturn Technologies. Et donc ça, ça permet à des entreprises d'imaginer de pouvoir produire des moteurs à la chaîne en fabrication additive.
08:52 Et ensuite le moment venu de produire des lanceurs, plusieurs lanceurs par semaine. Et puis les lancer, donc là on va, et ça va permettre de lancer des petits satellites.
09:03 Lorsqu'une constellation qui comprend des centaines de satellites, il y en a un qui tombe en panne.
09:10 On va pas demander à Ariane ou à Falcon d'envoyer 60 satellites. On va envoyer juste un satellite.
09:18 Et là c'est un marché extrêmement intéressant sur lequel évoluent ces entreprises.
09:23 La logistique aussi, on en parlait en introduction, le cabinet Euroconsulte a reprojeté, a redonné des projections sur ce marché là.
09:30 D'ici 10 ans, on a des scénarios de revenus avoisinant les 5 milliards de dollars.
09:36 On a deux entreprises dans ce secteur, Space Cargo et The Exploration Company.
09:40 Donc en effet c'est la logistique en orbite. Il y a plein de projets fous de fabrication en orbite aussi, le microgravity manufacturing.
09:50 Donc le transport d'un point A à un point B en orbite sur l'orbite basse, les transferts d'orbite.
09:57 Donc tout ce marché de la logistique en effet est absolument incroyable.
10:02 Quelle a été la plus grosse difficulté que vous allez rencontrer aujourd'hui et quelle va être votre projection peut-être pour les années à venir, d'ici 2025 par exemple pour Expansion ?
10:14 La difficulté c'est, comme je le dis, c'est la deep tech. Il faut convaincre.
10:20 Donc il y a en Europe des investisseurs institutionnels qui sont prêts à prendre ce risque. Ils ne sont pas encore assez nombreux.
10:28 Il faut aussi plus de fonds de deep tech de taille significative. C'est tout le projet Expansion.
10:34 Donc on y est, on y est presque. Mais il faudra déjà réfléchir à la phase d'après.
10:40 Parce que d'ailleurs c'est Alain Godard, l'ancien directeur général du FEI, qui a lancé un fonds européen de souveraineté numérique doté de près de 3,8 milliards pour commencer.
10:49 Et lui il prendra des tickets de 200, 300 millions dans des fonds qui viseront le milliard d'euros.
10:56 Donc ça évidemment, ça nous stimule. Nous pour 2025, 2026, on pense déjà à Expansion 2 qui aura peut-être une taille de cet ordre, de 1 milliard d'euros.
11:07 Pour pouvoir continuer à accompagner nos meilleurs entrepreneurs au-delà de la série B, donc en série C, série D.
11:13 Parce que si on fait tout ça, dès que l'entreprise commence à être un peu successful, se fasse racheter par des Américains ou des Asiatiques...
11:21 C'est le grand risque aujourd'hui. Comment on fait pour garder nos talents ?
11:25 Il faut ces fonds de deep tech de grande taille qui dépassent le milliard d'euros.
11:31 Surtout qu'on est sur des technologies de souveraineté.
11:35 Quel est le rôle de l'État là-dessus ?
11:37 Justement, ces entreprises bénéficient de l'écosystème.
11:40 Vous avez cité HyperSpace qui fait partie par exemple de France 2030.
11:44 Donc France 2030, des dispositifs européens qui se mobilisent pour permettre à ces entreprises d'éclore.
11:50 C'est très bien. Il y a aussi des commandes, des donneurs d'ordre européens qui vont faire confiance à ces nouvelles entreprises.
11:58 Mais évidemment la contrepartie, c'est que lorsque à un moment il faudra éventuellement que ces entreprises soient consolidées,
12:05 et se cèdent, elles ne pourront pas se céder impunément en dehors d'Europe.
12:12 En tout cas, il faudra organiser une consultation avec les grands acteurs européens.
12:19 Les acteurs publics évidemment. L'État devra donner son feu vert s'il s'agit de se céder à des Américains.
12:29 Mais pour éviter cela, si jamais ça pose un problème, si on a des grands fonds de deep tech européens, on n'a pas de problème.
12:36 Et on peut à ce moment-là rester indépendant en étant très rentable et devenir un leader européen du new space.
12:45 Alors je voulais parler avec vous de la règle du retour de budget, parce que c'est le sujet dont on parle beaucoup en ce moment.
12:51 Pointée du doigt à la fois par les agences, dont l'agence spatiale française, par des grands industriels comme Ariane Group, par des start-up aussi.
12:59 Cette règle du retour de budget qui est donc, pour vous redonner le principe à tous, l'idée de redistribuer l'argent qui est investi dans l'agence spatiale européenne.
13:08 Quel est votre point de vue avec ce point de vue d'investisseur que vous pouvez avoir ?
13:15 Est-ce que vous pensez comme beaucoup d'acteurs que c'est un frein à la prospérité, à la concurrence européenne saine qui pourrait donner un secteur plus favorable pour les start-up et le new space ?
13:26 Bon déjà, un petit commentaire quand même. C'est que comme la France représente à peu près la moitié du secteur spatial européen, ce n'est pas trop un problème pour les start-up françaises.
13:35 Alors nous, nous investissons pas simplement en France évidemment, on a des partenaires suédois, j'ai oublié de le dire.
13:41 Donc ça c'était un des grands acquis de l'année 2022. On a noué un partenariat avec Starburst et avec RIM Capital. RIM ça veut dire Espace en suédois.
13:50 Et donc on investit en Scandinavie, on investit en Pologne, en Allemagne.
13:54 Il y a des ports spatiaux.
13:56 Après c'est vrai que pour l'ESA, ce qui a été mentionné en effet par le High Level Advisory Group, c'est que ce principe d'égalité parfaite, des retours vers les pays qui contribuent au budget de l'ESA, c'est complexe.
14:14 Ça peut ralentir les initiatives.
14:18 Vous n'en voyez pas les conséquences aujourd'hui ?
14:20 Nous en tant qu'investisseurs, ça n'est pas trop un problème, encore une fois, puisque les grands pays spatiaux dans lesquels on investit ont un écosystème très riche et donc ça n'est pas trop un problème.
14:33 Alors on peut dire un mot sur ce trait d'union entre la science et l'investissement.
14:38 Vous avez Cantonation qui est un succès, qui porte aussi la Deep Tech et précisément le quantique.
14:44 Est-ce qu'il y a une jonction entre Expansion et Cantonation, entre le spatial et le quantique que vous exploitez déjà ?
14:49 Absolument, et aussi le nucléaire de nouvelle génération sur lequel on travaille.
14:53 On est en train de constituer une équipe pour un fonds dédié au nucléaire de quatrième génération, de fission, voire de fusion.
15:01 Je pense que toutes ces hautes technologies, toutes ces grandes révolutions technologiques vont permettre peut-être d'inventer des choses complètement extraordinaires.
15:10 Par exemple, on a vu hier SpaceX, on est sur la propulsion chimique classique.
15:15 Il y a eu un moment, un programme aux Etats-Unis qui s'est arrêté à la fin du programme Apollo, mais un programme de propulsion nucléaire.
15:23 Et ils arrivaient à des poussées tout à fait comparables aux plus grandes propulsions chimiques.
15:29 Donc vous voyez qu'entre le nucléaire et le spatial, il peut y avoir des convergences.
15:34 D'ailleurs la NASA a lancé un programme sur ce sujet.
15:36 Le quantique va permettre d'inventer de nouveaux matériaux, de simuler la nature, puisque la nature est quantique.
15:43 Et donc d'inventer de nouveaux matériaux. Ces nouveaux matériaux, peut-être qu'on ne pourra les fabriquer qu'en microgravité, en orbite basse spatiale.
15:53 Donc vous voyez qu'il y a des convergences et des idées d'entreprises complètement extraordinaires à créer.
15:59 Et nous, on est là pour les accompagner.
16:01 Merci beaucoup Charles Bekbede.
16:03 Alors c'est une très bonne introduction pour le sujet de la semaine prochaine qui sera le nucléaire dans le secteur spatial.
16:08 Je vous invite à nous suivre sur Smartspace.
16:11 Merci à tous de nous avoir suivis.
16:13 On se retrouve donc dès la semaine prochaine sur Bsmart et bsmart.fr en attendant de passer un bon week-end.
16:20 [Musique]

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